Guy Aretin ayant, selon l'opinion commune, ajouté au diagramme des Grecs un tétracorde à l'aigu et une corde au grave ; ou plutôt, selon Meibomius, ayant par ces additions rétabli ce diagramme dans son ancienne étendue, il appela cette corde grave, hypoproslambanomenos, et la marqua par le des Grecs ; et comme cette lettre se trouve à la tête de l'échelle, en commençant par les sons graves, selon la méthode des anciens, elle a fait donner à cette échelle le nom barbare de gamme.

Cette gamme donc, dans toute son étendue, était composée de vingt cordes ou notes, c'est-à-dire de deux octaves et d'une sixte majeure. Ces cordes étaient représentées par des lettres et par des syllabes. Les lettres désignaient invariablement chacune une corde déterminée de l'échelle, comme elles font encore aujourd'hui ; mais comme il n'y avait que sept lettres, et qu'il fallait recommencer d'octave en octave, on distinguait ces octaves par les figures des lettres. La première octave se marquait par des lettres majuscules, de cette manière, . A. B. etc. la seconde par des caractères ordinaires, g, a. b, etc. et la sixte surnuméraire se désignait par des lettres doubles, gg, aa, bb, etc.

Pour les syllabes, elles ne représentaient que les noms qu'il fallait donner aux notes en les chantant : or comme il n'y avait que six noms pour sept notes, c'était une nécessité qu'au moins un même nom fût donné à deux différentes notes, en sorte que ces deux notes mi, fa, ou la, fa, tombassent sur les semi-tons ; par conséquent dès qu'il se présentait un dièse ou un bémol qui amenait un nouveau semi-ton, c'était encore des noms à changer ; ce qui faisait donner, non-seulement le même nom à différentes notes, mais différents noms à la même note, selon le progrès du chant ; et c'est-là ce qu'on appelait les muances.

On apprenait donc ces muances par la gamme. A la gauche de chaque degré on voyait une lettre qui indiquait la corde précise qui appartenait à ce degré : à la droite, dans les cases, on trouvait les différents noms que cette même note devait porter en montant ou en descendant par béquarre ou par bémol, selon le progrès.

Les difficultés de cette méthode ont fait faire en divers temps des changements à la gamme. La figure 10. Pl. I. Musiq. représente cette gamme, telle qu'elle est aujourd'hui en usage en Angleterre. C'est à-peu-près la même chose en Allemagne et en Italie, si ce n'est que chez les uns on trouve à la dernière place la colonne de béquarre qui est ici la première, ou quelqu'autre légère différence aussi peu importante.

Pour se servir de cette échelle, si l'on veut chanter au naturel, on applique ut à G ou à de la première colonne, le long de laquelle on monte jusqu'au la ; après quoi passant à droite dans la colonne du bé naturel, on nomme fa : on monte au la de la même colonne, puis on retourne dans la précédente à mi, et ainsi de suite. Ou bien on peut recommencer par ut au C de la seconde colonne ; arrivé au la, passer à mi dans la première colonne, puis repasser dans l'autre colonne au fa. Par ce moyen une de ces transitions forme toujours un semi-ton ; savoir la, fa, et l'autre toujours un ton, la, mi. Par bémol on peut commencer à l'ut en C ou F, et faire les transitions de la même manière, etc.

En descendant par béquarre, on quitte l'ut de la colonne du milieu, pour passer au mi de celle par béquarre, ou au fa de celle par bémol ; puis descendant jusqu'à l'ut de cette nouvelle colonne, on en sort par fa de la gauche à droite, par mi de droite à gauche, etc. Les Anglais n'emploient pas toutes ces syllabes, mais seulement les quatre premières, ut, ré, mi, fa ; changeant ainsi de colonne de quatre en quatre notes, par une méthode semblable à celle que je viens d'expliquer, si ce n'est qu'au lieu de la, fa, et de la, mi, ils muent par fa, ut, et par mi, ut,

Toutes ces gammes sont toujours de véritables tortures pour ceux qui veulent s'en servir pour apprendre à chanter. La gamme française, qu'on a aussi appelée gamme du si, est incomparablement plus aisée ; elle consiste en une simple échelle de sept degrés sur deux colonnes, outre celle des lettres. Voyez fig. 2. Planche I.

La première colonne à gauche est pour chanter par bémol, c'est-à-dire avec un bémol à la clé ; la seconde, pour chanter au naturel. Voilà tout le mystère de notre gamme.

