Il se peut bien aussi que la disposition de nos fortifications modernes y ait contribué : les anciens n'ayant point de dehors, on pouvait s'approcher tout d'un coup du bord de leur fossé, descendre dedans, et appliquer des échelles le long du mur. Nos dehors ne permettent pas un si facîle accès au corps de la place : cependant lorsque le fossé est sec, comme il faut communément qu'il le soit dans les escalades, il ne serait pas impossible, si la place n'avait pour tout dehors que des demi-lunes et son chemin couvert, de parvenir à l'escalader, surtout si la garnison en était faible ; car ces sortes d'entreprises ne peuvent guère réussir contre une garnison nombreuse, en état de bien garnir ses postes et de les bien défendre : mais quand on supposerait trop de difficultés pour y réussir dans nos villes fortifiées à la moderne, il se trouve souvent dans les pays où l'on fait la guerre, des villes qui ne sont entourées que de murailles terrassées, et devant lesquelles il n'y a qu'un simple fossé. Contre ces sortes de villes l'escalade pourrait s'employer et réussir heureusement, comme elle a réussi à Prague au mois de Décembre 1741.

Pour bien réussir dans l'escalade d'une ville, il faut d'abord une connaissance parfaite de la place et de ses fortifications, afin de se déterminer sur le côté le plus facîle à escalader et le plus négligé par l'ennemi.

Il faut avoir provision d'un grand nombre d'échelles, afin de pouvoir faire monter un plus grand nombre de gens en même temps ; être munis de pétards, pour s'en servir pour rompre les portes et donner entrée aux troupes commandées pour soutenir l'entreprise.

Pour trouver moins d'obstacle de la part de l'ennemi, il faut le surprendre : un ennemi qui serait sur ses gardes à cet égard serait bien plus difficîle à être forcé, parce qu'il est aisé de se défendre contre l'escalade lorsqu'on est prévenu.

Mais dans le trouble que cause d'abord son exécution inattendue, l'ennemi ne pense pas à tout, ou du moins il ne peut parer à tout. On l'attaque de tous côtés afin qu'il partage ses forces : il ne lui est pas facîle de démêler parmi les attaques, quelles sont les fausses et quelles sont les véritables ; il est donc obligé de soutenir également tous ses postes, et pendant qu'il est occupé d'un côté, on entre dans la place par un autre.

Il est donc essentiel de cacher à l'ennemi le dessein de l'entreprise que l'on médite contre lui : pour cela il faut qu'il ne soit pas instruit de la construction des échelles nécessaires en pareil cas ; et s'il ne s'en trouve pas un nombre suffisant dans les magasins, il faut en faire construire secrètement.

On peut faire des échelles qui se démontent, c'est-à-dire composées de plusieurs parties ; elles se transportent beaucoup plus facilement : on s'en servit de cette espèce pour l'escalade de Geneve en 1602.

Lorsque tout est préparé pour l'entreprise, et qu'il ne s'agit plus que d'aller l'exécuter, on prend la quantité de monde dont on juge avoir besoin, tant en infanterie qu'en cavalerie. La cavalerie peut servir à charger l'ennemi assemblé dans les différentes places de la ville, lorsqu'on lui en a donné l'entrée, à le dissiper promptement, et à favoriser la retraite, si l'on est dans l'obligation de se retirer, et s'il y a des plaines à passer dans la retraite. On mène aussi des serruriers et des charpentiers avec soi, pour s'en servir suivant le besoin et l'occasion.

