Il faut de plus avoir en lieu sec une chambre séparée de celle qu'on habite, pour y faire les ouvrages moins bruyans ; comme broyer, tamiser et mêler les matières, faire les cartouches, les étrangler, faire les étoupilles et les petits artifices. Il convient d'avoir dans celle-ci un poele à l'allemande, auquel on met le feu par une chambre voisine, surtout si l'on est obligé de travailler l'hiver, ou de coller et faire sécher les cartouches pendant les temps humides.

On doit ménager dans cet atelier un petit coin bien fermé, pour y mettre la poudre et les matières combustibles, qu'il faut conserver dans des barrils et des coffres bien fermés, ou si l'on veut dans des pots de terre vernissés, couverts d'un linge, et par-dessus d'un couvercle de bois, qui en le pressant, bouche le passage de l'air extérieur qui ne doit pas y entrer, si l'on veut les conserver longtemps sans altération.

Malgré ces précautions, on doit éviter d'y travailler de nuit à la chandelle, crainte d'incendie.

Le principal meuble de cet atelier est une table de bois dur de deux ou trois pieds en carré, garnie d'une tringle arrondie débordant d'un pouce au-dessus, pour y broyer la poudre et le charbon, sans que la poussière se répande par les bords. Pour cet effet on se sert d'une mollette ou paumette de bois dur, faite à peu-près comme une mollette à broyer les couleurs.

Pour ramasser ces matières plus aisément, il convient que les angles de cette table soient émoussés par des pans coupés, et qu'on y fasse une ouverture au milieu avec une petite trappe qui s'y loge dans une feuillure, de sorte qu'on puisse la lever lorsqu'on veut pour y faire passer la matière broyée : d'autres se contentent de laisser un des côtés sans bordure ; mais il semble que pour éviter les incommodités de chacune de ces manières, il faut mettre la pièce mobîle sur le milieu d'un des côtés, en la faisant d'un grand segment de cercle qui ne puisse être chassé en dehors, et conique par son profil, pour ne s'enfoncer dans la table qu'à la profondeur nécessaire pour la fleurer par dessus ; au moyen de quoi ayant levé cette pièce, on tient la sebille en-devant, et on y fait tomber le poussier avec une aîle d'oiseau, ou une brosse de poil de sanglier.

Cette table n'est propre que pour broyer la poudre et le charbon ; les autres matières dures, comme le salpetre en roche, le soufre, les résines, et autres, doivent être pilées dans un mortier de fonte avec un pilon de même métal ou de bois, supposé que l'on craigne que les métaux ne s'échauffent trop par le broyement.

On doit ensuite être pourvu de quatre ou cinq tamis ; les uns de toîle de crin, pour y passer les matières qui ne doivent pas être finement broyées ; les autres de toîle plus serrée, pour celles qui doivent l'être davantage ; et enfin les autres de gase de soie, pour les plus fines poussières : telle doit être ordinairement celle de la poudre.

Afin d'empêcher l'évaporation de celles-ci en les agitant pour les faire passer, il faut que le tamis soit logé dans un tambour pareil à celui dont se servent les Parfumeurs pour passer la poudre à poudrer. Cette précaution est encore plus nécessaire pour le charbon, qui s'exhale facilement, noircit tout ce qui est dans une chambre, et s'insinue dans les narines, de manière qu'on en est incommodé, et qu'on mouche noir pendant plus d'un jour.

On sait aussi que la poussière mêlée de soufre et de salpetre, gâte et noircit toutes les dorures.

Ce qui reste de la poudre dans le tamis après que le fin est passé, s'appelle chez les Artificiers le relien, peut-être du mot latin reliquiae ; au lieu de le repiler, on s'en sert pour les chasses des artifices.

On éprouve en tamisant le salpetre, qu'il ne passe facilement qu'autant qu'il est bien sec ; ainsi on doit s'y préparer en le faisant sécher au four s'il est nécessaire.

Quant à la limaille de fer et d'acier, on sait qu'il en faut de différentes grosseurs, suivant les usages : la plus fine est celle qui faisonne le plus, mais qui fait des étincelles moins apparentes. Pour que l'une et l'autre produisent tout l'effet dont elles sont capables, il faut qu'elles soient nouvellement limées, ou du moins sans aucune rouille ; c'est pourquoi si on la garde quelque temps, il faut la tamiser à plusieurs reprises pour en ôter toute la rouille. Un moyen de la conserver, c'est de la pendre dans une vessie à une cheminée où l'on fait journellement du feu.