Aujourd'hui que les musiciens français chantent tout au naturel, ils n'ont que faire de gamme ; C-sol-ut, ut et C ne sont pour eux que la même chose : mais dans le système de Guy ut est une chose, et C en est une autre fort différente ; et quand il a donné à chaque note une syllabe et une lettre, il n'en a pas prétendu faire des synonymes. (S)

Nous joindrons à cet article quelques observations. Les sons, ou, ce qui revient au même, les cordes des instruments chez les Grecs, n'étaient à la rigueur, selon M. Burette, qu'au nombre de quinze, dont l'assemblage formait tout le système de l'ancienne musique. Ce grand système se partageait naturellement en quatre petits systèmes ou tétracordes, composés chacun de quatre sons ou cordes, qui faisaient l'étendue d'une quarte.

La quatrième corde du premier tétracorde était la première du second, et la quatrième corde du troisième était la première du quatrième ; mais le second et le troisième n'avaient point de corde commune. Chaque corde était désignée par un nom particulier ; ces noms étant très-difficiles à retenir, nous y substituerons ceux qui leur répondent dans la musique d'aujourd'hui. Les quatre tétracordes dont il s'agit étaient les suivants, en montant du grave à l'aigu.

1er tétracorde, ou le plus grave, si, ut, ré, mi.

Second, mi, fa, sol, la.

Traisième, si, ut, ré, mi.

Quatrième, mi, fa, sol, la.

Ce qui fait en tout quatorze sons. Pour avoir le quinzième son et compléter les deux octaves, on ajoutait un son la au-dessous du si du premier tétracorde. Voyez PROSLAMBANOMENE.

Il y avait une seconde manière d'entonner le troisième tétracorde ; c'était de lui substituer celui-ci, la, si , ut, ré, qui avait son premier son la commun avec le tétracorde précédent, et qui donnait au système un si de plus, et par conséquent une seizième corde.

Les noms de chacune des cordes du système étant longs et embarrassants, ne pouvaient servir pour ce que nous appelons solfier. Pour y suppléer, les Grecs désignaient les quatre cordes de chaque tétracorde, en montant du grave à l'aigu, par ces quatre monosyllabes, té, ta, tê, tô. Voyez les mémoires de M. Burette, dans le recueil de l'acad. des Belles-Lettr. Par-là on voit aisément la différence du système des Grecs et de celui de Guy.

On sait que les notes ut, ré, mi, etc. de la gamme de Guy, sont prises des trois premiers vers de l'hymne de S. Jean ; mais on ne sait pas précisément quelle raison a déterminé Guy à ce choix. Il est certain que dans cette hymne, telle qu'on la chante aujourd'hui, les syllabes ré, mi, fa, etc. n'ont point, par rapport à la première syllabe ut, les sons qu'elles ont dans la gamme. Ainsi ce n'est point cette raison qui a déterminé Guy, à-moins qu'on ne veuille dire qu'alors le chant de l'hymne était différent de celui qu'elle a aujourd'hui, ce qu'on ne peut ni prouver, ni nier.

Il n'est pas inutîle de remarquer que la gamme est une des inventions dû.s aux siècles d'ignorance ; Guy vivait en 1009. Il publia sur son système une lettre dans laquelle il dit : j'espère que ceux qui viendront après nous prieront Dieu pour la rémission de nos péchés, puisqu'on apprendra maintenant en un an, ce qu'on pouvait à peine apprendre en dix. On a Ve par ce qui précède, que celui qui a inventé la gamme française ut, ré, mi, fa, sol, la, si, ut, appelée gamme du si, était encore plus en droit de se flatter de la reconnaissance de la postérité, puisque la gamme de Guy a été par ce moyen très-simplifiée. (O)

Nous joindrons à ces remarques un écrit que M. le président de Brosses, correspondant-honoraire de l'académie royale des Belles-Lettres, a bien voulu nous communiquer sur la gamme de Guy d'Arezzo. Il y examine par quelle suite d'idées ce musicien est parvenu à la former, et ses successeurs à la perfectionner.

