Ses caractères. Ses fleurs sont en rose, polypétales. Le calice de la fleur se change en un fruit oval, creusé en nombril, à une seule capsule, qui contient une graine oblongue. Ses feuilles ressemblent à celles du laurier.

Sa description. Il est de la forme et de la grandeur du laurier ; son tronc est branchu et revêtu d'une écorce comme celle de l'olivier ; les rameaux s'étendent au large, et sont d'une couleur rousse-claire, garnis de beaucoup de feuilles serrées, situées alternativement, semblables à celles du laurier, longues d'une palme, larges d'un pouce et demi, unies, luisantes, pointues aux deux extrémités, avec des bords un peu ondés, portées sur une queue longue d'un pouce, laquelle jette dans le milieu de la feuille une côte, d'où sortent obliquement de petites nervures qui s'étendent jusque sur les bords.

Les fleurs naissent à l'extrémité des rameaux en bouquets ; elles sont en rose à quatre pétales, bleues, d'une odeur très-pénétrante ; chaque pétale est arrondi, pointu, marqué de trois veines blanches ; le milieu de ces fleurs est occupé par un grand nombre d'étamines purpurines, garnies de leurs sommets.

Le calice des fleurs est cylindrique, de la longueur d'un demi-pouce, épais d'une ligne et demie, ou de deux lignes, partagé en quatre parties à son sommet, de couleur de suie, d'un goût acre, agréable et fort aromatique ; lequel après que la fleur est séchée, se change en un fruit ovoïde, ou de la forme d'une olive, creusé en nombril, n'ayant qu'une capsule, de couleur rouge d'abord, ensuite noirâtre, qui contient une amande oblongue, dure, noirâtre, creusée d'un sillon dans sa longueur.

Noms des clous de girofle. Le fruit se nomme en latin, caryophylli aromatici, offic. en grec , par Paul Aeginete ; et carunsel, par les Arabes.

Les anciens ne les ont point connus. Ces derniers peuples ont connu ce fruit ; mais Paul Aeginete est le premier des anciens qui en ait parlé. Théophraste, Dioscoride et Galien, n'en ont fait aucune mention. C'est mal-à-propos que Sérapion cite à cet égard l'autorité de Galien ; il est constant que le médecin de Pergame n'en a jamais eu de connaissance.

Quelques auteurs ont prétendu que Pline avait parlé de cet aromate, dans son histoire, liv. XII. chap. xx. et rapportent pour preuve le passage suivant de ce naturaliste : " Il y a encore à-présent dans les Indes quelque chose de semblable aux grains de poivre ; on lui donne le nom de garyophyllon ; il est plus gros et plus cassant ". Mais les plus savants critiques doutent avec beaucoup de raison, que cet endroit de Pline désigne nos clous de girofles, puisqu'ils ne ressemblent point au poivre, et qu'ils ne sont pas des graines. Cependant nous ne pouvons pas dire avec certitude ce qu'il faut entendre par le garyophyllon de Pline. Clusius croyait que c'est le poivre de la Jamaïque. L'on est mieux fondé à soupçonner que ce sont les cubebes de nos apothicaires.

Description des clous de girofle. Les clous de girofle sont des fruits desséchés avant leur maturité, longs environ d'un demi-pouce, de figure de clou, presque quadrangulaires, ridés, d'un brun noirâtre, qui ont à leur sommet quatre petites pointes en forme d'étoile, au milieu desquelles s'élève une petite tête de la grosseur d'un petit pais, formée de petites feuilles appliquées les unes sur les autres en manière d'écailles, qui étant écartées et ouvertes, laissent voir plusieurs fibres roussâtres, entre lesquelles il s'élève dans une cavité quadrangulaire un stîle droit, de même couleur, qui n'est pas toujours garni de sa petite tête, parce qu'elle tombe facilement lorsqu'on transporte les clous de girofle ; ils sont acres, chauds, aromatiques, un peu amers et agréables : leur odeur est très-pénétrante.

