Ce qu'il y a de singulier, c'est qu'on ne voit sur ces tombeaux aucune marque de christianisme, ni même d'autres figures, et qu'il n'y en a qu'un seul sur lequel on ait Ve une croix gravée, et sur un autre un écusson qu'on ne saurait déchiffrer. En creusant les fondements de la sacristie, on en déterra deux dans lesquels on trouva deux pendants d'oreille ; dans un autre tiré d'une cave, quelques ossements avec deux autres pendants d'oreille, et dans quelques autres enfin, des éperons.

Il n'y a, selon M. de Mautour, qu'une seule carrière dont on ait pu tirer les pierres qui ont servi à faire ces cercueils. Elle est dans un endroit nommé champ-rotard, à six lieues de Quarrées-les-tombes ; et d'habiles maçons, qui ont examiné la qualité et la couleur de la pierre de cette carrière, parfaitement ressemblante à celle des tombeaux, sont convenus de ce fait.

Savoir maintenant pour quelle raison il y a tant de tombeaux dans un lieu si peu célèbre, c'est ce qu'il n'est pas aisé de deviner. On n'ignore pas qu'on avait accoutumé autrefois d'enterrer les morts hors des villes, et sur les grands chemins : que cet usage s'observait à Paris, et dans toutes les Gaules, dans les premiers temps du christianisme, et qu'il y dura jusques bien avant, sous la troisième race de nos rois ; l'on pourrait en conclure, ou qu'il y avait quelque ville considérable aux environs de Quarrées, ou que ce village aurait été un magasin de tombeaux, pour en fournir aux villes voisines : ces deux conjectures souffrent néanmoins de grandes difficultés. On ne trouve aucun vestige de villes aux environs de Quarrées ; les plus voisines sont Avalon, Saulieu et Lorme. De ces deux dernières, l'une est aujourd'hui misérable, et l'autre trop éloignée. Avalon n'en est véritablement qu'à deux lieues ; mais, outre qu'on n'y a jamais découvert aucun de ces tombeaux, cette ville est plus proche de la carrière que du village de Quarrées ; ainsi il n'y a pas d'apparence qu'on ait été chercher à quatre lieues, ce qu'on trouvait à moitié chemin.

Dans cet embarras, M. de Mautour a recours à l'histoire, pour voir si quelque bataille n'aurait pas donné occasion à ce prodigieux amas de tombeaux. Deux événements paraissent favorables à cette conjecture. Après la défaite et la mort d'Abdérame, général des Sarrasins, les débris de son armée s'étant joints aux Vandales, aux Alains, et aux Ostrogoths, ces barbares désolèrent la Bourgogne, et se rendirent maîtres de Mâcon, de Châlons, de Dijon, d'Auxerre, d'Autun, et de plusieurs autres villes. Or Avalon étant située entre Autun et Auxerre, il y a lieu de croire que ces peuples ravagèrent aussi cette contrée : ces tombeaux qui se trouvent dans Quarrées et dans la campagne voisine, sont une nouvelle raison de le penser.

Le second événement est arrivé au commencement du XIe siècle, dans les années 1003, 1004 et 1005. Henri premier du nom, duc de Bourgogne, étant mort sans enfants, Landri, comte de Nevers, s'empara de plusieurs villes de ce duché. Robert, roi de France, neveu d'Henri, et son héritier légitime, entra peu de temps après dans la Bourgogne, prit la ville d'Auxerre, mit le siege devant Avalon. Cette ville résista pendant trois mois ; et soit qu'il ne s'en rendit maître que par la famine, comme le disent quelques historiens, soit qu'il l'ait prise par assaut, comme d'autres l'assurent, il est probable que ce prince, pendant un si long siege, perdit beaucoup de soldats, et on pouvait, dit-on, avoir fait pour les enterrer, ce grand amas de tombeaux.

Mais il se présente une difficulté fort embarrassante : c'est que presque tous ces tombeaux paraissent n'avoir jamais servi. M. de Mautour répond que peut-être la qualité de la pierre était propre à consumer les cadavres en peu de temps. Il serait aisé d'en faire l'expérience, pour voir si cette idée a quelque fondement. Du moins est-il sur que Pline parle d'une sorte de pierre qu'on trouvait dans la Troade, aux environs de la ville d'Assus, et qui en quarante jours réduisait les corps en poudre.

Cependant malgré ces raisons, il est plus sensé de croire que Quarrées était autrefois un magasin, un entrepôt où l'on avait conduit de la carrière de Champ-Rotard, des cercueils tout faits, pour être de-là transportés dans des lieux, où l'on en aurait besoin ; et de-là vient qu'ils n'ont ni caractère ni gravure, ni aucune autre marque qui prouve qu'ils aient servi. Ce qui confirme cette opinion, c'est la lecture d'un ancien manuscrit de la bibliothèque de M. de Savigny, président à mortier du parlement de Dijon, où M. de Mautour a trouvé que dans le XIII. siècle, il y avait dans Quarrées et aux environs, une multitude considérable de tombeaux de pierre, qui n'avaient jamais été employés, et qui étaient devenus inutiles depuis que l'usage s'était rétabli d'enterrer les fidèles dans l'église.

Abrégeons ; l'amas de cercueils qui a donné le nom au lieu, n'est autre chose qu'un reste du magasin, que de riches marchands des anciens temps du christianisme avaient tiré de la carrière de Champ-Rotard, afin d'en pourvoir les autres villages du Morwant, dont la pierre ne peut être mise en œuvre ; et comme l'usage des sépulcres de pierre a cessé peu-à-peu, le magasin est resté inutile. (D.J.)