Le reste des instruments dont on se sert, comme maillet, battoir et autres, seront décrits aux mots qui leur conviennent, avec les proportions qui conviennent aux usages auxquels on les destine.

On se sert aussi de différents poinçons, dont le plus nécessaire est celui qu'on appelle à-arrêt, c'est-à-dire dont la pointe ne peut percer que suivant une profondeur déterminée, comme est celle d'un cartouche, sans entamer la matière qu'il renferme. Pour n'être pas obligé d'en faire faire exprès pour chaque épaisseur, il faut que le côté du poinçon près du manche, soit à vis avec un écrou qu'on fait avancer ou reculer d'un pas de vis ou deux, suivant le besoin qu'on en a, pour ne le point enfoncer plus avant qu'on ne veut.

Des artifices pour bruler sur l'eau et dans l'eau. La rareté des choses, ou l'impossibilité apparente de les faire, en fait ordinairement le mérite. L'opposition de deux éléments aussi contraires que le feu et l'eau, semble les rendre incompatibles, et l'on ne peut s'empêcher d'être surpris de voir le feu subsister quelque temps sur l'eau et dans l'eau. Cette surprise cause un plaisir qui donne un grand relief aux artifices aquatiques, quoique dans le fond ils n'aient rien de plus merveilleux que les autres, comme on le verra ci-après.

Premièrement, l'expérience fait voir qu'une grande partie des autres artifices étant bien allumés et jetés dans l'eau, ne s'y éteignent pas lorsque la dose de salpetre et de soufre ou de quelque bitume, domine sur les autres matières. J'entends sous le nom de bitume, plusieurs huiles et matières résineuses, parmi lesquelles le camphre tient le premier rang. Il y a deux manières d'unir ces matières pour donner de l'activité à leur feu : l'une est de les réduire en pâte en les pétrissant avec de l'huile, qui empêche l'eau de s'insinuer dans les matières sur lesquelles elle peut agir pour empêcher l'action du feu : l'autre est de renfermer ces matières réduites en poudre seche dans des cartouches goudronnés par dehors, ou enduits de cire, de suif, d'huîle ou de matières résineuses, de manière que l'eau ne puisse s'y insinuer.

Voici un recueil de différentes compositions des anciens artificiers Semionowitz et Hanzèlet, lesquelles quoique différentes, sont bonnes et éprouvées pour bruler sur l'eau.

Différentes doses de composition pour les artifices qui doivent bruler sur l'eau et dans l'eau. 1. Sur trois parties de poudre, deux de salpetre et une de soufre.

2. Deux parties de salpetre, une de poudre et une de soufre.

3. Sur une livre de poudre, cinq livres de sciure de bois, trois livres de soufre, et six livres de salpetre.

4. Sur huit livres de salpetre, deux de soufre, deux de sciure de bois bouillie dans de l'eau de salpetre et puis séchée, un quart de livre de poudre, deux onces de râpure d'ivoire.

5. Une livre de soufre, trois de salpetre, une once et demie de camphre, une once de vif-argent pilé avec le camphre et le soufre.

6. Sur trois livres de salpetre, deux livres et demie de soufre, demi-livre de poulverin, une livre de limaille de fer, un quart de livre de poix grecque.

De Hanzèlet. 7. Sur deux livres et demie de poudre, trois livres et demie de salpetre, une livre de poix blanche, une livre de soufre, un quarteron d'ambre jaune râpé, demi-livre de verre grossièrement pilé, et demi-livre de camphre.

8. Une livre de sciure de bois, quatre livres de salpetre et une de soufre.

Compositions qui s'allument avec de l'eau, de Hanzèlet. Prenez trois livres d'huîle de lin, une livre d'huîle de brique, autant d'huîle de jaune d'œuf, huit livres de chaux vive récente ; mêlez ces matières, jetez dessus un peu d'eau, et elles s'enflammeront.

Du même. Pierre qui s'allume avec de l'eau. Prenez de la chaux vive récente, de la tuthie non préparée, du salpetre en roche, de chacun une partie ; réduisez le tout en poudre pour le mettre dans un sachet rond de toîle neuve ; placez-le entre deux creusets parmi de la chaux vive en poudre ; les creusets étant bien liés avec du fil de fer recuit, il faut encore les luter et les mettre au four à chaux ; cette mixtion s'y convertit en une pierre qui s'allume lorsqu'on l'humecte avec de l'eau ou de la salive.