La figure de ce fruit en forme de clou, est sans-doute ce qui lui a donné le nom de clou de girofle. Vers la tête il se sépare en quatre, et ces quatre quartiers faits en angle dont la pointe est en-haut, représentent une espèce de couronne à l'antique, qui est en quelque sorte fermée par une manière de bouton tendre et peu solide, lequel se trouve au milieu ; c'est ce bouton que quelques-uns appellent le fust du clou de girofle.

Leur choix. Il faut les choisir bien nourris, pesans, gras, faciles à casser, piquant les doigts quand on les manie, d'un rouge tanné, garnis s'il se peut de leur fust, d'un goût chaud et aromatique, brulant presque la gorge, d'une odeur excellente, et laissant une humidité huileuse lorsqu'on les presse : on rejette, au contraire, les clous qui n'ont point ces qualités, qui sont maigres, mollasses et presque sans goût et sans odeur.

Du clou matrice. Les fruits du girofle qu'on laisse sur le giroflier, ou qui échappent à l'exactitude de ceux qui en font la récolte, étant restés à l'arbre, continuent de grossir jusqu'à la grosseur du bout du pouce, et se remplissent d'une gomme dure et noire, qui est d'une agréable odeur, et d'un goût fort aromatique. Ce fruit tombe de lui-même l'année suivante, et quoique sa vertu aromatique soit faible, il est fort estimé, et sert à la plantation : car étant semé il germe, et dans l'espace de huit ou neuf ans il devient un grand arbre fructifiant.

Les Indiens appellent ce fruit mûr, mère des fruits ; les Hollandais, clou matrice, ou mère de girofle ; les droguistes français, antofle de girofle ; et dans les boutiques où il est rare, antophyllus. Il a quelque usage en Médecine ; mais les Apothicaires lui substituent souvent le girofle ordinaire : cependant les vertus et l'odeur en sont bien différentes.

Les Hollandais ont coutume de confire ces clous matrices avec du sucre, lorsqu'ils sont récens ; et dans les longs voyages sur mer, ils en mangent après le repas, pour rendre la digestion meilleure, ou ils s'en servent comme d'un remède agréable contre le scorbut muriatique.

Du clou de girofle royal. Les auteurs font mention d'une autre espèce de clou de girofle, que l'on trouve très-rarement dans les boutiques, et seulement en qualité de curiosité naturelle très-singulière. On l'appelle clou de girofle royal, en latin caryophyllus ramosus, vel dentatus, J. Bodaei à Stapel ; caryophyllus spicatus, Indis ; ts-hinka-popona ; Pison, mart-aranae. 179 ; caryophyllus regius, Wormii, mus. 203.

C'est une espèce de petit épi, qui imite la grosseur, la couleur, l'odeur et le goût du clou de girofle. Il n'est pas étoilé, il n'a point de tête ; mais il est comme partagé depuis le bas jusqu'au-haut en plusieurs particules ou écailles, et il se termine en pointe.

Les Hollandais le nomment clou de girofle royal ; parce que les rois et les grands des îles Moluques l'estiment jusqu'à la superstition, non pas tant pour son goût et sa bonne odeur, que pour sa figure singulière, ou plutôt parce qu'il est infiniment rare ; car ils soutiennent qu'on n'en a trouvé jusqu'à-présent qu'un seul arbre, et dans la seule île de Makian.

Rai et Herman croient que les fruits de ces arbres ne diffèrent point de l'espèce des clous de girofle ordinaires ; mais que ce sont des jeux de la nature, et qu'ils appartiennent à l'ordre monstrueux des végétaux.

Les Indiens ont coutume de passer un fil dans la longueur de ces clous, afin de les porter à leur bras, à cause de leur bonne odeur.

Quelques auteurs nous en ont donné de fausses descriptions, et d'autres de fabuleuses. Ceux-ci rapportent, par exemple, que les arbres du voisinage s'inclinent devant le giroflier royal pour lui rendre hommage, quand il est chargé de ses fruits ; et que lorsqu'il entre en fleur, les girofliers communs s'en dépouillent par respect, etc. Comme les choses rares et cachées deviennent toujours merveilleuses, on peut faire croire aisément de telles merveilles au vulgaire des Indiens ; mais il est honteux que des voyageurs de l'Europe en soient la dupe ; ou ridicule, qu'ils pensent nous en imposer par leur témoignage.