On dirige la marche de manière qu'on arrive devant la ville une ou deux heures avant le jour, et l'on ne néglige aucune attention pour que l'ennemi n'en puisse être informé de personne. S'il se rencontre quelqu'un en chemin il faut l'arrêter, et arriver devant la place avec le plus grand silence. Comme on doit être informé des chemins que l'on a à tenir, des défilés qu'il faut passer, on est en état de juger du temps que pourra durer la marche : il est important d'en faire le calcul exact ; car il pourrait arriver que l'armée étant trop longtemps en marche, arriverait trop-tard devant la place pour commencer l'attaque avant le jour ; auquel cas, à moins d'une grande supériorité, il faudrait prendre le parti de s'en retourner. Il arrive quelquefois, suivant la situation des lieux, qu'on fait arriver les troupes devant la place par différents chemins ; en ce cas la marche est moins longue et moins embarrassante : mais les officiers qui conduisent chaque corps ne doivent pour aucune circonstance particulière retarder leur marche, afin d'arriver devant la place à l'heure qui leur aura été indiquée, et que les différentes attaques commencent toutes en même temps, ou aux heures dont on sera convenu ; car il est quelquefois à propos, surtout lorsque la ville est fort grande, de les commencer successivement. La première attaque attire d'abord toute l'attention de l'ennemi, qui s'y porte promptement ; la seconde l'oblige de partager son attention ; et lorsque les premières attaques, qui ordinairement sont fausses, ont attiré la plus grande partie de la garnison, on commence la véritable, dans laquelle on doit trouver moins de résistance.

On voiture les échelles sur des chariots devant la place ; ces chariots sont précédés de la plus grande partie des troupes destinées à cette expédition, lesquelles sont aussi précédées de quelques compagnies de grenadiers qui font leur avant-garde.

Etant arrivé auprès de la ville on s'y met en bataille, toujours dans un grand silence ; on distribue les échelles aux premiers soldats qui doivent commencer l'escalade, et qui doivent être les plus braves et les plus vigoureux de la troupe.

On partage les troupes de l'attaque en plusieurs petits corps, comme de 100 ou 120 hommes commandés par leurs officiers, et l'on s'avance auprès de la place. S'il y a un chemin couvert, on se sert des serruriers pour en faire sauter les barrières avec le moins de bruit qu'il soit possible. Les troupes, après y être entrées, cherchent à descendre dans le fossé ; les soldats qui ont des échelles s'en servent, supposé qu'il soit profond et revêtu, et qu'on ne puisse pas se glisser le long de son talud, ce qui est d'une bien plus prompte expédition, et les autres y descendent par les degrés ou escaliers que l'on pratique ordinairement aux arrondissements de la contrescarpe et à ses angles rentrants.

Dès que l'on est descendu dans le fossé, on applique avec la plus grande diligence les échelles contre le rempart ou son revêtement, et on se hâte de monter promptement sur le rempart, sans confusion et sans trop charger les échelles : lorsqu'il y a un corps de 100 ou 150 hommes de montés, on fait venir les serruriers et les charpentiers pour rompre la porte la plus prochaine. A mesure que les troupes montent sur le rempart on les range en bataille ; et si l'ennemi se présente, on le charge vigoureusement la bayonnette au bout du fusil, sans tirer, pour ne point donner une trop forte alarme aux corps-de-garde voisins : quand on est en assez grand nombre sur le rempart, et que l'on a fait ouvrir une porte pour faire entrer dans la ville les troupes du dehors, on s'étend tout le long du rempart pour s'en rendre solidement le maître, et ensuite on se joint avec le corps qui est entré par la porte, pour charger l'ennemi dans tous les lieux de la ville où il peut se retirer. Si lorsqu'il n'y a encore qu'un petit nombre d'hommes de montés sur le rempart, l'ennemi venait pour les charger, ils se défendraient du mieux qu'ils pourraient contre lui, en se faisant un rempart des différentes choses qu'on peut trouver sur le rempart, comme des branches des arbres qui sont communément dessus ; et s'en faisant une espèce de retranchement, derrière lequel on se tient jusqu'à ce qu'il soit monté sur le rempart un nombre d'hommes suffisant pour charger l'ennemi et le dissiper.

