M. Maillet de Boulay, secrétaire pour les belles-lettres de l'académie royale des belles-lettres, sciences et arts de Rouen, dans le compte qu'il rendit à sa compagnie, des remarques de M. Duclos et du supplément de M. l'abbé Fromant, dit, en annonçant le même chapitre dont je viens de parler : " Nous ne pouvons le mieux commencer, qu'en adoptant la définition de l'abbé Girard, cité par M. Fromant. Suivant cette définition, qui est excellente, et qui nous servira de point fixe, la SYLLABE est un son simple ou composé, prononcé avec toutes ses articulations, par une seule impulsion de voix. Examinons sur ce principe le système adopté par M. Duclos. "

Qu'il me soit permis de faire observer à M. du Boulay, qu'il commence sa critique par une vraie pétition de principe : adopter d'abord la définition de l'abbé Girard, pour examiner d'après elle le système de M. Duclos, c'est s'étayer d'un préjugé pour en déduire des conséquences qui n'en seront que la répétition sous différentes formes. Ne serait-on pas aussi-bien fondé à adopter d'abord le système de M. Duclos pour juger ensuite de la définition de l'abbé Girard ; ou plutôt ne vaut-il pas mieux commencer par examiner la nature des syllabes en soi, et indépendamment de tout préjugé, pour apprécier ensuite le système de l'un et la définition de l'autre ?

Les éléments de la voix sont de deux sortes, les sons et les articulations. Le son est une simple émission de la voix, dont la forme constitutive dépend de celle du passage que lui prête la bouche. Voyez SON, Gramm. L'articulation est une explosion que reçoit le son, par le mouvement subit et instantané de quelqu'une des parties mobiles de l'organe. Voyez H. Il est donc de l'essence de l'articulation, de précéder le son qu'elle modifie, parce que le son une fois échappé, n'est plus en la disposition de celui qui parle, pour en recevoir quelque modification que ce puisse être : et l'articulation doit précéder immédiatement le son qu'elle modifie, parce qu'il n'est pas possible que l'expression d'un son soit séparée du son, puisque ce n'est au fond rien autre chose que le son même sortant avec tel degré de vitesse acquis par telle ou telle cause.

Cette double conséquence, suite nécessaire de la nature des éléments de la voix, me semble démontrer sans réplique.

1°. Que toute articulation est réellement suivie d'un son qu'elle modifie, et auquel elle appartient en propre, sans pouvoir appartenir à aucun son précédent ; et par conséquent que toute consonne est ou suivie ou censée suivie d'une voyelle qu'elle modifie, sans aucun rapport à la voyelle précédente : ainsi, les mots or, dur, qui passent pour n'être que d'une syllabe, sont réellement de deux sons, parce que les sons o et u une fois échappés, ne peuvent plus être modifiés par l'articulation r, et qu'il faut supposer ensuite le moins sensible des sons que nous appelons e muet, comme s'il y avait o-re, du-re.

2°. Que si l'on trouve de-suite deux ou trois articulations dans un même mot, il n'y a que la dernière qui puisse tomber sur la voyelle suivante, parce qu'elle est la seule qui la précède immédiatement ; et les autres ne peuvent être regardées en rigueur que comme des explosions d'autant d'e muets inutiles à écrire, parce qu'il est impossible de ne pas les exprimer, mais aussi réels que toutes les voyelles écrites : ainsi, le mot français scribe, qui passe dans l'usage ordinaire pour un mot de deux syllabes, a réellement quatre sons, parce que les deux premières articulations s et k supposent chacune un e muet à leur suite, comme s'il y avait se-ke-ri-be ; il y a pareillement quatre sons physiques dans le mot sphinx, qui passe pour n'être que d'une syllabe, parce que la lettre finale x est double, qu'elle équivaut à s, k, et que chacune de ces articulations composantes suppose après elle l'e muet, comme s'il y avait se-phinke-se.

