Les anciens ne paraissent pas avoir révoqué en doute l'existence des sorciers, ni regardé leurs maléfices comme de simples prestiges. Si l'on ne consultait que les poètes, on admettrait sans examen cette multitude d'enchantements opérés par les Circés, les Médées, et autres semblables prodiges par lesquels ils ont prétendu répandre du merveilleux dans leurs ouvrages. Mais il parait difficîle de recuser le témoignage de plusieurs historiens d'ailleurs véridiques, de Tacite, de Suétone, d'Ammien Marcellin, qu'on n'accusera pas d'avoir adopté aveuglément, et faute de bon sens, ce qu'ils racontent des opérations magiques. D'ailleurs pourquoi tant de lois sévères de la part du sénat et des empereurs contre les magiciens, si ce n'eussent été que des imposteurs et des charlatants propres tout au plus à duper la multitude, mais incapables de causer aucun mal réel et physique ?

Si des fausses religions nous passons à la véritable, nous trouverons qu'elle établit solidement l'existence des sorciers ou magiciens, soit par des faits incontestables, soit par les règles de conduite qu'elle prescrit à ses sectateurs. Les magiciens de Pharaon opérèrent des prodiges qu'on n'attribuera jamais aux seules forces de la nature, et qui n'étaient pas non plus l'effet de la divinité, puisqu'ils avaient pour but d'en combattre les miracles. Je n'ignore pas que ces prodiges sont réduits par quelques modernes au rang des prestiges ; mais outre que ce n'est pas le sentiment le plus suivi, conçoit-on bien clairement qu'il soit du ressort de la nature de fasciner les yeux de tout un peuple, de le tromper longtemps par de simples apparences, de lui faire croire que des spectres d'air ou de fumée sont des animaux et des reptiles qui se meuvent ? Si ce n'eussent été que des tours de charlatan, qui eut empêché Moïse si instruit de la science des Egyptiens, d'en découvrir l'artifice à Pharaon, à sa cour, à son peuple, et en les détrompant ainsi, de confirmer ses propres miracles ? Pourquoi eut-il été obligé de recourir à de plus grandes merveilles que celles qu'il avait opérées jusque-là, et que les magiciens ne purent enfin imiter ? Prestiges pour prestiges, la production des moucherons, phantastiques ne leur eut pas dû couter davantage que celle des serpens ou de grenouilles imaginaires. Dans le livre de Job, satan demande à Dieu que ce saint homme soit frappé dans tous ses biens, et Dieu les lui livre, en lui défendant seulement d'attenter à sa vie ; ses troupeaux sont enlevés, ses enfants ensevelies sous les ruines d'une maison ; lui-même enfin se trouve couvert d'ulcères depuis la plante des pieds jusqu'au sommet de la tête. L'histoire de l'évocation de l'ombre de Samuel faite par la pythonisse, et rapportée au xxviij. chap. du second liv. des Rais, ce que l'Ecriture dit ailleurs des faux prophetes d'Achab et de l'oracle de Beelzebuth à Accaron : tous ces traits réunis prouvent qu'il y avait des magiciens et des sorciers, c'est-à-dire des hommes qui avaient commerce avec les démons.

On n'infère pas moins clairement la même vérité des ordres réitérés que Dieu donne contre les magiciens et contre ceux qui les consultent : Vous ferez mourir, dit-il, ceux qui font des maléfices ; maleficos non potieris vivère, Exode xxij. Ve 18. Même arrêt de mort contre ceux qui consultaient les magiciens et les devins : anima quae declinaverit ad magos et ariolos et fornicata fuerit cum illis... interficiam illam de medio populi mei. Levitic. xx. Ve 6. Qu'il n'y ait personne parmi vous, dit-il encore à son peuple, qui fasse des maléfices, qui soit enchanteur, ou qui consulte ceux qui ont des pythons ou esprits, et les devins ou qui interroge les morts sur des choses cachées : nec inveniatur in te maleficus, nec incantator, nec qui pythones consulat, nec divinos, aut quaerat à mortuis veritatem, Deuteron. XVIIIe Ve 10 : précautions et sévérités qui eussent été injustes et ridicules contre de simples charlatants, et qui supposent nécessairement un commerce réel entre certains hommes et les démons.