" Les Grecs, dit-il, marquaient les caractères de leur Musique par une grande quantité de lettres et de figures différentes, que les Latins réduisirent depuis aux quinze premières lettres de l'alphabet, dont ils formèrent une tablature. Mais quoique le gamma fût une de ces lettres, il est douteux que les Latins se soient jamais servi du mot gamma, comme le dit M. Saverien, pour nommer leur tablature : il faut s'en tenir à ce qu'il ajoute dans la suite, sur le temps où ce mot fut en usage. Guy d'Arezzo forma, vers le commencement de l'onzième siècle, un nouveau système de Musique : alors on se servait de l'ancien système des Grecs, autrefois composé de deux tétracordes conjoints, représentés par des lettres, et égaux à ceux-ci, si, ut, ré, mi ; mi, fa, sol, la, dans lesquels on peut remarquer que tous deux commencent par une tierce mineure, et qui plus est par un intervalle de sémi-ton : ou plutôt tous deux sont de vrais tricordes du mode majeur, comprenant chacun une tierce majeure, au-dessous de laquelle les Grecs avaient savamment ajouté la note sensible du ton, qui représente à son octave la septième du même ton, c'est-à-dire la principale dissonnance du ton. Il y a grande apparence que Guy d'Arezzo, lorsqu'il commença de concevoir son nouveau système, ayant égard à ce que les deux tétracordes des Grecs commençaient par deux tierces mineures, composa le sien de deux tricordes disjoints faisant chacun une tierce mineure ; et qu'il les exprima de la manière suivante, par les six premières lettres de l'alphabet latin, a, b, c ; d, e, f, équivalentes à la, si, ut ; ré, mi, fa. Dans la suite, il conçut l'échelle diatonique de six sons, commençant par une tierce majeure, telle que nous l'avons aujourd'hui, et mit pour les trois premières notes de son échelle, c, d, e, qui seules, laissant entre chacune l'intervalle d'un ton entier, lui donnaient la tierce majeure.

Je ne doute pas que ce ne soit le sens du premier vers de l'hymne de saint Jean.

Ut queant laxis resonare fibris,

qui a déterminé l'auteur à tirer de cette strophe le nom de ces six cordes qu'il voulait faire sonner à vide, resonare laxis fibris. C'est donc ici la cause occasionnelle de l'étymologie déjà connue des six premiers sons de la gamme.

