La doctrine des atomes n'a été proprement réduite en système que par Leucippe et Démocrite ; avant ces deux philosophes elle n'avait passé que pour une partie du système philosophique qui servait à expliquer les phénomènes des corps. Ils allèrent plus loin, et firent de ce dogme le fondement d'un système entier de philosophie. C'est ce qui a fait que Diogène Laerce et plusieurs autres auteurs les en ont regardés comme les inventeurs. On associe ordinairement ensemble les noms de ces deux philosophes. " Leucippe, dit Aristote dans sa métaphysique. Leucippe et son compagnon Démocrite disent que les principes de toutes choses sont le plein et le vide (le corps et l'espace), dont l'un est quelque chose, et l'autre n'est rien ; et que les causes de la variété des autres êtres sont ces trois choses, la figure, la disposition, et la situation ". Il n'y a point de meilleur moyen pour se faire une idée complete de l'atomisme, que de lire le fameux poème de Lucrèce. Voici en peu de mots le fond de ce système, tel que nous le trouvons dans ce poète latin, et dans divers endroits de Cicéron où il en est parlé.

Le monde est nouveau, et tout est plein des preuves de sa nouveauté ; mais la matière dont il est composé est éternelle. Il y a toujours eu une quantité immense et réellement infinie d'atomes ou corpuscules durs, crochus, carrés, oblongs, et de toutes figures ; tous indivisibles, tous en mouvement et faisant effort pour avancer ; tous descendant et traversant le vide : s'ils avaient toujours continué leur route de la sorte, il n'y aurait jamais eu d'assemblages, et le monde ne serait pas ; mais quelques-uns allant un peu de côté, cette légère déclinaison en serra et accrocha plusieurs ensemble : de-là se sont formées diverses masses ; un ciel, un soleil, une terre, un homme, une intelligence, et une sorte de liberté. Rien n'a été fait avec dessein : il faut bien se garder de croire que les jambes de l'homme aient été faites dans l'intention de porter le corps d'une place à une autre ; que les doigts aient été pourvus d'articulations pour mieux saisir ce qui nous serait nécessaire ; que la bouche ait été garnie de dents pour broyer les aliments ; ni que les yeux aient été adroitement suspendus sur des muscles souples et mobiles, pour pouvoir se tourner avec agilité, et pour voir de toutes parts en un instant. Non, ce n'est point une intelligence qui a disposé ces parties afin qu'elles pussent nous servir ; mais nous faisons usage de ce que nous trouvons capable de nous rendre service :

Neve putes oculorum clara, creata

Ut videant ; sed quod natum est, id procreat usum.

Le tout s'est fait par hasard, le tout se continue, et les espèces se perpétuent les mêmes par hasard : le tout se dissoudra un jour par hasard : tout le système se réduit là. (Histoire du ciel, tom. II. pag. 211. 212.) Il serait superflu de s'arrêter à la réfutation de cet amas d'absurdités ; ou s'il était nécessaire de les combattre, on peut consulter l'anti-Lucrèce du cardinal de Polignac.

L'ancien atomisme était un pur athéisme ; mais on aurait tort de faire rejaillir cette accusation sur la philosophie corpusculaire en général. L'exemple de Démocrite, de Leucippe et d'Epicure, tous trois aussi grands athées qu'atomistes, a fait croire à bien des gens que dès que l'on admettait les corpuscules, on rejetait la doctrine qui établit des êtres immatériels, comme la divinité et les âmes humaines. Néanmoins, non-seulement la Pneumatologie n'est pas incompatible avec la doctrine des atomes, mais même elles ont beaucoup de liaison ensemble : aussi les mêmes principes de Philosophie qui avaient conduit les anciens reconnaître les atomes, les conduisirent aussi à croire qu'il y a des choses immatérielles ; et les mêmes maximes qui leur persuadèrent que les formes corporelles ne sont pas des entités distinctes de la substance des corps, leur persuadèrent aussi que les âmes ne sont ni engendrées avec le corps, ni anéanties avec sa mort. Ceux qui souhaitent des preuves plus détaillées là-dessus, les trouveront dans le système intellectuel de Cudworth, et dans l'extrait de M. le Clerc. Bibl. chais. tom. I. art. 3. Voyez aussi CORPUSCULAIRE. Cet article est tiré de M. Formey. (X)