La loi nouvelle n'est pas moins précise sur ce point que l'ancienne ; tant d'énergumenes guéris par J. C. et ses apôtres, Simon et Elymas tous deux magiciens, la pythie dont il est parlé dans les actes des apôtres, enfin tant de faits relatifs à la magie attestés par les pères, ou attestés par les écrivains ecclésiastiques les plus respectables ; les décisions des conciles, les ordonnances de nos rais, et entr'autres de Charles VIII. en 1490, de Charles IX. en 1560, et de Louis XIV. en 1682. Les Jurisconsultes et les Théologiens s'accordent aussi à admettre l'existence des sorciers ; et sans citer sur ce point nos théologiens, nous nous contenterons de remarquer que les hommes les plus célèbres que l'Angleterre ait produits depuis un siècle, c'est-à-dire, Mrs. Barrow, Tillotson, Stillingfleet, Jenkin, Prideaux, Clarke, Locke, Vossius, etc. ce dernier surtout remarque que ceux qui ne sauraient se persuader que les esprits entretiennent aucun commerce avec les hommes, ou n'ont lu les saintes Ecritures que fort négligemment, ou, quoiqu'ils se déguisent, en méprisent l'autorité. " Non possunt in animum inducère ulla esse in spiritibus commercia cum homine... sed deprehendi eos vel admodùm negligenter legisse sacras litteras, vel utcumque dissimularent, Scripturarum autoritatem parvi facère. Voss. epistol. ad. "

En effet dans cette matière tout dépend de ce point décisif ; dès qu'on admet les faits énoncés dans les Ecritures, on admet aussi d'autres faits semblables qui arrivent de temps en temps : faits extraordinaires, surnaturels, mais dont le surnaturel est accompagné de caractères qui dénotent que Dieu n'en est pas l'auteur, et qu'ils arrivent par l'intervention du démon. Mais comme après une pareille autorité il serait insensé de ne pas croire que quelquefois les démons entretiennent avec les hommes de ces commerces qu'on nomme magie ; il serait imprudent de se livrer à une imagination vive et tout-à-la-fais faible, qui ne voit par-tout que maléfices, que lutins, que fantômes et que sorciers. Ajouter foi trop légérement à tout ce qu'on raconte en ce genre, et rejeter absolument tout ce qu'on en dit, sont deux extrêmes également dangereux. Examiner et peser les faits, avant que d'y accorder sa confiance, c'est le milieu qu'indique la raison.

Nous ajouterons même avec le P. Malebranche, qu'on ne saurait être trop en garde contre les rêveries des démonographes, qui sous prétexte de prouver ce qui a rapport à leur but, adoptent et entassent sans examen tout ce qu'ils ont vu, lu, ou entendu.

" Je ne doute point, continue le même auteur, qu'il ne puisse y avoir des sorciers, des charmes, des sortileges, etc. et que le démon n'exerce quelquefois sa malice sur les hommes, par la permission de Dieu. C'est faire trop d'honneur au diable, que de rapporter sérieusement des histoires, comme des marques de sa puissance, ainsi que font quelques nouveaux démonographes, puisque ces histoires le rendent redoutable aux esprits faibles. Il faut mépriser les démons, comme on méprise les bourreaux, car c'est devant Dieu seul qu'il faut trembler.... quand on méprise ses lois et son évangile.

Il s'ensuit de-là, (& c'est toujours la doctrine du P. Malebranche), que les vrais sorciers sont aussi rares, que les sorciers par imagination sont communs. Dans les lieux où l'on brule les sorciers, on ne voit autre chose, parce que dans les lieux où on les condamne au feu, on croit véritablement qu'ils le sont, et cette croyance se fortifie par les discours qu'on en tient. Que l'on cesse de les punir, et qu'on les traite comme des fous, et l'on verra qu'avec le temps ils ne seront plus sorciers, parce que ceux qui ne le sont que par imagination, qui sont certainement le plus grand nombre, deviendront comme les autres hommes.

Il est sans-doute que les vrais sorciers méritent la mort, et que ceux même qui ne le sont que par imagination, ne doivent pas être regardés comme innocens, puisque pour l'ordinaire, ces derniers ne sont tels, que parce qu'ils sont dans la disposition du cœur d'aller au sabbat, et qu'ils se sont frottés de quelque drogue pour venir à bout de leur malheureux dessein. Mais en punissant indifféremment tous ces criminels, la persuasion commune se fortifie ; les sorciers par imagination se multiplient, et ainsi une infinité de gens se perdent et se damnent. C'est donc avec raison que plusieurs parlements ne punissent point les sorciers " ; (il faut ajouter précisément comme sorciers, mais comme empoisonneurs, et convaincus de maléfices, ou chargés d'autres crimes, par exemple, de faire périr des bestiaux par des secrets naturels.) " Il s'en trouve beaucoup moins dans les terres de leur ressort, et l'envie, la haine, et la malice des méchants ne peuvent se servir de ce prétexte pour accabler les innocens ". Recherche de la vérité, liv. III. chap. VIe

Il est en effet étonnant qu'on trouve dans certains démonographes une crédulité si aveugle sur le grand nombre des sorciers, après qu'eux-mêmes ont rapporté des faits qui devraient leur inspirer plus de réserve. Tel est celui que rapporte en latin Delrio, d'après Monstrelet ; mais que nous transcrirons dans le vieux style de cet auteur, et qui servira à confirmer ce que dit le P. Malebranche, que l'accusation de sorcellerie est souvent un prétexte pour accabler les innocens.