Pour imiter et perfectionner les deux tétracordes grecs, on ajouta à l'échelle des six tons précédents, une septième note, que l'on nomma si, et l'octave ou répétition du premier ton nommé de même, ut. De cette sorte, l'échelle diatonique se trouva contenir une octave complete , dirigée selon la plus grande conformité avec la voix humaine, qui ne peut facilement faire trois tons entiers de suite, tels que seraient ut, ré, mi, fa # ; mais qui après deux tons entiers, aime à se reposer par l'intonation succédante d'un sémi-ton ; ainsi ut, ré, mi, fa, etc. Cette échelle est en même temps composée de deux tétracordes disjoints et à-peu-près pareils, ut, ré, mi, fa ; sol, la, si, ut. En suivant toujours la méthode des Grecs usitée de son temps (car les inventeurs mêmes travaillent d'exemple), Guy d'Arezzo joignit aux syllabes qu'il prenait pour noms des sons, les lettres A, B, C, D, E, F, qui les nommaient ci-devant : mais A représentait la, première note de ses deux tricordes, et non pas ut, première note de son échelle d'octave : tellement que pour nommer les tons, en joignant la lettre à la syllabe, et y ajoutant entre deux le nom de la dominante du ton qui en marque toute la modulation et les subséquences, on a dit, en suivant l'ordre des tricordes, A mi la, B fa si, C sol ut, D la ré, E si mi, F ut fa. De-là viennent aussi ces anciennes expressions familières aux Musiciens, le premier en A mi la ; le quint en E si mi. Il manquait une lettre au septième ton ; l'inventeur, suivant son plan, prit la septième de l'alphabet latin G, qu'il écrivit en grec , gamma, quoique le se trouve la troisième de l'alphabet grec : de cette manière, le septième ton fut nommé G ré sol ; et le caractère grec plus singulier dans la tablature que les caractères vulgaires, donna le nom de gamma à toute l'échelle diatonique. Pour imiter toujours l'ancienne méthode grecque, dont le tétracorde commençait par un sémi-ton ou note sensible, l'inventeur baissa d'un demi-ton l'intervalle A, B de son premier tricorde A, B, C ; en sorte qu'au lieu d'un ton entre A et B, et d'un demi-ton entre B et C, il se trouva un demi-ton entre A et B, et un ton complet entre B et C : pour avertir de ce changement, il joignit un signe particulier au B ; et comme le son du B devenait par-là plus doux et plus mou, on nomma ce signe B mol : or le B étant le si, de-là vient que le premier bémol en Musique se pose sur le si. Usant du même artifice sur son second tricorde, quand il voulut le faire commencer comme le grec, il baissa d'un demi-ton l'intervalle du ré au mi : de-là vient que le second bémol en Musique se pose sur le mi : s'il voulut remettre son premier tricorde A, B, C, dans le premier état naturel où il l'avait composé, il joignit au B un signe carré angulaire à-peu-près de cette figure , pour avertir que l'intervalle d'A à B était d'un ton dur et entier ; et ce signe fut nommé B quarre. Il s'était occupé sur ses tricordes mineurs de l'abaissement des sons qui convient au mode mineur : revenant à son échelle d'octave modulée selon le mode majeur, il s'occupa de l'élévation des sons convenable à ce mode ; il éleva d'un demi-ton de plus le premier intervalle de sémi-ton qui se trouve dans l'ordre de son échelle, c'est-à-dire celui du mi au fa ; et en fit autant sur le second intervalle semblable, c'est-à-dire sur celui du si à l'ut : de-là vient que dans la Musique le premier dièse se pose sur le fa, et le second sur l'ut. Cette expérience dut lui paraitre très-heureuse, et d'autant plus conforme à la suite des sons dans la nature, que le fa # annonçait la modulation du sol, dont il est la note sensible ; et qu'en effet, la modulation de sol est engendrée dans les corps sonores par la modulation d'ut, dont sol est la note dominante. L'inventeur, pour avertir qu'il voulait mettre l'intervalle d'un ton entier entre mi et fa, joignit au fa un signe carré #, de figure à-peu-près semblable au béquarre, parce que l'effet des deux signes était le même : on appela ce signe dièse, du mot grec , division, parce qu'il divisait en deux l'intervalle du ton entre fa et sol ; et parce que dans les instruments grecs, entre deux cordes formant entr'elles un intervalle d'un ton, on en mettait un autre qui les séparait, et formait le sémi-ton intermédiaire. L'échelle diatonique ainsi formée avec adjonction de deux dièses par ut, ré, mi, fa #, sol, la, si, ut #, est suivie progressivement par l'échelle suivante, ré, mi, fa #, sol, la, si, ut #, ré, entièrement semblable dans l'ordre de ses intervalles à l'échelle naturelle de l'octave ut, sans aucun dièse. Or en continuant de procéder selon le mode majeur, en élevant le premier intervalle de semi-ton qui se rencontre dans la nouvelle octave ré entre fa # et sol, pour la rendre pareille en intervalle à l'octave ut avec deux dièses, il en résulte ré, mi, fa #, sol #, la, si, ut #, ré # : de-là vient que dans la Musique le troisième dièse se pose sur le sol, et le quatrième sur le ré.

