Une des opinions les plus anciennes est celle qui a été soutenue par M. Jacques Bernoulli, de gravitate aetheris : cet auteur rapporte la cohésion des parties de la matière à la pression uniforme de notre atmosphère ; et il appuie sa théorie sur l'expérience des marbres polis qui tiennent si fortement l'un à l'autre dans l'air libre, et qui sont, dit-il, aisément séparés dans le vide. Le fait est faux.

Mais quand cette théorie serait satisfaisante pour expliquer la cohésion des parties de grande étendue, elle n'est d'aucun secours dans la cohésion des atomes ou particules des corps.

M. Newton parle ainsi sur la cohésion. " Les parties de tous les corps durs homogènes qui se touchent pleinement, tiennent fortement ensemble. Pour expliquer la cause de cette cohésion, quelques-uns ont inventé des atomes crochus ; mais c'est supposer ce qui est en question : d'autres nous disent que les particules des corps sont jointes ensemble par le repos, c'est-à-dire par une qualité occulte, ou plutôt par un pur néant ; et d'autres, qu'elles sont jointes ensemble par des mouvements conspirants, c'est-à-dire par un repos relatif entr'eux. Pour moi j'aime mieux conclure de la cohésion des corps, que les particules s'attirent mutuellement par une force qui dans le contact immédiat est extrémement puissante, qui à de petites distances est encore sensible, mais qui à de fort grandes distances ne se fait plus apercevoir. Voyez ATTRACTION.

Or si les corps composés sont si durs que l'expérience nous le fait voir à l'égard de quelques-uns, et que cependant ils aient beaucoup de pores, et soient composés de parties qui soient simplement placées l'une auprès de l'autre ; les particules simples qui sont sans pores, et qui n'ont jamais été divisées, doivent être beaucoup plus dures : car ces sortes de parties dures entassées ensemble, ne peuvent guère se toucher que par très-peu de points ; et par conséquent il faut beaucoup moins de force pour les séparer, que pour rompre une particule solide dont les parties se touchent dans tout l'espace qui est entr'elles, sans qu'il y ait ni pores ni interstices qui affoiblissent leur cohésion. Mais comment des particules d'une si grande dureté qui sont seulement entassées ensemble, sans se toucher que par un très-petit nombre de points, peuvent-elles tenir ensemble et si fortement qu'elles font, sans l'action d'une cause qui fasse qu'elles soient attirées ou pressées l'une vers l'autre ? C'est ce qui est très-difficîle à comprendre.

Les plus petites particules de matière peuvent être unies ensemble par les plus fortes attractions, et composer de plus grosses particules dont la vertu attractive sont moins fortes ; et plusieurs de ces dernières peuvent tenir ensemble et composer des particules encore plus grosses, dont la vertu attractive soit encore moins forte, et ainsi de suite, jusqu'à ce que la progression finisse par les plus grosses particules, d'où dépendent les opérations chimiques, les couleurs des corps naturels, et qui jointes ensemble composent des corps d'une grandeur sensible. Voyez DURETE, FLUIDITE ".

Les différents degrés de cohésion constituent les différentes formes et propriétés des corps. Suivant l'illustre auteur que nous venons de citer, les particules des fluides qui n'ont que peu de cohésion, et qui sont assez petits pour être susceptibles des agitations qui entretiennent la fluidité, sont très-aisément séparées et réduites en vapeur ; elles forment ce que les Chimistes appellent corps volatils ; elles se raréfient par la moindre chaleur, et se condensent de même par un froid modéré. Voyez VOLATIL.

Les corps dont les particules sont plus grosses, ou sont cohérentes entr'elles avec une attraction plus forte, sont moins susceptibles d'agitation, et ne sauraient être séparés les uns des autres que par un degré beaucoup plus considérable de chaleur ; quelques-uns d'eux ne sauraient même se séparer sans fermentation ; et ce sont ceux-là que les Chimistes appellent des corps fixes. Chambers.

M. Musschenbroeck, dans son essai de Physique, nous a donné plusieurs recherches sur la cohésion ou adhérence des corps. En voici la substance ; c'est M. Musschenbroeck qui parle.

