De cette façon, aujourd'hui comme autrefois, la Suisse est bornée au midi par le lac de Geneve, par le Rhône et par les Alpes, qui la séparent des Vallaisans et du pays des Grisons ; mais à l'occident, elle ne se trouve bornée qu'en partie par le mont Jura, qui s'étend du sud-ouest au nord-est, depuis Geneve jusqu'au Botzberg, en latin Vocetius, comprenant au-delà du Jura le canton de Bâle, avec deux petits pays, qui autrefois étaient hors de la Suisse, et dont les habitants portaient le nom de Rauraci. A l'orient et au nord, elle est encore bornée aujourd'hui par le Rhin, à la réserve de la ville et du canton de Schaffouse, qui sont au-delà de ce fleuve et dans la Suabe.

La Suisse n'est pas seulement séparée de ses voisins, mais quelques cantons le sont l'un de l'autre par des suites de montagnes, qui leur servent également de limites et de fortifications naturelles. Elle est séparée particulièrement de l'Italie par une si longue chaîne des Alpes, que l'on ne peut pas aller d'un pays à l'autre sans en traverser quelqu'une. Il n'y a que quatre de ces montagnes par lesquelles on puisse passer de la Suisse en Italie, ou du-moins n'y en a-t-il pas davantage où il y ait des chemins pratiqués communément par les voyageurs. L'une est le mont Cenis, par lequel on passe par la Savoye dans le Piémont ; la seconde est le S. Bernard, entre le pays nommé le bas-Vallais et la vallée d'Aoste ; la troisième est le Sampion, située entre le haut-Vallais et la vallée d'Ossola, dans le Milanez ; et la quatrième est le S. Godard, qui conduit du canton d'Ury à Bellinzona, et aux autres bailliages suisses en Italie, qui faisaient autrefois partie de l'état de Milan. C'est dans cette étendue de pays montagneux, dit le comte d'Hamilton,

Que le plus riant des vallons,

Au-lieu de fournir des melons,

Est un honnête précipice,

Fertîle en ronces et chardons ;

L'on y respire entre des monts,

Au sommet desquels la genisse,

Le bœuf, la chèvre, et les moutons,

Ne grimpent que par exercice,

Si fatigués, qu'ils ne sont bons

Ni pour l'usage des maisons,

Ni pour offrir en sacrifice.

Il ne faut pourtant pas s'imaginer que ces montagnes soient des rocs nuds, comme celles de Gènes. Elles portent la plupart de bons pâturages tout l'été, pour des grands troupeaux de bétail ; et l'on trouve dans certains intervalles des plaines fertiles, et d'une assez grande étendue.

La subtilité de l'air qu'on respire dans la Suisse et les diverses rivières qui y prennent leur source prouvent que ce pays est extrêmement élevé. L'Adde, le Tésin, la Lintz, l'Aar, la Russ, l'Inn, le Rhône et le Rhin en tirent leur origine. On y peut ajouter le Danube, car quoiqu'à la rigueur il prenne naissance hors des limites de la Suisse, néanmoins c'est dans le voisinage de Schaffouse. La source de l'Ille est près de Bâle, et celle de l'Adige, quoique dans le comté de Tirol, est pourtant sur les confins des Grisons.

Entre le nombre de lacs de la Suisse, ceux de Constance, de Genève, de Neufchâtel, de Zurich et de Lucerne sont très-considérables ; les deux premiers ont près de 18 lieues de longueur, et quelquefois 2, 3 ou 4 de largeur ; ils sont également beaux et poissonneux.

Jules César est le premier qui ait fait mention du peuple helvétique comme d'une nation. Il rapporte au commencement de ses commentaires la guerre qu'il eut avec les Helvétiens. Pendant son gouvernement des Gaules, ils firent une irruption en Bourgogne, avec le dessein de se transplanter dans un pays plus agréable et plus capable que le leur, de contenir le nombre infini de monde dont ils fourmillaient. Pour exécuter d'autant mieux ce projet, ils brulèrent douze villes qui leur appartenaient, et quatre cent villages, afin de s'ôter toute espérance de retour. Après cela, ils se mirent en marche avec leurs femmes et leurs enfants, faisant en tout plus de trois cent soixante mille âmes, dont près de cent mille étaient en état de porter les armes. Ils voulurent se jeter dans le gouvernement de César par la Savoye ; mais ne pouvant passer le Rhône à la vue de son armée qui était campée de l'autre côté de ce fleuve, ils changèrent de route, et pénétrèrent par la Franche-comté. César les poursuivit, et leur livra plusieurs combats avec différents succès, jusqu'à ce qu'à la fin il les vainquit dans une bataille rangée, les obligea de revenir chez eux, et réduisit leur pays à l'obéissance des Romains, le joignant à la partie de son gouvernement, appelée la Gaule celtique.

