Comme nasale, cette articulation se change aisément en m dans les générations des mots, voyez M : comme dentale, elle est aussi commuable avec les autres de même espèce, et principalement avec celles qui exigent que la pointe de la langue se porte vers les dents supérieures, savoir d et t : et comme linguale, elle a encore un degré de commutabilité avec les autres linguales, proportionné au degré d'analogie qu'elles peuvent avoir dans leur formation ; N se change plus aisément et plus communément avec les liquides L et R, qu'avec les autres linguales, parce que le mouvement de la langue est à-peu-près le même dans la production des liquides, que dans celle de N. Voyez L et LINGUALE.

Dans la langue française la lettre N a quatre usages différents, qu'il faut remarquer.

1°. N, est le signe de l'articulation ne, dans toutes les occasions où cette lettre commence la syllabe, comme dans nous, none, nonagénaire, Ninus, Ninive, &c.

2°. N, à la fin de la syllabe, est le signe orthographique de la nasalité de la voyelle précédente, comme dans an, en, ban, bon, bien, tien, indice, onde, fondu, contendant, etc. voyez M. il faut seulement excepter les trois mots examen, hymen, amen, où cette finale conserve sa signification naturelle, et représente l'articulation ne.

Il faut observer néanmoins que dans plusieurs mots terminés par la lettre n, comme signe de nasalité, il arrive souvent que l'on fait entendre l'articulation ne, si le mot suivant commence par une voyelle ou par un h muet.

Premièrement si un adjectif, physique ou métaphysique, terminé par un n nasal, se trouve immédiatement suivi du nom auquel il a rapport, et que ce nom commence par une voyelle, ou par un h muet, on prononce entre deux l'articulation ne : bon ouvrage, ancien ami, certain auteur, vilain homme, vain appareil, un an, mon âme, ton honneur, son histoire, etc. On prononce encore de même les adjectifs métaphysiques un, mon, ton, son, s'ils ne sont séparés du nom que par d'autres adjectifs qui y ont rapport : un excellent ouvrage, mon intime et fidèle ami, ton unique espérance, son entière et totale défaite, etc. Hors de ces occurrences, on ne fait point entendre l'articulation ne, quoique le mot suivant commence par une voyelle ou par un h muet : ce projet est vain et blâmable, ancien et respectable, un point de vue certain avec des moyens surs, &c.

Le nom bien en toute occasion se prononce avec le son nasal, sans faire entendre l'articulation ne : ce bien est précieux, comme ce bien m'est précieux ; un bien honnête, comme un bien considérable. Mais il y a des cas où l'on fait entendre l'articulation ne après l'adverbe bien ; c'est lorsqu'il est suivi immédiatement de l'adjectif, ou de l'adverbe, ou du verbe qu'il modifie, et que cet adjectif, cet adverbe, ou ce verbe commence par une voyelle, ou par un h muet : bien aise, bien honorable, bien utilement, bien écrire, bien entendre, etc. Si l'adverbe bien est suivi de tout autre mot que de l'adjectif, de l'adverbe ou du verbe qu'il modifie, la lettre n n'y est plus qu'un signe de nasalité : il parlait bien et à-propos.

Le mot en, soit préposition soit adverbe, fait aussi entendre l'articulation ne dans certains cas, et ne la fait pas entendre dans d'autres. Si la préposition en est suivie d'un complément qui commence par un h muet ou par une voyelle, on prononce l'articulation : en homme, en Italie, en un moment, en arrivant, etc. Si le complément commence par une consonne, en est nasal : en citoyen, en France, en trois heures, en partant, etc. Si l'adverbe en est avant le verbe, et que ce verbe commence par une voyelle ou par un h muet, on prononce l'articulation ne : vous en êtes assuré, en a-t-on parlé ? pour en honorer les dieux, nous en avons des nouvelles, etc. Mais si l'adverbe en est après le verbe, il demeure purement nasal malgré la voyelle suivante : parlez-en au ministre, allez-vous-en au jardin, faites-en habilement revivre le souvenir, &c.

On avant le verbe, dans les propositions positives, fait entendre l'articulation ; on aime, on honorera, on a dit, on eut pensé, on y travaille, on en revient, on y a réfléchi, quand on en aurait eu repris le projet, etc. Dans les phrases interrogatives, on étant après le verbe, ou du moins après l'auxiliaire, est purement nasal malgré les voyelles suivantes : a-t-on eu soin ? est-on ici pour longtemps ? en aurait-on été assuré ? en avait-on imaginé la moindre chose ? &c.

Est-ce le n final qui se prononce dans les occasions que l'on vient de voir, ou bien est-ce un n euphonique que la prononciation insere entre deux ? Je suis d'avis que c'est un n euphonique, différent du n orthographique ; parce que si l'on avait introduit dans l'alphabet une lettre, ou dans l'orthographe un signe quelconque, pour en représenter le son nasal, l'euphonie n'aurait pas moins amené le n entre-deux, et on ne l'aurait assurement pas pris dans la voyelle nasale ; or on n'est pas plus autorisé à l'y prendre, quoique par accident la lettre n soit le signe de la nasalité, parce que la différence du signe n'en met aucune dans le son représenté.