Que ces e muets ne soient supprimés dans l'orthographe, que parce qu'il est impossible de ne pas les faire sentir quoique non écrits, j'en trouve la preuve non-seulement dans la rapidité excessive avec laquelle on les prononce, mais encore dans des faits orthographiques, si je puis parler ainsi. 1°. Nous avons plusieurs mots terminés en ment, dont la terminaison était autrefois précédée d'un e muet pur, lequel n'était sensible que par l'allongement de la voyelle dont il était lui-même précédé, comme ralliement, éternuement, enrouement, etc. aujourd'hui on supprime ces e muets dans l'orthographe, quoiqu'ils produisent toujours l'allongement de la voyelle précédente, et l'on se contente, afin d'éviter l'équivoque, de marquer la voyelle longue d'un accent circonflexe, ralliment, éternument, enroument. 2°. Cela n'est pas seulement arrivé après les voyelles, on l'a fait encore entre deux consonnes, et le mot que nous écrivons aujourd'hui soupçon, je le trouve écrit soupeçon avec l'e muet dans le livre de la précellence du langage français, par H. Estienne, (édit. 1579.) Or il est évident que c'est la même chose pour la prononciation, d'écrire soupeçon ou soupçon, pourvu que l'on passe sur l'e muet écrit, avec autant de rapidité que sur celui que l'organe met naturellement entre p et ç, quoiqu'il n'y soit point écrit.

Cette rapidité, en quelque sorte inappréciable de l'e muet ou scheva, qui suit toujours une consonne qui n'a pas immédiatement après soi une autre voyelle, est précisément ce qui a donné lieu de croire qu'en effet la consonne appartenait ou à la voyelle précédente, ou à la suivante, quoiqu'elle en soit séparée : c'est ainsi que le mot âcre se divise communément en deux parties, que l'on appelle aussi syllabes, savoir a-cre, et que l'on rapporte également les deux articulations k et r à l'e muet final : au contraire, quoique l'on coupe aussi le mot arme en deux syllabes, qui sont ar-me, on rapporte l'articulation r à la voyelle a qui précède, et l'articulation m à l'e muet qui suit : pareillement on regarde le mot or comme n'ayant qu'une syllabe, parce qu'on rapporte à la voyelle o l'articulation r, faute de voir dans l'écriture et d'entendre sensiblement dans la prononciation, une autre voyelle qui vienne après et que l'articulation puisse modifier.

Il est donc bien établi, par la nature même des éléments de la voix, combinée avec l'usage ordinaire de la parole, qu'il est indispensable de distinguer en effet les syllabes physiques des syllabes artificielles, et de prendre des unes et des autres les idées qu'en donne, sous un autre nom, l'habîle secrétaire de l'académie française : par-là son système se trouve justifié et solidement établi, indépendamment de toutes les définitions imaginables.

Celle de l'abbé Girard Ve même se trouver fausse d'après ce système, loin de pouvoir servir à le combattre. C'est, dit-il, (vrais princip. tom. I. disc. I. pag. 12.) un son, simple ou composé, prononcé avec toutes ses articulations, par une seule impulsion de voix. Il suppose donc que le même son peut recevoir plusieurs articulations, et il dit positivement, pag. 11, que la voyelle a quelquefois plusieurs consonnes attachées à son service, et qu'elle peut les avoir à sa tête ou à sa suite : c'est précisément ce qui est démontré faux à ceux qui examinent les choses en rigueur ; cela ne peut se dire que des syllabes usuelles tout au plus, et encore ne paroit-il pas trop raisonnable de partager comme on fait les syllabes d'un mot, lorsqu'il renferme deux consonnes de suite entre deux voyelles. Dans le mot armé, par exemple, on attache r à la première syllabe, et m à la seconde, et l'on ne fait guère d'exception à cette règle, si ce n'est lorsque la seconde consonne est l'une des deux liquides l ou r, comme dans â-cre, ai-gle.

" Pour moi, dit M. Harduin, secrétaire perpétuel de l'académie d'Arras, rem. div. sur la prononc. pag. 56. je ne vois pas que cette distinction soit appuyée sur une raison valable ; et il me paraitrait beaucoup plus régulier que le mot armé s'épellât a-rmé.... Il n'y a aucun partage sensible dans la prononciation de rmé ; et au contraire on ne saurait prononcer ar, sans qu'il y ait un partage assez marqué : l'e féminin qu'on est obligé de suppléer pour prononcer l'r, se fait bien moins sentir et dure bien moins dans rmé que dans ar. En un mot, chaque son sur lequel on s'arrête d'une manière un peu sensible, me parait former et terminer une syllabe ; d'où je conclus qu'on fait distinctement trois syllabes en épellant ar-mé, au lieu qu'on n'en fait pas distinctement plus de deux, en épellant a-rmé. Ce qui se pratique dans le chant peut servir à éclaircir ma pensée. Supposons une tenue de plusieurs mesures sur la première syllabe du mot charme ; n'est-il pas certain qu'elle se fixe uniquement sur l'a, sans toucher en aucune manière à l'r, quoique dans les paroles mises en musique, il soit d'usage d'écrire cette r immédiatement après l'a, et qu'elle se trouve ainsi séparée de l'm par un espace considérable ? N'est-il pas évident, nonobstant cette séparation dans l'écriture, que l'assemblage des lettres rme se prononce entièrement sous la note qui suit la tenue ?

