C'est d'ailleurs un fait dont une infinité de bas-reliefs et de pierres gravées ne nous permettent point de douter.

Il ne faut pas croire cependant que les masques de théâtre aient eu tout-d'un-coup cette forme ; il est certain qu'ils n'y parvinrent que par degrés, et tous les auteurs s'accordent à leur donner de faibles commencements. Ce ne fut d'abord, comme tout le monde sait, qu'en se barbouillant le visage, que les premiers acteurs se déguisèrent ; et c'est ainsi qu'étaient représentées les pièces de Thespis.

Quae canèrent agèrent ve, peruncti faecibus ora.

Ils s'avisèrent dans la suite de se faire des espèces de masques avec des feuilles d'arction, plante que les Grecs nommèrent à cause de cela ; ce qui était aussi quelquefois nommé personata chez les Latins, comme on le peut voir par ce passage de Pline : quidam arction personatam vocant, cujus folio nullum est latius ; c'est notre grande bardane.

Lorsque le poème dramatique eut toutes ses parties, la nécessité où se trouvèrent les acteurs de représenter des personnages de différent genre, de différent âge, et de différent sexe, les obligea de chercher quelque moyen de changer tout-d'un-coup de forme et de figure ; et ce fut alors qu'ils imaginèrent les masques dont nous parlons ; mais il n'est pas aisé de savoir qui en fut l'inventeur. Suidas et Athénée en font honneur au poète Choerile, contemporain de Thespis ; Horace au contraire, en rapporte l'invention à Eschile.

Post hunc personae pallaeque repertor honestae,

Aeschilus....

Cependant Aristote qui en devait être un peu mieux instruit, nous apprend au cinquième chapitre de sa Poétique, qu'on ignorait de son temps, à qui la gloire en était dû..

Mais quoique l'on ignore par qui ce genre de masques fut inventé, on nous a néanmoins conservé le nom de ceux qui en ont mis les premiers au théâtre quelque espèce particulière. Suidas, par exemple, nous apprend que ce fut le poète Phrynicus, qui exposa le premier masque de femme au théâtre, et Néophron de Sicyone, celui de cette espèce de domestique que les anciens chargeaient de la conduite de leurs enfants, et d'où nous est venu le mot de pédagogue. D'un autre côté, Diomède assure que ce fut un Rosius Gallus, qui le premier porta un masque sur le théâtre de Rome, pour cacher le défaut de ses yeux qui étaient bigles.

Athénée nous apprend aussi qu'Aeschîle fut le premier qui osa faire paraitre sur la scène des gens ivres dans sa pièce des Cabires ; et que ce fut un acteur de Mégare nommé Maison, , qui inventa les masques comiques de valet et de cuisinier. Enfin, nous lisons dans Pausanias, que ce fut Aeschîle qui mit en usage les masques hideux et effrayans dans sa pièce des Euménides ; mais qu'Euripide fut le premier qui s'avisa de les représenter avec des serpens sur leur tête.

La matière de ces masques au reste ne fut pas toujours la même ; car il est certain que les premiers n'étaient que d'écorce d'arbres.

Oraque corticibus sumunt horrenda cavatis.

Et nous voyons dans Pollux, qu'on en fit dans la suite de cuir, doublés de toile, ou d'étoffe ; mais, comme la forme de ces masques se corrompait aisément, on vint, selon Hésychius, à les faire tous de bois ; c'étaient les Sculpteurs qui les exécutaient d'après l'idée des Poètes, comme on le peut voir par la fable de Phèdre que nous avons déjà citée.

Pollux distingue trois sortes de masques de théâtre ; des comiques, des tragiques, et des satyriques : il leur donne à tous dans la description qu'il en fait, la difformité dont leur genre est susceptible, c'est-à-dire des traits outrés et chargés à plaisir, un air hideux ou ridicule, et une grande bouche béante, toujours prête, pour ainsi dire, à dévorer les spectateurs.

On peut ajouter à ces trois sortes de masques, ceux du genre orchestrique, ou des danseurs. Ces derniers, dont il nous reste des représentations sur une infinité de monuments antiques, n'ont aucun des défauts dont nous venons de parler. Rien n'est plus agréable que les masques des danseurs, dit Lucien ; ils n'ont pas la bouche ouverte comme les autres ; mais leurs traits sont justes et réguliers ; leur forme est naturelle, et répond parfaitement au sujet. On leur donnait quelquefois le nom de masques muets, .