On peut demander encore pourquoi l'articulation inserée ici est ne, plutôt que te, comme dans a-t-il reçu ? c'est que l'articulation ne est nasale, que parlà elle est plus analogue au son nasal qui précéde, et conséquemment plus propre à le lier avec le son suivant que toute autre articulation, qui par la raison contraire serait moins euphonique. Au contraire, dans a-t-il reçu, et dans les phrases semblables, il parait que l'usage a inseré le t, parce qu'il est le signe ordinaire de la troisième personne, et que toutes ces phrases y sont relatives.

Enfin on peut demander pourquoi l'on a inséré un n euphonique dans les cas mentionnés, quoiqu'on ne l'ait pas inseré dans les autres où l'on rencontre le même hiatus. C'est que l'hiatus amène une interrogation réelle entre les deux sons consécutifs, ce qui semble indiquer une division entre les deux idées : or dans le cas où l'usage insere un n euphonique, les deux idées exprimées par les deux mots sont si intimement liées qu'elles ne font qu'une idée totale ; tels sont l'adjectif et le nom, le sujet et le verbe, par le principe d'identité ; c'est la même chose de la préposition et de son complément, qui équivalent en effet à un seul adverbe, et l'adverbe qui exprime un mode de la signification objective du verbe, devient aussi par-là une partie de cette signification. Mais dans les cas où l'usage laisse subsister l'hiatus, il n'y a aucune liaison semblable entre les deux idées qu'il sépare.

On peut par les mêmes principes, rendre raison de la manière dont on prononce rien, l'euphonie fait entendre l'articulation ne dans les phrases suivantes : je n'ai rien appris, il n'y a rien à dire, rien est-il plus étrange ? Je crois qu'il serait mieux de laisser l'hiatus dans celle-ci, rien, absolument rien, n'a pu le déterminer.

3°. Le troisième usage de la lettre n, est d'être un caractère auxiliaire dans la représentation de l'articulation mouillée que nous figurons par gn, et les Espagnols par : comme dans digne, magnifique, règne, trogne, etc. Il faut en excepter quelques noms propres, comme Clugni, Regnaud, Regnard, où n a sa signification naturelle, et le g est entièrement muet.

Au reste je pense de notre gn mouillé, comme du l mouillé ; que c'est l'articulation n suivie d'une diphtongue dont le son prépositif est un i prononcé avec une extrême rapidité. Quelle autre différence trouve-t-on, que cette prononciation rapide, entre il denia, denegavit, et il daigna, dignatus est ; entre cérémonial et signal ; entre harmonieux et hargneux ? D'ailleurs l'étymologie de plusieurs de nos mots où il se trouve gn, confirme ma conjecture, puisque l'on voit que notre gn répond souvent à ni suivi d'une voyelle dans le radical ; Bretagne de Britannia ; borgne de l'italien bornio ; charogne ou du grec , lieu puant, ou de l'adjectif factice caronius, dérivé de caro par le génitif analogue caronis, syncopé dans carnis, &c.

4°. Le quatrième usage de la lettre n est d'être avec le t, un signe muet de la troisième personne du pluriel à la suite d'un e muet ; comme ils aiment, ils aimèrent, ils aimeraient, ils aimaient, &c.

N capital suivi d'un point, est souvent l'abrégé du mot nom, ou nomen, et le signe d'un nom propre qu'on ignore, ou d'un nom propre quelconque qu'il faut y substituer dans la lecture.

En termes de Marine, N signifie nord ; N E, veut dire nord est ; N O, nord ouest ; N N E, nord-nord-est ; N N O, nord nord-ouest ; E N E, est-nord-est ; O N O, ouest-nord-ouest.

N sur nos monnaies, désigne celles qui ont été frappées à Montpellier.

N chez les anciens, était une lettre numérale qui signifiait 900, suivant ce vers de Baronius :

N quoque nongintos numero designat habendos.

Tous les lexicographes que j'ai consultés, s'accordent en ceci, et ils ajoutent tous que avec une barre horizontale au-dessus, marque 9000 ; ce qui en marque la multiplication par 10 seulement, quoique cette barre indique la multiplication par 1000, à l'égard de toutes les autres lettres ; et l'auteur de la méth. lat. de P. R. dit expressément dans son Recueil d'observations particulières, chap. II. num. iv. qu'il y en a qui tiennent que lorsqu'il y a une barre sur les chiffres, cela les fait valoir mille, comme, , , cinq-mille, dix-mille. Quelqu'un a fait d'abord une faute dans l'exposition, ou de la valeur numérique de N seule, ou de la valeur de barré ; puis tout le monde a répété d'après lui sans remonter à la source. Je conjecture, mais sans l'assurer, que = 900000, selon la règle générale. (B. E. R. M.)

N, dans le Commerce, ainsi figurée N°. signifie en abrégé numero, dans les livres des Marchands, Banquiers et Négociants. N. C. veut dire notre compte. Voyez ABREVIATION. (G)