Ils vécurent sous la domination romaine jusqu'à ce que cet empire même fut déchiré par les inondations des nations septentrionales, et qu'il s'éleva de nouveaux royaumes de ses ruines. L'un de ces royaumes fut celui de Bourgogne, dont la Suisse fit partie jusque vers la fin du XIIe siècle. Il arriva pour-lors que ce royaume fut divisé en plusieurs petites souverainetés, sous les comtes de Bourgogne, de Maurienne, de Savoye, de Provence, ainsi que sous les dauphins du Viennais et sous les ducs de Zéringen.

Par ce démembrement, la Suisse ne se trouva plus réunie sous un même chef. Quelques-unes de ses villes furent faites villes impériales. L'empereur Frédéric Barberousse en donna d'autres avec leur territoire (pour les posséder en fief de l'empire), aux comtes de Habspourg, desquels la maison d'Autriche est descendue. D'autres villes suisses, du moins leur gouvernement héréditaire, fut accordé au duc de Zéringen. La race de ces ducs s'éteignit dans le XIIIe siècle : ce qui fournit l'occasion aux comtes de Habspourg d'agrandir leur pouvoir dans tout le pays. Mais ce qui mit la liberté de la Suisse le plus en danger, ce fut le schisme qui partagea si fort l'empire dans le même siècle, lorsqu'Othon IV. et Frédéric II. étaient empereurs à la fais, et alternativement excommuniés par deux papes qui se succédèrent. Dans ce désordre tout le gouvernement fut bouleversé, et les villes de la Suisse en particulier sentirent les tristes effets de cette anarchie ; car comme ce pays était rempli de nobles et d'ecclésiastiques puissants, chacun y exerça son empire, et tâcha de s'emparer tantôt d'une ville, tantôt d'une autre, sous quelque prétexte que ce fût.

Cette oppression engagea plusieurs villes de la Suisse et de l'Allemagne d'entrer ensemble en confédération pour leur défense mutuelle ; c'est par ce motif que Zurich, Ury et Schwitz conclurent une alliance étroite en 1251. Cependant cette union de villes ne se trouvant pas une barrière suffisante contre la violence de plusieurs seigneurs, la plupart des villes libres de la Suisse, et entr'autres les trois cantons que je viens de nommer, se mirent sous la protection de Rodolphe de Habspourg, en se réservant leurs droits et leurs franchises.

Rodolphe étant devenu empereur, la noblesse accusa juridiquement les cantons de Schwitz, d'Ury et d'Underwald de s'être soustraits à leur domination féodale, et d'avoir démoli leurs châteaux. Rodolphe qui avait autrefois combattu avec danger ces petits tyrants, jugea en faveur des citoyens.

Albert d'Autriche, au lieu de suivre les traces de son père, se conduisit, dès qu'il fut sur le trône, d'une manière entièrement opposée. Il tâcha d'étendre sa puissance sur des pays qui ne lui appartenaient pas, et perdit par sa conduite violente, ce que son prédécesseur avait acquis par la modération. Ce prince ayant une famille nombreuse, forma le projet de soumettre toute la Suisse à la maison d'Autriche, afin de l'ériger en principauté pour un de ses fils. Dans ce dessein, il nomma un certain Grisler baillif ou gouverneur d'Ury, et un nommé Landerberg, gouverneur de Schwitz et d'Underwald ; c'étaient deux hommes dévoués à ses volontés. Il leur prescrivit de lui soumettre ces trois cantons, ou par la corruption, ou par la force.

Ces deux gouverneurs n'ayant rien pu gagner par leurs artifices, employèrent toutes sortes de violences, et exercèrent tant d'horreurs et de traitements barbares, que le peuple irrité n'obtenant aucune justice de l'empereur, et ne trouvant plus de salut que dans son courage, concerta les mesures propres à se délivrer de l'affreux esclavage sous lequel il gémissait.