Manière de tenir les artifices plongés à fleur d'eau. La plupart des artifices pour l'eau doivent y être enfoncés jusqu'à leur orifice sans être submergés, afin que leur gorge soit hors de l'eau, et que le reste y soit caché sans couler à fond.

Comme les matières combustibles dont on remplit un cartouche, sont plus legeres qu'un égal volume d'eau, les artifices qu'on y jette flottent ordinairement trop au-dessus ; c'est pourquoi il faut leur ajouter un poids qui augmente leur pesanteur au point de la rendre presque égale à celle de l'eau. La pesanteur de ce poids peut être trouvée en tâtonnant, c'est-à-dire en essayant dans un seau ou dans un tonneau plein d'eau, à quelle profondeur un poids, pris au hasard, peut le faire enfoncer, pour y en ajouter un nouveau, si le premier ne pese pas assez. Rien n'est plus commode pour cet essai, qu'un petit sac à mettre du sable, où l'on en ajoute et l'on en retranche autant et si peu que l'on veut. Ce moyen est le plus propre pour les artifices dont le contrepoids est ajouté extérieurement : mais si l'on voulait le mettre intérieurement au fond du cartouche, avant que de le remplir des matières combustibles, il faudrait s'y prendre autrement.

Après avoir enduit le cartouche, il faut le remplir d'un poids égal à celui des matières qui doivent y entrer, et le plonger dans un pot ou seau d'eau plein au ras de ses bords, posé dans un grand bassin propre à recevoir l'eau qui en tombera lorsqu'on y plongera l'artifice jusqu'à la gorge ou à l'orifice de l'amorce. Cette immersion fera sortir du pot une certaine quantité d'eau qui retombera dans le bassin préparé pour la recevoir, laquelle sera égale au volume de l'artifice.

On pesera cette eau : la différence de son poids avec celle du cartouche et des matières qu'il doit contenir, donnera le poids qu'il faut y ajouter pour le tenir enfoncé à fleur d'eau, de manière qu'il reste à flot sans s'enfoncer davantage. On pesera autant de sable qu'on mettra au fond du cartouche avant de commencer à le remplir de matières combustibles, qui doivent achever la pesanteur requise.

Artifices fixes qui servent de fanaux ou d'illuminations sur l'eau. Toutes les matières des artifices destinés pour bruler dans l'air à sec, peuvent être employées de même sur l'eau par le moyen des enduits dont on couvre les cartouches aquatiques pour les rendre impénétrables à l'eau. On peut donc y faire une illumination de lances à feu, et de tous les autres artifices qu'on emploie sur les théâtres, en les assujettissant quelque arrangement par des tringles ou fils de fer cachés dans l'eau ; on fait cependant des artifices exprès pour l'eau, qui diffèrent entr'eux, suivant l'effet qu'on veut qu'ils produisent. Les premiers sont ces espèces de fanaux que Semionowitz appelle globes aquatiques, parce qu'il les faisait en forme de globes, quoique cette figure soit assez arbitraire, et qu'elle n'ait d'autre avantage sur la cylindrique, qui est la plus ordinaire, que celui de flotter plus facilement et de ne pouvoir se renverser ; mais aussi la figure de leurs cartouches est plus difficîle à construire, et leur feu n'est pas si égal du commencement à la fin : d'ailleurs les cylindriques étant bien lestés, peuvent aussi balancer sans se renverser. Voici la construction de ces globes aquatiques à l'ancienne mode.

On fait faire par un Tourneur une boule creuse, dont l'épaisseur extérieure est la neuvième partie de son diamètre extérieur ; pour couvrir le trou qui a servi pour vider le globe, on fait une pièce en forme d'écuelle, propre à s'adapter au reste, laquelle est percée au milieu d'un trou, auquel on donne aussi un neuvième du grand diamètre pour l'ouverture de la gorge. On remplit le cartouche par la grande ouverture, d'une de ces compositions faites pour bruler dans l'eau ; et après l'avoir bien foulée, on le couvre de la pièce où est le trou de la gorge par où on acheve de remplir le globe, après l'avoir bien collée et clouée sur la première ; et enfin on l'amorce avec un peu de poudre comme tous les artifices. Il ne reste plus qu'à couvrir le tout de l'enduit nécessaire, pour empêcher que l'eau n'y pénetre, et à lui ajouter le contrepoids de flottage, pour le faire enfoncer jusqu'à l'amorce.