De la récolte des clous de girofle ordinaires. On cueille les clous de girofle ordinaires, savoir les calices des fleurs, et les embryons des fruits, avant que les fleurs s'épanouissent, depuis le mois d'Octobre jusqu'au mois de Février ; et on les cueille en partie avec les mains, et en partie on les fait tomber avec de longs roseaux, ou avec des verges. On les reçoit sur des linges que l'on étend sous les arbres, ou on les laisse tomber sur la terre, dont on a coutume dans le temps de cette récolte, de couper avec grand soin l'herbe. Lorsqu'ils sont nouvellement cueillis, ils sont roux et légèrement noirâtres ; mais ils deviennent noirs en se séchant, et par la fumée ; car on les expose pendant quelques jours à la fumée sur des claies : enfin on les fait bien sécher au soleil ; et étant ainsi préparés, les Hollandais les vendent par toute la terre.

Toutes les îles Moluques produisaient autrefois du clou de girofle ; mais ce n'est présentement que de l'île d'Amboine et de Ternate que les Hollandais tirent celui qu'ils apportent en Europe, ou qu'ils distribuent dans les autres parties du monde. Ils ont fait arracher dans toutes les autres Moluques les arbres qui donnent cette épicerie ; et pour dédommager le roi de Ternate de la perte du produit de ses girofliers, ils lui paient tous les ans environ dix-huit mille richedalles en tribut ou en présent ; ils se sont en outre obligés par un traité de prendre à sept sous six deniers la livre, tout le clou que les habitants d'Amboine apportent dans leurs magasins.

Le prix du girofle est fixé à soixante-quinze sous pour les payements des obligations de la compagnie, ou pour ceux qui l'achetent d'elle argent comptant.

De l'huîle des clous de girofle. Les clous de girofle récens donnent par l'expression une huîle épaisse, roussâtre et odorante ; mais dans la distillation il sort beaucoup d'huîle essentielle aromatique, qui est d'abord limpide, blanche, jaunâtre, ensuite roussâtre, pesante, et qui Ve au fond de l'eau : enfin vient une huîle empyreumatique, épaisse, avec une liqueur acide. Le caput mortuum calciné donne par la lixiviation un peu de sel fixe salé.

Il est incroyable combien les clous de girofle contiennent d'huîle quand on les rapporte des Indes, et qu'on vient à les déballer ; rien ne leur est comparable à cet égard. Il ne faut pour s'en convaincre qu'en faire distiller quelques-uns par l'alembic à un feu assez fort, avec douze fois autant d'eau commune ; il s'élevera une eau trouble, épaisse, de couleur de lait, et en même temps une grande quantité d'huîle jaunâtre qui se précipite au fond de l'eau. Lorsqu'il se sera élevé les deux tiers de l'eau, si on change le récipient, qu'on ajoute autant de nouvelle eau, et qu'on continue la distillation, on a une eau qui tient de la vertu aromatique du girofle. On met toutes ces eaux à part, pour s'en servir à la place d'eau commune dans les distillations que l'on fera de la même huile.

Il reste au fond de la cucurbite une liqueur brune, épaisse, sans odeur, d'un goût acide, et quelque peu austère, qui ne possède aucune des vertus du girofle, quoique les clous qui restent conservent leur première forme au point de ne pouvoir plus être distingués lorsqu'ils sont à demi-secs, de ceux dont on n'a point encore tiré l'huîle ; et ce qu'il y a de particulier, c'est qu'ils acquièrent par le mélange l'odeur de ceux-ci, et s'imprègnent de l'huîle qu'ils contiennent, de sorte que les marchands n'ont pas beaucoup de peine à les faire passer pour naturels. Ce fait prouve bien qu'il ne faut acheter les clous de girofle que d'honnêtes négociants, ou de la compagnie même en droiture.

Méthodes de tirer cette huîle essentielle. On a deux façons de tirer l'huîle essentielle de girofle ; l'une par l'alembic, et l'autre per descensum. Indiquons ces deux procédés.