Une chose semble encore prouver que la première consonne est plus liée avec la consonne suivante qu'avec la voyelle précédente, à laquelle, par conséquent, on ne devrait pas l'unir dans la composition des syllabes : c'est que cette voyelle et cette première consonne n'ont l'une sur l'autre aucune influence directe, tandis que le voisinage des deux consonnes altère quelquefois l'articulation ordinaire de la première ou de la seconde. Dans le mot obtus, quoiqu'on y prononce faiblement un e féminin après le b, il arrive que le b contraint par la proximité du t, se change indispensablement en p, et on prononce effectivement optus.... Ainsi l'antipathie même qu'il y a entre les consonnes b, t, [parce que l'une est faible et l'autre forte], sert à faire voir que dans obtus elles sont plus unies l'une à l'autre, que la première ne l'est avec l'o qui la précède.

J'ajoute que la méthode commune me fournit elle-même des armes qui favorisent mon opinion. Car 1°. j'ai déjà fait remarquer que, selon cette méthode, on épelle â-cre et E-glé : on pense donc du moins qu'il y a des cas où deux consonnes placées entre deux voyelles, la première a une liaison plus étroite avec la seconde, qu'avec la voyelle dont elle est précédée. 2°. La même méthode enseigne assurément que les lettres s t appartiennent à une même syllabe dans style, statue : pourquoi en serait-il autrement dans vaste, poste, mystère ? [On peut tirer la même conséquence de pseaume, pour rapsodie ; de spécieux, pour aspect, respect, etc. de strophe, pour astronomie ; de Ptolémée, pour aptitude, optatif, etc. C'est le système même de P. R. dont il Ve être parlé.] 3°. Voici quelque chose de plus fort. Qu'on examine la manière dont s'épelle le mot axe, on conviendra que l'x tout entier est de la seconde syllabe, quoiqu'il tienne lieu des deux consonnes c, s, et qu'il représente conséquemment deux articulations. Or si ces deux articulations font partie d'une même syllabe dans le mot axe, qu'on pourrait écrire ac se, elles ne sont pas moins unies dans accès, qu'on pourrait écrire acsès : et dès qu'on avoue que l'a seul fait une syllabe dans accès, ne doit-on pas reconnaître qu'il en est de même dans armé et dans tous les cas semblables ?

Dom Lancelot, dans sa méthode pour apprendre la langue latine, connue sous le nom de Port Royal, (traité des lettres, ch. xiv. §. iij.) établit, sur la composition des syllabes, un système fort singulier, qui, tout différent qu'il est du mien, peut néanmoins contribuer à le faire valoir. Les consonnes, dit-il, qui ne se peuvent joindre ensemble au commencement d'un mot, ne s'y joignent pas au milieu ; mais les consonnes qui se peuvent joindre ensemble au commencement d'un mot, se doivent aussi joindre au milieu ; et Ramus prétend que de faire autrement, c'est commettre un barbarisme. Il est bien sur que si la jonction de telle et telle consonne est réellement impossible dans une position, elle ne l'est pas moins dans une autre. M. D. Lancelot fait dépendre la possibilité de cette jonction d'un seul point de fait, qui est de savoir s'il en existe des exemples à la tête de quelques mots latins. Ainsi, suivant cet auteur, pastor doit s'épeller pa-stor, parce qu'il y a des mots latins qui commencent par st ; tels que stare, stimulus : au contraire arduus doit s'épeller ar-duus, parce qu'il n'y aucun mot latin qui commence par rd. La règle serait embarrassante, puisqu'on ne pourrait la pratiquer surement, à moins que de connaître et d'avoir présents à l'esprit tous les mots de la langue qu'on voudrait épeller. Mais d'ailleurs s'il n'y a point eu chez les Latins de mot commençant par rd, est-ce donc une preuve qu'il ne put y en avoir ? Un mot construit de la sorte serait-il plus étrange que bdellium, Tmolus, Ctesiphon, Ptolomaeus ? "

