On peut réduire à quatre règles principales, ce qui concerne le pluriel des noms et des adjectifs français.

1°. Les noms et les adjectifs terminés au singulier par l'une des trois lettres s, z ou Xe ne changent pas de terminaison au pluriel ; ainsi l'on dit également le succès, les succès ; le fils, les fils ; le nez, les nez ; le prix, les prix ; la voix, les voix, &c.

2°. Les noms et les adjectifs terminés au singulier par au et eu prennent x de plus au pluriel : on dit donc au singulier, beau, chapeau, feu, lieu, etc. et au pluriel on dit beaux, chapeaux, feux, lieux.

3°. Plusieurs mots terminés au singulier par al ou ail, ont leur terminaison plurielle en aux : on dit au singulier travail, cheval, égal, général, etc. et au pluriel on dit travaux, chevaux, égaux, généraux. Je dis que ceci regarde plusieurs mots terminés en al ou ail, parce qu'il y en a plusieurs autres de la même terminaison, qui n'ont point de pluriel, ou qui suivent la règle suivante qui est la plus générale.

4°. Les noms et les adjectifs qui ne sont point compris dans les trois règles précédentes, prennent au pluriel une s de plus qu'au singulier : on dit donc le bon père, les bons pères ; ma chère sœur, mes chères sœurs ; un roi clement, des rois clements, &c.

Je n'insiste point sur les exceptions qu'il peut y avoir à ces quatre règles, parce que ce détail n'appartient pas à l'Encyclopédie, et qu'on peut l'étudier dans toutes les Grammaires françaises, ou l'apprendre de l'usage : mais j'ajouterai quelques observations, en commençant par une remarque du père Buffier. (Grammaire fr. n. 301.)

" L'x, dit-il, n'est proprement qu'un cs ou gz, et le z qu'une s faible ; c'est ce qui leur donne souvent dans notre langue, le même usage qu'à l's ". C'est assigner véritablement la cause pourquoi ces trois lettres sont également employées pour marquer le pluriel ; mais ce n'est pas justifier l'abus réel de cette pratique. Il serait à désirer que la lettre s fût la seule qui caractérisât ce nombre dans les noms, les pronoms et les adjectifs ; et assurément, il n'y aurait point d'inconvénient, si l'usage le permettait, d'écrire beaus, chevaus, heureus, feus, un né au singulier, et des nés au pluriel, etc. Du moins me semble-t-il que c'est de gaieté de cœur renoncer à la netteté de l'expression et à l'analogie de l'orthographe, que d'employer le z final pour marquer le pluriel des noms, des adjectifs et des participes dont le singulier est terminé par un é fermé, et d'écrire, par exemple, de bonnes qualitez, des hommes sensez, des ouvrages bien composez, au lieu de qualités, sensés, composés. Puisque l'usage contraire prévaut par le nombre des Ecrivains qui l'autorisent, c'est aujourd'hui une faute d'autant plus inexcusable, que c'est soustraire cette espèce de mots à l'analogie commune, et en confondre l'orthographe avec celle de la seconde personne des temps simples de nos verbes dont la voyelle finale est un e fermé, comme vous lisez, vous lisiez, vous liriez, vous lussiez, vous lirez, &c.

On trouve dans le journal de l'académie française, par M. l'abbé de Chaisy (Opusc. pag. 309.), que l'académie ne s'est jamais départie du z en pareil cas : cela pouvait être alors ; mais il y a aujourd'hui tant d'académiciens et tant d'auteurs dignes de l'être, qui s'en sont départis, que ce n'est plus un motif suffisant pour en conserver l'usage dans le cas dont il s'agit.

Une seconde observation, c'est que plusieurs écrivains ont affecté, je ne sais pourquoi, de retrancher au pluriel des noms ou des adjectifs en ant ou ent, la lettre t qui les termine au singulier ; ils écrivent éléments, patiens, complaisans, etc. au lieu de éléments, patients, complaisants. " J'avoue, dit à ce sujet M. l'abbé Girard (tom. I. disc. Ve pag. 271.), que le plus grand nombre des écrivains polis et modernes s'étant déclarés pour la suppression du t, je n'ose les fronder, malgré des raisons très-capables de donner du penchant pour lui. Car enfin il épargnerait dans la méthode une règle particulière, et par conséquent une peine. Il soutiendrait le goût de l'étymologie, et l'analogie entre les primitifs et les dérivés. Il serait un secours pour distinguer la différente valeur de certains substantifs, comme de plans dessinés, et de plants plantés : d'ailleurs son absence parait défigurer certains mots tels que dents et vens ". Avec des raisons si plausibles, cet académicien n'aurait-il pas dû autoriser de son exemple la conservation du t dans ces mots ? Il le devait sans doute, et il le pouvait, puisqu'il reconnait un peu plus haut (pag. 270.), que l'usage est partagé entre deux partis nombreux, dont le plus fort ne peut pas se vanter encore d'une victoire certaine.

Je ne voulais d'abord marquer aucune exception : en voici pourtant une que je rappele, à cause de la réflexion qu'elle fera naître. Oeil fait yeux au pluriel, pour désigner l'organe de la vue ; mais on dit en architecture, des oeils de bœuf, pour signifier une sorte de fenêtre. Ciel fait pareillement cieux au pluriel, quand il est question du sens propre ; mais on dit des ciels de lit, et en peinture, des ciels, pour les nuages peints dans un tableau. Ne serait-il pas possible que quelques noms latins qui ont deux terminaisons différentes au pluriel, comme jocus qui fait joci et joca, les dussent à de pareilles vues, plutôt qu'à l'inconséquence de l'usage, qui aurait substitué un nom nouveau à l'ancien, sans abolir les terminaisons plurielles de celui-ci ? Comme en fait de langage, des vues semblables amènent presque toujours des procédés analogues, on est raisonnablement fondé à croire que des procédés analogues supposent à leur tour des principes semblables.

Il n'y a rien à remarquer sur les terminaisons plurielles des temps des verbes français, parce que cela s'apprend dans nos conjugaisons. Je finirai donc par une remarque de syntaxe.

Dans toutes les langues il arrive souvent qu'on emploie un nom singulier pour un nom pluriel : comme ni la colere ni la joie du soldat ne sont jamais modérées ; le paysan se sauva dans les bois ; le bourgeois prit les armes ; le magistrat et le citoyen à l'envi conspirent à l'embellissement de nos spectacles. C'est, diton, une synecdoque ; mais parler ainsi, c'est donner un nom scientifique à la phrase, sans en faire connaître le fondement : le voici. Cette manière de parler n'a lieu qu'à l'égard des noms appelatifs, qui présentent à l'esprit des êtres déterminés par l'idée d'une nature commune à plusieurs : cette idée commune a une compréhension et une étendue ; et cette étendue peut se restraindre à un nombre plus ou moins grand d'individus. Le propre de l'article est de déterminer l'étendue, de manière que, si aucune autre circonstance du discours ne sert à la restraindre, il faut entendre alors l'espèce ; si l'article est au singulier, il annonce que le sens du nom est appliqué à l'espèce, sans désignation d'individus ; si l'article est au pluriel, il indique que le sens du nom est appliqué distributivement à tous les individus de l'espèce. Ainsi l'horreur de ces lieux étonna le soldat, veut faire entendre ce qui arriva à l'espèce en général, sans vouloir y comprendre chacun des individus : et si l'on disait l'horreur de ces lieux étonna les soldats, on marquerait plus positivement les individus de l'espèce. Un écrivain correct et précis ne sera pas toujours indifférent sur le choix de ces deux expressions. (B. E. R. M.)