Cet empire se démembra, et s'étendit dans la suite sous la puissance de divers conquérants. Les Turcs, peuple venu du Turkestan en Asie, après avoir embrassé la religion musulmane des Sarrasins, leur enlevèrent avec le temps de vastes pays, qui joints aux débris de Trébisonde et de Constantinople, ont formé l'empire ottoman : l'Egypte eut pour gouverneurs ses soudants particuliers.

Les Sarrasins qui avaient soumis les côtes de l'Afrique le long de la Méditerranée, furent appelés en Espagne par le comte Julien. On les nomme également Sarrasins à cause de leur origine, et Maures, parce qu'ils étaient établis dans les trois Mauritanies.

Le comte Julien était chez eux en ambassade, lorsque sa fille fut déshonorée par Rodrigue roi d'Espagne. Le comte outragé s'adressa à eux pour le venger, et commandés par un émir, ils conquirent toute l'Espagne, après avoir gagné en 714 la célèbre bataille où Rodrigue perdit la vie. L'archevêque Opas prêta serment de fidélité aux Sarrasins, et conserva sous eux beaucoup d'autorité sur les églises chrétiennes que les vainqueurs tolérèrent.

L'Espagne, à la réserve des cavernes et des roches de l'Asturie, fut soumise en 14 mois à l'empire des califes. Ensuite, sous Abdérame, vers l'an 734, d'autres Sarrasins subjuguèrent la moitié de la France ; et quoique dans la suite ils furent affoiblis par les victoires de Charles Martel, et par leurs divisions, ils ne laissèrent pas de conserver des places dans la Provence.

" En 828, les mêmes Sarrasins qui avaient subjugué l'Espagne, firent des incursions en Sicile, et desolèrent cette ile, sans que les empereurs grecs, ni ceux d'occident, pussent alors les en chasser. Ces conquérants allaient se rendre maîtres de l'Italie, s'ils avaient été unis ; mais leurs fautes sauvèrent Rome, comme celles des Carthaginois la sauvèrent autrefois.

Ils partent de Sicîle en 846 avec une flotte nombreuse : ils entrent par l'embouchure du Tibre ; et ne trouvant qu'un pays presque désert, ils vont assiéger Rome. Ils prirent les dehors, et ayant pillé la riche église de saint Pierre hors des murs, ils levèrent le siège pour aller combattre une armée de François qui venait secourir Rome, sous un général de l'empereur Lothaire. L'armée française fut battue ; mais la ville rafraichie fut manquée ; et cette expédition qui devait être une conquête, ne devint par leur mesintelligence, qu'une simple incursion ".

Cependant ils étaient alors redoutables à-la-fais à Rome et à Constantinople ; maîtres de la Perse, de la Syrie, de l'Arabie, de toutes les côtes d'Afrique jusqu'au mont Atlas, et des trois quarts de l'Espagne. Il faut lire l'histoire de ces peuples et de leurs conquêtes par M. Ockley ; elle a été imprimée à Paris, en 1748, 2. vol. in -4°.

Ce que je ne puis m'empêcher de remarquer, c'est que cette nation ne songea pas plus tôt à devenir la maîtresse du monde ; qu'à l'exemple des autres, qui avant elle en avaient fait la conquête, elle se déclara d'une manière particulière en faveur des Sciences ; elle donna retraite aux Lettres chassées de Rome et d'Athènes. On cultiva la Philosophie dans les académies du Caire, de Constantine, de Sigilsmèse, de Bassora, d'Hubbede, de Fez, de Maroc, de Tunis, de Tripoli, d'Alexandrie, et de Coufah.

Malheureusement les Sarrasins l'avaient reçue fort altérée des mains des derniers interpretes, et ils n'étaient point en état de la rétablir dans son véritable sens. Ils y trouvaient trop d'obstacles, et dans leur langue, qui leur rendait le tour des langues étrangères difficîle à entendre, et dans le caractère de leur génie, plus propre à courir après le merveilleux, ou à approfondir des subtilités, qu'à s'arrêter à des vérités solides.

Leur théologie roulait sur des idées abstraites ; ils se perdaient dans leurs recherches profondes sur les noms de Dieu et des anges : ils tournaient en astrologie judiciaire, la connaissance qu'ils avaient du ciel : enfin, attachant des mystères et des secrets à de simples symboles, ils croyaient posséder l'art de venir à bout de leurs desseins, par un usage arbitraire de lettres ou de nombres.