Les surfaces de tous les grands corps sont fort raboteuses, ce qui est cause qu'ils ne se touchent que dans un petit nombre de points lorsqu'ils sont posés les uns sur les autres, et qu'ils se trouvent séparés en d'autres endroits où l'attraction est par conséquent beaucoup moindre. Moins les corps sont raboteux, plus ils se touchent ; aussi voit-on que ceux qui ont une surface fort unie s'attirent davantage, et tiennent plus fortement les uns aux autres que ceux qui sont raboteux. Mais pour rendre les surfaces encore plus unies, il faut les enduire de quelque liquide dont les parties soient fort fines, et qui puissent boucher les pores.

La Chimie nous apprend que les parties terrestres des plantes tiennent ensemble par le moyen d'une huîle épaisse, qui n'en peut être séparée, soit qu'on les fasse sécher ou bouillir dans l'eau, mais seulement lorsqu'on les brule au grand air. En effet elles se convertissent en cendres, qui n'ont plus aucune liaison aussi-tôt que cette huîle est consumée : si l'on incorpore ces cendres avec de l'huîle et de l'eau, les parties se lieront et s'uniront ensemble. Les os des animaux qu'on fait bouillir longtemps avec de l'eau dans le pot de l'invention de M. Papin (voyez DIGESTOIRE), deviennent fort fragiles, et se cassent aussitôt qu'on vient à les frotter ; mais on ne les plonge pas plutôt dans l'huile, qu'ils redeviennent durs, et ne cassent pas facilement.

J'ai pris différents corps, continue M. Musschenbroeck, dont le diamètre était de 1 11/12 pouce du Rhin ; les surfaces avec lesquelles ils se touchaient, étaient presque parfaitement plates et unies : je les fis chauffer dans de l'eau bouillante ; et après avoir enduit leurs surfaces de suif de chandelle, je les mis d'abord les uns sur les autres ; je les fis ensuite refroidir, après quoi je trouvai que leur adhérence s'était faite en même temps de la manière que voici.

La chaleur de l'eau bouillante n'est pas considérable ; ce qui fait que les parties solides peuvent à peine être écartées les unes des autres, et que les pores ne s'ouvrent que peu ; de sorte que la graisse ne saurait y pénétrer profondément, ni faire par conséquent la fonction d'un aimant qui agit avec force : ainsi afin que la graisse put alors mieux remplir les pores, on rendit ces corps beaucoup plus chauds en les frottant de graisse dans le temps qu'elle était comme bouillante ; et après qu'ils furent refroidis, ils s'attirèrent réciproquement avec beaucoup plus de force, comme on le peut voir par ce qui suit :

On met quelquefois entre deux corps solides un enduit à demi-liquide, qui fait que ces corps tiennent ensemble dans la suite avec beaucoup de force, et qu'ils semblent ne former qu'un seul corps solide ; cela se remarque lorsqu'on détrempe de la chaux avec du sable et de l'eau.

Il arrive quelquefois que deux liquides sont composés de parties qui s'attirent mutuellement avec beaucoup de force, de sorte qu'ils se changent en un corps solide après leur mélange. C'est ainsi que l'huîle de tartre par défaillance incorporée avec l'huîle de vitriol, se convertit en un corps solide auquel on donne le nom de tartre vitriolé.

Le froid durcit certains corps dont les parties étaient auparavant mollasses : le feu produit aussi le même effet sur d'autres corps.

Le froid réduit en masses solides tous les métaux, les demi-métaux, les résines terrestres et végétables, de même que le verre, après que ces corps ont été fondus par la chaleur.

L'acier rougi au feu et plongé ensuite subitement dans l'eau froide, devient aussi-tôt dur.

Le feu durcit encore d'autres corps, parmi lesquels on peut compter la terre-glaise mollasse, que le feu rend aussi dure qu'une pierre, tant à cause que l'eau s'évapore, que parce que le feu subtilise en même temps toutes les parties terrestres, et qu'il fait fondre les sels, lesquels pénètrent ensuite et s'insinuent dans ces parties ; ce qui fait qu'elles s'attirent mutuellement avec force, parce qu'elles se touchent en plusieurs points de leurs surfaces, et doivent former par conséquent un corps fort solide.

Tout cela est tiré de M. Musschenbroeck, essai de Physiq. art. 655. et suiv. Nous n'avons fait que l'abréger ; ceux qui voudront recourir à l'ouvrage même de ce grand physicien, y trouveront un plus grand détail. (O)

COHESION, (Médecine) Quelle que soit la cause de la force plus ou moins considérable, par laquelle deux parties fluides ou solides se touchent et adhèrent, la Médecine doit considérer attentivement cet effet dans les fluides et les solides du corps humain.