Voici la bonne méthode du premier procédé. Prenez une livre de clous de girofle entiers, ou un peu concassés ; versez dessus six ou sept livres d'eau de girofle d'une première distillation, ou à la place pareille quantité d'eau de rivière aiguisée par trois onces de sel commun ; et après une macération faite pendant quelques jours dans un lieu chaud, employez un feu un peu fort à la distillation, qui se fera dans une cucurbite remplie jusqu'aux deux tiers et au-delà : il sort d'abord une huîle blanchâtre, ou tirant sur le jaune, qui distille par le tuyau du réfrigérant dans le bassin, et tombe au fond avec l'eau qui nage sur l'huile. En augmentant le feu, il succede une huîle plus pesante, plus épaisse, d'un jaune plus foncé, qui se précipite pareillement au fond. Rarement toute l'huîle du girofle sort par la première distillation ; il faut la réitérer une seconde, et même une troisième fais, avec l'eau de girofle du premier procédé.

On observera seulement de ne point ôter toute l'eau de la première distillation, de peur que le girofle ne contracte une odeur d'empyreume ; l'huîle de la seconde distillation est non-seulement plus épaisse à cause du feu qu'on a rendu plus violent, mais elle est encore mêlée de parties résineuses.

Par cette méthode on tire ordinairement de deux livres de girofles purs et choisis, au bout d'une seconde et même d'une troisième distillation, cinq, six et jusqu'à sept onces, tant d'huîle essentielle fine, que d'huîle essentielle plus épaisse ; on sépare ensuite l'huîle de l'eau par l'entonnoir garni de papier gris ; et comme cette eau reste encore imprégnée de parties huileuses, on la conserve pour en user en qualité d'eau distillée de girofle.

La différence est grande entre cette huîle qu'on tire avec soin dans la première distillation, et l'huîle sophistiquée, c'est-à-dire mélangée avec l'huîle de girofle par expression, qu'on vend communément en Hollande. La nôtre est plus subtile, plus fluide, plus tempérée, et plus sure dans ses effets. On peut s'en servir avec hardiesse à la dose de deux, trois ou quatre gouttes dans de l'eau de mélisse, ou autre véhicule convenable. Il faut alors la mêler dans un peu de sucre, ou de jaune d'œuf, avant que de l'employer dans le véhicule ; autrement elle ne s'y dissoudrait pas.

Mais elle se dissout promptement dans l'alcohol ou l'esprit de nitre dulcifié, bien préparé. Tenue dans une phiole de verre exactement fermée, elle conserve sa liquidité pendant plusieurs années.

Si l'on met dans un petit vaisseau de verre de cette huîle de girofle, et qu'on verse dessus deux ou trois fois autant de bon esprit de nitre, il se fera dans ce mélange une effervescence très-forte, qui durera longtemps avec grande chaleur, et jusqu'à s'enflammer d'elle-même ; le bouillonnement de la liqueur continuera et répandra dans l'air beaucoup de vapeurs, dont l'odeur n'est pas trop mauvaise ; enfin la matière se condensera en forme de gomme au fond du vaisseau.

Il faut remarquer que cette expérience ne réussit bien qu'avec de l'excellente huîle de girofle, et surtout avec celle qu'on a tirée fidèlement aux Indes même, et que les Hollandais reçoivent directement par leurs vaisseaux. Si l'on ajoute un peu de poudre à canon dans le mélange dont on vient de parler, elle prendra feu.

Je passe à la méthode de tirer l'huîle essentielle de girofle per descensum.

Pour cet effet, on prend un pot de terre de grès, ou plusieurs grands verres (supposons ici des verres à boire) que l'on couvre d'une toîle ; on lie cette toîle autour des rebords de chaque verre, on enfonce un peu cette toîle dans leur cavité, on place dans cet enfoncement le girofle pulvérisé ; on met par-dessus chaque verre une terrine, ou un cul de balance, qui s'applique exactement sur leurs bords ; on remplit les terrines ou ces culs de balances, de cendres chaudes qui échauffent les girofles, et font distiller au fond des verres, premièrement un peu d'esprit, et ensuite une huîle claire et blanche ; on lève de temps-en-temps les culs de balances, pour remuer la poudre de girofle ; on continue le feu jusqu'à ce qu'il ne distille plus rien : enfin on sépare l'huîle par l'entonnoir dont on a parlé ci-dessus, et on la garde dans une phiole bien bouchée.