" En cette année (1459), dit Monstrelet : en la ville d'Arras au pays d'Artais, advint un terrible cas et pitoyable, que l'en nommait vaudaisie, ne sai pourquoi : mais l'en disait que c'étaient aucunes gens, hommes et femmes, qui de nuit se transportaient par vertu du diable, des places où ils étaient, et soudainement se trouvaient en aucuns lieux arrière de gens, ès bois, ou ès déserts, là où ils se trouvaient en très-grand nombre hommes et femmes, et trouvaient illec un diable en forme d'homme, duquel ils ne vesient jamais le visage ; et ce diable leur lisait ou disait ses commandements et ordonnances, et comment et par quelle manière ils le devaient avrer et servir, puis faisait par chacun d'eux baiser son derrière, et puis il baillait à chacun un peu d'argent, et finalement leurs administrait vins et viandes en grand largesse, dont ils se repaissaient ; et puis tout-à-coup chacun prenait sa chacune, et en ce point s'estaindait la lumière, et connaissaient l'un l'autre charnellement, et ce fait tout soudainement se retrouvait chacun en sa place dont ils étaient partis premièrement. Pour cette folie furent prins et emprisonnés, plusieurs notables gens de ladite ville d'Arras, et autres moindres gens, femmes folieuses et autres, et furent tellement gehinés, et si terriblement tourmentés, que les uns confessèrent le cas leur être tout ainsi advenu, comme dit est ; et outre plus confessèrent avoir veu et cogneu en leur assemblée plusieurs gens notables, prélats, seigneurs et autres gouverneurs de bailliages et de villes : voire tels, selon commune renommée, que les examinateurs et les juges leur nommaient et mettaient en bouche : si que par force de peines et de torments ils les accusaient et disaient que voirement ils les y avaient veus ; et les aucuns ainsi nommés, étaient tantôt après prins et emprisonnés et mis à torture, et tant et si très-longuement, et par tant de fois que confesser le leur convenait ; et furent ceux-ci qui étaient des moindres gens, exécutés et brulés inhumainement. Aucuns autres plus riches et plus puissants se racheptèrent par force d'argent, pour éviter les peines et les hontes que l'on leur faisait ; et de tels y eut des plus grants, qui furent preschés et séduits par les examinateurs, qui leur donnaient à entendre, et leur promettaient s'ils confessaient le cas, qu'ils ne perdraient ne corps ne biens. Tels y eut qui souffrirent en merveilleux patience et constance, les peines et les torments ; mais ne voulurent rien confesser à leur préjudice, trop bien donnèrent argent largement aux juges, et à ceux qui les pouvaient relever de leurs peines. Autres y eut qui se absentèrent et vuidèrent du pays, et prouvèrent leur innocence, si qu'ils en demourèrent paisibles, et ne fait ni à faire ce que plusieurs gens de bien cogneurent assez, que cette manière d'accusation, fut une chose controuvée par aucunes mauvaises personnes, pour grever et déstruire, ou déshonorer, ou par ardeur de convoitise, aucunes notables personnes, que ceux hayaient de vieille haine, et que malicieusement ils feirent prendre meschantes gens tous premièrement, auxquels ils faisaient par force de peines et de torments, nommer aucuns notables gens tels que l'en leur mettait à la bouche, lesquels ainsi accusez étaient prins et tormentez, comme dit est. Qui fût pour veoir au jugement de toutes gens de bien, une chose moult perverse et inhumaine, au grand déshonneur de ceux qui en furent notez, et au très-grand péril des âmes de ceux qui par tels moyens voulaient déshonnorer gens de bien ". Monstrelet, 3e vol. des chroniques, fol. 84. édit. de Paris 1572. in-fol.

On renouvella ces procédures dans la même ville et avec les mêmes iniquittés, au bout d'environ 30 ans ; mais le parlement de Paris rendit justice aux parties, par l'absolution des accusés, et par la condamnation des juges.

Malgré des exemples si frappans, on était encore fort crédule en France sur l'article des sorciers dans le siècle suivant.

