Si l'on eut pris la progression de douze, le nombre 11 aurait eu la même propriété ; ainsi dans toute l'arithmétique binaire il n'y aurait que deux caractères, 1 et 0. Le zéro aurait la puissance de multiplier tout par deux, comme dans l'Arithmétique ordinaire il multiplie tout par dix : 1 serait un ; 10, deux ; 11, trois ; 100, quatre ; 101, cinq ; 110, six ; 111, sept ; 1000, huit ; 1001, neuf ; 1010, dix, etc. ce qui est entièrement fondé sur les mêmes principes que les expressions de l'Arithmétique commune. Il est vrai que celle-ci serait très incommode par la grande quantité de caractères dont elle aurait besoin, même pour de très-petits nombres. Il lui faut, par exemple, quatre caractères pour exprimer huit, que nous exprimons par un seul. Aussi M. Leibnitz ne voulait-il pas faire passer son arithmétique dans un usage populaire ; il prétendait seulement que dans les recherches difficiles elle aurait des avantages que l'autre n'a pas, et qu'elle conduirait à des spéculations plus élevées. Le P. Bouvet, jésuite, célèbre missionnaire de la Chine, à qui M. Leibnitz avait écrit l'idée de son arithmétique binaire, lui manda qu'il était très-persuadé que c'était-là le véritable sens d'une ancienne énigme chinoise laissée il y a plus de 4000 ans par l'empereur Fohi, fondateur des Sciences à la Chine, aussi-bien que de l'empire, entendue apparemment dans son siècle, et plusieurs siècles après lui, mais dont il était certain que l'intelligence s'était perdue depuis plus de 1000 ans, malgré les recherches et les efforts des plus savants lettrés, qui n'avaient Ve dans ce monument que des allégories puériles et chimériques. Cette énigme consiste dans les différentes combinaisons d'une ligne entière et d'une ligne brisée, répetées un certain nombre de fais, soit l'une, soit l'autre. En supposant que la ligne entière signifie 1, et la brisée 0, on trouve les mêmes expressions des nombres que donne l'arithmétique binaire. La conformité des combinaisons des deux lignes de Fohi, et des deux uniques caractères de l'arithmétique de M. Leibnitz, frappa le P. Bouvet, et lui fit croire que Fohi et M. Leibnitz avaient eu la même pensée.

Nous devons cet article à M. Formey, qui l'a tiré de l'histoire de l'académie des Sciences de Paris, année 1702. Voyez ECHELLES ARITHMETIQUES, au mot ARITHMETIQUE.

Cette arithmétique serait, comme on vient de le dire, peu commode ; il faudrait trop de caractères pour exprimer d'assez petits nombres : cependant si le lecteur est curieux d'avoir une méthode pour trouver dans cette arithmétique la valeur d'un nombre donné, ou pour exprimer un nombre quelconque, la voici en peu de mots.

On commencera par faire une table des différentes puissances de 2 ; savoir 2° ou 1, 2, 4, 8, 16, 32, 64, 128, etc. que l'on poussera le plus loin qu'il sera possible. Cela posé,

Sait donné, par exemple, le nombre 110101, dont on veut savoir la valeur ; comme ce nombre a six chiffres, je prends la sixième puissance de 2, qui est 32, et qui sera représenté par le chiffre 1, qui est le plus à gauche : le chiffre suivant 1 indiquera la 5e puissance 16 ; le chiffre suivant 0 ne donnera rien ; le chiffre suivant 1 indiquer a la 3e puissance, c'est-à-dire 4 ; le chiffre suivant 0 ne donnera rien ; enfin le dernier chiffre 1 donnera 1 : ainsi le nombre proposé équivaut à la somme des nombres 32, 16, 4, 1, c'est-à-dire 53, et ainsi des autres.

Présentement je suppose qu'on veuille exprimer le nombre 230 par l'arithmétique binaire ; je cherche d'abord la plus grande puissance de 2 contenue dans 230, c'est 128 ; et comme 128 est la 8e puissance de 2, je vois que le nombre 230 exprimé comme on le désire, aura huit chiffres. Je mets donc

1 pour le premier chiffre à gauche :

j'ôte 128 de 230, il me reste 102 ; et comme 64, qui est la puissance de 2 qui suit immédiatement 128, se trouve dans 102, cela me fait voir que je dois encore mettre

1 à la seconde place à gauche :

je retranche 64 de 102, il me reste 38 ; or 32, qui est la puissance de 2 après 64, est encore dans 38 ; ainsi je mets

1 à la 3e place à gauche :

je retranche 32 de 38, il me reste 6 ; or 16, qui est la puissance après 32, n'est point dans 6 : je mets donc

0 à la 4e place :

je retranche 8 de 6 ; et comme il n'y est pas, je mets encore

0 à la 5e place :

je retranche 4 de 6, ce qui me donne

1 à la 6e place :

enfin il me reste 2, qui s'exprimera par

1 à la 7e place :

& comme il ne reste rien, on aura

0 à la 8e place :

donc 230 sera exprimé par

11100110

Il est visible qu'à l'imitation de cette arithmétique on peut en imaginer une infinité d'autres où les nombres seront exprimés par plus ou moins de chiffres. Voyez ARITHMETIQUE et ECHELLES ARITHMETIQUES.

Sait en général n le nombre de caractères d'une arithmétique quelconque, en sorte que 0, 1, 2, 3,.... n -1 soient ces caractères ; et soit proposé de trouver la valeur d'un nombre quelconque, par exemple, b c d e f, exprimé avec les caractères de cette arithmétique, on aura b c d e f = b x n4 + c x n3 + d x n2 + e x n + f, et ainsi des autres.

Si on veut exprimer un nombre quelconque A par cette même arithmétique, soit np la plus grande puissance de n contenue dans A, soit divisé A par np ; soit a le quotient et le reste r, soit ensuite divisé r par np -1, b le quotient et le reste s ; soit ensuite divisé s par np-2, le quotient c, et le reste q : et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'on arrive à un reste K, qui soit ou 0 ou moindre que n, on aura A = a b c.... K, et le nombre des chiffres sera p + 1, etc. Voyez mém. acad. 1741, une méthode de M. de Buffon pour faire ce calcul par les logarithmes. (O)