Nos fluides peuvent être viciés à cet égard de différentes manières ; et en général leur cohésion peut être trop forte ou trop faible. L'union trop forte ou trop tenace de leurs molécules, empêche qu'il ne se sépare de petites particules des grandes : production si nécessaire pour l'intégrité de la vie ! Leur division trop facîle ne nuit pas moins en ce qu'elle est un obstacle à la constance de la santé. Tous les Médecins savent que cette tenacité et cette dissolution des humeurs détruisant également leur cohésion naturelle, sont la source d'une infinité de maladies particulières.

Les solides peuvent pécher pareillement en manque ou en excès de cohésion ; car la cohésion trop faible ou trop forte, soit des simples fibres solides, soit des vaisseaux ou des viscères qui en sont formés, donnent naissance à une infinité de désordres, que les méthodiques nommaient très-bien maladie de relâchement et de resserrement. Voici comme on doit concevoir ces vérités.

De quelque cause que procede la cohésion mutuelle de tous les vaisseaux, il est certain qu'ils peuvent se prêter à l'impulsion du fluide, et en être distendus ; mais ils ne le peuvent que jusqu'à un certain point sans accident. Il est d'ailleurs certain que cette cohésion est différente dans les divers âges de la vie : de plus, on ne peut s'empêcher d'imaginer différents degrés de cohésion dans les différents solides. Par exemple, il semble qu'il y a bien moins de cohésion dans la pulpe molle du nerf auditif, que dans le faisceau nerveux qui constitue le dur tendon d'Achille : ajoutons aussi, qu'il faut que la cohésion des solides soit capable de supporter non-seulement le mouvement modéré des fluides dans les vaisseaux, tel qu'il a lieu en bonne santé, mais encore la vélocité de leur circulation dans l'état maladif, sans que cette cohésion soit détruite ; et c'est effectivement ce qui arrive d'ordinaire ; car il est communément besoin de longs et de violents efforts pour produire la rupture.

La débilité des parties solides est donc excessive, lorsqu'elles ne peuvent sans que leur cohésion cesse, soutenir l'effort des actions d'un corps en santé, et même d'un mouvement de circulation plus impétueux que de coutume. On reconnait que le relâchement est trop grand, quand les fibres sans se rompre s'allongent au moindre effort du mouvement vital. De cette facîle dilatation des fibres et des vaisseaux, naissent la stagnation des liqueurs, la crudité des humeurs, la corruption spontanée, l'inanition, la cachexie, la cacochimie, et plusieurs autres maux qu'on regarde mal-à-propos comme des maladies de tempérament.

Si on laisse trop augmenter l'affoiblissement, pour lors il est encore à craindre que l'impétuosité violente du liquide, poussé continuellement par la force du cœur, n'occasionne la rupture. On voit plusieurs exemples de ce fâcheux accident, lorsque de jeunes gens délicats étant dans l'âge où finit leur croissance, se rompent un vaisseau dans le poumon pour avoir crié, chanté, ou couru. Puis donc que la cohésion trop faible des solides cause de si grands désordres, il faut y obvier par des remèdes qui procurent une cohésion plus forte, par des aliments substantiels, les acides austères, entr'autres le fer dissous dans des acides doux ; l'exercice, les frictions, etc.

Mais s'il y a des maladies qui ont pour principe la faiblesse de la cohésion dans les solides, il y en a beaucoup aussi qui procedent nécessairement de l'excès de cette cohésion : de-là le manque des secrétions, la roideur, l'immobilité, la sécheresse, la coalition des vaisseaux avec leurs liquides, les concrétions de tout genre, l'ossification, la vieillesse, etc. les remèdes même contre ces maux, ne sont presque que des palliatifs. Il est cependant nécessaire de les mettre en usage, de diminuer la violence, la densité, la pression du sang ; d'employer les humectants, les émolliens, les délayans de toute espèce, en boissons, en vapeurs, en fomentations, en bains, etc.

On comprend maintenant les divers effets qui résultent tant de la force que de la faiblesse de la cohésion. On conçoit en conséquence la nature et la cure d'un grand nombre de maladies, l'utilité qu'on peut retirer de la doctrine du resserrement et du relâchement des solides ; et cette matière si importante en pratique, si curieuse en théorie, était inconnue avant Boerhaave, et n'a été développée que par ce grand homme. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.