* Les anciens qui ne connaissaient point la boussole, étaient obligés de naviger le long des côtes ; et leur navigation était par là très imparfaite. On prétend pourtant que des Phéniciens, envoyés par Néchao roi d'Egypte, firent autrefois le tour de l'Afrique, en partant de la mer Rouge ; et qu'ils furent trois ans à ce voyage : mais ce fait est-il bien vrai ? Les anciens, dit l'illustre auteur de l'Esprit des Lais, pourraient avoir fait des voyages de mer assez longs, sans le secours de la boussole : par exemple, si un pilote dans quelque voyage particulier avait Ve toutes les nuits l'étoîle polaire, ou le lever et le coucher du soleil, cela aurait suppléé à la boussole : mais c'est là un cas particulier et fortuit.

* Les François prétendent que si l'on met par-tout une fleur de lis pour marquer le nord, soit dans le carton mobîle dont les mariniers chargent l'aiguille, soit dans la rose des vents qu'on attache sous le pivot de l'aiguille, au fond des boussoles sédentaires, c'est parce que toutes les nations ont copié les premières boussoles, qui sont sorties des mains d'un ouvrier Français. Les Anglais s'attribuent, sinon la découverte même, au moins la gloire de l'avoir perfectionnée par la façon de suspendre la boite où est l'aiguille aimantée. Ils disent, en leur faveur, que tous les peuples ont reçu d'eux les noms que porte la boussole, en recevant d'eux la boussole même amenée à une forme commode ; qu'on la nomme compas de mer, des deux mots Anglais mariner compass ; et que de leur mot boxel, petite boite, les Italiens ont fait leur bossola, comme d'Alexandre ils font Alessandro. (Les Italiens disent bossolo au masculin ; suivant le dictionnaire de Trévoux.) Mais la vérité est que le mot boussole vient du Latin buxus, d'où l'on a fait buxolus, buxola, bussola, et enfin boussole. Les Espagnols et les Portugais disent bruxula, qui semble venir de bruxa, sorcière. Il y a apparence que c'est une corruption de bussola. Quant au nom de mariners compass, les François pourraient également prétendre que les Anglais l'ont pris d'eux en traduisant le nom Français, compas de mer.

* Il ne tient pas à d'autres qu'on n'en fasse honneur aux Chinois. Mais comme encore aujourd'hui l'on n'emploie l'aiguille aimantée à la Chine qu'en la faisant nager sur un support de liège, comme on faisait autrefois en Europe, on peut croire que Marco Paolo, ou d'autres Vénitiens, qui allaient aux Indes et à la Chine par la mer Rouge, ont fait connaître cette expérience importante, dont différents pilotes ont ensuite perfectionné l'usage parmi nous.

* La véritable cause de cette dispute, c'est qu'il en est de l'invention de la boussole, comme de celle des Moulins de l'Horloge, et de l'Imprimerie. Plusieurs personnes y ont eu part. Ces choses n'ont été découvertes que par parties, et amenées peu-à-peu à une plus grande perfection. De tous temps on a connu la propriété qu'a l'aimant d'attirer le fer. Mais aucun ancien, ni même aucun auteur antérieur au commencement du douzième siècle, n'a su que l'aimant suspendu, ou nageant sur l'eau par le moyen d'un liège, tourne toujours un de ses côtés, et toujours le même côté, vers le nord. Celui qui fit le premier cette remarque, en demeura là : il ne comprit ni l'importance, ni l'usage de son admirable découverte. Les curieux, en réitérant l'expérience, en vinrent jusqu'à coucher une aiguille aimantée sur deux brins de paille posés sur l'eau, et à remarquer que cette aiguille tournait invariablement la pointe vers le nord. Ils prenaient la route de la grande découverte : mais ce n'était pas encore là la boussole. Le premier usage que l'on fit de cette découverte, fut d'en imposer aux simples par des apparences de magie, en exécutant divers petits jeux physiques, étonnans pour ceux qui n'en avaient pas la clé. Des esprits plus sérieux appliquèrent enfin cette découverte aux besoins de la navigation ; et Guyot de Provins, dont nous avons parlé, qui se trouva à la cour de l'empereur Frédéric à Mayence en 1181, nous apprend, dans le roman de la Rose, que nos pilotes François faisaient usage d'une aiguille aimantée ou frottée à une pierre d'aimant, qu'ils nommaient la marinette, et qui réglait les mariniers dans les temps nébuleux.