Un globe fait ainsi, ne produit qu'un feu fixe ; mais si l'on veut lui faire jeter des serpenteaux ou des saucissons à mesure qu'il brule, il faut qu'il soit d'un bois plus épais qu'on ne l'a dit, pour pratiquer dans son épaisseur des trous de la grandeur nécessaire pour y faire entrer les gorges de ces artifices postiches qu'on y veut ajouter, comme on voit en S s, fig. 81. Planche IV. artific. dont un côté est le profil du pot. Ces trous ne doivent être poussés que jusqu'à environ un demi-pouce près de la surface intérieure, où l'on en fait un fort petit, qui pénètre jusqu'au-dedans du globe pour servir de porte-feu de communication du dedans au-dehors, comme on voit en F f.

Si l'on veut faire tirer des coups, on y met des saucissons bien couverts de toîle enduite de cire ou de goudron, comme on voit au côté droit qui représente le dehors d'une moitié. Il est visible que la variation de position de ces trous peut produire des effets différents, et varier l'artifice.

Artifice hydraulique qui rend un son de gasouillement. On fait creuser un cylindre de bois, dont la hauteur est d'un tiers plus grande que son diamètre, laissant un fond d'une épaisseur convenable.

On remplit ce cartouche d'une de ces compositions faites pour bruler dans l'eau ; on le couvre d'un couvercle qu'on y attache avec des clous, et dont on goudronne la jonction pour empêcher l'eau d'y entrer. Le milieu de ce couvercle est percé d'un trou conique, dont la largeur inférieure est d'une neuvième partie de la hauteur du cartouche, et la supérieure moitié plus que celle-ci, pour resserrer la flamme à son dégorgement.

On ajoute à cet artifice le poids nécessaire pour le faire enfoncer jusqu'à fleur d'eau, sans qu'il coule à fond, après l'avoir enveloppé d'une toîle goudronnée ou trempée dans de la poix pour la garantir de l'eau. L'artifice étant dans cet état, on lui ajoute par dehors une poire à feu ou un éolipile, ou boule de cuivre mince E, faite de deux hémisphères bien soudés, à laquelle sont aussi soudés deux tuyaux Cr, Co presque capillaires, c'est-à-dire, percés d'un trou presqu'aussi petit qu'on le peut, et repliés en forme de cornes, comme on le voit à la figure 82, pour qu'ils viennent s'emboiter dans deux autres canaux de plomb N, ou ajustés et attachés aux côtés du cartouche de l'artifice.

L'éolipîle étant préparé comme il faut, on le met au feu sous des charbons ardents dont on le couvre pour le chauffer au point qu'il commence à rougir ; alors on plonge dans l'eau ses branches ou cornes par où l'eau s'efforce d'entrer par la compression de la colonne d'air dont elle est chargée ; parce que l'air enfermé dans l'éolipîle étant extrêmement raréfié par le feu, et venant à se condenser par le froid, laisserait un vide, si l'eau ne venait occuper l'espace que l'air remplissait pendant sa dilatation. Sans cette précaution, il serait impossible d'introduire de l'eau dans l'éolipîle par ses embouchures. On connait qu'il ne peut plus y entrer d'eau, lorsque le métal est entièrement refroidi. Voyez EOLIPILE.

Pour faire usage de cet éolipile, il faut l'attacher fortement à côté de l'embouchure du pot avec des clous passés au travers d'une anse qui a dû être soudée au-dessous de l'éolipile, et faire entrer les bouts de ses deux cornes ou tuyaux dans les canaux de plomb r N, ou qui doivent aussi être cloués sur le cartouche du pot par le moyen des petites bandes de plomb qui les embrassent en haut et en bas. Tout l'artifice étant ainsi disposé, lorsqu'on veut en faire usage pour en voir l'effet, on met le feu à l'amorce de la gorge ; et lorsqu'il a pénétré jusqu'à la matière intérieure, ce que l'on connait par un bruit de sifflement, on jette le tout dans l'eau, où l'éolipîle surnage étant posé sur le pot qui doit flotter ; là le feu de la gorge qui frappe contre l'éolipîle échauffe aussitôt le métal qui est mince, et par conséquent l'eau qu'il renferme, laquelle venant à s'échauffer, et ne pouvant se dilater, est forcée de sortir avec tant d'impétuosité, qu'elle se résout en vapeur humide semblable à un vent impétueux, lequel s'engorge dans les tuyaux de plomb trempés dans l'eau extérieure, qu'il agite avec tant de force, qu'il en résulte un gasouillement semblable à celui des oiseaux.