Outre les masques de théâtre, dont nous venons de parler, il y en a encore trois autres genres, que Pollux n'a point distingués, et qui néanmoins avaient donné lieu aux différentes dénominations de , et ; car, quoique ces termes aient été dans la suite employés indifféremment, pour signifier toutes sortes de masques, il y a bien de l'apparence que les Grecs s'en étaient d'abord servis, pour en désigner des espèces différentes ; et l'on en trouve en effet dans leurs pièces de trois sortes, dont la forme et le caractère répondent exactement au sens propre et particulier de chacun de ces termes.

Les premiers et les plus communs étaient ceux qui représentaient les personnes au naturel ; et c'était proprement le genre qu'on nommait . Les deux autres étaient moins ordinaires ; et c'est pour cela que le mot de prit le dessus, et devint le terme générique. Les uns ne servaient qu'à représenter les ombres ; mais comme l'usage en était fréquent dans les tragédies, et que leur apparition ne laissait pas d'avoir quelque chose d'effrayant, les Grecs les nommaient . Enfin, les derniers étaient faits exprès, pour inspirer la terreur, et ne représentaient que des figures affreuses, telles que les Gorgones et les Furies ; et c'est ce qui leur fit donner le nom de .

Il est vraisemblable que ces termes ne perdirent leur premier sens, que lorsque les masques eurent entièrement changé de forme, c'est-à-dire du temps de la nouvelle comédie : car jusques-là, la différence en avait été fort sensible. Mais dans la suite tous les genres furent confondus ; les comiques et les tragiques ne différèrent plus que par la grandeur, et par le plus ou le moins de difformité ; il n'y eut que les masques des danseurs qui conservèrent leur première forme. En général, la forme des masques comiques portait au ridicule, et celle des masques tragiques à inspirer la terreur. Le genre satyrique fondé sur l'imagination des Poètes, représentait par ses masques, les Satyres, les Faunes, les Cyclopes, et autres monstres de la fable. En un mot, chaque genre de poésie dramatique avait des masques particuliers, à l'aide desquels l'acteur paraissait aussi conforme qu'il le voulait, au caractère qu'il devait soutenir. De plus, les uns et les autres avaient plusieurs masques qu'ils changeaient selon que leur rolle le requérait.

Mais comme c'est la partie de leurs ajustements qui a le moins de rapport à la manière de se mettre de nos acteurs modernes, et à laquelle par conséquent nous avons le plus de peine à nous prêter aujourd'hui, il est bon d'examiner en détail, quels avantages les anciens tiraient de leurs masques ; et si les inconvénients étaient effectivement aussi grands qu'on se l'imagine du premier abord.

Les gens de théâtre parmi les anciens, croyaient qu'une certaine physionomie était tellement essentielle au personnage d'un certain caractère, qu'ils pensaient, que pour donner une connaissance complete du caractère de ce personnage, ils devaient donner le dessein du masque propre à le représenter. Ils plaçaient donc après la définition de chaque personnage, telle qu'on a coutume de la mettre à la tête des pièces de théâtre, et sous le titre de Dramatis personae, un dessein de ce masque ; cette instruction leur semblait nécessaire. En effet, ces masques représentaient non-seulement le visage, mais même la tête entière, ou serrée, ou large, ou chauve, ou couverte de cheveux, ou ronde, ou pointue. Ces masques couvraient toute la tête de l'acteur ; et ils paraissaient faits, comme en jugeait le singe d'Esope, pour avoir de la cervelle. On peut justifier ce que nous disons, en ouvrant l'ancien manuscrit de Térence, qui est à la bibliothèque du Roi, et même le Térence de madame Dacier.

L'usage des masques empêchait donc qu'on ne vit souvent un acteur déjà flétri par l'âge, jouer le personnage d'un jeune homme amoureux et aimé. Hyppolite, Hercule, et Nestor, ne paraissaient sur le théâtre, qu'avec une tête reconnaissable à l'aide de sa convenance avec leur caractère connu. Le visage sous lequel l'acteur paraissait, était toujours assorti à son role, et l'on ne voyait jamais un comédien jouer le role d'un honnête homme, avec la physionomie d'un fripon parfait. Les compositeurs de déclamation, c'est Quintilien qui parle, lorsqu'ils mettent une pièce au théâtre, savent tirer des masques même le pathétique. Dans les tragédies, Niobé parait avec un visage triste, et Médée nous annonce son caractère, par l'air atroce de sa physionomie. La force et la fierté sont dépeintes sur le masque d'Hercule. Le masque d'Ajax est le visage d'un homme hors de lui-même. Dans les comédies, les masques des valets, des marchands d'esclaves, et des parasites, ceux des personnages d'hommes grossiers, de soldat, de vieille, de courtisanne, et femme esclave, ont tous leur caractère particulier. On discerne par le masque, le vieillard austère d'avec le vieillard indulgent ; les jeunes gens qui sont sages, d'avec ceux qui sont débauchés ; une jeune fille d'avec une femme de dignité. Si le père, des intérêts duquel il s'agit principalement dans la comédie, doit être quelquefois content, et quelquefois fâché, il a un des sourcils de son masque froncé, et l'autre rabattu, et il a une grande attention à montrer aux spectateurs, celui des côtés de son masque, lequel convient à sa situation présente.