Icelle étoîle ne se muet,

Un art font qui mentir ne puet ;

Par vertu de la marinette,

Une pierre laide, noirette,

Ou li fer volentiers se joint, &c.

* Bientôt après, au lieu d'étendre les aiguilles comme on faisait, sur de la paille ou sur du liège, à la surface de l'eau, que le mouvement du vaisseau tourmentait trop, un ouvrier intelligent s'avisa de suspendre sur un pivot ou sur une pointe immobile, le milieu d'une aiguille aimantée, afin que se balançant en liberté, elle suivit la tendance qui la ramène vers le pôle. Un autre enfin, dans le XIVe siècle, conçut le dessein de charger cette aiguille d'un petit cercle de carton fort léger, où il avait tracé les quatre points cardinaux, accompagnés des traits des principaux vents, le tout divisé par les 360 degrés de l'horizon. Cette petite machine légèrement suspendue dans une boite, qui était suspendue elle-même, à-peu-près comme la lampe des mariniers, répondit parfaitement aux espérances de l'inventeur. M. Formey.

La boussole : Pl. de navigation, fig. 12. est composée d'une aiguille ou losange, ordinairement faite avec une lame d'acier trempée et aimantée sur l'aimant le plus vigoureux : cette aiguille est fixée à une rose de carton ou de talc, sur laquelle on a tracé un cercle divisé en trente-deux parties égales : savoir d'abord en quatre par deux diamètres qui se coupent à angles droits, et qui marquent les quatre points cardinaux de l'horizon, le nord, le sud, l'est, et l'ouest ; chacun de ces quarts de cercle est divisé en deux ; ce qui constitue avec les précédents les huit rumbs de vent de la boussole : chaque partie est encore divisée et subdivisée en deux, pour avoir les huit demi-rumbs et les seize quarts. On peut voir sur la figure ces trente-deux airs, avec leurs noms usités dans les mers du Levant et du Ponent.

On désigne ordinairement le rumb du nord par une fleur de lis, et quelquefois celui de l'est par une croix ; les autres par les premières lettres de leurs noms : chacun de ces airs de vent ou rumbs est indiqué par une des pointes de l'étoîle tracée au centre de la rose. Voyez la figure.

Il y a un autre cercle concentrique à celui de la rose, et qui est fixé à la boite : il est divisé en 360 degrés, et sert à mesurer les angles et les écarts de la boussole : le centre de la rose qui est évidé, est recouvert d'un petit cône creux de cuivre ou de quelqu'autre matière dure qui sert de chape, au moyen de laquelle l'aiguille peut être posée sur un pivot bien pointu et bien poli, et s'y mouvoir avec liberté. On suspend le tout à la manière de la lampe de Cardan, par le moyen de deux anneaux ou cercles concentriques, chacun mobîle sur deux pivots aux extrémités des deux diamètres dont les directions se coupent à angles droits, afin que la boussole puisse toujours conserver la situation horizontale, malgré les roulis du vaisseau. Enfin on l'enferme dans une boite carrée couverte d'une glace, et on la place près du gouvernail dans une plus grande boite ou armoire carrée sans fer, que les marins nomment habitacle, laquelle est placée à l'arrière du vaisseau sur le pont, et éclairée pendant la nuit d'une lampe, afin que le timonnier, c'est-à-dire un matelot intelligent qui tient le gouvernail, et qui dans les vaisseaux de roi est relevé de deux heures en deux heures, puisse avoir toujours la boussole sous les yeux, et diriger la route du vaisseau suivant le rumb qui lui est prescrit par le pilote.