Dans cette opération, on retire d'une livre de girofles, poids de seize onces pour livre, une once deux dragmes d'huile, et une once d'esprit. Il reste treize onces deux dragmes de matière, dont on peut tirer encore un peu d'huîle rouge empyreumatique.

Cette méthode n'entraîne point de dépense ; mais il s'en faut de beaucoup qu'on trouve dans l'huîle distillée de cette manière les mêmes avantages que par la méthode de l'alembic. Si vous n'employez qu'un feu leger, vous n'aurez point d'huîle ; et si vous poussez le feu, l'huîle sentira l'empyreume : en un mot on ne doit se servir de cette méthode que dans des occasions pressantes, qui ne permettent pas d'avoir recours à l'autre opération, qui est la seule bonne, et la seule que pratiquent les artistes.

Elle sert de modèle pour tirer toutes sortes d'huiles aromatiques du même genre, celle de canelle, du poivre, des cubebes, du cardamomum, du sassafras, etc. C'est encore ainsi qu'avec un feu plus doux l'on distille l'huîle de romarin, de marjolaine, de thym, de menthe, de fleurs de lavande, d'anis, etc. Il est bon de le savoir, et de s'en ressouvenir.

Qualités et choix de l'huîle de girofle. Cette huîle essentielle de clous de girofle, distillée per descensum ou par l'alembic, est la seule préparation que l'on trouve dans les boutiques ; étant nouvelle, elle est d'un blanc doré, qui rougit en vieillissant. Il faut la choisir forte, pénétrante, et qui ait bien conservé l'odeur et la saveur du girofle ; elle est facîle à sophistiquer, et la tromperie difficîle à découvrir ; ce qui doit engager à ne l'acheter que de bonne main.

Elle perd promptement ses esprits, quand on la laisse à découvert, et dégénere d'ordinaire en une substance grasse, visqueuse et inactive ; tandis que les clous de girofle conservent leurs esprits malgré la chaleur violente du pays où ils croissent.

Elle est encore plus pesante que l'eau, de sorte qu'elle se précipite au fond sans rien perdre de ses vertus. C'est une propriété que n'ont point nos huiles de l'Europe, et que possèdent uniquement les huiles de l'Asie, de l'Afrique et de l'Amérique, surtout celles des plantes aromatiques.

Enfin il est remarquable que le résidu du clou de girofle, après la distillation, est austère, froid et très-fixe ; propriété cependant qui lui est commune avec les plantes qui contiennent une grande quantité d'huîle aromatique.

Vertu et usage de cette huile. Comme cette huîle de girofle est extrêmement chaude, et même caustique, elle devient par-là très-propre, suivant la remarque de Boerhaave, aux tempéraments froids, et dans les maladies de cette nature. Elle est encore excellente pour ranimer les esprits, soit qu'on en use intérieurement ou extérieurement ; mais l'usage interne demande beaucoup de réserve et de prudence.

Pour l'extérieur on l'emploie seule, ou avec d'autres huiles aromatiques, comme celle de noix muscade tirée par expression, celle de palmier, de romarin, de sauge ; le tout mêlé ensemble, on en fait un liniment, dont on frotte les membres paralytiques, ainsi que dans les maladies froides et pituiteuses, dans la stupidité accidentelle, et les affections soporeuses : on peut encore en frotter la région de l'estomac dans la longueur de ce viscère, et dans les coliques produites par des vents.

Elle sert d'un remède assez actif en qualité de topique, pour arrêter les progrès de la gangrene, en la faisant dissoudre dans l'esprit-de-vin rectifié, et en y trempant des plumaceaux de charpie qu'on applique sur la partie gangrenée.