Il y avait trois hommes de ces trois cantons dont chacun était le plus accrédité dans le sien, et qui pour cette raison furent les objets principaux de la persécution des gouverneurs ; ils s'appelaient Arnold Melchtal, du canton d'Underwald ; Werner Stauffacher, du canton de Schwitz ; et Walter Furst, de celui d'Ury. C'étaient de bons et d'honnêtes paysans ; mais la difficulté de prononcer des noms si respectables, a nui peut-être à leur célébrité.

Ces trois hommes naturellement courageux, également maltraités des gouverneurs, et unis tous trois par une longue amitié que leurs malheurs communs avaient affermie, tinrent des assemblées secrètes, pour délibérer sur les moyens d'affranchir leur patrie, et pour attirer chacun dans leur parti, tous ceux de son canton, auxquels il pourrait se fier, et qu'il saurait avoir assez de cœur pour contribuer à exécuter les résolutions qu'ils prendraient. Conformément à cette convention, ils engagèrent chacun trois amis surs dans leur complot, et ces douze chefs devinrent les conducteurs de l'entreprise. Ils confirmèrent leur alliance par serment, et résolurent de faire, le jour qu'ils fixèrent, un soulevement général dans les trois cantons, de démolir les châteaux fortifiés, et de chasser du pays les deux gouverneurs avec leurs créatures.

Tous les historiens nous apprennent que cette conspiration acquit une force irrésistible par un événement imprévu. Grisler, gouverneur d'Ury s'avisa d'exercer un genre de barbarie également horrible et ridicule. Il fit planter sur le marché d'Altorf, capitale du canton d'Ury, une perche avec son chapeau, ordonnant sous peine de la vie, de saluer ce chapeau en se découvrant, et de plier le genou avec le même respect que si lui gouverneur eut été là en personne.

Un des conjurés, nommé Guillaume Tell, homme intrépide et incapable de bassesse, ne salua point le chapeau. Grisler le condamna à être pendu, et par un raffinement de tyrannie, il ne lui donna sa grâce, qu'à condition que ce père, qui passait pour archer très-adroit, abattrait d'un coup de flèche, une pomme placée sur la tête de son fils. Le père tira, et fut assez heureux ou assez adroit pour abattre la pomme, sans toucher la tête de son fils. Tout le peuple éclata de joie, et battit des mains d'une acclamation générale. Grisler apercevant une seconde flèche sous l'habit de Tell, lui en demanda la raison, et lui promit de lui pardonner, quelque dessein qu'il eut pu avoir. " Elle t'était destinée, lui répondit Tell, si j'avais blessé mon fils. " Cependant effrayé du danger qu'il avait couru de tuer ce cher fils, il attendit le gouverneur dans un endroit où il devait passer quelques jours après, et l'ayant aperçu, il le visa, lui perça le cœur de cette même flèche, et le laissa mort sur la place. Il informa sur le champ ses amis de son explait, et se tint caché jusqu'au jour de l'exécution de leur projet.

Ce jour fixé au premier Janvier 1308, les mesures des confédérés se trouvèrent si bien prises, que dans le même temps les garnisons des trois châteaux furent arrêtées et chassées sans effusion de sang, les forteresses rasées, et par une modération incroyable dans un peuple irrité, les gouverneurs furent conduits simplement sur les frontières et relâchés, après en avoir pris le serment qu'ils ne retourneraient jamais dans le pays. Ainsi quatre hommes privés des biens de la fortune et des avantages que donne la naissance, mais épris de l'amour de leur patrie, et animés d'une juste haine contre leurs tyrants, furent les immortels fondateurs de la liberté helvétique ! Les noms de ces grands hommes devraient être gravés sur une même médaille, avec ceux de Mons, des Doria et des Nassau.

L'empereur Albert informé de son désastre, résolut d'en tirer vengeance ; mais ses projets s'évanouirent par sa mort prématurée ; il fut tué à Konigsfeld par son neveu Jean, auquel il détenait, contre toute justice, le duché de Souabe.