Guy d'Arezzo s'apercevant que les sept lettres ou les sept syllabes dont il se servait pour tracer les sons musicaux au-dessus des paroles, n'exprimaient qu'un octave, et ne distinguaient pas si le son était d'une octave plus basse ou plus aiguë que la moyenne, s'avisa d'un troisième expédient plus commode, à ce qu'il lui parut, que les lettres ou les syllabes ; ce fut de tracer sur le papier de longues raies parallèles, probablement pour imiter la figure des cordes tendues de la lyre, qu'il fut forcé de disposer horizontalement, non verticalement ; sans quoi, il n'aurait pu y joindre avec facilité l'écriture des paroles chantées, qui parmi nous est horizontale et non verticale. Il traça donc plusieurs lignes les unes sur les autres, représentant les degrés et les intervalles des sons plus ou moins aigus ; il figura sur les lignes et les entre-lignes de petites notes noires, chaque ligne et entre-ligne immédiats représentant l'intervalle d'un demi-ton. D'autres musiciens ont depuis distingué la vitesse ou la lenteur du chant, et fixé la durée intrinseque de chaque note, en traçant les notes blanches, noires, à queue, crochues, doublement crochues, etc. d'autres ont ensuite inventé divers autres signes, pour représenter les tremblements et les renflements du son, le temps, la mesure à deux, trois, et quatre gestes, les silences, etc. ces derniers s'appellent pauses et soupirs, parce qu'ils donnent au chanteur le temps de se reposer, de respirer, et de reprendre haleine. Quant aux clés placées au commencement de chaque ligne, soit qu'on les y voie seules, soit qu'elles soient accompagnées de dièses et de bémols, elles ouvrent l'intelligence de la modulation traitée dans l'air : elles montrent tout-d'un-coup quelle est l'octave employée dans cet air ; si c'est la basse, la moyenne, ou l'aiguè ; et par-là elles font voir à portée de quel genre de voix l'air est composé. Nous répétons la clé au commencement de chaque ligne ; mais les Italiens se contentent de la figurer une fois pour toutes au commencement de la première ligne. Il y a sept clés, c'est-à-dire autant que de sons dans l'échelle diatonique : dans la règle, les sept clés devraient porter le nom des sept sons, et chacune se trouver posée au commencement de la ligne sur la place de la tonique de l'air qu'elle indique. Mais comme les clés ont été introduites moins encore pour montrer le ton final et principal de l'air, que pour indiquer si l'air est grave, moyen, ou aigu ; et comme l'inventeur ne considérait alors que son échelle naturelle de l'octave ut, il n'a donné que trois noms aux clés, savoir, fa, ut, sol ; parce que dans cette échelle de son octave ut, la note tonique, c'est-à-dire le son principal, final, et moyen, est ut, ayant pour dominante aiguë sol, et pour sous-dominante grave fa. Sur ce principe, il s'est déterminé à indiquer le chant grave par la clé de fa ; le chant moyen, par la clé d'ut ; le chant aigu, par la clé de sol. Cette observation était très-heureuse de la part de l'inventeur, soit qu'il y ait été conduit par force de génie, ou par hasard ; car elle indiquait en même temps tout le plan de l'harmonie, tant consonnante que dissonnante. Elle s'est trouvée d'accord avec le fameux principe de la basse fondamentale par quintes, découvert depuis par le célèbre Rameau, et qui sert de base à sa profonde théorie. Un chant, dit ce savant homme, composé du ton ut et de ses deux quintes fa et sol, l'une au-dessous, l'autre au-dessus, donne le chant ou la suite des quintes fa, ut, sol, que j'appelle basse fondamentale d'ut par quintes. Les trois sons qui forment cette basse et les harmoniques de chacun de ces trois sons, composent tout le mode majeur d'ut, et en même temps toute la gamme diatonique inventée par Guy d'Arezzo, comme nous le verrons encore mieux ci-après.

Telle est la suite des procédés et des idées qu'a eu dans la tête l'inventeur de notre gamme, en réformant la méthode grecque. Ces procédés sont si connexes, si bien liés, si dépendants les uns des autres, qu'on ne peut douter qu'il n'ait eu de telles pensées dans l'esprit, et à-peu-près dans le même ordre que je viens de les décrire. C'est ainsi qu'un soigneux examen des noms imposés aux choses, en nous apprenant la cause de leur imposition, nous fait remonter aux choses mêmes ; nous donne lieu de pénétrer leurs causes et leurs effets ; nous remet sur les voies des premiers principes des Arts et de leurs progrès successifs ; nous fait suivre les opérations de l'inventeur à la trace des termes appelatifs, qu'il a mis en usage.

Au reste, notre méthode d'usage actuel inventé par Guy d'Arezzo, de tracer la Musique sur le papier par des notes noires disposées sur les lignes et les entre-lignes de cinq raies, quoique très-ingénieuse, n'est pas fort bonne : elle est compliquée de figures embarrassantes et nombreuses. On sent assez que, soit que l'on se servit de raies, de notes, de lettres, de chiffres, ou des sept couleurs, il serait facîle d'inventer dix méthodes différentes d'écrire les chants, plus simples, plus courtes, et plus commodes, surtout pour la musique vocale : car l'instrumentale plus chargée de chants, présenterait peut-être un peu plus de difficulté. L'ancienne tablature grecque par lettres était, p. ex. meilleure que la nôtre. Mais à quoi servirait d'introduire une nouvelle méthode plus parfaite, aujourd'hui que nous avons tant d'ouvrages célèbres imprimés selon l'ancienne ? On ne supprimera pas tout ce que nous avons de Musique gravée, imprimée, manuscrite, pour le publier de nouveau sur une nouvelle tablature. Ainsi la nouvelle introduction aurait le plus grand inconvénient qu'elle puisse avoir ; c'est celui de ne pas abolir l'ancienne, et de ne procurer aux hommes qu'un travail de plus. Il faudrait que ceux qui savent lire notre Musique apprissent à lire une seconde fois ; et que ceux à qui l'on enseignerait à lire selon la nouvelle réforme, apprissent aussi l'ancienne manière, pour pouvoir jouir des ouvrages écrits avec nos figures actuelles. Ceci soit dit en passant, pour tous les projets de cette espèce tendant à introduire une réforme sur des choses où il n'est pas possible de supprimer les grands établissements déjà faits sur l'ancien pied ".

