L'art de l'escrime s'acquiert en faisant des armes avec des fleurets appelés en latin rudes ; c'est pourquoi on appelle l'escrime, gladiatura rudiaria. Voyez GLADIATEUR.

On prétend que l'escrime est en si haute estime dans les Indes orientales, qu'il n'est permis qu'aux princes et aux nobles de s'adonner à cet exercice. Ils portent une marque ou une distinction sur leurs armes qu'on nomme dans leurs langues esaru, que les rois eux-mêmes leur donnent avec beaucoup de cérémonie, de même que les marques de distinction de nos ordres de chevalerie.

Montaigne nous apprend que de son temps toute la noblesse évitait avec soin la réputation de savoir faire des armes, comme une chose capable de corrompre les bonnes mœurs. Voyez Dict. de Trévoux et Chambers.

Le mot escrime nous donne en général l'idée de combat entre deux personnes ; il désigne surtout le combat de l'épée, qui est si familier aux Français, qui en ont fait une science qui a ses principes et ses règles. Le maître d'escrime commence par rompre le corps aux différentes attitudes qu'il doit affecter, pour rendre les articulations faciles, et donner de la souplesse dans les mouvements ; ensuite il apprend à exécuter les mouvements du bras et surtout de la main, qui portent les coups à l'ennemi ou qui tendent à éloigner les siens ; les premiers se nomment bottes, les seconds parades : il enseigne ensuite à mêler ces mouvements pour tromper l'ennemi par de fausses attaques, ce qu'on nomme feintes ; enfin il vous apprend à vous servir à propos des feintes et des parades. Cette partie de l'art s'appelle assaut, et est vraiment l'image d'un combat. Voici en abrégé les éléments de l'escrime.

Dans la première attitude dans laquelle on se dispose à recevoir son ennemi ou à se lancer sur lui, le combattant doit avoir son pied gauche fermement appuyé sur la terre, et tourné de façon à favoriser la marche ordinaire, le pied droit tourné de façon à favoriser une marche sur le côté : les deux pieds par ce moyen forment un angle droit ouvert par les pointes des souliers, et ils doivent être à trois, quatre ou cinq semelles l'un de l'autre disposés sur la même ligne ; de sorte cependant que si on veut faire passer le pied droit derrière le gauche, les deux talons ne puissent se choquer.

Les deux genoux doivent être un peu pliés, contre le principe de plusieurs qui font seulement plier la jambe gauche et font roidir la droite.

Le bassin dans l'attitude que j'adopte étant également fléchi sur les deux os femur, l'équilibre sera gardé, toutes les parties seront dans l'état de souplesse convenable, et les impulsions données se communiqueront et plus facilement, et plus rapidement.

Le tronc doit tomber à plomb sur le bassin ; il doit être effacé et suivre dans sa direction le pied droit, la tête doit se mouvoir librement sur le tronc, sans se pancher d'aucun côté ; la vue doit se fixer au moins autant sur les mouvements de l'adversaire que sur ses yeux.

Le bras droit ou le bras armé doit être étendu de façon à conserver une liberté entière dans les mouvements des articles : ce précepte est de la dernière conséquence, et fort opposé à celui de plusieurs maîtres qui font roidir le bras et le font tendre le plus qu'ils peuvent ; méthode condamnable ; car le combattant exécute ses mouvements par les rotations de l'humérus, rotations très-lentes. Ajoutez à cela que ces combattants font toujours partir le corps le premier ; habitude la plus repréhensible de toutes celles que l'on peut contracter dans les armes : car dans ce cas on est un temps infini à porter son coup, et souvent on ne dégage pas. Quand le bras est un peu fléchi, le poignet a la facilité d'agir, ses mouvements sont plus rapides ; vous avez déjà engagé le fer de votre adversaire du côté où il présente des jours, qu'il ne s'en est point aperçu : le bras en s'allongeant alors, seconde les mouvements du poignet ; et le reste de la machine développant rapidement ses ressorts, se porte en-avant, et donne une forte impulsion au poignet dans la direction qu'il s'est choisie : il faut donc que les articulations de ce bras soient libres, sans qu'il soit trop raccourci.

Le fer doit être dirigé à la hauteur du tronc de l'adversaire, la pointe au corps.

Le bras gauche doit être un peu élevé, libre dans ses articles, et placé en forme d'arc sur la même ligne que le pied droit.