Sept ans après cette aventure qui donna le temps aux habitants de Schwitz, d'Ury et d'Underwald de pourvoir à leur sûreté, l'archiduc Léopold, héritier des états et des sentiments de son père Albert, assembla une armée de vingt mille hommes, dans le dessein de saccager ces trois cantons rebelles, et de les mettre à feu et à sang. Leurs citoyens se conduisirent comme les Lacédémoniens aux Thermopyles. Ils attendirent, au nombre de cinq cent hommes, la plus grande partie de l'armée autrichienne au pas de Morgarten. Plus heureux que les Lacédémoniens, ils portèrent le désordre dans la cavalerie de l'archiduc, en faisant tomber sur elle une grêle affreuse de pierres, et profitant de la confusion, ils se jetèrent avec tant de bravoure sur leurs ennemis épouvantés, que leur défaite fut entière.

Cette victoire signalée ayant été gagnée dans le canton de Schwitz, les deux autres cantons donnèrent ce nom à leur alliance, laquelle devenant plus générale, fait encore souvenir par ce seul nom, des succès brillans qui leur acquirent la liberté.

En vain, la maison d'Autriche tenta pendant trois siècles de subjuguer ces trois cantons ; tous ses efforts eurent si peu de réussite, qu'au lieu de ramener les trois cantons à son obéissance, ceux-ci détachèrent au contraire d'autres pays et d'autres villes du joug de la maison d'Autriche. Lucerne entra la première dans la confédération en 1332. Zurich, Glaris et Zug suivirent l'exemple de Lucerne vingt ans après ; Berne qui est en Suisse ce qu'Amsterdam est en Hollande, renforça l'alliance. En 1481 Fribourg et Soleure ; en 1501 Basle et Schaffouse accrurent le nombre des cantons. En voilà douze. Le petit pays d'Appenzell, qui y fut agrégé en 1513, fit le treizième. Enfin les princes de la maison d'Autriche se virent forcés par le traité de Munster de déclarer les Suisses un peuple indépendant. C'est une indépendance qu'ils ont acquise par plus de soixante combats, et que selon toute apparence, ils conserveront longtemps.

Les personnes un peu instruites conviennent que le corps helvétique doit plutôt être appelé la confédération que la république des Suisses, parce que les treize cantons forment autant de républiques indépendantes. Ils se gouvernent par des principes tout differents. Chacun d'eux conserve tous les attributs de la souveraineté, et traite à son gré avec les étrangers ; leur diete générale n'est point en droit de faire des règlements, ni d'imposer des lois.

Il est vrai qu'il y a tant de liaison entre les treize cantons, que si l'un était attaqué, les douze autres seraient obligés de marcher à son secours ; mais ce serait par la relation que deux cantons peuvent avoir avec un troisième, et non par une alliance directe, que chacun des treize cantons a avec tous les autres.

Les Suisses ne voulant pas sacrifier leur liberté à l'envie de s'agrandir, ne se mêlent jamais des contestations qui s'élèvent entre les puissances étrangères. Ils observent une exacte neutralité, ne se rendent jamais garants d'aucun engagement, et ne tirent d'autre avantage des guerres qui désolent si souvent l'Europe, que de fournir indifféremment des hommes à leurs alliés, et aux princes qui recourent à eux. Ils croient être assez puissants, s'ils conservent leurs lois. Ils habitent un pays qui ne peut exciter l'ambition de leurs voisins ; et si j'ose le dire, ils sont assez forts pour se défendre contre la ligue de tous ces mêmes voisins. Invincibles quand ils seront unis, et qu'il ne s'agira que de leur fermer l'entrée de leur patrie, la nature de leur gouvernement républicain ne leur permet pas de faire des progrès au-dehors. C'est un gouvernement pacifique, tandis que tout le peuple est guerrier. L'égalité, le partage naturel des hommes, y subsiste autant qu'il est possible. Les lois y sont douces ; un tel pays doit rester libre !