Nous avons donné au mot ÉCHELLE, la comparaison de la gamme ou échelle diatonique des Grecs avec notre gamme moderne. Nous avons fait voir comment ces gammes se formaient par le moyen des sons fa, ut, sol, et de leurs harmoniques : ces trois sons sont le fondement des deux gammes, par la raison suivante. Le son ut fait résonner sa douzième au-dessus sol, et fait frémir sa douzième au-dessous fa. Voyez FONDAMENTAL. Or au lieu des douziemes, on peut prendre ici les quintes, qui en sont les octaves ou répliques. Voyez OCTAVE et REPLIQUE. Ainsi on peut aller indifféremment du son ut à ses deux quintes sol et fa, quoiqu'avec un peu plus de prédilection pour sol, et révenir de même de fa et de sol à ut. Ces trois sons forment la basse fondamentale la plus simple du mode d'ut (Voyez MODE) ; et ces trois sons avec leurs harmoniques, c'est-à-dire leurs tierces majeures et leurs quintes (Voyez FONDAMENTAL), composent toute la gamme d'ut.

Le son fondamental ut renfermant en lui-même sa tierce majeure et sa quinte (Voyez FONDAMENTAL), il s'ensuit que le chant le plus naturel en partant d'ut, est ut, mi, sol, ut : mais le chant diatonique le plus naturel, c'est-à-dire celui qui procede par les moindres degrés naturels à la voix, est celui de la gamme, soit des anciens, soit des modernes.

Nous avons Ve au mot ÉCHELLE, que pour former la basse fondamentale de notre gamme moderne, il faut ou répéter deux fois le son sol dans cette gamme ; ou, ce qui revient au même, faire porter à ce seul son deux notes de basse fondamentale, savoir ut et sol ; ou en faisant porter à chaque note de la gamme une seule note de basse, introduire dans la basse des accords de septième, savoir, sol, si, ré, fa, et ré, fa, la, ut ; et dans tous les cas, introduire dans la basse la note ré, et par conséquent, le mode de sol. Voyez MODE. C'est cette introduction du mode de sol dans la basse fondamentale, qui fait que les trois tons fa, sol, la, si, peuvent se succéder immédiatement dans notre gamme ; ce qui n'a pas lieu dans celle des Grecs, parce que sa basse fondamentale ne porte et ne peut porter que les sons fa, ut, sol. De plus on ne peut entonner facilement ces trois tons qu'à la faveur d'un repos exprimé ou sous-entendu après le son fa ; en sorte que ces trois tons fa, sol, la, si, sont censés appartenir à deux tétracordes différents. La difficulté d'entonner naturellement trois tons de suite, vient donc de ce qu'on ne le peut faire sans changer de mode.

Pour former la gamme du mode mineur, il faut dans la gamme des Grecs, substituer des tierces mineures au lieu des tierces majeures que portent les sons de la basse fondamentale. Prenons pour exemple cette basse fondamentale ré, la, mi, du mode mineur de la ; il faudra faire porter le fa et l'ut au ré et au la, au lieu du fa dièse et de l'ut dièse, qu'ils porteraient si le mode était majeur. A l'égard de la dominante mi (Voyez DOMINANTE), elle portera toujours la tierce majeure sol dièse, lorsque ce sol montera au la : on en dira la raison, d'après M. Rameau, au mot NOTE SENSIBLE ; et on peut, en attendant, la voir dans nos éléments de Musique, art. 77. Ainsi la gamme des Grecs, dans le mode mineur de la, est

sol #, la, si, ut, ré, mi, fa.

Mais dans le même mode mineur de la, la gamme des modernes sera

la, si, ut, ré, mi, fa #, sol #, la,

dants laquelle le mi porte ou est censé porter deux notes de basse fondamentale, la, mi, et dans laquelle le fa est dièse, parce qu'il est quinte du si de la basse ; la basse fondamentale de cette gamme étant

la, mi, la, ré, la, mi, si, mi, la.

