L'usage ordinaire, pour indiquer la longueur d'une voyelle, était, dans les commencements, de la répéter deux fais, et quelquefois même d'insérer h entre les deux voyelles pour en rendre la prononciation plus forte ; de-là ahala ou aala, pour ala, et dans les anciens mehecum pour mecum ; peut-être même que mihi n'est que l'orthographe prosodique ancienne de mi que tout le monde connait, vehements de vements, prehendo de prendo. Nos pères avaient adopté cette pratique, et ils écrivaient aage pour âge, roole pour rôle, sépareement pour séparément, &c.

Un I long, par sa seule longueur, valait donc deux i i en quantité ; et c'est pour cela que souvent on l'a employé pour deux i i réels, MANUBIS pour MANUBIIS, DIS pour DIIS. De-là l'origine de plusieurs contractions dans la prononciation, qui n'avaient été d'abord que des abréviations dans l'écriture.

Par rapport à la voyelle I, les Latins en marquaient encore la longueur par la diphtongue oculaire e i, dans laquelle il y a grande apparence que l'e était absolument muet. Voyez sur cette matière le traité des lettres de la Méth. lat. de P. R.

II. La lettre I était aussi consonne chez les Latins ; et en voici trois preuves, dont la réunion combinée avec les témoignages des Grammairiens anciens, de Quintilien, de Charisius, de Diomède, de Térencien, de Priscien, et autres, doit dissiper tous les doutes, et ruiner entièrement les objections des modernes.

1°. Les syllabes terminées par une consonne, qui étaient brèves devant les autres voyelles, sont longues devant les i que l'on regarde comme consonnes, comme on le voit dans djvat, b Jve, etc. Scioppius répond à ceci, que ad et ab ne sont longs que par position, à cause de la diphtongue iu ou io, qui étant forte à prononcer, soutient la première syllabe. Mais cette difficulté de prononcer ces prétendues diphtongues, est une imagination sans fondement, et démentie par leur propre briéveté. Cette brièveté même des premières syllabes de jvat et de Jve prouve que ce ne sont point des diphtongues, puisque les diphtongues sont et doivent être longues de leur nature, comme je l'ai prouvé à l'article HIATUS. D'ailleurs si la longueur d'une syllabe pouvait venir de la plénitude et de la force de la suivante, pourquoi la première syllabe ne serait-elle pas longue dans dactus, dont la seconde est une diphtongue longue par nature, et par sa position devant deux consonnes ? Dans l'exacte vérité, le principe de Scioppius doit produire un effet tout contraire, s'il influe en quelque chose sur la prononciation de la syllabe précédente ; les efforts de l'organe pour la production de la syllabe pleine et forte, doivent tourner au détriment de celles qui lui sont contiguès soit avant soit après.

2°. Si les i, que l'on regarde comme consonnes, étaient voyelles ; lorsqu'ils sont au commencement du mot, ils causeraient l'élision de la voyelle ou de l'm finale du mot précédent, et cela n'arrive point : Audaces fortuna juvat ; interpres divum Jove missus ab ipso.

3°. Nous apprenons de Probe et de Térencien, que l'i voyelle se changeait souvent en consonne ; et c'est par-là qu'ils déterminent la mesure de ces vers : Arietat in portas, parietibusque premunt arctis, où il faut prononcer arjetat et parjetibus. Ce qui est beaucoup plus recevable que l'opinion de Macrobe, selon lequel ces vers commenceraient par un pied de quatre breves : il faudrait que ce sentiment fût appuyé sur d'autres exemples, où l'on ne put ramener la loi générale, ni par la contraction, ni par la syncrèse, ni par la transformation d'un i ou d'un u en consonne.

Mais quelle était la prononciation latine de l'i consonne ? Si les Romains avaient prononcé, comme nous, par l'articulation je, ou par une autre quelconque bien différente du son i ; n'en doutons pas, ils en seraient venus, ou ils auraient cherché à en venir à l'institution d'un caractère propre. L'empereur Claude voulut introduire le digamma F ou à la place de l'u consonne, parce que cet u avait sensiblement une autre valeur dans uinum, par exemple, que dans unum : et la forme même du digamma indique assez clairement que l'articulation désignée par l'u consonne, approchait beaucoup de celle que représente la consonne F, et qu'apparemment les Latins prononçaient vinum, comme nous le prononçons nous mêmes, qui ne sentons entre les articulations f et v d'autre différence que celle qu'il y a du fort au faible. Si le digamma de Claude ne fit point fortune, c'est que cet empereur n'avait pas en main un moyen de communication aussi prompt, aussi sur, et aussi efficace que notre impression : c'est par-là que nous avons connu dans les derniers temps, et que nous avons en quelque manière été contraints d'adopter les caractères distincts que les Imprimeurs ont affectés aux voyelles i et u, et aux consonnes j et Ve