Les juifs jouirent en orient de la plus grande tolérance, sous la domination des Sarrasins. Persécutés par-tout ailleurs, ils avaient une ressource dans la bonté des califes, soit que les Mahométans usassent de cette indulgence, en considération de ce que leur prophète s'était servi d'un juif pour rédiger l'alcoran ; soit que ce fût un effet de la douceur qu'inspire naturellement l'amour des Lettres. Les juifs eurent la permission d'établir leurs académies de Frora et de Piendébita, au voisinage de Coufah et de Bagdat, où les princes Sarrasins tenaient successivement le siège de leur empire.

Ils empruntèrent de leurs nouveaux maîtres l'usage de la Grammaire, et employèrent alors la masore à l'exemple des Sarrasins, qui avaient ajouté des points à l'alcoran du temps d'Omar : ils firent aussi des traductions de livres arabes.

Enfin, comme les Sarrasins aimaient surtout l'Astronomie et la Médecine, les juifs s'appliquèrent avec succès à ces deux sciences, qui ont été souvent depuis une source de gloire et de richesses pour plusieurs particuliers de cette nation. (Le chevalier DE JAUCOURT ).

SARRASINS ou ARABES, philosophie des, (Histoire, Philosophie) voyez ce que nous en avons déjà dit à l'article ARABES, où nous avons conduit l'histoire philosophique de ces peuples depuis sa première origine, jusqu'au temps de l'islamisme. C'est à ce moment que nous allons la reprendre. Les sciences s'éteignaient par-tout ; une longue suite de conquérants divers avaient bouleversé les empires subsistants, et laissé après eux l'ignorance et la misere ; les Chrétiens même s'étaient abrutis, lorsque les Sarrasins feuilletèrent les livres d'Aristote, et relevèrent la Philosophie défaillante.

Les Arabes n'ont connu l'écriture que peu de temps avant la fondation de l'égire. Antérieurement à cette époque on peut les regarder comme des idolâtres grossiers, sur lesquels un homme qui avait quelque éloquence naturelle pouvait tout. Tels furent Sahan, Wayel, et surtout Kossus : ceux qu'ils désignèrent par le titre de chated, étaient pâtres, astrologues, musiciens, médecins, poètes, législateurs et prêtres ; caractères qu'on ne trouve jamais réunis dans une même personne, que chez les peuples barbares et sauvages. Ouvrez les fastes des nations ; et lorsqu'ils vous entretiendront d'un homme chargé d'interpreter la volonté des dieux, de les invoquer dans les temps de calamités générales, de chanter les faits mémorables, d'ordonner des entreprises, d'infliger des châtiments, de décerner des récompenses, de prescrire des lois ecclésiastiques, politiques et civiles, de marquer des jours de repos et de travail, de lier ou d'absoudre, d'assembler ou de disperser, d'armer ou de desarmer, d'imposer les mains pour guérir ou pour exterminer ; concluez que c'est le temps de la profonde ignorance. A mesure que la lumière s'accraitra, vous verrez ces fonctions importantes se séparer ; un homme commandera ; un autre sacrifiera ; un troisième guérira ; un quatrième plus sacré les immortalisera par ses chants.

Les Arabes avaient peut-être avant l'islamisme quelques teintures de poésie et d'astrologie, telles qu'on peut les supposer à un peuple qui parle une langue fixée, mais qui ignore l'art d'écrire.

Ce fut un habitant d'Ambare, appelé Moramère, qui inventa les caractères arabes peu de temps avant la naissance de Mahomet, et cette découverte demeura si secrète entre les mains des coraishites, qu'à peine se trouvait-il quelqu'un qui sut lire l'alcoran lorsque les exemplaires commencèrent à s'en multiplier. Alors la nation était partagée en deux classes, l'une d'érudits, qui savaient lire, et l'autre d'idiots. Les premiers résidaient à Médine, les seconds à la Mecque. Le saint prophète ne savait ni lire ni écrire : de-là la haine des premiers musulmants contre toute espèce de connaissance ; le mépris qui s'en est perpétué chez leurs successeurs ; et la plus longue durée garantie aux mensonges religieux dont ils sont entêtés.

