L'usage de cette machine est, comme nous avons dit, de tabiser et de moirer, on entend par moirer, tracer sur une étoffe ces sillons de lustre qui semblent se succéder comme des ondes qu'on remarque sur certaines étoffes de soie et autres, et qui s'y conservent plus ou moins de temps ; et il n'y a de différence entre tabiser et moirer, que celle qui est occasionnée par la grosseur du grain de l'étoffe ; c'est-à-dire que dans le tabis, le grain de l'étoffe n'étant pas considérable, les ondes se remarquent moins que dans le moiré où le grain de l'étoffe est plus considérable. L'opération de la calendre n'est pas entièrement la même pour toutes les étoffes, et l'on ne moire pas précisément comme l'on tabise : pour moirer on prend un coutil, et un rouleau L ou l, comme on le voit sous la calendre ; on fait faire au coutil un tour sur le rouleau ; on plie l'étoffe à moirer en deux selon sa longueur, en sorte que la lisière se trouve sur la lisière. Puis on la met en zig-zag, en sorte que l'étendue de chaque zig-zag soit à-peu-près celle du rouleau, et que chaque pli couvre en partie celui qui le précède, et soit couvert en partie par celui qui le suit, comme on voit même Pl. fig. 2. A B est le rouleau ; 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, etc. sont les zig-zags de l'étoffe. On enveloppe l'étoffe ainsi pliée en zig-zag sur le rouleau, observant de serrer chaque tour à force de bras, les uns contre les autres, par le moyen du coutil ; et l'on continue de plier en zig-zag, et d'envelopper jusqu'à la fin de la pièce. On ne met guère sur un rouleau plus de trente à trente-cinq aunes de gros grain, comme moire, cannelé, et autres semblables, et guère plus de cinquante aunes, si c'est un petit grain ; le coutil qui enveloppe n'en a pas plus de six, sur trois quarts de large. On appelle fourreau, cette enveloppe de coutil qui suit tous les tours de l'étoffe en zig-zag sur le rouleau. Il faut observer quand on roule la pièce à moirer de mettre la lisière en face de soi, et de mouiller la tête du fourreau, afin d'arrêter l'étoffe et le fourreau sur le rouleau.

Lorsque le rouleau est ainsi chargé, on le fait passer sous la calendre, et on lui en donne vingt-cinq tours. On entend par un tour une allée et une venue, c'est-à-dire qu'on fait aller et venir la masse M N n m avec sa charge vingt-cinq fais. On retire ensuite le rouleau, on déroule l'étoffe, puis on la remet en zig-zag, mais de manière que les parties de l'étoffe, qui faisaient l'extrémité des premiers zigzags, fassent le milieu de ceux-ci. Cela fait, on la remet sous la calendre, et on lui donne encore quinze tours, après lesquels on retire le rouleau, on développe l'étoffe, et on la dresse : la dresser, c'est la mettre en plis égaux d'une demi-aune, mais non pas en zig-zag, sans toutefois l'ouvrir ; quand elle est dressée, on la presse à chaud. La presse des Calendriers n'a rien de particulier : on a des plaques de fer chaud de la grandeur de l'étoffe pliée ; on met une plaque de fer chaud tiede, on la couvre d'une feuille de carton ; on met l'étoffe pliée sur ce carton ; on met une autre plaque de fer chaud sur l'étoffe avec une autre feuille de carton, et on serre le tout à force de bras. Cette précaution de presser à chaud l'étoffe moirée, fait tenir l'onde plus longtemps ; sans la presse, l'humidité agirait tellement sur les ondes, qu'elle les effacerait dans les envois qu'on fait au loin des étoffes moirées. On presse tous les draps à plaque chaude, excepté l'écarlate.

Il s'ensuit de ce qui précède, que la moire n'est ni un effet du travail de l'étoffe, ni un effet de la teinture ; que ce n'est autre chose que les différentes impressions des plis de l'étoffe sur elle-même ; ces plis appliqués sur l'étoffe par un poids immense, en écrasent le grain en zig-zag, et forment en entrainant le rouleau, ces ondes ou reflects de lumière qui frappent si agréablement les yeux. Le massif de pierre u s t, V S T, est ordinairement de vingt-six à vingt-sept mille livres pesant : on le pousse à la calendre royale jusqu'à quarante mille.

Pour tabiser, on plie en deux, mais on ne fait point de zig-zag ; on se contente de bien rouler l'étoffe sur elle-même, et de bien serrer les tours les uns sur les autres. L'étoffe étant faible, si on la mettait en zig-zag comme pour moirer, elle ne pourrait soutenir l'impression des plis appliqués par le poids, sans s'érailler et même se déchirer. Quand on presse les étoffes tabisées, c'est à froid ; on observe seulement d'en séparer chaque lit par les planches.

Mais soit moire, soit tabis, les étoffes ne passent qu'une nuit sous la presse.