On s'en sert encore pour la carie des of et pour le mal des dents : dans ce dernier cas, on en imbibe un peu de coton, que l'on met adroitement dans la dent cariée, dont il apaise la douleur en brulant le nerf ; mais il faut en user avec beaucoup de précaution, et seulement dans les cas où il n'y a point d'inflammation, et où la carie considérable de la dent est la cause de la douleur, en mettant le nerf trop à découvert.

Si l'on a besoin d'apaiser plus promptement la rage des dents, on pulvérisera six grains de camphre avec trois grains de laudanum épié, qu'on humectera de quelques gouttes d'huîle essentielle de girofle ; on formera du tout de petites tentes de la grosseur d'un grain de blé, pour les porter dans la dent malade. D'autres font dissoudre l'opium dans l'huîle éthérée du girofle, et se servent de cette dissolution. C'est-là le grand secret des charlatants, dont l'abus a quelquefois causé la surdité. L'huîle de girofle soulage le mal de dents de la même manière que l'huîle de canelle et celle de gayac ; mais les deux premières étant d'une odeur agréable, on n'a aucune répugnance pour en mettre dans la dent ; au lieu qu'on en a beaucoup par rapport à la dernière. Enfin l'huîle de girofle est d'un grand usage parmi les Parfumeurs.

La dose est d'une, deux ou trois gouttes intérieurement, pour ranimer le ton de l'estomac chez les personnes accablées de mucosités, de pituite, d'humeurs froides et catarrheuses. On en fait en ce cas un éléosaccharum avec un peu de sucre ; ou bien l'on prend huîle de clous de girofle deux gouttes, huîle de canelle huit gouttes, teinture d'ambre une goutte, sucre crystallisé réduit en une poudre très-fine, demi-once ; mêlez, et conservez cette poudre pour l'usage dans une bouteille bien fermée. La dose est un gros, dissoute dans du vin rouge, ou dans du vin d'Espagne.

Usage des clous de girofle. On consomme principalement les clous de girofle dans les cuisines ; ils sont tellement recherchés dans quelques pays de l'Europe, et surtout aux Indes, que l'on y méprise presque les nourritures qui sont sans cette épicerie : on les mêle dans presque tous les mets, les sausses, les vins, les liqueurs spiritueuses et les boissons aromatiques ; on les emploie aussi parmi les odeurs.

On en fait très-peu d'usage en Médecine ; cependant comme leur vertu est d'échauffer et de dessécher, ils se donnent pour les mêmes maux, où leur huîle est recommandée, à la dose en substance depuis quatre grains jusqu'à douze, et en infusion depuis demi-dragme jusqu'à deux : mais l'huîle est absolument préférable, parce qu'elle réunit en plus petite quantité toutes les propriétés du fruit.

Les Apothicaires font entrer les clous et l'huîle de girofle dans plusieurs compositions pharmaceutiques, que personne ne prescrit.

Réflexions sur le commerce du girofle. C'est à Amboine que les Hollandais ont leurs magasins de girofle dans le fort de la Victoire, où les habitants portent leur récolte, dont on a réglé le prix à soixante réales de huit la barre, qui est de cinq cent cinquante livres de poids. Les habitants sont obligés de planter un certain nombre de girofliers par an ; ce qui les a multipliés au point qu'on l'a désiré pour le débit annuel, lequel il n'est guère possible d'évaluer sans être dans le secret : il suffira de dire que la France seule en achète cinq ou six cent quintaux par année.

Personne n'ignore avec quelle jalousie la compagnie des Indes orientales hollandaise s'applique à se conserver l'unique débit de cette marchandise : cependant elle n'a jamais pu empêcher qu'il ne s'en fit un assez grand déversement par ses propres officiers, en plusieurs lieux des Indes. Une manière qu'ils ont de tromper la compagnie, est d'en vendre aux navires des autres nations qu'ils rencontrent en mer, et de mouiller le reste, afin que le nombre des quintaux de girofle qui font leur cargaison, s'y trouve toujours ; ce qui peut aller à dix par cent, sans que les commis des magasins qui les reçoivent à Batavia, puissent s'en apercevoir. (D.J.)