En 1571, un sorcier nommé Trais-Echelles, fut exécuté en greve, pour avoir eu commerce avec les mauvais démons, et accusa douze cent personnes du même crime, dit Mézerai qui trouve ce nombre de douze cent bien fort ; car, ajoute-t-il, un auteur le rapporte ainsi, " je ne sai s'il le faut croire, car ceux qui se sont une fois rempli l'imagination de ces creuses et noires fantaisies, croient que tout est plein de diables et de sorciers. ". L'auteur que Mézerai ne nomme point, mais qu'il désigne pour un démonographe, c'est Bodin. Or Bodin dans sa démonomanie, liv. IV. chap. j. dit que " Trais-Echelles se voyant convaincu de plusieurs actes impossibles à la puissance humaine, et ne pouvant donner raison apparente de ce qu'il faisait, confessa que tout cela se faisait à l'aide de satan, et supplia le roi (Charles IX.) lui pardonner, et qu'il en défererait une infinité. Le roi lui donna grâce, à charge de revéler ses compagnons et ses complices, ce qu'il fit, et en nomma un grand nombre par nom et surnom qu'il connaissait, et pour vérifier son dire, quant à ceux qu'il avait vus aux sabbats, il disait qu'ils étaient marqués comme de la patte ou piste d'un lièvre qui était insensible, en sorte que les sorciers ne sentent point les pointures quand on les perce jusqu'aux os, au lieu de la marque. Il ajoute encore, que Trais Echelles dit au roi Charles IX. qu'il y avait plus de trois cent mille sorciers en France ", nombre beaucoup plus prodigieux que celui qui étonnait Mézerai. Il y a apparence que Trais-Echelles était réellement sorcier, et que la plupart de ceux qu'il accusa, ou ne l'étaient que par imagination, ou ne l'étaient point du tout. Quoi qu'il en sait, Trais-Echelles profita mal de la grâce que lui avait accordée le roi, et retomba dans ses premiers crimes, puisqu'il fut supplicié. Quant aux autres, continue Bodin, " la poursuite et délation fut supprimée, soit par faveur ou concussion, ou pour couvrir la honte de quelques-uns qui étaient, peut-être, de la partie, et qu'on n'eut jamais pensé, soit pour le nombre qui se trouva, et le délateur échappa " ; mais ce ne fut pas, comme on voit, pour longtemps. Bodin, dit M. Bayle, de qui nous empruntons ceci, veut faire passer pour un grand désordre cette conduite, qui au fonds était fort louable, car la suppression des procédures fondées sur la délation d'un pareil scélérat, fait voir qu'il y avait encore de bons restes de justice dans le royaume. Elles eussent ramené les maux qui furent commis dans Arras au quinzième siècle. Bayle, réponse aux questions d'un provinc. chap. LV. 603 de l'édit. de 1737. in-fol.

Sous le successeur de Charles IX, on n'était pas moins en garde contre l'excessive crédulité sur ce point, comme il parait par ce récit de Pigray, chirurgien d'Henri III. et témoin oculaire du fait qu'il rapporte. La cour du parlement de Paris s'étant, " dit-il, réfugiée à Tours en 1589, nomma MM. le Roi, Falaiseau, Renard, médecins du roi, et moi, pour voir et visiter quatorze, tant hommes que femmes, qui étaient appelantes de la mort, pour être accusées de sorcellerie : la visitation fut faite par nous en la présence de deux conseillers de ladite cour. Nous vimes les rapports qui avaient été faits, sur lesquels avait été fondé leur jugement par le premier juge : je ne sai pas la capacité ni la fidélité de ceux qui avaient rapporté, mais nous ne trouvâmes rien de ce qu'ils disaient, entr'autres choses qu'il y avait certaines places sur eux du tout insensibles : nous les visitames fort diligemment, sans rien oublier de tout ce qui y est requis, les faisant dépouiller tous nuds : ils furent piqués en plusieurs endroits, mais ils avaient le sentiment fort aigu. Nous les interrogeâmes sur plusieurs points, comme on fait les mélancoliques ; nous n'y reconnumes que de pauvres gens stupides, les uns qui ne se souciaient de mourir, les autres qui le désiraient : notre avis fut de leur bailler plutôt de l'ellebore pour les purger, qu'autre remède pour les punir. La cour les renvoya suivant notre rapport ". Pigray, chirur. liv. VII. chap. Xe p. 445.