Comme la rose de la boussole est mobîle sur sa chape, le timonnier a soin de gouverner en sorte que la pointe de la rose qui indique le rumb ou air du vent de la route actuelle du vaisseau, soit dirigée parallélement à la quille ; ce que la position de la boite de la boussole, parallèlement aux parois de l'habitacle, indique suffisamment. Enfin pour ne laisser aucune équivoque, on a coutume de marquer d'une croix l'endroit de la boite qui regarde la proue.

Les capitaines de vaisseau, les officiers et les pilotes attentifs, ont ordinairement une boussole un peu différemment construite suspendue au plancher de leur chambre, afin de pouvoir, lors même qu'ils ne sont pas sur le pont, savoir à toute heure où le navire a le cap, c'est-à-dire quelle route il fait actuellement (déduction faite de la dérive) : cette suspension exige moins de précautions que la précédente : mais en ce cas il faut observer que l'est soit à la gauche du nord, et l'ouest à sa droite ; en un mot que tous les points soient dans une situation inverse à l'égard de la boussole renversée, quoique toujours dans la même position à l'égard du spectateur ou à l'égard du vaisseau.

Pour prévenir les accidents que les frottements ou quelqu'irrégularité physique pourraient causer à une boussole si elle était seule, il y en a toujours deux dans l'habitacle, et elles sont séparées par une cloison. Toutes deux sont exposées à la vue du timonnier.

Maintenant voici la manière de se servir de cet instrument pour diriger la route du navire. On reconnait sur une carte marine réduite, par quel rumb le vaisseau doit tenir sa route pour aller au lieu proposé, et on tourne le gouvernail jusqu'à ce que le rumb déterminé soit vis-à-vis de la croix marquée sur la boite ; et le vaisseau faisant voîle est dans sa véritable route : par exemple, si on part de l'île d'Ouessant à l'occident de Brest, et qu'on veuille aller au cap Finisterre en Galice, on commencera par chercher dans une carte marine réduite quelle doit être la direction de la route, et on trouve qu'on la doit faire au sud-ouest quart au sud : tournant donc le gouvernail jusqu'à-ce que le rumb sud-ouest quart au sud réponde exactement à la petite croix marquée sur la boite de la boussole ; le vaisseau se trouvera dans sa véritable route.

Tel est le principal usage de la boussole : il y en a plusieurs autres qui tendent à déterminer les latitudes, à fixer les points de l'horizon où les astres se lèvent et se couchent ; c'est-à-dire à déterminer les amplitudes orientales ou occidentales : mais ces usages ont plus de rapport à l'Astronomie et à la Navigation qu'à l'usage principal de la boussole.

La déclinaison de l'aimant dont on a parlé à l'article AIGUILLE, qui consiste en ce que cette aiguille ne se dirige presque jamais exactement vers les pôles du monde, mais qu'elle s'en écarte ordinairement tantôt vers l'est tantôt vers l'ouest ; cette déclinaison, dis-je, qui varie dans les différents endroits de la terre, et dans les mêmes en différents temps, oblige les marins à faire continuellement des corrections aux opérations qu'ils font avec la boussole. On verra à l'article VARIATION les précautions qu'ils apportent pour reconnaître et déterminer la quantité de cette variation, et les moyens dont ils se servent pour rectifier leur route.