Il ne faut pas croire cependant que la forme du gouvernement républicain soit la même dans tous les cantons. Il y en a sept dont la république est aristocratique, avec quelque mélange de démocratie ; et six sont purement démocratiques. Les sept aristocratiques sont Zurich, Berne, Lucerne, Basle, Fribourg, Soleure, Schaffouse ; les six démocratiques sont Ury, Schwitz, Underwald, Zug, Glaris et Appenzell. Cette différence dans leur gouvernement semble être l'effet de l'état dans lequel chacune de ces républiques se trouva, avant qu'elles fussent érigées en cantons. Car comme les sept premières ne consistèrent chacune que dans une ville, avec peu ou point de territoire, tout le gouvernement résida naturellement dans les bourgeois, et ayant été une fois restreint à leurs corps, il y continue toujours, nonobstant les grandes acquisitions de territoires qu'elles ont faites depuis. Au contraire, les six cantons démocratiques n'ayant point de villes ni de villages qui pussent prétendre à quelque prééminence par dessus les autres, le pays fut divisé en communautés, et chaque communauté ayant un droit égal à la souveraineté, on ne put pas éviter de les y admettre également, et d'établir la pure démocratie.

On sait que la Suisse prise pour tout le corps helvétique, comprend la Suisse propre, les alliés des Suisses, et les sujets des Suisses. La Suisse propre est partagée en seize souverainetés, savoir treize cantons, deux petits états souverains, qui sont le comté de NeufChâtel et l'abbaye de S. Gall, une république qui est la ville de S. Gall. Les alliés des Suisses sont les Grisons, les Vallaisans et Genève. Les sujets des Suisses sont ceux qui sont hors de la Suisse, ou ceux qui obéissent à plusieurs cantons qui les possèdent par indivis.

Il y a des cantons qui sont catholiques, et d'autres protestants. Dans ceux de Glaris et d'Appenzell, les deux religions y règnent également sans causer le moindre trouble.

Je me suis étendu sur la Suisse, et je n'ai dit que deux mots des plus grands royaumes d'Asie, d'Afrique et d'Amérique ; c'est que tous ces royaumes ne mettent au monde que des esclaves, et que la Suisse produit des hommes libres. Je sais que la nature si libérale ailleurs, n'a rien fait pour cette contrée, mais les habitants y vivent heureux : les solides richesses qui consistent dans la culture de la terre, y sont recueillies par des mains sages et laborieuses. Les douceurs de la société, et la saine philosophie, sans laquelle la société n'a point de charmes durables, ont pénétré dans les parties de la Suisse où le climat est le plus tempéré, et où règne l'abondance. Les sectes de la religion y sont tolérantes. Les arts et les sciences y ont fait des progrès admirables. Enfin dans ces pays autrefois agrestes, on est parvenu en plusieurs endroits à joindre la politesse d'Athènes à la simplicité de Lacédémone. Que ces pays se gardent bien aujourd'hui d'adopter le luxe étranger, et de laisser dormir les lois somptuaires qui le prohibent !

Les curieux de l'histoire des révolutions de la Suisse consulteront les mémoires de M. de Bochat, qui forment trois volumes in-4°. Gesner, Scheuchzer et Wagner ont donné l'histoire naturelle de l'Helvétie. (D.J.)

SUISSES, privilèges des Suisses en France pour leur commerce ; ils peuvent introduire dans le royaume les toiles du cru et de la fabrique de leurs pays sans payer aucuns droits. Ce privilège est fondé sur les traités que nous avons faits avec eux depuis le XVe siècle, ainsi que sur plusieurs arrêts et lettres-patentes qui ont encore expliqué et confirmé ce privilège. Le détail de tous ces titres parait être ici superflu, il suffira d'en donner les dates. Voyez les traités de 1463, 1475, 1512, 1663 et 1715. Voyez les lettres-patentes et les arrêts de 1551, 1571, 1594, 1602, 1658, 1693, 1692 et 1698.

Sous le nom de Suisses, il faut entendre ici non seulement les peuples des Treize Cantons, mais encore les habitants des ville et abbaye de Saint-gall, du Vallais, de la ville de Mulhausen, et enfin ceux des trois ligues grises et de la comté de Neuchatel. Ils composent tous le louable corps helvétique, et jouissent tous en France des mêmes privilèges sans aucune distinction.

L'entrée des toiles étrangères n'est permise dans le royaume que par les villes de Rouen et de Lyon, en prenant pour cette dernière des acquits à caution aux bureaux de Gex ou de Colonges, suivant un arrêt du 22 Mars 1692. Mais, en faveur des Suisses seulement, le bureau de Saint-Jean-de-Losne est ouvert comme les deux autres, par un arrêt de 1698.