On peut conjecturer que le comédien qui portait ce masque, se tournait tantôt d'un côté, tantôt d'un autre, pour montrer toujours le côté du visage qui convenait à sa situation actuelle, quand on jouait les scènes où il devait changer d'affection, sans qu'il put changer de masque derrière le théâtre. Par exemple, si ce père entrait content sur la scène, il présentait d'abord le côté de son masque, dont le sourcil était rabattu ; et lorsqu'il changeait de sentiment, il marchait sur le théâtre, et il faisait si bien, qu'il présentait le côté du masque, dont le sourcil était froncé, observant dans l'une et dans l'autre situation, de se tourner toujours de profil. Nous avons des pierres gravées qui représentent de ces masques à double visage, et quantité qui représentent des simples masques tout diversifiés. Pollux en parlant des masques de caractères, dit que celui du vieillard qui joue le premier rôle dans la comédie, doit être chagrin d'un côté, et sérein de l'autre. Le même auteur dit aussi, en parlant des masques des tragédies, qui doivent être caractérisés, que celui de Thamiris, ce fameux téméraire que les muses rendirent aveugle, parce qu'il avait osé les défier, devait avoir un oeil bleu, et l'autre noir.

Les masques des anciens mettaient encore beaucoup de vraisemblance, dans ces pièces excellentes où le nœud nait de l'erreur, qui fait prendre un personnage pour un autre personnage, par une partie des acteurs. Le spectateur qui se trompait lui-même, en voulant discerner deux acteurs, dont le masque était aussi ressemblant qu'on le voulait, concevait facilement que les acteurs s'y méprissent eux-mêmes. Il se livrait donc sans peine à la supposition sur laquelle les incidents de la pièce sont fondés, au-lieu que cette supposition est si peu vraisemblable parmi nous, que nous avons beaucoup de peine à nous y prêter. Dans la représentation des deux pièces que Moliere et Renard ont imitées de Plaute, nous reconnaissons distinctement les personnes qui donnent lieu à l'erreur, pour être des personnages différents. Comment concevoir que les autres acteurs qui les voient encore de plus près que nous puissent s'y méprendre ? Ce n'est donc que par l'habitude où nous sommes de nous prêter à toutes les suppositions établies sur le théâtre, par l'usage, que nous entrons dans celles qui font le nœud de l'Amphitrion et des Ménechmes.

Ces masques donnaient encore aux anciens la commodité de pouvoir faire jouer à des hommes ceux des personnages de femmes, dont la déclamation demandait des poulmons plus robustes que ne le sont communément ceux des femmes, surtout quand il fallait se faire entendre en des lieux aussi vastes que les théâtres l'étaient à Rome. En effet, plusieurs passages des écrivains de l'antiquité, entr'autres le récit que fait Aulugelle de l'aventure arrivée à un comédien nommé Polus, qui jouait le personnage d'Electre, nous apprennent que les anciens distribuaient souvent à des hommes des rôles de femme. Aulugelle raconte donc, que ce Polus jouant sur le théâtre d'Athènes le rôle d'Electre dans la tragédie de Sophocle, il entra sur la scène en tenant une urne où étaient véritablement les cendres d'un de ses enfants qu'il venait de perdre. Ce fut dans l'endroit de la pièce où il fallait qu'Electre parut tenant dans ses mains l'urne où elle croit que sont les cendres de son frère Oreste. Comme Polus se toucha excessivement en apostrophant son urne, il toucha de même toute l'assemblée. Juvenal dit, en critiquant Néron, qu'il fallait mettre aux pieds des statues de cet empereur des masques, des thyrses, la robbe d'Antigone enfin, comme une espèce de trophée, qui conservât la mémoire de ses grandes actions. Ce discours suppose manifestement que Néron avait joué le rôle de la scène d'Etéocle et de Polinice dans quelque tragédie.