A ces excellentes remarques de M. Harduin, j'en ajouterai une, dont il me présente lui-même le germe. C'est que pour établir la possibilité de joindre ensemble plusieurs consonnes dans une même syllabe, il ne suffirait pas de consulter les usages particuliers d'une seule langue, il faudrait consulter tous les usages de toutes les langues anciennes et modernes ; et cela même serait encore insuffisant pour établir une conclusion universelle, qui ne peut jamais être fondée solidement que sur les principes naturels. Or il n'y a que le mécanisme de la parole qui puisse nous faire connaître d'une manière sure les principes de sociabilité ou d'incompatibilité des articulations, et c'est conséquemment le seul moyen qui puisse les établir. Voici, je crois, ce qui en est.

1°. Les quatre consonnes constantes m, n, l, r, peuvent précéder ou suivre toute consonne variable, faible ou forte, Ve f, b, p, d, t, g, q, z, s, j, ch.

2°. Ces quatre consonnes constantes peuvent également s'associer entr'elles, mn, nm, ml, lm, mr, rm, nl, ln, nr, rn, lr, rl.

3°. Toutes les consonnes variables faibles peuvent se joindre ensemble, et toutes les fortes sont également sociables entr'elles.

Ces trois règles de la sociabilité des consonnes sont fondées principalement sur la compatibilité naturelle des mouvements organiques, qui ont à se succéder pour produire les articulations qu'elles représentent : mais il y a peut-être peu de ces combinaisons que notre manière de prononcer l'e muet écrit ne puisse servir à justifier. Par exemple, dg se fait entendre distinctement dans notre manière de prononcer rapidement, en cas de guerre, comme s'il y avait en-ca-dguer-re ; nous marquons jv dans les cheveux, que nous prononçons comme s'il y avait léjveu, etc. c'est ici le cas où l'oreille doit dissiper les préjugés qui peuvent entrer par les yeux, et éclairer l'esprit sur les véritables procédés de la nature.

4°. Les consonnes variables faibles sont incompatibles avec les fortes. Ceci doit s'entendre de la prononciation, et non pas de l'écriture qui devrait toujours être à la vérité, mais qui n'est pas toujours une image fidèle de la prononciation. Ainsi nous écrivons véritablement obtus, où l'on voit de suite les consonnes b, t, dont la première est faible et la seconde forte ; mais, comme on l'a remarqué ci-dessus, nous prononçons optus, en fortifiant la première à cause de la seconde. Cette pratique est commune à toutes les langues, parce que c'est une suite nécessaire du mécanisme de la parole.

Il parait donc démontré que l'on se trompe en effet dans l'épellation ordinaire, lorsque de deux consonnes placées entre deux voyelles on rapporte la première à la voyelle précédente, et la seconde à la voyelle suivante. Si, pour se conformer à la formation usuelle des syllabes, on veut ne point imaginer de schéva entre les deux consonnes, et regarder les deux articulations comme deux causes qui concourent à l'explosion du même son ; il faut les rapporter toutes deux à la voyelle suivante, par la raison qu'on a déjà alléguée pour une seule articulation, qu'il n'est plus temps de modifier l'explosion d'un son quand il est déjà échappé.

Quant à ce qui concerne les consonnes finales, qui ne sont suivies dans l'écriture d'aucune voyelle, ni dans la prononciation d'aucun autre son que de celui de l'e muet presque insensible, l'usage de les rapporter à la voyelle précédente est absolument en contradiction avec la nature des choses, et il semble que les Chinois en aient aperçu et évité de propos délibéré l'inconvénient ; dans leur langue, tous les mots sont mono-syllabes, ils commencent tous par une consonne, jamais par une voyelle, et ne finissent jamais par une consonne. Ils parlent d'après la nature, et l'art ne l'a ni enrichie, ni défigurée. Osons les imiter, du-moins dans notre manière d'épeller ; et de même qu'il est prouvé qu'il faut épeller charme par cha-rme, accès par a-ccès, circonspection par circon-spe-cti-on, séparons de même la consonne finale de la voyelle antécédente, et prononçons à la suite le schéva presque insensible pour rendre sensible la consonne elle-même : ainsi acteur s'épellera a-cteu-r, Jacob sera Ja-co-b, cheval sera che-va-l, &c.