L'avantage que les gens de mer retirent de la boussole qui les guide au-travers des mers les plus vastes, et les fait arriver aux extrémités de la terre les plus reculées, a porté les Physiciens à imaginer différents moyens pour la perfectionner. Tous conviennent que la boussole doit être la mieux aimantée qu'il est possible, très-légère dans sa construction, et surtout parfaitement mobîle sur son pivot. Nous avons enseigné dans l'article AIGUILLE la meilleure manière de construire et d'aimanter les aiguilles : en voici une autre qui a aussi ses avantages, et même qui nous parait préférable à bien des égards. Elle est fondée sur ce principe démontré par l'expérience, que le fer et l'acier ne reçoivent qu'une quantité déterminée de vertu magnétique, et qu'il y a une proportion de longueur, de largeur et d'épaisseur pour que ces métaux puissent recevoir la plus grande quantité qu'il est possible qu'ils retiennent ; c'est pourquoi M. Mitchell, auteur de cette nouvelle méthode, prétend qu'il est très avantageux de faire les boussoles avec des lames d'acier parallélepipedes et bien trempées, plutôt que de fil d'acier ou de lames de ressort dont on se sert ordinairement. En effet, on éprouve que non-seulement ces lames prennent beaucoup plus de vertu magnétique, qu'elles la conservent plus longtemps dans le même degré, et qu'elles la perdent beaucoup plus difficilement, mais encore qu'elles ont leurs pôles plus près des extrémités ; ce qui augmente considérablement leur vivacité, et l'exactitude de l'observation. La dimension qu'il estime la meilleure, est celle à-peu-près qu'il donne aux lames dont il compose ses aimants artificiels ; c'est-à-dire, six pouces de longueur, six lignes de largeur, et environ un tiers de ligne d'épaisseur : elles doivent être percées dans le milieu, pour laisser passer le pivot sur lequel elles feront leur révolution.

On a observé que la rouille détruit considérablement la vertu magnétique, c'est pourquoi on doit tâcher d'en préserver avec soin les aiguilles des boussoles : les boites vitrées dans lesquelles on les renferme ordinairement sont insuffisantes, et l'air de la mer agit toujours sur elles. On les garantira de cet accident en les enduisant d'une couche fort mince d'huîle de lin cuite : cet enduit n'apporte aucun obstacle aux effets de l'aimant, et les boussoles s'aimantent au-travers avec autant de facilité que si elles étaient bien polies. Il y a même lieu de croire par quelques expériences, que les boussoles peintes conservent mieux que les autres leur grande force magnétique ; car on remarque dans la plupart des ferrements peints à l'huile, qu'ils sont plus susceptibles de magnétisme que les autres fers ; en même temps qu'ils deviennent plus cassants et plus durs ; et c'est peut être par cette raison qu'ils s'aimantent mieux.

On aimantera ces lames en les posant sur le milieu d'une barre de fer assez longue, et en passant huit à dix fois d'un bout à l'autre six aimants artificiels, dont trois ont leurs pôles nord tournés en-haut, et contigus aux pôles du sud des trois autres lames ; en sorte que les pôles du sud des premiers aimants soient un peu écartés des pôles du nord des trois autres lames, et tournés vers l'extrémité de l'aiguille qu'on veut faire diriger vers le nord. Voyez l'article AIMANT.

Comme il est difficîle de bien déterminer dans des aiguilles ainsi larges et plates, si leur axe, c'est-à-dire la ligne qui joint les deux pôles, passe exactement par les points de suspension, et que d'un autre côté en les faisant pointues par les extrémités, on fait rentrer leurs pôles en-dedans, et on les rend un peu moins aimantées qu'elles ne le pourraient être, voici un moyen de remédier à ces inconvéniens. On mettra sur un pivot une des meilleures aiguilles aimantées, construite suivant la méthode ordinaire, et pointue par ses extrémités, et on observera avec soin de combien son pôle nord décline de quelque point fixe qu'on choisira à volonté : ensuite on ajustera sur le pivot la nouvelle aiguille, appliquée sur la rose de carton de telle sorte que la fleur-de-lis décline du point observé : dans le même sens et de la même quantité que faisait le pôle du nord de l'aiguille mince et pointue : on fixera la rose dans cette situation, et la boussole sera centrée.

Il vaudra mieux faire cette opération sur un vaisseau en cette manière : on tirera une ligne droite de la poupe à la proue, et on placera les deux boussoles sur cette ligne, à une telle distance et en telle sorte qu'elles ne puissent ni agir l'une sur l'autre, ni être détournées par aucun fer qui soit dans le voisinage : on ajustera la rose comme on vient de dire, de manière que la fleur-de-lis fasse avec la ligne d'épreuve, le même angle que fait le pôle du nord de l'autre aiguille.