De la structure des théâtres d'artifices. Avant que de former le dessein d'un feu d'artifice, on doit en fixer la dépense, et se régler sur la somme qu'on y destine, tant pour la grandeur du théâtre, et de ses décorations, que pour la quantité d'artifices nécessaires pour le garnir convenablement, sans mesquinerie et sans confusion ; observant que ces deux parties sont relatives, savoir que le théâtre doit être fait pour les artifices, et réciproquement les artifices pour le théâtre ; et qu'ayant un objet de dépense déterminée, ce que l'on prend pour les décorations est autant de diminué sur le nombre et la quantité des artifices.

Supposant un dessein de théâtre arrêté, tant pour l'invention du sujet que pour la décoration, il faut faire des plans, des profils, et des élévations de la carcasse de charpente qui doit porter le genre d'édifice qu'on veut imiter par des décorations postiches, comme peuvent être un arc de triomphe, un temple, un palais, un obélisque, une fontaine, et même un rocher ou une montagne ; car toutes ces choses sont mises en œuvre pour nos théâtres.

Il convient encore de faire en relief des modèles de ces édifices, lorsqu'ils sont un peu composés, pour mieux prévoir l'arrangement des artifices dans la situation convenable, les moyens de les placer et d'y communiquer pour les faire jouer à propos, et prévenir les inconvénients qui pourraient arriver, si l'on manquait de ces commodités de communication pour aller et venir où il est nécessaire.

Les plans, les profils, et les élévations des théâtres étant arrêtés, on choisit des ouvriers capables, actifs, et en grand nombre, pour qu'ils fassent l'ouvrage en peu de temps, si le sujet de la réjouissance n'a pu être prévu de loin ; car la diligence dans l'exécution est nécessaire pour contenter le public, ordinairement impatient de voir la fête promise, surtout lorsqu'il s'agit d'un sujet de victoire, de prise de ville, ou de levée de siège, parce que la joie semble se ralentir et s'user en vieillissant.

Quoique la charpente qui compose la carcasse des théâtres soit un ouvrage destiné à durer peu de jours, on ne doit pas négliger la solidité de son assemblage, parce qu'étant recouverte de toîle ou de planches qui en forment les décorations et donnent prise au vent, elle pourrait être culbutée par une bouffée imprévue. On fait ces ouvrages dans des lieux particuliers enfermés, pour y diriger l'assemblage ; et lorsque toutes les pièces sont bien faites, présentées, et numérotées, on les démonte pour les apporter sur la place où le spectacle doit se donner, où on les rassemble en très-peu de temps. Les revêtements de la carcasse de charpente se font ordinairement de toîle peinte à la détrempe. On en termine les bords par des châssis de planches contournées comme le dessein l'exige, en arcades, en festons, en consoles, en trophées, en vases, etc.

Les colonnes de relief isolées se font de plusieurs manières à leur superficie ; car le noyau est toujours nécessairement une pièce de bois debout. Lorsqu'elles sont d'un petit diamètre, comme de 12 à 15 pouces, on peut revêtir ce noyau avec quatre ou cinq dosses, c'est-à-dire, de ces croutes de planches convexes que laisse le premier trait de la scie, lesquelles on donne à bon marché. Si au contraire la colonne est d'un grand diamètre, comme de 4 pieds, on peut les revêtir de différentes matières ; premièrement de planches arrondies en portion convexe, en diminuant un peu de leur épaisseur vers les bords, suivant l'exigence de l'arc de cercle que leur largeur occupe, dont la flèche n'est alors que de quelques lignes, parce que cet arc n'est que de 20 ou 30 degrés. Secondement, de planches minces resciées, appelées voliches, lesquelles se peuvent plier, en les clouant sur des cintres circulaires posés d'espace en espace horizontalement le long de la hauteur de la colonne, et prendre ainsi la convexité qui leur convient. Traisiemement, on peut les revêtir de toîle clouée, en rapprochant un peu les cintres qui embrassent le noyau de la colonne. Quatriemement, on peut les revêtir de plâtre, ou de torchis, si l'on est en un lieu où le plâtre soit rare : lorsque les revêtements sont de planches ou de voliches, il convient, pour en cacher les joints, d'y peindre des cannelures à cones ou à vives arêtes, suivant la nature de l'ordre de la colonne, ou même des rudentures. On peut aussi y peindre des bandes de bossage, s'il s'agit de couvrir des joints horizontaux. Il est visible que les colonnes de relief coutent beaucoup plus que celles en platte peinture, qu'on emploie ordinairement aux décorations des théâtres : mais aussi l'effet en est incomparablement plus beau, et imite plus parfaitement un somptueux édifice.