Si l'ennemi est exact à faire ses rondes, qu'il s'aperçoive que les troupes sont dans le fossé et prêtes à monter, qu'il fasse tirer les sentinelles pour donner l'alarme à la ville, on ne laissera pas de monter promptement. Comme il faut toujours quelque espace de temps pour qu'il vienne du secours, on peut en profiter pour monter sur le rempart, en assez grand nombre pour s'y soutenir contre les troupes de garde, qui sont les premières qui peuvent se présenter sur le rempart pour en défendre l'accès.

S'il y a un château ou une citadelle dans la ville qui sait, comme il est d'usage, partie dans la ville et partie dans la campagne, il faudra y donner l'escalade en même temps qu'à la ville, afin que l'ennemi n'y trouve point de retraite, et que pressé de tous côtés, il soit dans la nécessité de se rendre.

Le temps le plus favorable pour surprendre les villes dont le fossé est plein d'eau, est l'hiver pendant une forte gelée : on peut franchir aisément le fossé en passant sur la glace, et monter sur le rempart, le pied des échelles étant posé sur la glace du fossé. Un gouverneur attentif a soin, dans les gelées, de faire rompre tous les jours la glace de ses fossés : mais il peut s'en trouver qui négligent cette attention ; et d'ailleurs ceux qui sont chargés de l'exécution peuvent la faire avec tant de négligence, qu'il soit encore possible de se servir de la glace pour planter les échelles au pied du rempart, et pour franchir le fossé. C'est à ceux qui se chargent de ces sortes d'entreprises de bien faire observer la conduite du gouverneur et celle de ceux qu'il charge de l'exécution de ses ordres, pour voir la manière dont ils l'exécutent, et pour prendre leur parti en conséquence. Eléments de la guerre des siéges, II. vol.

A l'égard des précautions à prendre contre les escalades, elles consistent à avoir continuellement aussi de petits partis dans les environs de la place, pour être par eux instruit des démarches de l'ennemi, et faire des rondes continuelles pendant la nuit, pour que personne n'entre dans le fossé de la place sans qu'on en soit informé. On peut aussi pratiquer une cuvette dans le fossé, planter des palissades à quelque distance du mur pour empêcher l'ennemi d'y appliquer ses échelles, garnir les flancs des bastions de pièces de canon chargées à cartouche avec des balles d'un quarteron, ou de la ferraille, pour tirer sur ceux qui voudraient escalader la place vis-à-vis les courtines ; mettre dans les corps-de-garde à portée du rempart, des halebardes, des faulx emmanchées de revers, et toutes autres sortes d'armes propres à donner sur l'ennemi lorsqu'il parait au haut de l'échelle, et à le pousser dans le fossé ; garnir le rempart d'une grande quantité de poutres cylindriques, pour les faire rouler sur les échelles et sur ceux qui sont dessus ; et si la garnison ne se trouve pas en assez grand nombre pour pouvoir occuper tout le rempart, on doit attacher sur la partie supérieure du parapet des chevaux de frise, ou autre chose qui puisse empêcher l'ennemi de passer par-dessus pour sauter sur le rempart. Le rempart doit aussi être garni de bombes et de grenades toutes chargées, pour faire rouler dans le fossé sur l'ennemi. On doit aussi avoir des artifices préparés pour jeter sur lui, comme fascines gaudronnées, barrils foudroyans, pots à feu, etc. et jeter aussi dans le fossé une grande quantité de balles à feu pour l'éclairer, et que le canon de la place puisse faire un grand effet sur les troupes qui sont dedans. On peut encore garnir aussi le fossé de chausses-trapes, de petits fossés couverts de claies et de terre, pour que l'ennemi ne s'en aperçoive point, et qu'il tombe dedans : il peut y avoir au milieu de ces petits fossés une palissade, ou plutôt quelques longues pointes de fer disposées de manière à enferrer ceux qui y tomberont, etc. (Q)

ESCALADE DES TITANS, grande et belle machine du prologue de Nais, dont on trouvera la figure et la description dans un des volumes des Planches gravées. (B)