On ne saurait dissimuler que le poids de ces nouvelles aiguilles ne fasse augmenter leur frottement, surtout si le pivot et la chape sont de cuivre ; car il n'est guère possible de se servir à la mer du pivot d'acier, qui serait bien-tôt rouillé. Mais on pourra remédier à cet inconvénient en employant un pivot d'or, allié de quelque métal pour l'endurcir, et en attachant aux barres, des chapes garnies d'un petit morceau de verre concave bien poli ; ce qui vaut encore mieux que l'agate dont on se sert quelquefois. Ce petit changement, qui n'augmente pas considérablement le prix des boussoles, donne à ces instruments plus d'exactitude qu'on ne peut espérer dans les boussoles ordinaires, surtout lorsque le temps est calme, et que les vagues n'agitent pas le vaisseau : car alors il faut nécessairement frapper les boites pour vaincre les frottements, si l'on veut que la boussole marque la route avec exactitude ; au lieu que les nouvelles boussoles se meuvent très librement sans ce secours.

On a construit sur ces principes une aiguille de boussole qui avait trente-deux pouces de longueur, et qui pesait un peu plus de huit onces. Elle a été mise en mouvement avec une force capable de lui faire faire vingt-cinq tours par minute : cette force a été suffisante pour lui faire continuer ses révolutions pendant l'espace de soixante-dix ou quatre-vingt minutes, et elle a encore fait des vibrations pendant quinze autres minutes, quoiqu'elle ne fût que sur un pivot de cuivre qui a été bien-tôt émoussé par son poids, au lieu qu'elle a fait à peine quelques vibrations lorsqu'elle a été suspendue par une chape de cuivre sur un pivot d'acier bien pointu et bien poli.

Les avantages de la boussole ne se bornent pas à ceux qu'en peuvent retirer les navigateurs ; cet instrument est aussi fort utîle sur la terre pour faire une infinité d'opérations : on y fait seulement différents changements, pour le rendre plus propre aux divers usages auxquels on le destine. Son application la plus commune est à l'équerre des arpenteurs, qui ne consistait anciennement que dans un cercle de cuivre divisé en quatre parties égales par deux diamètres qui se coupent à angles droits. Il y a une pinule bien perpendiculaire au plan du cercle, à l'extrémité de chacun de ces diamètres, afin de pouvoir pointer sur différents objets. Voyez EQUERRE.

Dans les nouvelles équerres d'arpenteur on a ajouté au centre du cercle un pivot, sur lequel est suspendue une aiguille aimantée, et renfermée dans une boite couverte d'une glace. L'aiguille parcourt dans ses différents mouvements la circonférence d'un cercle divisé en trois cent soixante degrés ; et le o de la graduation marqué d'une N (nord) ou d'une fleur-de-lis est directement au-dessous d'une des pinnules, en sorte que les autres points cardinaux se trouvent aussi sous les autres pinnules : toute la machine est montée sur pivot, ou mieux encore sur un genou, sur lequel on peut la tourner librement en tout sens.

On se sert aussi quelquefois de boussoles enfermées dans des boites de cuivre ou de bois (ces dernières sont plus sures) exactement carrées, et dont les côtés sont bien parallèles aux diamètres qui passent par les points cardinaux.

Celles-ci, par exemple, sont très-commodes pour trouver la déclinaison d'un mur ou d'un édifice, c'est-à-dire l'angle qu'ils forment avec le méridien du lieu : pour cet effet on applique à une règle posée horizontalement le long du mur, le côté de la boite marqué sud ou nord, suivant que le mur regarde à-peu-près le septentrion ou le midi ; ensuite on observe quel angle fait la pointe de l'aiguille, ou son pôle boréal, avec le méridien tracé sur la boussole, et qui est perpendiculaire à la règle. Cet angle, réduction faite de la déclinaison de l'aimant, exprime en degrés la véritable déclinaison du mur, laquelle est orientale ou occidentale, suivant que l'aiguille s'écarte à l'est ou à l'ouest du méridien de la boussole, dans le cas ou ce mur est tourné du côté du midi ; et réciproquement, lorsqu'il regarde le septentrion.