On introduisit aussi, à l'aide de ces masques, toutes sortes de nations étrangères sur le théâtre, avec la physionomie qui leur était particulière. Le masque du batave aux chevaux roux, et qui est l'objet de votre risée, fait peur aux enfants, dit Martial.

Rufi persona Batavi

Quem tu derides, haec timet ora puer.

Ces masques donnaient même lieu aux amants de faire des galanteries à leurs maîtresses. Suétone nous apprend que lorsque Néron montait sur le théâtre pour y représenter un dieu ou un héros, il portait un masque fait d'après son visage ; mais lorsqu'il y représentait quelque déesse ou quelque héroïne, il portait alors un masque qui ressemblait à la femme qu'il aimait actuellement. Heroum deorumque, item heroïdum, personis effectis ad similitudinem oris sui, et feminae prout quamque diligeret.

Julius Pollux qui composa son ouvrage pour l'empereur Commode, nous assure que dans l'ancienne comédie grecque, qui se donnait la liberté de caractériser et de jouer les citoyens vivants, les acteurs portaient un masque qui ressemblait à la personne qu'ils représentaient dans la pièce. Ainsi Socrate a pu voir sur le théâtre d'Athènes un acteur qui portait un masque qui lui ressemblait, lorsqu' Aristophane lui fit jouer un personnage sous le propre nom de Socrate dans la comédie des Nuées. Ce même Pollux nous donne dans le chapitre de son livre que je viens de citer, un détail curieux sur les différents caractères des masques qui servaient dans les représentations des comédies, et dans celles des tragédies.

Mais d'un autre côté, ces masques faisaient perdre aux spectateurs le plaisir de voir naître les passions, et de reconnaître leurs différents symptômes sur le visage des acteurs. Toutes les expressions d'un homme passionné nous affectent bien ; mais les signes de la passion qui se rendent sensibles sur son visage, nous affectent beaucoup plus que les signes de la passion qui se rendent sensibles par le moyen de son geste, et par la voix. Cependant les comédiens des anciens ne pouvaient pas rendre sensibles sur leur visage les signes des passions. Il était rare qu'ils quittassent le masque, et même il y avait une espèce de comédiens qui ne le quittaient jamais. Nous souffrons bien, il est vrai, que nos comédiens nous cachent aujourd'hui la moitié des signes des passions qui peuvent être marquées sur le visage. Ces signes consistent autant dans les altérations qui surviennent à la couleur du visage, que dans les altérations qui surviennent à ses traits. Or le rouge qui est à la mode depuis cinquante ans, et que les hommes mêmes mettent avant que de monter sur le théâtre, nous empêche d'apercevoir les changements de couleur, qui dans la nature font une si grande impression sur nous. Mais le masque des comédiens anciens cachait encore l'altération des traits que le rouge nous laisse voir.

On pourrait dire en faveur de leur masque, qu'il ne cachait point au spectateur les yeux du comédien, et que les yeux sont la partie du visage qui nous parle le plus intelligiblement. Mais il faut avouer que la plupart des passions, principalement les passions tendres, ne sauraient être si bien exprimées par un acteur masqué, que par un acteur qui joue à visage découvert. Ce dernier peut s'aider de tous les moyens d'exprimer la passion que l'acteur masqué peut employer, et il peut encore faire voir des signes de passion dont l'autre ne saurait s'aider. Je croirais donc volontiers, avec l'abbé du Bos, que les anciens qui avaient tant de goût pour la représentation des pièces de théâtre, auraient fait quitter le masque à tous les comédiens, sans une raison bien forte qui les en empêchait ; c'est que leur théâtre étant très-vaste et sans voute ni couverture solide, les comédiens tiraient un grand service du masque, qui leur donnait le moyen de se faire entendre de tous les spectateurs, quand d'un autre côté ce masque leur faisait perdre peu de chose. En effet, il était impossible que les altérations du visage que le masque cache, fussent aperçues distinctement des spectateurs, dont plusieurs étaient éloignés de plus de douze ou quinze taises du comédien qui récitait.

Dans une si grande distance, les anciens retiraient cet avantage de la concavité de leurs masques, qu'ils servaient à augmenter le son de la voix ; c'est ce que nous apprennent Aulugelle et Boèce qui en étaient témoins tous les jours. Peut-être que l'on plaçait dans la bouche de ces masques une incrustation de lames d'airain ou d'autres corps sonores, propres à produire cet effet. On voit par les figures des masques antiques qui sont dans les anciens manuscrits, sur les pierres gravées, sur les médailles, dans les ruines du théâtre de Marcellus, et de plusieurs autres monuments, que l'ouverture de leur bouche était excessive. C'était une espèce de gueule béante qui faisait peur aux petits enfants.