Les belsamines qui sont fil et soie se tabisent seulement. On ne met les damas sur fil à la calendre que pour les unir, leur donner plus d'oeil, les faire paraitre serrés, et les allonger. L'allongement est de trois aunes sur quarante, selon toutefois que la chaîne a été plus ou moins tendue, et la trame plus ou moins frappée. Les étoffes de Paris, les satins sur coton, la papeline, s'étendent à la calendre : mais quand cette dernière est déroulée, elle se remet dans le même état : ce qui est commun à toutes les étoffes en laine. Il y a des camelots qui se moirent, mais c'est à force de calendre et de presse à feu. On calendre les toiles à carreaux et les toiles de coton ; les toiles de coton, pour les faire paraitre serrées. Les toiles à carreaux s'étendent beaucoup et ne se remettent pas. La calendre écrase les fleurs des siamaises à fleurs et d'autres étoffes figurées, et les empêche d'avoir du relief. Les siamaises à raies sont exposées à un inconvénient sous la calendre, c'est de faire serpenter leurs raies. On donne à ces étoffes et aux toiles à carreaux, dix à douze tours, en deux reprises ; après les six premiers tours, elles se lâchent tellement sur le rouleau qu'il faut les resserrer. On donne plus ou moins de tours, selon que l'étoffe est plus ou moins dure. Les papelines ne se pressent point ; il faut les tenir roulées, afin qu'elles ne se retirent pas. On presse les toiles à carreaux, à coton ; mais on observe d'avoir des ais et de les rouler dessus ; autant de pièces, autant d'ais. Les siamaises et les toiles communes se pressent seulement, cueillies ou faudées, c'est-à-dire plis sur plis.

Il n'est permis qu'aux maîtres Teinturiers d'avoir des calendres. On paye la moire deux sous par aune ; les belsamines, un sou ; les tabis, six blancs ou deux sous ; les autres étoffes, à peine un liard ; les toiles communes, un liard.

Les rouleaux dont on se sert sont de charme ; ils ont trois pieds huit pouces de long, y compris les pommes ou poignées, sur six à sept pouces de diamètre. Ils servent tout au sortir des mains du tourneur ; ils ne sont pas tous également bons : les filamenteux et blancs sont préférables aux durs et roux. Ces premiers ne se paitrissent ni ne se cassent. S'il arrive à un rouleau de s'écraser, il faut arrêter sur le champ la calendre ; sans cela, les fragments du rouleau couperaient l'étoffe.

Quand les pièces ont peu d'aunage, on les calendre les unes sur les autres ; le moins qu'on en puisse calendrer à la fais, c'est douze ou quinze aunes, quand elles ne se doublent pas ; et sept à huit aunes, quand elles se doublent ou plient en deux. Toutes les étoffes ne se serrent pas sur le rouleau également bien. Quand on les aperçoit lâches, il faut les dérouler. Pour empêcher les pièces de se décharger les unes sur les autres, ou on les fait seules, ou on les sépare par des papiers blancs sur le même rouleau. Quand on a des rouleaux neufs, il est à propos de les faire travailler d'abord avec des pièces qui soient en largeur de toute la longueur de ces rouleaux. Il arrive d'en perdre jusqu'à vingt, trente, quarante en une semaine.

Lorsqu'on s'aperçoit qu'il se forme un bourlet à l'étoffe moite, ou qu'étant seche et la calendre glissant dessus, le rouleau se dérange, on le remet en place avec une mailloche ; ce qui s'appelle en terme de l'art, châtier le rouleau.

Mais la manière dont on fait mouvoir la masse M N, n m, avec sa charge, n'est pas la seule qui soit en usage. Il y a des calendres ou la pièce de bois M N, n m, est toute plate, comme on voit même Pl. fig. 3. La table inférieure est terminée à ses deux extrémités G g en plans inclinés ; il y a à la masse u s t, U S T, deux anneaux P p ; il passe dans ces deux anneaux deux crochets R r ; ces crochets sont attachés aux extrémités de deux câbles, dont l'un se roule sur l'arbre X X ; quand l'autre se développe, on fait tourner l'arbre X X, par la grande roue Y Y, dans laquelle des hommes montent, tantôt d'un côté, tantôt de l'autre ; ce qui fait aller et venir la masse M N, n m, avec sa charge et ses rouleaux L l qu'elle presse ; quand on veut retirer les rouleaux, on fait avancer la masse M N, n m, vers l'une des extrémités de la table G g, jusqu'à ce que la partie de cette masse, qui correspond à un des plans inclinés, étant plus lourde que l'autre, et l'emportant en haut, comme on voit dans la figure, elle n'appuie plus dessus le rouleau.

Il y a à Paris deux calendres royales, la grande et la petite ; la grande a sa table inférieure d'un marbre bien uni, et la supérieure d'une plaque de cuivre bien polie : la petite a les deux tables de fer ou d'acier bien poli ; au lieu que les calendres ordinaires des Teinturiers n'ont que des tables de bois.

Avant M. Colbert il n'y avait point de calendre en France ; c'est à l'amour que ce grand ministre avait pour les arts et pour les machines utiles, que nous devons les premières calendres.

On prétend que la calendre à roue est meilleure que la calendre à cheval, parce qu'elle a le mouvement plus égal et plus uni ; reste à savoir si un peu d'irrégularité dans le mouvement est un désavantage, quand il s'agit de former des ondes sur une étoffe.