Le chiffre qui indique chaque accord, est ordinairement celui qui répond au nom de l'accord ; ainsi l'on écrit un 2 pour l'accord de seconde, un 7 pour celui de septième, un 6 pour celui de sixte, etc. Il y a des accords qui portent un double nom, et on les exprime aussi par un double chiffre ; tels sont les accords de sixte-quarte, de sixte-quinte, de septième et sixte, etc. quelquefois même on met trois, ce qui rentre dans l'inconvénient qu'on a voulu éviter ; mais comme la composition des chiffres est plutôt venue du temps et du hasard, que d'une étude réfléchie, il n'est pas étonnant qu'il s'y rencontre des fautes et des contradictions.

Voici une table de tous les chiffres pratiqués dans l'accompagnement ; sur quoi il faut observer qu'il y a plusieurs accords qui se chiffrent diversement en différents pays, comme en France et en Italie, ou dans le même pays par différents auteurs. Nous donnons toutes ces manières, afin que chacun, pour chiffrer, puisse choisir celle qui lui paraitra plus claire ; et pour accompagner, rapporter chaque chiffre à l'accord qui lui convient, selon la manière de chiffrer de l'auteur.

TABLE générale de tous les chiffres de l'accompagnement. On a ajouté une étoîle à ceux qui sont le plus d'usage en France aujourd'hui.

Quelques auteurs avaient introduit l'usage de couvrir d'un trait toutes les notes de basse qui passaient sous un même accord : c'est ainsi que les charmantes cantates de M. de Clérambault sont chiffrées ; mais cette invention était trop commode pour durer ; elle montrait aussi trop clairement à l'oeil toutes les syncopes d'harmonie.

Aujourd'hui, quand on soutient le même accord sur quatre différentes notes de basse, ce sont quatre chiffres différents qu'on leur fait porter ; de sorte que l'accompagnateur induit en erreur, se hâte de chercher l'accord même qu'il a déjà sous sa main. Mais c'est la mode en France de charger les basses d'une confusion de chiffres inutiles. On chiffre tout, jusqu'aux accords les plus évidents ; et celui qui met le plus de chiffres croit être le plus savant. Une basse ainsi hérissée de chiffres triviaux rebute l'accompagnateur de les regarder, et fait souvent négliger les chiffres nécessaires. L'auteur doit supposer que l'accompagnateur sait les éléments de l'accompagnement ; il ne doit pas chiffrer une sixte sur une médiante, une fausse quinte sur une note sensible, une septième sur une dominante, ni d'autres accords de cette évidence, à moins qu'il ne soit question d'annoncer un changement de ton. Les chiffres ne sont faits que pour déterminer le choix de l'harmonie dans le cas douteux. Du reste, c'est très bien fait d'avoir des basses chiffrées exprès pour les écoliers. Il faut que les chiffres montrent à ceux-ci l'application des règles ; pour les maîtres, il suffit d'indiquer les exceptions.

M. Rameau dans sa dissertation sur les différentes méthodes d'accompagnement, a trouvé un grand nombre de défauts dans les chiffres établis. Il a fait voir qu'ils sont trop nombreux, et pourtant insuffisans, obscurs, équivoques, qu'ils multiplient inutilement le nombre des accords, et qu'ils n'en montrent en aucune manière la liaison.

Tous ces défauts viennent d'avoir voulu rapporter les chiffres aux notes arbitraires de la basse-continue, au lieu de les avoir appliqués immédiatement ;à l'harmonie fondamentale. La basse-continue fait sans doute une partie de l'harmonie; mais cette harmonie est indépendante des notes de cette basse, et elle a son progrès déterminé, auquel la basse même doit assujettir sa marche particulière. En faisant dépendre 1es accords et les chiffres qui Ies énoncent des notes de la baffe et de leurs différentes marches, on ne montre que des combinaisons de l'harmonie, au lieu d'en montrer le fondement ; on multiplie à l'infini le petit nombre des accords fondamentaux, et l'on force en quelque manière l'accompagnateur de perdre de vue à chaque instant la véritable succession harmonique.