Ceux qui construisent des cadrants solaires verticaux, ont souvent recours à cette méthode pour trouver la déclinaison du plan sur lequel ils veulent tracer, et découvrir jusqu'à quelle heure il peut être éclairé ; ou bien en connaissant la déclinaison de l'aiguille aimantée dans le lieu et au temps de l'opération, ils l'emploient pour tracer tout d'un coup une ligne méridienne, et orienter un cadran horizontal : il suffit pour cet effet de poser la boussole sur un plan bien parallèle à l'horizon, et de faire en sorte en tournant peu-à-peu la boite, que le pôle boréal de l'aiguille s'arrête du côté de l'ouest ou de l'est, sur un point qui fasse avec celui de O un angle égal à celui de la déclinaison de l'aimant (par exemple, de 17d 10' N. O. pour le 19 Oct. 1750 à Paris) : et en appliquant une règle à l'est ou à l'ouest de la boite, ils tracent une ligne droite qui est la méridienne. Enfin cette méthode est encore très-utîle pour orienter des édifices, des orangeries, des serres chaudes, pour donner une exposition favorable aux étuves, aux greniers, ou aux glacières.

La Géométrie pratique tire de grands avantages de la boussole, pour lever d'une manière expéditive des angles sur le terrain, faire le plan d'une forêt, d'un étang, d'un marais inaccessible, ou pour déterminer le cours d'une rivière.

Par exemple, pour lever les angles A D B, B D C, (Pl. d'Arpentage, fig. 11.) on commencera par appliquer bien exactement un coté de la boite de la boussole sur la ligne A D, en sorte que la ligne qui passe par les pinnules du nord et du sud se termine aux points A et D ; ensuite on observera l'angle que fera le pôle boréal de l'aiguille avec cette ligne : on appliquera aussi la boussole sur la ligne D B, et on observera de même l'angle que fera l'aiguille avec cette ligne. Maintenant la différence de ces deux angles sera la valeur de l'angle A D B, si l'aiguille s'écarte dans le même sens de la méridienne de la boussole ; ou, ce qui est la même chose, des lignes A D, D B, sur lesquelles elle est posée. Mais si l'aiguille s'écarte de sa méridienne en sens contraire, comme il arrive en la posant sur les lignes B D, D C, la somme des angles observés sera la valeur de l'angle cherché.

On opérera plus exactement, si au côté même de la boite de la boussole est appliqué un parallélepipede creux, qui porte deux pinnules par lesquelles on vise à un objet éloigné : la ligne de mire des deux pinnules doit être parallèle au diamètre de la boussole d'où l'on commence à compter les divisions. Ce parallélepipede équivalent à une règle à pinule donne encore un autre avantage : il doit être mobîle sur un clou ou pivot, en sorte qu'il puisse s'incliner à l'horizon sans sortir du même plan vertical ; ce qui est très-commode, et même nécessaire quand on veut pointer à un objet élevé ou abaissé au-dessous de l'horizon, et reconnaître sa direction ou son gissement par rapport aux régions du monde ; ce que les marins nomment relever un objet, parce qu'ils font cette opération avec une boussole ordinaire placée sur le pont du vaisseau, en se mettant dans l'alignement du centre de la boussole et de l'objet dont ils veulent reconnaître le gissement, et qu'ils étendent le bras vers le centre de la boussole, et le relèvent ensuite perpendiculairement jusqu'à la rencontre du rocher, du cap, du vaisseau, ou d'un point quelconque ; c'est cette opération qu'ils désignent en disant : avons relevé tel cap à tel air de vent. Dans la boussole à pinnules dont nous parlons, et qui est destinée pour la terre, on dirige la pinule parallèle au côté de la boite de la boussole sur l'objet qu'on veut relever, ou dont on veut connaître le gissement ; et cet objet étant ordinairement éloigné, c'est la même chose que si la règle à pinule était placée sur le centre même de la boussole, quoique cette règle en soit éloignée d'environ trois pouces, qui est au plus la demi-largeur ordinaire de cet instrument, tant pour le rendre plus portatif, que parce que l'expérience a fait voir que c'est la proportion la plus convenable ; les aiguilles plus petites étant trop vives et trop longtemps à se fixer, et les plus grandes trop paresseuses et trop peu libres sur leur pivot.