Voyez à l'article ARABES ce qui concerne les Nomades et les Zabiens.

Mahomet fut si convaincu de l'incompatibilité de la Philosophie et de la Religion, qu'il décerna peine de mort contre celui qui s'appliquerait aux arts libéraux : c'est le même pressentiment dans tous les temps et chez tous les peuples, qui a fait hasarder de décrier la raison.

Il était environné d'idolâtres, de zabiens, de juifs et de chrétiens. Les idolâtres ne tenaient à rien ; les zabiens étaient divisés ; les juifs misérables et méprisés ; et les chrétiens partagés en monophysites ou jacobites et orthodoxes, se déchiraient. Mahomet sut profiter de ces circonstances pour les amener tous à un culte qui ne leur laissait que l'alternative de choisir de belles femmes, ou d'être exterminés.

Le peu de lumière qui restait s'affoiblit au milieu du tumulte des armes, et s'éteignit au sein de la volupté ; l'alcoran fut le seul livre ; on brula les autres, ou parce qu'ils étaient superflus s'ils ne contenaient que ce qui est dans l'alcoran, ou parce qu'ils étaient pernicieux, s'ils contenaient quelque chose qui n'y fût pas. Ce fut le raisonnement d'après lequel un des généraux sarrazins fit chauffer pendant six mois les bains publics avec les précieux manuscrits de la bibliothèque d'Alexandrie. On peut regarder Mahomet comme le plus grand ennemi que la raison humaine ait eu. Il y avait un siècle que sa religion était établie, et que ce furieux imposteur n'était plus, lorsqu'on entendait des hommes remplis de son esprit s'écrier que Dieu punirait le calife Al-mamon, pour avoir appelé les sciences dans ses états, au détriment de la sainte ignorance des fidèles croyans ; et que si quelqu'un l'imitait, il fallait l'empaler, et le porter ainsi de tribu en tribu, précédé d'un héraut qui dirait, voilà quelle a été et quelle sera la récompense de l'impie qui préférera la Philosophie à la tradition et au divin alcoran.

Les Ommiades qui gouvernèrent jusqu'au milieu du second siècle de l'hégire, furent des défenseurs rigoureux de la loi de l'ignorance, et de la politique du saint prophète. L'aversion pour les Sciences et pour les Arts se ralentit un peu sous les Abassides. Au commencement du IXe siècle, Abul-Abbas Al-Mamon et ses successeurs, instituèrent les pélerinages, élevèrent des temples, prescrivirent des prières publiques, et se montrèrent si religieux, qu'ils purent accueillir la science et les savants sans s'exposer.

Le calife Walid défendit aux chrétiens l'usage de la langue grecque ; et cet ordre singulier donna lieu à quelques traductions d'auteurs étrangers en arabe.

Abug-Jaafar Al-mansor, son successeur, osa attacher auprès de lui un astrologue et deux médecins chrétiens, et étudier les Mathématiques et la Philosophie : on vit paraitre sans scandale deux livres d'Homère traduits en syriaque, et quelques autres ouvrages.

Abug-Jaafar Haron Raschid marcha sur les traces d'Al-mansor, aima la poésie, proposa des récompenses aux hommes de lettres, et leur accorda une protection ouverte.

Ces souverains sont des exemples frappans de ce qu'un prince aimé de ses peuples peut entreprendre et exécuter. Il faut qu'on sache qu'il n'y a point de religion que les mahométants haïssent autant que la chrétienne ; que les savants que ces califes abassides rassemblèrent autour d'eux, étaient presque tous chrétiens ; et que le peuple heureux sous leur gouvernement, ne songea pas à s'en offenser.

Mais le règne d'Al-Mamon, ou Abug Jaafar Abdallah, fut celui des Sciences, des Arts, et de la Philosophie ; il donna l'exemple, il s'instruisit. Ceux qui prétendaient à sa faveur, cultivèrent les sciences. Il encouragea les Sarrasins à étudier ; il appela à sa cour ceux qui passaient pour versés dans la littérature grecque, juifs, chrétiens, arabes ou autres, sans aucune distinction de religion.