Ainsi la gamme des modernes dans le mode mineur, diffère encore plus de celle des Grecs, que dans le mode majeur, puisqu'il se trouve dans celle-là un fa #, qui n'est point et ne doit point être dans celle-ci.

La gamme du mode majeur en descendant, est la même qu'en montant ; et nous avons vu, au mot ÉCHELLE, quelle est alors la basse fondamentale de cette gamme : on peut encore lui donner celle-ci.

ut, sol, ré, sol, ut, fa, ut, sol, ut,

qui est la même (renversée) que la basse fondamentale de la gamme en montant, et dans laquelle le son sol de la gamme porte à-la-fais les deux sons sol, ut, de la basse. Au moyen de cette basse, qui est la même, soit que la gamme monte, soit qu'elle descende, on peut expliquer un fait qui serait peut-être difficîle à expliquer autrement, savoir pourquoi la gamme s'entonne aussi naturellement en descendant qu'en montant.

La difficulté est plus grande pour la gamme du mode mineur ; car on sait que cette gamme n'est pas la même en descendant qu'en montant : la gamme de la mineur, par exemple, est en montant, comme on l'a déjà vu,

la, si, ut, ré, mi, fa #, sol #, la ;

& cette gamme en descendant, est,

la, sol, fa, mi, ré, ut, si, la,

qui n'a plus ni sol ni fa dièse. La basse fondamentale de cette gamme est fort difficîle à trouver : car le sol ne peut porter que mi, et le fa que ré : or deux sons mi, ré, immédiatement consécutifs, sont exclus par les règles de la basse fondamentale. Voyez BASSE FONDAMENTALE, HARMONIE et MODE. M. Rameau détermine cette basse, en retranchant de l'échelle le son sol, en cette sorte :

la, fa, mi, ré, ut, si, la,

dont la basse fondamentale est

la, ré, la, ré, la, mi, la,

C'est ce qu'on peut dire de plus plausible là-dessus ; et c'est aussi ce que nous avons dit, d'après M. Rameau, dans nos éléments de Musique : mais on doit avouer que cette solution ne satisfait pas pleinement, puisqu'il faut, ou ne point faire porter d'harmonie à sol, ou anéantir l'ordre diatonique de la gamme ; deux partis dont chacun a ses inconvéniens. Cet aveu donnera lieu à une autre observation que nous avons quelque droit de faire, ayant eu l'honneur d'être du nombre des juges de M. Rameau dans l'académie des Sciences, et ensuite ses interpretes auprès du public ; c'est que cette compagnie n'a jamais prétendu approuver le système de Musique de M. Rameau, comme renfermant une science démontrée *, mais seulement comme un système beaucoup mieux fondé, plus clair, plus simple, mieux lié, et plus étendu qu'aucun de ceux qui avaient précédé ; mérite d'autant plus grand, qu'il est le seul auquel on puisse prétendre dans cette matière, où il ne parait pas possible de s'élever jusqu'à la démonstration. Tout le système de M. Rameau est appuyé sur la résonnance du corps sonore : mais les conséquences qu'on tire de cette resonnance n'ont point et ne sauraient avoir l'évidence des théorèmes d'Euclide ; elles n'ont pas même toutes un égal degré de force et de liaison avec l'expérience fondamentale. Voyez HARMONIE, NOTE SENSIBLE, MODE MINEUR, SEPTIEME, etc. Aussi M. Rameau dit-il très-bien au sujet de la dissonnance, qui est une branche étendue de la Musique : " c'est justement parce que la dissonnance n'est pas naturelle à l'harmonie, quoique l'oreille l'adopte, que pour satisfaire la raison sur ce point, autant qu'il est possible, on ne saurait trop multiplier les rapports, les analogies, les convenances, même les métamorphoses, s'il y en a ". D'où il s'ensuit, qu'il ne range sa théorie musicale que dans la classe des probabilités. C'est aussi uniquement comme un système très-supérieur aux autres, que nous avons expliqué cette théorie dans un ouvrage particulier ; très-disposés en même temps à recevoir tout ce qui pourra nous venir de bon d'ailleurs. Voyez FONDAMENTAL.

Sur les différences de la gamme des Grecs dans les genres diatonique, chromatique, et enharmonique, voyez GENRE. (O)