On sent bien que cette manière d'épeller doit avoir beaucoup plus de vérité que la manière ordinaire, qu'elle est plus simple et par conséquent plus facîle pour les enfants à qui on apprend à lire. Il n'y aurait à craindre pour eux que le danger de rendre trop sensible le schéva des consonnes, qui ne sont suivies d'aucune voyelle écrite ; mais outre la précaution de ne pas imprimer le schéva propre à la consonne finale, un maître intelligent saura bien les prévenir là-dessus, et les amener à la prononciation ferme et usuelle de chaque mot : ce sera même une occasion favorable de leur faire remarquer qu'il est d'usage de regarder la consonne finale comme faisant syllabe avec la voyelle précédente, mais que ce n'est qu'une syllabe artificielle, et non une syllabe physique.

Qu'est-ce donc qu'une SYLLABE physique ? C'est un son sensible prononcé naturellement en un seul coup de voix. Telles sont les deux syllabes du mot a-mi : chacune d'elles est un son a, i : chacun de ces sons est sensible, puisque l'oreille les distingue sans les confondre : chacun de ces sons est prononcé naturellement, puisque l'un est une simple émission spontanée de la voix, et que l'autre est une émission accélérée par une articulation qui le précède, comme la cause précède naturellement l'effet ; enfin chacun de ces sons est prononcé en un seul coup de voix, et c'est le principal caractère des syllabes.

Qu'est-ce qu'une SYLLABE artificielle ? C'est un son sensible prononcé artificiellement avec d'autres sons insensibles en un seul coup de voix. Telles sont les deux syllabes du mot trom-peur : il y a dans chacune de ces syllabes un son sensible, om dans la première, eu dans la seconde, tous deux distingués par l'organe qui les prononce, et par celui qui les entend : chacun de ces sons est prononcé avec un schéva insensible ; om, avec le schéva que suppose la première consonne t, laquelle consonne ne tombe pas immédiatement sur om, comme la seconde consonne r ; eu, avec le schéva que suppose la consonne finale r, laquelle ne peut naturellement modifier eu comme la consonne p qui précède : chacun de ces sons sensibles est prononcé artificiellement avec son schéva en un seul coup de voix ; puisque la prononciation naturelle donnerait à chaque schéva un coup de voix distinct, si l'art ne la précipitait pour rendre le schéva insensible ; d'où il résulterait que le mot trompeur, au-lieu des deux syllabes artificielles trom-peur aurait les quatre syllabes physiques te-rom-peu-re.

Il y a dans toutes les langues des mots qui ont des syllabes physiques et des syllabes artificielles : ami a deux syllabes physiques ; trompeur a deux syllabes artificielles ; amour a une syllabe physique et une artificielle. Ces deux sortes de syllabes sont donc également usuelles ; et c'est pour cela que j'ai cru ne devoir point, comme M. Duclos, opposer l'usage à la nature, pour fixer la distinction des deux espèces que je viens de définir : il m'a semblé que l'opposition de la nature et de l'art était plus réelle et moins équivoque, et qu'une syllabe usuelle pouvait être ou physique ou artificielle ; la syllabe usuelle, c'est le genre, la physique et l'artificielle en sont les espèces.

Qu'est-ce donc enfin qu'une SYLLABE usuelle, ou simplement une syllabe ? C'est, en supprimant des définitions précédentes les caractères distinctifs des espèces, un son sensible prononcé en un seul coup de voix.

Il me semble que l'usage universel de toutes les langues nous porte à ne reconnaître en effet pour syllabes, que les sons sensibles prononcés en un seul coup de voix : la meilleure preuve que l'on puisse donner, que c'est ainsi que toutes les nations l'ont entendu, et que par conséquent nous devons l'entendre ; ce sont les syllabes artificielles, où l'on a toujours reconnu l'unité syllabique, nonobstant la pluralité des sons réels que l'oreille y aperçoit ; lieu, lien, leur, voilà trois syllabes avouées telles dans tous les temps, quoique l'on entende les deux sans i, eu dans la première, les deux sons i, en dans la seconde, et dans la troisième le son eu avec le schéva que suppose la consonne r ; mais le son prépositif i dans les deux premières, et le schéva dans la troisième sont presque insensibles malgré leur réalité, et le tout dans chacune se prononce en un seul coup de voix, d'où dépend l'unité syllabique.