M. Rameau, après avoir fait de très-bonnes observations sur la mécanique des doigts dans la pratique de l'accompagnement, propose d'autres chiffres beaucoup plus simples, qui rendent cet accompagnement tout à fait indépendant de la basse-continue ; de forte que sans égard à cette basse et sans même la voir, on accompagnerait sur les chiffres seuls avec plus de précision, qu'on ne peut faire par la méthode établie avec le concourt de la basse et des chiffres.

Les chiffres inventés par M. Rameau indiquent deux chopes : 1° l'harmonie fondamentale dans les accords parfaits, qui n'ont aucune succession nécessaire, mais qui constatent toujours le ton : 2°. la succession harmonique déterminée par h marche régulière des doigts dans les accords dissonnans.

Tout cela se fait au moyen de sept chiffres seulement : 1°. une lettre de la gamme indique le ton, la tonique, et son accord ; si l'on passe d'un accord parfait à un autre, on change de ton, c'est l'affaire d'une nouvelle lettre : 2°. pour passer de la tonique à un accord dissonnant, M. Rameau n'admet que six manières, pour chacune desquelles il

établit un signe particulier ; savoir, 1°. un X pour l'accord sensible : pour la septième diminuée, il suffit d'ajouter un b mol sous cet X ; 2°. un 2 pour l'accord de la seconde sur la tonique : 3°. un 7 pour son accord de septième ; 4°. cette abréviation aj. pour sa sixte ajoutée ; 5°. ces deux chiffres 4/5 relatifs à cette tonique, pour l'accord qu'il appelle de tierce-quarte, et qui revient à l'accord de neuvième de la seconde note ; 6°. enfin ce chiffre 4 pour l'accord de quarte et quinte sur la dominante.

3°. Un accord dissonnant est suivi d'un accord parfait, ou d'un autre accord dissonnant ; dans le premier cas l'accord s'indique par une lettre, le second cas se rapporte à la mécanique des doigts, voyez DOIGTER ; c'est un doigt qui doit descendre diatoniquement, ou deux, ou trois. On indique cela par autant de points l'un sur l'autre, qu'il faut faire descendre de doigts. Les doigts qui doivent descendre par préférence, sont indiqués par la mécanique ; les dièses ou bémols qu'ils doivent faire, sont connus par le ton, ou substitués dans les chiffres aux points correspondants ; ou bien dans le chromatique et l'enharmonique, on marque une petite ligne en descendant ou en montant, depuis le signe d'une note connue, pour indiquer qu'elle doit descendre ou monter d'un semi-ton. Ainsi tout est prévu, et ce petit nombre de signes suffit pour exprimer toute bonne harmonie possible.

On sent bien qu'il faut supposer ici que toute dissonnance se sauve en descendant ; car s'il y en avait qui dussent se sauver en montant, s'il y avait des marches de doigts ascendants dans des accords dissonnans, les points de M. Rameau seraient insuffisans pour exprimer cela.

Quelque simple que soit cette méthode, quelque favorable qu'elle paraisse pour la pratique, elle ne parait pas pourtant tout à fait exempte d'inconvéniens. Car quoiqu'elle simplifie les signes, et qu'elle diminue le nombre apparent des accords, on n'exprime point encore par elle la véritable harmonie fondamentale. Les signes y sont aussi trop dépendants les uns des autres ; si l'on vient à s'égarer ou à se distraire un instant, à prendre un doigt pour un autre, les points ne signifient plus rien ; plus de moyen de se remettre jusqu'à un nouvel accord parfait. Inconvénient que n'ont pas les chiffres actuellement en usage. Mais il ne faut pas croire que parmi tant de raisons de préférence, ce soit sur de telles objections que la méthode de M. Rameau ait été rejetée. Elle était nouvelle, elle était proposée par un homme supérieur en génie à tous ses rivaux : voilà sa condamnation. Voyez ACCOMPAGNEMENT. (S)