On ne saurait maintenant lire cette pièce qu'on ne la trouve ridicule, et qu'on ne la regarde comme une aussi grande preuve de la petitesse de l'esprit humain, que les decrets qui ont été faits pour régler la grandeur du capuchon des Cordeliers, et pour déterminer s'ils n'avaient que l'usage, et non le domaine du pain qu'ils mangeaient. L'édit de Louis XI. est daté de Senlis le premier Mars 1473.

Rien au monde n'était plus frivole que le fond de la querelle des réaux et des nominaux. Elle roulait, comme on sait, sur ce que la logique de l'école appelle les cinq universaux, qui sont le genre, l'espèce, la différence, le propre et l'accident ; sorte de division des idées, dont la saine Philosophie ne fait pas aujourd'hui le moindre usage, et dont les Péripatéticiens se servaient pour distinguer les différentes manières dont on peut considérer les choses en général. Les réaux soutenaient que ces cinq universaux étaient quelque chose de réellement existant : les nominaux qu'on appelait aussi terministes, prétendaient que ce n'étaient que des noms, des termes qui ne signifiaient que les diverses manières, dont la Logique pouvait envisager les objets de la première opération de l'esprit. Ils étaient assurément bien plus sensés que leurs adversaires.

Beaucoup d'écrivains rapportent à Guillaume Occham, cordelier anglais et fondateur des Capucins, l'origine de la secte des nominaux ; c'est une erreur qui vient de ce que le premier des auteurs nominaux qui sont nommés dans l'édit de Louis XI, est un certain Guillaume Okan ; mais on n'a pas fait attention qu'il y est qualifié moine de Citeaux, monachus cisterciensis. La secte des nominaux est d'environ trois cent ans plus ancienne que le cordelier Occham, qui fleurissait dans le quatorzième siècle. Son premier auteur fut un médecin d'Henri I, roi de France ; ce médecin natif de Chartres, s'appelait Jean, et fut surnommé le sophiste, à cause de la subtilité de ses raisonnements. Il vivait dans le onzième siècle sous le roi Henri I. qui mourut en 1060.

Jean le sophiste eut pour disciple un nommé Rocelin que quelques-uns appellent Rosselin, d'autres Russelin, et d'autres Encelin, à qui même on donne pour nom de baptême celui de Jean, ce qui pourrait venir de ce qu'on n'aurait fait qu'une personne du maître et du disciple. Rocelin était breton, et fut d'abord chanoine de Compiègne, et puis selon quelques-uns, de S. Martin de Tours. C'est lui qu'il faut regarder comme le véritable fondateur de la secte des nominaux ; il en enseigna publiquement tous les principes.

Le plus célèbre de ses éléves fut le fameux Abailard. Ils portèrent l'un et l'autre la subtilité de leur dialectique dans la Théologie, dont ils donnèrent des leçons publiques, avec un si grand concours d'écoliers, qu'ils s'attirèrent une infinité d'envieux, qui parvinrent à faire condamner, comme hérétiques, les ouvrages de Rocelin par le concîle de Saissons de 1092, et ceux d'Abailard par le concîle de Sens de 1140 : le second a trouvé des apologistes dans ces derniers temps.

Les disputes des réaux et des nominaux, enfantèrent malheureusement la Théologie scolastique dans l'église latine ; et Pierre Lombard sorti de l'école des derniers, fut le premier qui la réduisit en une espèce de système par ses quatre livres des Sentences, qui pendant si longtemps ont été la boussole des Théologiens, et qu'on ne méprise pas encore aujourd'hui dans toutes les écoles de l'Europe, autant qu'on le devrait pour l'honneur du bon sens et de la raison. (D.J.)