De la distribution des artifices sur les théâtres, et de l'ordonnance des feux. La première attention que doit avoir un artificier avant que d'arranger ses pièces d'artifice sur un théâtre, est de prévenir les accidents d'incendie ; je ne parle pas seulement pour la ville où se donne le spectacle, c'est l'affaire de la police, mais de ces incendies prématurés qui mettent de la confusion dans le jeu des artifices, et troublent l'ordre et la beauté du spectacle.

Pour prévenir ces accidents on doit couvrir les planchers qui forment les plates-formes, galeries, corridors et autres parties dont la situation est de niveau, d'une couche de terre grasse recouverte d'un peu de sable répandu, pour pouvoir marcher dessus sans glisser, comme il arriverait si elle était humide, et bien remplir les gerçures, si elle est seche ; au moyen de quoi les artifices qui peuvent tomber avant que d'être consumés, et s'arrêter sur ces lieux plats, ne peuvent y mettre le feu.

Outre ces précautions, on doit toujours avoir sur le théâtre des baquets pleins d'eau, et des gens actifs pour les cas où il faudrait s'en servir ; et pour qu'ils ne craignent pas de bruler leurs habits, il faut qu'ils soient vêtus de peau, et toujours prêts à éteindre le feu, en cas qu'il vint à s'attacher à quelques endroits du théâtre.

Pour les mettre en sûreté on doit leur ménager une retraite à couvert dans quelque partie de l'architecture, comme dans une attique ; ou sous une pyramide, s'il y en a une, pour l'amortissement du milieu ; ou enfin dans les soubassements ou pié-d'estaux des statues et grouppes, pour qu'ils puissent s'y retirer pendant le jeu de certains artifices dont les feux sortent en grand nombre, et y être enfermés de manière que les artifices qui se détachent ne puissent y entrer. Il faut de plus que ces retraites communiquent aux escaliers ou échelles par où on y monte.

Ce n'est pas assez de se munir de toutes ces précautions, il est encore de la prudence d'éloigner du théâtre les caisses de gerbes qui contiennent beaucoup de moyennes fusées qu'on fait partir ensemble, ou des fusées volantes de gros calibre, qui jettent de grosses colonnes de feu : c'est pour cette raison qu'on ne tire point de dessus les théâtres celles qu'on appelle fusées d'honneur, par lesquelles on commence ordinairement le spectacle ; mais on les apporte à l'entrée de la nuit à quelques cinq ou six taises de-là à platte terre, où on les suspend sur de petits chevalets faits exprès pour en contenir un certain nombre, comme de deux jusqu'à douze, qu'on fait partir ensemble. On les place ordinairement derrière le milieu du théâtre, eu égard à la face qui est exposée à la vue de la personne la plus distingué parmi les spectateurs, afin qu'elles lui paraissent sortir du milieu du théâtre ou à quelque distance de ce milieu, lorsqu'on les fait partir en symétrie par paires de chevalets placés de part et d'autre.

La figure des chevalets peut varier suivant l'usage qu'on se propose ; si l'on en veut faire partir une douzaine en même temps, il faut qu'il porte un cercle posé de niveau par le haut, et un autre par le bas ; l'un pour les suspendre, l'autre pour tenir leurs baguettes en situation d'à-plomb, par des anneaux ou des têtes de clous. Si l'on veut qu'elles partent à quelque distance les unes des autres, on doit faire la tête du chevalet en triangle à-plomb par le haut, et mettre une tringle avec des anneaux ou des clous par le bas, pour y faire passer les queues des baguettes, comme on le voit à la figure 75. Pl. III.

Lorsqu'on veut les tirer successivement sans beaucoup d'intervalle, il faut que les chevalets soient plus étendus : alors un poteau montant ne suffit pas, il en faut au moins deux, trois ou quatre plantés en terre, pour y attacher des traverses, l'une à la hauteur de six ou neuf pieds, et l'autre à un pied de terre, auxquelles on plante des clous espacés à un pied de distance les uns des autres, plus ou moins, suivant la grosseur des fusées.