La seconde attitude est celle qu'on affecte dans l'extension, c'est-à-dire lorsque l'on se porte sur son ennemi.

A-t-on choisi un moment favorable pour s'élancer sur son adversaire ? le fer est-il engagé ? la tête de l'os du bras droit doit s'affermir dans sa cavité, et se porter vers le creux de l'aisselle ; on appelle cela dégagement des épaules ; cependant cet os du bras se dirige vers le corps de l'ennemi, et s'étend sur l'avant-bras qui s'affermit dans l'articulation du poignet ; celui-ci est ou en supination ou en pronation suivant les coups portés, afin de former opposition.

Pendant que tous ces mouvements s'opèrent dans le bras, les muscles des autres parties obéissant également à la volonté, agissent et portent le corps enavant ; mais ce mouvement d'extension semble principalement être opéré par les muscles extenseurs des cuisses, qui dans leurs contractions écartent ces deux extrémités l'une de l'autre. Le bassin et le tronc se trouvent emportés en-avant par ce mouvement d'extension des extrémités, le pied droit s'éleve, parcourt en rasant la terre l'espace qui est entre lui et le pied de l'ennemi, et Ve tomber en droite ligne : il ne doit pas trop s'élever de terre.

Dans l'extension le corps doit avoir les attitudes suivantes.

Premièrement les os du côté gauche doivent être affermis dans leurs articles, le pied du même côté ne doit point quitter la terre, toute la plante doit porter à plomb sur le sol.

Toute l'extrémité inférieure gauche doit donc être étendue, la droite au contraire fléchie dans toutes les articulations ; le bassin doit porter également sur ces deux extrémités, le tronc doit tomber à plomb sur le bassin. Ce précepte contrarie celui de quelques maîtres, qui après avoir fait poster dans la première attitude qu'on nomme garde, le tronc sur la partie gauche, veulent que dans l'attitude de l'extension le tronc se porte sur la partie droite ; il en résulte plusieurs inconvéniens, le tronc est dans une suspension gênante ; en outre il pese sur la partie qui doit se relever pour se porter en-arrière, et la fixe pour ainsi dire en-avant par sa gravité.

La tête doit rester droite sur le tronc et libre dans ses mouvements ; pour la garantir il faut dégager les épaules, élever un peu le poignet, afin que tout le bras décrive un arc de cercle imperceptible : joignez à ceci une bonne opposition, et la tête sera éloignée et garantie des coups.

Quand on a porté son coup il faut se remettre en garde.

Après ces attitudes et ces mouvements d'extension, viennent les mouvements particuliers du poignet, comme dégagements, bottes, etc. qui supposent la connaissance des mesures, des temps, des oppositions, et des appels.

La connaissance des mesures et des temps est le fruit d'un long travail et une science nécessaire des armes ; il faut un an pour acquérir la legereté, la souplesse et la promptitude des mouvements.

Il faut des années pour apprendre à se battre en mesure, et à profiter des temps. La mesure est une juste proportion de distance entre deux adversaires de laquelle ils peuvent se toucher. On serre la mesure en avançant la jambe droite et en approchant ensuite la gauche dans la même proportion, de sorte qu'on se trouve dans la même situation où l'on était auparavant : ce mouvement doit approcher de l'ennemi ; on rompt la mesure quand on recule la jambe gauche de la droite, et que dans le second temps on approche la droite de la gauche ; ce mouvement doit éloigner de l'ennemi, on rompt toutes mesures en sautant en-arrière.

On désigne par le mot de temps les moments favorables que l'on doit choisir pour fondre sur l'ennemi, ils varient à l'infini, et il est impossible de rien dire de particulier là-dessus ; on manque les temps quand on part ou trop tôt ou trop tard ; on part trop tôt lorsque l'ennemi ne répondant point encore à de feints mouvements qu'on a faits pour l'ébranler, on s'élance comme s'il y avait répondu ; on part trop tard, lorsque voulant surprendre un ennemi dans ses propres mouvements, on attend qu'il les ait exécutés et on ne part qu'en même temps que lui.

Quand on est en mesure on engage le fer, c'est-à-dire, que l'on croise son fer d'un ou d'autre côté avec celui de l'ennemi que l'on tâche toujours de s'asservir en opposant le fort au faible. Voyez au mot EPEE ce que c'est que le fort et le faible.