Tandemque redit ad pulpita notum

Exodium, cum personae pallentis hiatum,

In gremio matris formidat rusticus infans.

Juven. sat. IIIe

Or, suivant les apparences, les anciens n'auraient pas souffert ce desagrément dans les masques de théâtre, s'ils n'en avaient point tiré quelque grand avantage ; et ce grand avantage consistait sans doute dans la commodité d'y mieux ajuster les cornets propres à renforcer la voix des acteurs. Ceux qui récitent dans les tragédies, dit Prudence, se couvrent la tête d'un masque de bois, et c'est par l'ouverture qu'on y a ménagée, qu'ils font entendre au loin leur déclamation.

Tandis que le masque servait à porter la voix dans l'éloignement, il faisait perdre, par rapport à l'expression du visage, peu de chose aux spectateurs, dont les trois quarts n'auraient pas été à portée d'apercevoir l'effet des passions sur le visage des comédiens, du-moins assez distinctement pour les voir avec plaisir. On ne saurait démêler ces expressions à une distance de laquelle on peut néanmoins discerner l'âge, et les autres traits les plus marqués du caractère d'un masque. Il faudrait qu'une expression fût faite avec des grimaces horribles, pour être sensible à des spectateurs éloignés de la scène, au-delà de cinq ou six taises.

Ajoutons une autre observation, c'est que les acteurs des anciens ne jouaient pas comme les nôtres, à la clarté des lumières artificielles qui éclairent de tous côtés, mais à la clarté du jour, qui devait laisser beaucoup d'ombres sur une scène où le jour ne venait guère que d'en-haut. Or la justesse de la déclamation exige souvent que l'altération des traits dans laquelle une expression consiste, ne soit presque point marquée ; c'est ce qui arrive dans les situations où il faut que l'acteur laisse échapper, malgré lui, quelques signes de sa passion.

Enfin les masques des anciens répondaient au reste de l'habillement des acteurs, qu'il fallait faire paraitre plus grands et plus gros que ne le sont les hommes ordinaires. La nature et le caractère du genre satyrique demandait de tels masques pour représenter des satyres, des faunes, des cyclopes, et autres êtres forgés dans le cerveau des Poètes. La tragédie surtout en avait un besoin indispensable, pour donner aux héros et aux demi-dieux cet air de grandeur et de dignité, qu'on supposait qu'ils avaient eu pendant leur vie. Il ne s'agit pas d'examiner sur quoi était fondé ce préjugé, et s'il est vrai que ces héros et ces demi-dieux avaient été réellement plus grands que nature ; il suffit que ce fût une opinion établie, et que le peuple le crut ainsi, pour ne pouvoir les représenter autrement sans choquer la vraisemblance.

Concluons que les anciens avaient les masques qui convenaient le mieux à leurs théâtres, et qu'ils ne pouvaient pas se dispenser d'en faire porter à leurs acteurs, quoique nous ayons raison à notre tour de faire jouer nos acteurs à visage découvert.

Cependant l'usage des masques a subsisté longtemps sur nos théâtres, en changeant seulement la forme et la nature des masques. Plusieurs acteurs de la comédie italienne sont encore masqués, plusieurs danseurs le sont aussi. Il n'y a pas même fort longtemps qu'on se servait communément du masque sur le théâtre français, dans la représentation des comédies, et quelquefois même dans la représentation des tragédies.

Plusieurs modernes ont tâché d'éclaircir cette partie de la littérature qui regarde les masques de théâtre de l'antiquité. Savaron y a travaillé dans ses notes sur Sidonius Apollinaris. L'abbé Pacichelli en a recherché l'origine et les usages dans son traité de mascheris ceu larvis. M. Boindin en a fait un système très-suivi par un excellent discours inseré dans les Mémoires de littérature. Enfin un savant italien, Ficoronius (Franciscus), a recueilli sur ce même sujet des particularités curieuses dans sa dissertation latine de larvis scenicis, et figuris comicis antiq. rom. imprimée à Rome en 1750, in - 4°. avec fig. mais malgré toutes les recherches des Littérateurs et des Antiquaires, il reste encore bien des choses à entendre sur les masques ; peut-être que cela ne serait point, si nous n'avions pas perdu les livres que Denis d'Halicarnasse, Rufus, et plusieurs autres écrivains de l'antiquité, avaient écrit sur les théâtres, et sur les représentations : ils nous auraient du-moins instruits de beaucoup de choses que nous ignorons, s'ils ne nous avaient pas tout appris.