Pour lever le plan d'une forêt, d'un étang ou d'un marais, on commencera par réduire leur circuit en autant de lignes droites qu'il sera convenable, en mettant des piquets à toutes les courbures un peu considérables ; on mesurera tous les côtés de ce polygone, et dirigeant sur chaque côté successivement les pinnules nord et sud de l'équerre, on observera l'angle que forme le pôle boréal de la boussole avec ce côté du polygone, en remarquant si l'aiguille s'en écarte à droite ou à gauche : ces observations détermineront les angles que ces côtés forment entr'eux, en usant des mêmes précautions qu'on vient d'indiquer pour lever les angles sur le terrain. Connaissant donc les angles et les côtés du polygone, il sera facîle d'en tracer le plan ; il ne s'agira plus que de l'orienter ; ce qu'on exécutera fort aisément, puisqu'on connait tous les angles que forme la boussole avec chacun des côtés du plan : on en choisira donc un à volonté, auquel on tracera une parallèle ; en quelqu'endroit à l'écart on fera avec cette parallèle, et dans le même sens, un angle égal à celui que faisait sur le terrain l'aiguille de la boussole avec ce côté correspondant ; et connaissant cet angle par la déclinaison de l'aimant, qu'on connaitra d'ailleurs, la ligne qui formera cet angle corrigé avec la parallèle, sera la méridienne du plan.

Sait A B C D E F, (fig. 12.) une rivière dont on veuille déterminer le cours : on commencera par planter des piquets à tous ses points principaux de flexion, afin de reduire sa courbure en autant de petites lignes droites A B, B C, C D, D E, E F, qu'il sera nécessaire ; on mesurera toutes ces lignes droites, et on déterminera les angles qu'elles font entr'elles, en prenant d'abord celui que chacune d'elles fait avec l'aiguille aimantée : ces opérations donneront le plan de la rivière et de ses détours, et on l'orientera par la méthode qu'on vient d'indiquer tout-à-l'heure.

On se sert aussi quelquefois pour orienter un plan, d'une autre espèce de boussole que quelques-uns nomment un déclinatoire : celle-ci ne diffère des autres qu'en ce que sa boite, longue de 6 ou 7 pouces suivant le plus ou le moins de longueur de l'aiguille, n'a environ que 2 pouces de large, ce qui suffit pour marquer à droite et à gauche de la pointe de l'aiguille un nombre de degrés, au-moins égal à celui de la déclinaison de l'aimant dans le lieu de l'observation. Alors si l'on fait répondre la pointe de l'aiguille sur la quantité de déclination, qu'on suppose connue d'ailleurs, l'axe de la boite ou son côté qui lui est parallèle se trouvera dans la direction du méridien, et pourra servir à tracer sur le terrain une ligne nord et sud : à laquelle on rapportera toutes les autres.

Il faut bien remarquer que toutes les pratiques précédentes, où l'on opère avec la boussole, ne peuvent donner qu'une méridienne approchée, et dont on ne peut au plus répondre qu'à un demi-degré près, à cause de la petitesse de l'instrument et des petites variations à quoi l'aiguille aimantée est elle-même sujette. Si l'on avait besoin d'une plus grande précision, il faudrait se servir des moyens que l'Astronomie fournit pour tracer une méridienne ou pour trouver l'azimuth du soleil. Voyez MERIDIENNE et AZIMUTH.

