Le goudron a été mis par les anciens pharmacologistes au rang des médicaments, aussi-bien que tous les produits résineux, soit naturels, soit artificiels, des arbres coniferes. Celui-ci peut, comme toutes les autres matières balsamiques et résineuses, fournir un ingrédient utîle aux emplâtres agglutinatifs, et si l'on veut même aux emplâtres et aux onguents résolutifs ; mais on préfère ordinairement les substances analogues qui n'ont éprouvé aucune altération par le feu ; cette qualité de substance altérée par le feu, et plus encore un vice plus réel, sa grande ténacité ou viscosité ont banni le goudron de l'ordre des médicaments destinés à l'usage intérieur ; en sorte que ce n'était plus un remède parmi nous, lorsque nous apprimes des peuples du nouveau monde à en retirer une infusion à froid, qui fut fort employée il y a quelques années, sous le nom d'eau de goudron, et que nous avons absolument abandonnée aujourd'hui, peut être sans raison, et par pure inconstance : car quoiqu'il soit très-vraisemblable que l'eau de goudron a dû principalement sa vogue au nom du célèbre George Berkeley, évêque de Cloyne, qui nous a fait connaître ce remède, et plus encore au singulier ouvrage dans lequel il a publié ses vertus : quoiqu'il ne faille pas croire que l'eau de goudron est un remède souverain contre toutes les affections cachectiques, rhumatiques, arthritiques, scorbutiques, catarrhales, vénériennes, oedémateuses, érésypélateuses, mélancholiques, hystériques, etc. qu'elle produise des effets merveilleux dans l'hydropisie, les coliques, les douleurs néphrétiques, les fleurs blanches, les pleurésies, les péripneumonies, les asthmes, les obstructions des viscères, les hydropisies, les dyssenteries, les ulcères des reins, des poumons, des intestins, de la matrice, les maladies de la peau, la faiblesse de l'estomac, les fièvres intermittentes, continues, malignes, les incommodités auxquelles sont particulièrement sujets les gens de mer, les femmes, les gens de Lettres, et tous ceux qui mènent une vie sédentaire ; qu'elle soit un préservatif assuré contre le venin de la petite vérole et des autres maladies éruptives, contre les maladies des dents et des gencives, etc. et extérieurement en lotion, en bain, en injection, dans les ulcères putrides, rébelles, la galle, les dartres, la paralysie, les rhumatismes, etc. Quoiqu'on ne doive pas craindre, avec le traducteur de l'ouvrage de Berkeley, de ne pas avoir qualifié ce remède assez honorablement, lorsqu'on l'a appelé un spécifique merveilleux ; il est certain cependant que l'eau de goudron n'est pas un secours à négliger dans le traitement de plusieurs maladies de l'estomac, dans les embarras des reins et des voies urinaires, les maladies de la peau, les suppressions des règles, les affections oedémateuses, et peut-être même dans les maladies véritablement putrides ou gangréneuses, dans les amas bilieux, les maladies scorbutiques, etc.

Pour faire de l'eau de goudron, " versez quatre pintes d'eau froide sur une de goudron, puis remuez-les et les mêlez intimement avec une cuillière de bois ou un bâton plat, durant l'espace de cinq à six minutes ; après quoi laissez reposer le vaisseau bien exactement fermé pendant deux fois vingt-quatre heures, afin que le goudron ait le temps de se précipiter. Ensuite vous verserez tout ce qu'il y a de clair, l'ayant auparavant écumé avec soin sans remuer le vaisseau, et en remplirez pour votre usage des bouteilles que vous boucherez exactement, le goudron qui reste n'étant plus d'aucune vertu, quoiqu'il puisse encore servir aux usages ordinaires.... Moins d'eau, ou l'eau plus battue, rend la liqueur plus forte ; et au contraire. Sa couleur ne doit pas être plus claire que celle du vin blanc de France, ni plus foncée que celle du vin d'Espagne ".

Recherches sur les vertus de l'eau de goudron, traduites de l'anglais du sieur Berkeley. La dose de cette eau varie selon l'âge, les forces du malade, l'indication à remplir, etc. La règle la plus générale pour les adultes, c'est d'en prendre depuis une demi-livre jusqu'à une livre, et même jusqu'à deux livres tous les jours, le matin à jeun, et le soir ou l'après-midi plusieurs heures après le repas, à chaud ou à froid, selon l'état de l'estomac, le goût du malade, etc.

Berkeley dit que son eau de goudron est en même temps un savon et un vinaigre. Cartheuser nous apprend sa composition d'une manière plus positive : selon cet auteur, l'eau de goudron est chargée d'une substance résineuse, gommeuse, resina gummea, qui se manifeste non-seulement par l'odeur, le gout, et la couleur qu'elle donne à l'eau, mais encore par la distillation (c'est cette substance que le docteur Berkeley appelle savon) ; et de quelques parties acides qui sont sensibles au gout, et qui donnent à l'eau la propriété de rougir le sirop de violette, et de faire effervescence avec les alkalis ; c'est-là le vinaigre de Berkeley.

Cartheuser admet encore dans cette eau des parties qu'il appelle oleo spirituosae balsamicae : cette expression ne désigne aucun être chimique bien déterminé ; elle peut convenir cependant au principe de l'odeur qui est fort abondant dans l'eau de goudron. L'acide dont elle est chargée, est un produit de la décomposition qu'a éprouvé la résine qui s'est changée en goudron dans l'opération par laquelle on prépare cette dernière substance, comme il arrive dans l'analyse par le feu de toutes les substances balsamiques et résineuses. Voyez RESINE. (b)