Le P. Labbé dérive le mot de masque de masca, qui, dit-il, signifie proprement une sorcière dans les lois lombardes, l. I. tit. XI. §. 9. strix quae dicitur masca. " En Dauphiné, en Savoie, et en Piémont, continue-t-il, on appelle encore les sorcières de ce nom, et d'autant qu'elles se déguisent, nous avons appelé masques les faux visages ; et de-là les mascarades ". (D.J.)

MASQUES, s. m. (Hydraulique) Voyez DEGUEULLEUX.

MASQUE, terme de Chirurgie, nom qu'on donne à un bandage qui sert principalement pour les brulures du visage. Il est ainsi nommé par rapport à sa figure ; c'est un morceau de linge auquel on fait quatre ouvertures qui répondent à celles des yeux, du nez, et de la bouche. Voyez la fig. 6. Pl. XXVII. Cette pièce de linge est fendue à six chefs, qui se croisent postérieurement et s'attachent au bonnet. (Y)

MASQUE, terme d'Architecture, est une tête d'homme ou de femme, sculptée et placée à la clé d'une arcade, dont les attributs et le caractère répondent à l'usage de l'édifice. Quoique cette sorte d'ornement soit assez d'usage dans les bâtiments, je pense que l'on devrait préférer les clés ou consoles : quelque bien sculptés que soient ces masques, ils ne présentent jamais qu'un objet imparfait, en n'offrant qu'une partie du corps humain : cette mutilation ne me semble tolérable qu'à une maison de chasse, à un chenil, à une boucherie, et où ils font un attribut de l'extérieur du bâtiment à l'usage de l'intérieur, soit par des abattis de bêtes fauves ou domestiques.

Quelque plaisir que l'on puisse avoir de considérer une belle tête dans un claveau, le pied et la main me semblent des parties presque aussi belles, et cependant il paraitrait ridicule de les placer ou de les admettre dans une décoration, affectant de les faire passer à-travers la muraille, telle qu'une main armée qui montre au public la salle d'un maître d'escrime : de plus le claveau d'une arcade doit tenir les voussoirs de part et d'autre en équilibre, et sa solidité ne peut procurer à l'esprit l'illusion d'une espace libre pour contenir la tête d'une statue, ce qui annonce plutôt un déreglement d'imagination que de l'ordre, du génie, et de l'invention.

La plupart des Architectes apportent pour raison que ce ne sont que des masques moulés sur la nature qu'on affecte de mettre sur les claveaux des arcades, et non la représentation réelle, mais il n'en est pas moins vrai que cette fiction est vicieuse et ces effigies desagréables, soit que l'on y place des têtes d'une forme élégante ou hideuse ; car plus elles seront d'un beau choix, plus elles paraitront soumettre l'humanité à la servitude et au supplice ; enfin, plus on affectera d'y placer des masques chimériques, tels qu'il s'en voit dans un grand nombre de bâtiments de réputation, et plus, ce me semble, on tombe dans le défaut d'allier les contraires, puisque cette espèce de sculpture qui n'annonce que de l'extravagance s'unit mal avec la pureté, l'élégance, et la beauté des proportions de l'architecture qu'on y remarque avec admiration.

MASQUE, (Arquebusier) on appelle ainsi un des poinçons ou ciselets dont les Arquebusiers, Armuriers, Eperonniers, Fourbisseurs, et autres semblables ouvriers ciseleurs se servent pour leurs ciselures.

Ces poinçons sont gravés en creux, et représentent diverses têtes d'hommes, de femmes, d'anges, de lions, de léopards, de chiens, etc. suivant la fantaisie du graveur. Ils sont courts et d'un morceau bien aciéré, afin de mieux supporter le coup de marteau qu'on donne dessus, quand on veut en imprimer le relief sur le métal qu'on a entrepris de ciseler.

Après que le masque est frappé, on le recherche et on le répare avec divers autres ciselets tranchants ou pointus comme sont les gouges, les frisons, les poinçons, les filières, etc.

MASQUES, (Peinture) ce sont des visages ou faces humaines sans corps, dont les Peintres et les Sculpteurs font usage pour orner leurs ouvrages. On appelle mascarons les gros masques de sculpture. Les masques ont ordinairement l'air hideux ou grotesque.