Il est plus avantageux de se servir, pour les opérations que nous venons de décrire, des grandes boussoles faites avec des lames d'acier trempé et fortement aimantées, que des petites aiguilles ordinaires : celles-ci sont trop facilement dérangées par les corps magnétiques ou ferrugineux, qui se trouvent répandus dans les différents endroits où l'on opère : cette précaution est surtout nécessaire dans les travaux qu'on entreprend dans l'intérieur de la terre, où il se rencontre souvent des corps qui détourneraient trop les petites aiguilles. Qu'on veuille, par exemple, déterminer dans une mine de charbon la direction d'un lieu à un autre, afin de creuser un puits par-dehors, justement à l'extrémité d'une galerie ; on observera premièrement dans la mine quel angle fait le pôle boréal de la boussole, ayant la direction de la galerie, et on fera cette observation à l'extrémité de la galerie qui se trouve au bas de quelque puits déjà fait : et ayant mesuré sa longueur, on fera la même opération en-dehors au haut du puits, et on mesurera cette longueur dans la ligne qui fait avec la boussole le même angle que faisait avec elle la direction de la galerie, et dans le même sens, ce qui déterminera le point où il faut faire le nouveau puits. Mais s'il y a dans le voisinage des corps magnétiques ou ferrugineux, les petites boussoles seront presque toujours insuffisantes pour cette opération ; les grandes aiguilles y seront aussi à la vérité un peu sujettes : mais voici un moyen de reconnaître la présence de ces corps magnétiques, et de remédier à cet inconvénient.

On tendra dans le milieu de la galerie et dans sa direction un cordeau le plus long qu'il sera possible, et on fera en sorte qu'il soit bien en ligne droite : on placera la boussole à l'extrémité de ce cordeau, de telle sorte que la ligne fiducielle ou le diamètre de la boussole, duquel on commence à compter les divisions, soit bien dans la direction de la galerie : on observera si l'aiguille co-incide avec cette ligne, ou sous quel angle elle s'en écarte et de quel côté : on réitérera cette observation d'espace en espace, en avançant vers le fond de la galerie. Si elle conserve toujours la même direction par rapport au cordeau dans toute sa longueur, il sera assez probable que rien ne dérange l'aiguille de sa direction naturelle, du-moins à droite ni à gauche : mais si sa direction varie en différents endroits le long du cordeau, le lieu où elle s'écartera le plus de la direction qu'elle a dans le plus grand nombre de points, sera le plus proche du corps qui la détourne ; c'est pourquoi on tirera par ce point une perpendiculaire opposée au côté vers lequel l'aiguille parait le plus détournée, et on donnera le plus de longueur qu'on pourra à cette perpendiculaire : on tirera par différents points de cette perpendiculaire des parallèles au cordeau, et on examinera aux points où ces parallèles coupent la perpendiculaire, si l'aiguille fait avec les parallèles le même angle qu'elle faisait avec le cordeau dans la plupart des points où on n'a pas eu lieu de soupçonner qu'elle fût détournée : si elle fait le même angle, on conclura qu'on est hors de la sphère d'attraction du corps magnétique, et on connaitra de cette manière et par différentes épreuves, la force et l'étendue de ces sortes de corps.

On se sert en mer d'une autre espèce de boussole appelée compas de variation, pour reconnaître la déclinaison de l'aiguille aimantée dans le parage où on navige. Il y en a de différentes sortes ; un entr'autres qui n'exige qu'un seul observateur : il est décrit dans les Mémoires de l'Académie des Sciences, de l'année 1733. Voyez VARIATION et COMPAS.

Nous devons tout cet article, à l'exception des alinea marqués d'une étoile, à M. le Monnier, qui nous avait déjà donné, pour le premier volume, les articles entiers de l'aimant et de l'aiguille aimantée. Voyez ces articles. Voyez aussi DECLINAISON, MAGNETISME, AMPLITUDE, AZIMUTH. Les endroits marqués d'une étoîle dans cet article sont de M. Formey, qui les a tirés du Spectacle de la nature. T. IV.