Il n'est donc pas exact de dire, comme M. Duclos, (loc. cit.) que nous avons des vers qui sont à-la-fais de douze syllabes d'usage, et de vingt-cinq à trente syllabes physiques. Toute syllabe physique usitée dans la langue en est aussi une syllabe usuelle, parce qu'elle est un son sensible prononcé en un seul coup de voix ; par conséquent on ne trouvera jamais dans nos vers plus de syllabes physiques que de syllabes usuelles. Mais on peut y trouver plus de sons physiques que de sons sensibles, et de-là même plus de sons que de syllabes ; parce que les syllabes artificielles, dont le nombre est assez grand, renferment nécessairement plusieurs sons physiques ; mais un seul est sensible, et les autres sont insensibles.

On divise communément les syllabes usuelles, ou par rapport au son, ou par rapport à l'articulation.

Par rapport au son, les syllabes usuelles sont ou incomplexes ou complexes.

Une syllabe usuelle incomplexe est un son unique, qui n'est pas le résultat de plusieurs sons élémentaires, quoiqu'il y ait d'ailleurs quelque schéva supposé par quelque articulation : telles sont les premières syllabes des mots, A-mi, TA-mis, OU-vrir, COU-vrir, EN-ter, PLAN-ter.

Une syllabe usuelle complexe est un son double, qui comprend deux sons élémentaires prononcés distinctement et consécutivement, mais en un seul coup de voix : telles sont les premières syllabes des mots OI-son, CLOI-son, HUI-lier, TU-lier.

Par rapport à l'articulation, les syllabes usuelles sont ou simples ou composées.

Une syllabe usuelle simple est un son unique ou double, qui n'est modifié par aucune articulation : telles sont les premières syllabes des mots A-mi, OUvrir, EN-ter, OI-son, HUI-lier.

Une syllabe usuelle composée est un son unique ou double, qui est modifié par une ou plusieurs articulations : telles sont les premières syllabes des mots TA-mis, COU-vrir, PLAN-ter, CLOI-son, TUIlier.

Pour terminer cet article, il reste à examiner l'origine du nom de syllabe. Il vient du verbe grec , comprehendo ; R. R. , cùm ; et , prehendo, capio : de-là vient le nom , syllabe Priscien et les grammairiens latins qui l'ont suivi, ont tous pris ce mot dans le sens actif : SYLLABA, dit Priscien, est comprehensio litterarum, comme s'il avait dit, id quod comprehendit litteras. Mais 1°. cette pluralité de lettres n'est nullement essentielle à la nature des syllabes, puisque le mot a-mi a réellement deux syllabes également nécessaires à l'intégrité du mot, quoique la première ne soit que d'une lettre. 2°. Il est évidemment de la nature des syllabes, telle que je viens de l'exposer, que le comprehensio des Latins et le des Grecs doivent être pris dans le sens passif, id quod uno vocis impulsu comprehenditur ; ce qui est exactement conforme à la définition de toutes les espèces de syllabes, et apparemment aux vues des premiers nomenclateurs. (E. R. M. B.)

SYLLABE, (Versif. franç.) comme le nombre des syllabes fait la mesure des vers français, il serait à souhaiter qu'il y eut des règles fixes et certaines pour déterminer le nombre des syllabes de chaque mot ; car il y a deux mots douteux à cet égard, et il y en a même qui ont plus de syllabes en vers qu'en prose ; les noms qui se terminent en ieux, en iel, en ien, en ion, en ier, etc. causent beaucoup d'embarras à ceux qui se piquent d'exactitude : odieux, précieux, sont de trois syllabes, et cependant cieux, lieux, dieux, n'ont qu'une syllabe. De même, fiel, miel, bien, mien, sont monosyllabes, mais dans lien, ancien, magicien, académicien, musicien, la terminaison en ien est de deux syllabes. Dans les mots fier, altier, métier, la rime en ier est d'une seule syllabe, et de deux dans bouclier, ouvrier, meurtrier et fier quand il est verbe. Toutes ces différences demandent une application particulière pour ne s'y pas tromper, et ne pas faire un sollécisme de quantité. En général il faut consulter l'oreille, qui doit être le principal juge du nombre des syllabes, et pour lors la prononciation la plus douce et la plus naturelle doit être préférée. Mourgues. (D.J.)

SYLLABE, s. f. en Musique, , est, au rapport de Nicomaque, le nom que donnent quelquefois les anciens à la consonnance de la quarte, qu'ils appelaient communément diatessaron. Voyez DIATESSARON.