La position du territoire des Suisses et de celui de leurs alliés, ne leur permet pas de faire entrer leurs toiles par Rouen ; ainsi ce n'est qu'à Lyon qu'ils exercent leurs droits, après avoir rempli néanmoins certaines formalités.

Ils sont obligés de faire inscrire leurs noms et enregistrer leurs marques au bureau de la douanne. Chaque particulier n'y est admis qu'après avoir constaté son origine devant le président en la juridiction de la douanne, par des certificats authentiques des magistrats des lieux de sa naissance. La vérité de ces certificats doit être attestée avec serment par deux négociants suisses déjà inscrits. Ensuite le procureur du roi et le directeur de la douanne sont entendus ; et enfin lorsque rien ne s'y oppose, on expédie des lettres d'inscription, dans lesquelles il est défendu au nouvel inscrit de prêter son nom et sa marque, à peine d'être déchu de son privilège.

Il n'y a que ceux des marchands suisses qui ont rempli ces formalités, qui puissent faire entrer leurs toiles à Lyon sans payer des droits. On exige même que les balles de toiles portent l'empreinte de la marque inscrite (qui par conséquent a été envoyée à un correspondant), et qu'elles soient accompagnées des certificats des lieux d'où elles viennent, portant que ces toiles sont du cru et de la fabrique du pays des Suisses, conformément aux arrêts de 1692 et 1698.

Il semble que de la teneur de ces deux arrêts, les Suisses pourraient inférer que leurs basins doivent être exempts de droits d'entrée comme leurs toiles. Mais il est constant que leurs basins paient les droits ordinaires ; peut-être est-ce parce que tout privilège est de droit étroit, et que les basins ne sont point nommés dans ces privilèges, ou bien parce que le coton dont ces basins sont en partie composés, empêche que l'on ne puisse les regarder comme marchandises du cru du pays des Suisses.

Par une concession de François I. en l'année 1515, qui est motivée pour services rendus, et entr'autres prêt d'argent, les marchands des villes impériales avaient obtenu quinze jours de délai, au-delà des quinze jours suivant immédiatement chaque foire, pendant lesquels, conformément aux édits de Charles VII. et de Louis XI. les marchandises ne paient à la sortie de Lyon aucun des droits dû. dans les autres temps. Les Suisses qui n'avaient que dix jours de grâce, en demandèrent quinze comme les Allemands, ce qui leur fut accordé par Henri II. le 8 Mars 1551. Pour jouir de cette faveur, ils doivent se faire inscrire à l'hôtel de ville comme ils le sont à la douanne pour l'affranchissement des droits d'entrée. La raison en est que ces droits de sortie, qui sont domaniaux, ont été aliénés à la ville de Lyon en 1630.

Voyez sur tout cet objet les différentes histoires des Suisses, ou au moins le recueil de leurs privilèges, imprimé chez Saugrain en 1715 ; le mémoire de M. d'Herbigny, intendant de Lyon ; dans l'état de la France, par le comte de Boulainvilliers ; et le recueil des tarifs, imprimé à Rouen en 1758.

Il peut être important d'ajouter ici que les toiles de Suisse, que l'on envoye de France aux îles et colonies françaises, sont assujetties, par l'article 14. du règlement du mois d'Avril 1717, concernant le commerce de nos colonies, aux différents droits dû. à la sortie et dans l'intérieur du royaume d'une province à l'autre. Voyez PROVINCES réputées étrangères.

L'article 3. du même règlement, a exempté de tous ces droits, dans le cas de l'envoi aux colonies, les marchandises et les denrées du cru et de la fabrique de France. Mais comme les toiles de Suisse une fois sorties de leurs ballots, n'ont plus rien qui les caractérise, il parait qu'il serait aisé de les envoyer à-travers tout le royaume, de Lyon à la Rochelle, pour passer à nos colonies comme toiles françaises.

Afin de prévenir tout abus à cet égard, on pourrait exiger que les toiles de Suisse reçussent dans leur pays, ou lors de l'ouverture des balles en France, une marque particulière et distinctive. Cette idée s'est présentée si naturellement, que j'ai cru devoir l'ajouter à cet article avant de le terminer. Article de M. BRISSON, inspecteur des manufactures, et académicien de Ville-Franche en Beaujolais.