Ces clous, pour plus de commodité, doivent être plantés par paires, saillans d'un pouce. Ceux d'enhaut servent à soutenir la gorge de la fusée ; et ceux de la traverse d'embas, pour faire passer entre-deux le bout de la baguette : c'est pourquoi ceux-ci doivent être posés à-plomb sous les autres, et n'être éloignés que de l'épaisseur de la baguette, pour y faire la fonction d'un anneau dans lequel on l'engage pour la tenir à-plomb sous la fusée ; au moyen de quoi on tire les fusées successivement, et pendant aussi long temps qu'on en a pour remplacer celles qui ont parti : sur quoi il y a une précaution à prendre pour prévenir la confusion et le désordre ; c'est d'écarter un peu du chevalet, et de couvrir soigneusement les caisses où l'on Ve prendre les fusées pour les y suspendre et les faire partir. On doit user de pareilles précautions pour ces grouppes de fusées de caisses qu'on fait partir ensemble pour former de grandes gerbes. Lorsque les fusées sont petites, du nombre de celles qu'on appelle de caisse, qui n'ont que neuf lignes de diamètre, et que la caisse n'en contient que trois ou quatre douzaines, on peut les placer sur les angles saillans des théâtres, et les faire partir seulement à la fin, après que les autres artifices ont jou ; mais lorsqu'elles sont plus grosses et en plus grand nombre, il faut écarter les caisses du théâtre, parce qu'il en sort une si prodigieuse colonne de flamme, qu'elle est capable d'embraser tout ce qui est aux environs.

La seconde attention que doit avoir un artificier dans l'exécution d'un feu, est de bien arranger les pièces d'artifices dont il a fait provision, pour qu'elles offrent aux yeux une belle symétrie de feux actuels et de feux successifs. On a coutume de border de lances à feu les parties saillantes des entablements, particulièrement les corniches, en les posant près à près de huit à dix pouces, pour en tracer le contour par des filets de lumière qui éclairent les faces d'un feu brillant : on en borde aussi bes balustrades et les angles saillans des parties d'architecture.

Pour empêcher que le feu qui sort des lances ne s'attache au théâtre, on les met quelquefois sur des bras de bois saillans et dans des bobeches de fer blanc, comme si c'étaient des chandelles ou des bougies, auxquelles elles ressemblent beaucoup par la figure et la couleur de leur cartouche. Si l'on veut épargner cette dépense, on se contente de les attacher par le moyen d'un pied de bois, qui n'est autre chose qu'une espèce de cheville qu'on introduit un peu à force dans le bout du cartouche, de la longueur d'un pouce, qu'on laisse vide pour le recevoir ; et l'on plante cette cheville dans des trous pratiqués dans les pièces de bois qui doivent les porter ; ou bien on aplatit l'autre bout de cette cheville, et l'on y fait un trou pour la clouer sur la pièce de bois où elle doit être attachée.

Comme toutes ces lances à feu doivent faire une illumination subite, quand on veut les allumer il fau faire passer une étoupille bien assurée sur leurs gorges, qu'on arrête avec deux épingles enfoncées dans le cartouche, et on leur donne le feu par le milieu de chaque face. Les appuis des balustrades des galeries qui doivent régner autour du théâtre, pour la commodité de la communication, sont ordinairement destinés à être garnis de pots à feu à saucissons et à aigrettes. Ceux-ci conviennent particulièrement aux angles, tant pour la beauté de leur figure que pour éloigner le feu : on peut aussi y mettre des pots d'escopetterie.

Nous avons dit qu'il convenait de mettre dans les angles et les places isolées des caisses de fusées volantes, qui doivent partir ensemble pour former des gerbes de feu. Ces caisses peuvent être déguisées sous les figures de gaines de termes portant des vases d'escopetterie, ou des bases de termes pleins d'artifices, qui communiquent le feu aux caisses en finissant.