Le dégagement est un mouvement prompt et leger, par lequel sans déranger la pointe de son fer de la ligne du corps, on la passe par-dessus, ce qu'on appelle couper sur la pointe, ou par-dessous le fer de son ennemi, en observant comme nous venons de le dire, de s'en rendre maître autant que l'on peut par le moyen du fort au faible.

L'appel est un bruit que l'on fait sur la terre avec le pied qui doit partir, dans l'intention de déterminer son ennemi à faire quelque faux mouvement.

L'opposition a lieu dans les bottes et dans les parades, on oppose quand on courbe son poignet de façon que la convexité regarde le fer ennemi ; par ce moyen on éloigne l'épée de l'adversaire de la ligne de son corps, sans écarter la pointe de la sienne du corps de l'ennemi.

Quand on sait dégager et opposer, on s'exerce à tirer des bottes, c'est-à-dire à porter à l'ennemi des coups avec certaines positions du poignet qui caractérisent les bottes. Ces positions du poignet sont la supination, la pronation, et la position moyenne entre la supination et la pronation. Le poignet est en supination quand la paume de la main regarde le ciel. Il est en pronation quand la paume regarde la terre ; dans l'état moyen la paume de la main ne regarde ni la terre ni le ciel, mais elle est latéralement placée de façon que le pouce est en-haut : ces positions ne peuvent point se suppléer les unes aux autres, et on est obligé de les employer suivant les cas.

Les bottes sont la quarte simple, la quarte basse qui se tirent au-dedans de l'épée adverse, le poignet étant en supination.

La tierce, la seconde, ou tierce basse, qui se tirent au-dehors de l'épée.

La prime qui se tire au-dedans de l'épée, le poignet étant en pronation.

La quarte sur les armes, l'octave, la flanconade, qui se tirent au-dehors de l'épée, le poignet étant dans la position moyenne. Toutes ces bottes doivent être soutenues par l'opposition la plus exacte.

Tous ces coups que l'ennemi peut porter dans leurs sens divers, obligent aux parades. On pare les coups de l'ennemi en frappant vivement et séchement son fer avec le sien, employant l'opposition la plus exacte et les différentes positions du poignet, suivant les cas ; observant de ne point parer de la pointe de l'épée, mais de la tenir toujours dirigée vers l'ennemi.

La parade de quarte s'exécute en-dedans de l'épée par le poignet qui tombe en supination, et qui forme opposition.

La parade du demi-cercle s'exécute de même, mais est précédée d'un mouvement demi-circulaire du poignet, qui ramasse les coups portés bas de dehors en-dedans.

La parade de tierce haute, de tierce basse, s'exécute par l'opposition du poignet qui tombe en pronation dehors l'épée.

La parade de quarte sur les armes, d'octave, se forme dehors l'épée par l'opposition du poignet qui est dans une position moyenne.

La parade de prime exige la pronation du poignet, mais a lieu en-dedans de l'épée.

Quelques personnes parent d'une main, et tirent de l'autre ; ce qui parait fort naturel et fort avantageux.

On peut placer ici les voltes qui ne sont que de certaines évolutions du corps, par lesquelles on s'éloigne soit à gauche, soit à droite, soit à demi, soit en entier de la ligne sur laquelle on attendait l'ennemi. Ces évolutions tiennent lieu de parade contre un adversaire furieux qui s'élance sans règle et sans mesure. On peut mêler ses parades à l'infini, et déconcerter les desseins d'un adversaire : quand on s'est exercé à exécuter chaque botte, on apprend à les faire succéder à propos les unes aux autres, c'est-à-dire à former de feintes attaques.

Les principales sont les bottes de quarte en tierce, de tierce en quarte, les coulés sur le fer, etc.

On ne finirait pas si on voulait détailler toutes les feintes qui varient à l'infini, suivant les circonstances.

Lorsque l'athlete sait exécuter toutes les bottes, et les faire succéder avec vitesse ; lorsqu'il sait former ses parades, les mêler, le maître d'escrime lui enseigne l'art de se servir à propos de ces coups et de ces parades, en lui présentant les occasions favorables de les mettre en usage avec précision, et par-là lui présente les accidents d'un combat dans lequel les coups se succedent en tout sens, suivent les parades, les précèdent, etc. et cette image du combat s'appelle l'assaut.