Il semble donc nécessaire de conclure de tout ceci, que les Romains prononçaient toujours i de la même manière, aux différences prosodiques près. Mais si cela était, comment ont-ils cru et dit eux-mêmes qu'ils avaient un i consonne ? c'est qu'ils avaient sur cela les mêmes principes, ou, pour mieux dire, les mêmes préjugés que M. Boindin, que les auteurs du dictionnaire de Trévoux, que M. du Marsais lui-même, qui prétendent discerner un i consonne, différent de notre j, par exemple, dans les mots aïeux, foyer, moyen, payeur, voyelle, que nous prononçons a-ïeux, fo-ïer, moi-ïen, pai-ïeur, voi-ïelle : MM. Boindin et du Marsais appellent cette prétendue consonne un mouillé faible. Voyez CONSONNE. Les Italiens et les Allemands n'appelent-ils pas consonne un i réel qu'ils prononcent rapidement devant une autre voyelle, et ceux-ci n'ont-ils pas adopté à peu-près notre i pour le représenter ?

Pour moi, je l'avoue, je n'ai pas l'oreille assez délicate pour apercevoir, dans tous les exemples que l'on en cite, autre chose que le son faible et rapide d'un i ; je ne me doute pas même de la moindre preuve qu'on pourrait me donner qu'il y ait autre chose, et je n'en ai encore trouvé que des assertions sans preuve. Ce serait un argument bien faible que de prétendre que cet i, par exemple dans payé, est consonne, parce que le son ne peut en être continué par une cadence musicale, comme celui de toute autre voyelle. Ce qui empêche cet i d'être cadencé, c'est qu'il est la voyelle prépositive d'une diphtongue ; qu'il dépend par conséquent d'une situation momentanée des organes, subitement remplacée par une autre situation qui produit la voyelle postpositive ; et que ces situations doivent en effet se succéder rapidement, parce qu'elles ne doivent produire qu'un son, quoique composé. Dans lui, dira-t-on que u soit une consonne, parce qu'on est forcé de passer rapidement sur la prononciation de cet u pour prononcer i dans le même instant ? Non ; ui dans lui est une diphtongue composée des deux voyelles u et i ; ïé dans pai-ïé en est une autre, composée de i et de é.

Je reviens aux Latins : un préjugé pareil suffisait pour décider chez eux toutes les difficultés de prosodie qui naitraient d'une assertion contraire ; et les preuves que j'ai données plus haut de l'existence d'un i consonne parmi eux, démontrent plutôt la réalité de leur opinion que celle de la chose : mais il me suffit ici d'avoir établi ce qu'ils ont cru.

Quoi qu'il en sait, nos pères, en adoptant l'alphabet latin, n'y trouvèrent point de caractère pour notre articulation je : les Latins leur annonçaient un i consonne, et ils ne pouvaient le prononcer que par je : ils en conclurent la nécessité d'employer l'i latin, et pour le son i et pour l'articulation je. Ils eurent donc raison de distinguer l'i voyelle de l'i consonne. Mais comment gardons-nous encore le même langage ? Notre orthographe a changé ; le Bureau typographique nous indique les vrais noms de nos lettres, et nous n'avons pas le courage d'être conséquents et de les adopter.

L'Encyclopédie était assurément l'ouvrage le plus propre à introduire avec succès un changement si raisonnable : mais on a craint de tomber dans une affectation apparente, si l'on allait si directement contre un usage universel. Qu'il me soit permis du moins de distinguer ici ces deux lettres, et de les coter comme elles doivent l'être, et comme elles le sont en effet dans notre alphabet. Peut-être le public en sera-t-il plus disposé à voir l'exécution entière de ce système alphabétique, ou dans une seconde édition de cet ouvrage, ou dans quelque autre dictionnaire qui pourrait l'adopter.