Les places les plus convenables aux girandoles faites pour tourner verticalement, sont les milieux des faces, lorsqu'on n'en veut faire paraitre qu'une à chacune. A l'égard du soleil brillant, qui doit imiter le vrai soleil qui nous éclaire, et qui est unique dans son espèce, il doit aussi, pour la justesse de l'imitation, paraitre seul dans l'endroit le plus apparent et le plus éminent du théâtre. Les courantins qu'on destine ordinairement à porter le feu depuis la maison où est placée la personne la plus distinguée, doivent pour la commodité être placés à une fenêtre sur leur corde, et aboutir à l'endroit du théâtre où répondent les étoupilles destinées à former la première illumination des lances à feu. Les trompes peuvent être placées au-devant des balustrades sur les saillies de la corniche, en les inclinant un peu en-dehors d'environ douze ou quinze degrés, pour qu'elles jettent leurs garnitures un peu loin du théâtre. Cette position est aussi convenable pour la commodité de l'artificier, qui a par ce moyen la liberté de les aller décoeffer pour y mettre le feu quand il juge à propos, parce que leur sommet est à la portée de sa main, et un peu écarté des artifices dont l'appui de la balustrade a été bordé ; et c'est par la raison de cette proximité qu'on a dû les couvrir d'un chaperon ou étui de carton, qui empêche que les feux dont la trompe est environnée, n'y puissent pénétrer avant qu'on ôte ce couvercle, ce qu'on appelle décoeffer.

Lorsqu'on a plusieurs trompes sur une face, on peut les faire jouer par couple à distances égales du milieu ; et afin de les faire partir en même temps, on les allume par le moyen des bouts de lances à feu ajoutées au-dessus du chapiteau, dont la longueur égale ou inégale, comme on le juge à propos, fait qu'elles partent en même temps ou successivement, suivant la durée de ces bouts de lances, qui ont dû être mesurés pour cet effet. C'est un moyen sur et commode pour allumer toutes sortes d'artifices à point nommé, y ajoutant la communication du feu par des étoupilles qui le portent subitement à la gorge des lances à feu. On conçoit bien que les étoupilles de communication ne peuvent être mises à découvert que pour les premiers feux, et qu'il faut les enfermer soigneusement dans des cartouches ou des communications, s'il s'agit d'une seconde scène de différents feux.

La symétrie des jeux des artifices qui doivent paraitre en même temps, est principalement nécessaire pour ceux qui sont fixes et s'élèvent beaucoup, comme les aigrettes et les fontaines, parce qu'on a le temps de les comparer : c'est pourquoi il faut qu'elles commencent et finissent en même temps.

La troisième attention que doit avoir un bon artificier, et celle qui lui fait le plus d'honneur, parce qu'elle fait connaître son génie, est de disposer ses artifices sur le théâtre de manière que leurs effets produisent une grande variété de spectacle, et tout au moins trois scènes différentes ; car quelques beaux que soient les objets, on s'ennuie de les voir toujours se répéter, ou trop longtemps dans le même état.

De l'exécution ou de l'ordre qu'on doit garder pour faire jouer un feu d'artifice. Supposé qu'on fasse précéder le feu d'un bucher avant celui des artifices, on commence le spectacle dès avant la fin du jour par allumer le bucher à une distance convenable du théâtre : pendant que les voiles de la nuit tombent et que les spectateurs s'assemblent, on les divertit par une symphonie de ces instruments qui se font entendre de loin, comme trompettes, timbales, cornets, fifres, haut-bois, cromornes, bassons, etc. auxquels on peut cependant mêler par intervalle et dans le calme, ceux dont l'harmonie est plus douce, comme les flutes à bec et traversières, violons, basses, musettes, etc. Par ces accords des sons on dispose l'esprit à une autre sorte de plaisir, qui est celui de la vue, du brillant et des merveilleuses modifications du feu. Lorsque la nuit est assez obscure pour qu'on ait besoin de lumière, on allume des fanaux et des lampions arrangés où on les juge nécessaires pour éclairer, ce qui doit se faire subitement par le moyen des étoupilles ; et lorsque la nuit est assez noire pour que les feux paraissent dans toute leur beauté, on donne le signal du spectacle par une salve de boites ou de canons, après quoi l'on commence le spectacle par des fusées volantes qu'on tire à quelque distance du théâtre des artifices, ou successivement ou par couple, et même quelquefois par douzaine, mêlant alternativement celles dont les garnitures sont différentes, comme en étoiles, serpenteaux, pluies de feu, etc. allant par gradation des moyennes aux plus grosses, qu'on appelle fusées d'honneur. Voyez FUSEE, GERBE, etc.

Après ces préludes on fait ordinairement porter le feu au théâtre par un courantin ou vol de corde masqué de la figure de quelqu'animal, lequel partant de la fenêtre où est la personne la plus distinguée, qui y met le feu quand il en est temps, Ve tout-d'un-coup allumer toutes les lances à feu qui bordent le théâtre, pour l'éclairer et commencer le spectacle.