Voici quelques préceptes généraux d'assaut, qu'on peut regarder comme des corollaires de ce qui précède.

I. Corollaire. Il faut se méfier de l'ennemi, et ne pas le craindre.

II. L'ennemi hors de mesure ne peut atteindre son estocade.

III. L'ennemi ne peut entrer en mesure sans avancer le pied gauche.

IV. L'ennemi en mesure ne peut porter l'estocade sans remuer le pied droit.

V. Quand on rompt la mesure il est inutîle de parer.

VI. Si l'on n'est pas sur de parer l'estocade, on rompt la mesure.

VII. Il ne faut jamais entrer en mesure sans être prêt à parer, car vous devez vous attendre que l'ennemi prendra ce temps pour vous porter une botte.

VIII. N'attaquez jamais l'ennemi par une feinte lorsque vous êtes en mesure ; car il pourrait vous prendre sur le temps, soit d'aventure ou de dessein prémédité. Voyez TEMS, ESTOCADE.

IX. Ne confondez pas la retraite avec rompre la mesure.

X. Quand l'ennemi rompt la mesure sur votre attaque, poursuivez-le avec feu et avec prudence.

XI. Quand il rompt la mesure de lui-même, ne le poursuivez pas ; car il veut vous attirer.

XII. Les battements d'épée se font toujours en mesure ; car hors de mesure ils seraient sans effet, puisqu'on ne pourrait saisir l'instant où l'on aurait ébranlé l'ennemi.

XIII. En mesure, on n'entreprend jamais une attaque en dégageant sans être prêt à parer l'estocade que l'ennemi vous pourrait porter sur ce temps.

XIV. Les plus grands mouvements exposent le plus aux coups de l'ennemi.

XV. Lorsqu'on s'occupe d'un mouvement, quelque précipité qu'il sait, on se met en danger.

XVI. L'épée de l'ennemi ne peut être dehors et dedans les armes en même temps.

XVII. Pour éviter les coups fourrés, on ne détache jamais l'estocade d'une première attaque sans sentir l'épée de l'ennemi, et sans opposer.

XVIII. Quand on ne sent pas l'épée de l'ennemi, on ne détache l'estocade que lorsqu'il est ébranlé par une attaque.

XIX. La meilleure de toutes les attaques, est le coulement d'épée ; parce que le mouvement en est court et sensible, et qu'il détermine absolument l'ennemi à agir.

XX. A la suite d'un coulement d'épée, on peut faire une feinte pour mieux ébranler l'ennemi.

XXI. Ne détachez pas l'estocade où l'ennemi se serait découvert, parce qu'il veut vous faire donner dedans ; mais si votre attaque le force à se découvrir, vous pouvez hardiment détacher la botte.

XXII. Toutes les fois que vous parez ou poussez, effacez. Voyez EFFACER.

XXIII. Quand vous parez ou poussez, ayez toujours la pointe plus basse que le poignet.

XXIV. Quand l'ennemi pare le dedans des armes, il découvre le dehors, et quand il pare le dehors, il découvre le dedans, etc.

XXV. On ne peut frapper l'ennemi que dehors les armes, ou dans les armes.

XXVI. Tenez toujours la pointe de votre épée vis-à-vis l'estomac de l'ennemi.

XXVII. Si l'ennemi détourne votre pointe d'un côté, faites-la passer de l'autre en dégageant.

XXVIII. Que votre épée n'aille jamais courir après celle de l'ennemi, car il profiterait des découvertes que vous lui feriez ; mais remarquez son pied droit, et n'allez à la parade que lorsqu'il le détache. Voyez ALLER A L'EPEE.

XXIX. Après une attaque vive, faites retraite.

XXX. L'ennemi percera toujours le côté qui est à découvert ; c'est pourquoi il ne faut pas allonger l'estocade sur cet endroit, mais feindre de la porter pour le prendre au défaut. Voyez DEFAUT.

Pour étudier plus en détail cette science, il faut lire Liancourt, la Batte, de Brie, Girard, Saint-Martin, etc. et surtout fréquenter l'arene. Voyez aux différents articles de cet Ouvrage chaque chose plus en détail, suivant la place qu'elle doit occuper dans l'ordre alphabétique. Voyez aussi nos Planches d'escrime avec leurs explications.