Cependant ces accusations fréquentes de sorcellerie, jointes à la créance qu'on donnait à l'astrologie judiciaire et autres semblables superstitions sous le règne des derniers Valais, avaient tellement enraciné le préjugé, qu'il existe un grand nombre de vrais sorciers, que dans le siècle suivant on trouve encore des traces assez fortes de cette opinion. En 1609, Filesac docteur de sorbonne, se plaignait que l'impunité des sorciers en multipliait le nombre à l'infini. Il ne les compte plus par cent mille, ni par trois cent mille, mais par millions : voici ses paroles. " Lepidè Plautus in truculento, act. I. sc. j. "

Nam nunc lenonum et scortorum plus est ferè

Quam olim muscarum et cum caletur maximè.

Etiam magos, maleficos, sagas, hoc tempore in orbe christiano, longe numero superante omnes fornices et prostibula, et officiosos istos qui homines inter se convenas facère solent, nemo negabit, nisi elleborosus existat, et nos quidem tantam colluviem miramur et perhorrescimus. De idololat. mastic. fol. 71.

La maréchale d'Ancre fut accusée de sortilege, et l'on produisit en preuve contre elle, de s'être servie d'images de cire qu'elle conservait dans des cercueils, d'avoir fait venir des sorciers prétendus religieux, dits ambrosiens, de Nanci en Lorraine, pour l'aider dans l'oblation d'un coq qu'elle faisait pendant la nuit dans l'église des Augustins et dans celle de S. Sulpice, et enfin d'avoir eu chez elle trois livres de caractères, avec un autre petit caractère et une boète, où étaient cinq rondeaux de velours, desquels caractères, elle et son mari usaient pour dominer sur les volontés des grands. " On se souviendra avec étonnement, dit M. de Voltaire, dans son essai sur le siècle de Louis XIV. jusqu'à la dernière postérité, que la maréchale d'Ancre fut brulée en place de greve comme sorcière, et que le conseiller Courtin, interrogeant cette femme infortunée, lui demanda de quel sortilege elle s'était servie pour gouverner l'esprit de Marie de Médicis : la maréchale lui répondit : je me suis servie du pouvoir qu'ont les âmes fortes sur les esprits faibles, et qu'enfin cette réponse ne servit qu'à précipiter l'arrêt de sa mort ".

Il en fut de même dans l'affaire de ce fameux curé de Loudun, Urbain Grandier, condamné au feu comme magicien, par une commission du conseil. Ce prêtre était sans-doute repréhensible et pour ses mœurs et pour ses écrits ; mais l'histoire de son procès, et celle des diables de Loudun, ne prouvent en lui aucun des traits, pour lesquels on le déclara dû.ment atteint et convaincu du crime de magie, maléfice et possession, et pour réparation desquels on le condamna à être brulé vif avec les pactes et caractères magiques qu'on l'accusait d'avoir employé.

En 1680, la Vigoureuse et la Vaisin, deux femmes intriguantes qui se donnaient pour devineresses, et qui réellement étaient empoisonneuses, furent convaincues de crimes énormes et brulées vives. Un grand nombre de personnes de la première distinction furent impliquées dans leur affaire ; elles nommèrent comme complices ou participantes de leurs opérations magiques la duchesse de Bouillon, la comtesse de Saissons et le duc de Luxembourg, sans-doute, afin de tâcher d'obtenir grâce à la faveur de protections si puissantes. La première brava ses juges dans son interrogatoire, et ne fut pas mise en prison, mais on l'obligea de s'absenter pendant quelque temps. La comtesse de Saissons décretée de prise de corps, passa en Flandres. Pour le duc de Luxembourg, accusé de commerce avec les magiciennes et les démons, il fut envoyé à la bastille, mais élargi bientôt après, et renvoyé absous. Le vulgaire attribuait à la magie son habileté dans l'art de la guerre.

Si les personnes dont nous venons de parler eussent pratiqué l'art des sorciers, elles auraient fait une exception, à ce que dit le jurisconsulte Ayrault, qu'il n'y a plus maintenant que des stupides, des paysans et des rustres qui soient sorciers. On a raison en effet de s'étonner, que des hommes qu'on suppose avoir commerce avec les démons et leur commander, ne soient pas mieux partagés du côté des lumières de l'esprit, et des biens de la fortune, et que le pouvoir qu'ils ont de nuire, ne s'étend jamais jusqu'à leurs accusateurs et à leurs juges. Car on ne donne aucune raison satisfaisante de la cessation de ce pouvoir, dès qu'ils sont entre les mains de la justice. Delrio rapporte pourtant quelques exemples de sorcières qui ont fait du mal aux juges qui les condamnaient, et aux bourreaux qui les exécutaient ; mais ces faits sont de la nature de beaucoup d'autres qu'il adopte, et son seul témoignage n'est pas une autorité suffisante pour en persuader la certitude ou la vérité à ses lecteurs.