On sera peut-être surpris de voir un prince musulman fouler aux pieds si fièrement un des points les plus importants de la religion dominante ; mais il faut considérer que la plupart des habitants de l'Arabie étaient chrétiens ; qu'ils exerçaient la Médecine, connaissance également utîle au prince et au prêtre, au sujet hérétique et au sujet orthodoxe ; que le commerce qu'ils faisaient les rendait importants ; et que malgré qu'ils en eussent, par une supériorité nécessaire des lumières sur l'ignorance, les Sarrasins leur accordaient de l'estime et de la vénération. Philopone, philosophe aristotélicien, se fit respecter d'Amram, général d'Omar, au milieu du sac d'Alexandrie.

Jean Mesué fut versé dans la Philosophie, les Lettres et la Médecine ; il eut une école publique à Bagdat ; il fut protégé des califes, depuis Al-Rashide Al-Mamom, jusqu'à Al-Motawaccille ; il forma des disciples, parmi lesquels on nomme Honam Ebn Isaac, qui était arabe d'origine, chrétien de religion, et médecin de profession.

Honam traduisit les Grecs en arabe, commenta Euclide, expliqua l'almageste de Ptolémée, publia les livres d'Eginete, et la somme philosophique aristotélique de Nicolas, en syriaque, et fit connaître par extraits Hippocrate et Galien.

Les souverains font de l'esprit des peuples tout ce qu'il leur plait ; au temps de Mesué, ces superstitieux musulmants, ces féroces contempteurs de la raison, voyaient sans chagrin une école publique de philosophie s'ouvrir à côté d'une mosquée.

Cependant les imprudents chrétiens attaquaient l'alcoran, les juifs s'en mocquaient, les philosophes le négligeaient, et les fidèles croyans sentaient la nécessité de jour en jour plus urgente de recourir à quelques hommes instruits et persuadés, qui défendissent leur culte, et qui repoussassent les attaques de l'impiété. Cette nécessité les reconcilia encore avec l'érudition ; mais bientôt on attacha une foule de sens divers aux passages obscurs de l'alcoran ; l'un y vit une chose, un autre y vit une autre chose ; on disputa, et l'on se divisa en sectes qui se damnèrent réciproquement. Cependant l'Arabie, la Syrie, la Perse, l'Egypte, se peuplèrent de philosophes, et la lumière échappée de ces contrées commença à poindre en Europe.

Les contemporains et les successeurs d'Al-mamon se conformèrent à son goût pour les sciences ; elles furent cultivées jusqu'au moment où effrayées, elles s'enfuirent dans la Perse, dans la Scythie et la Tartarie, devant Tamerlan. Un second fléau succéda à ce premier ; les Turcs renversèrent l'empire des Sarrasins, et la barbarie se renouvella avec ses ténébres.

Ces événements qui abrutissaient des peuples, en civilisaient d'autres, les transmigrations forcées conduisirent quelques savants en Afrique et dans l'Espagne, et ces contrées s'éclairèrent.

Après avoir suivi d'un coup-d'oeil rapide les révolutions de la science chez les Sarrasins, nous allons nous arrêter sur quelques détails.

Le mahométisme est divisé en plus de soixante et dix sectes : la diversité des opinions tombe particulièrement sur l'unité de Dieu et ses attributs, ses decrets et son jugement, ses promesses et ses châtiments, la prophétie et les fonctions du sacerdoce : de-là les Hanifites, les Melkites, les Schafites, les Henbalites, les Mutazalites, &c.... et toutes ces distinctions extravagantes qui sont nées, qui naissent et qui naitront dans tous les temps et chez tous les peuples où l'on appliquera les notions de la Philosophie aux dogmes de la Théologie. La fureur de concilier Aristote avec Mahomet, produisit parmi les musulmants les mêmes folies que la même fureur de concilier le même philosophe avec Jesus-Christ avait produites ou produisit parmi les chrétiens ; ils eurent leur al-calam ou théosophie.

Dans les commencements les musulmants prouvaient la divinité de l'alcoran avec un glaive bien tranchant : dans la suite, ils crurent devoir employer aussi la raison ; et ils eurent une philosophie et une théologie scolastique, et des molinistes et des jansénistes, et des déistes et des pyrrhoniens, et des athées et des sceptiques.

Alkindi naquit à Basra de parents illustres ; il fut chéri de Al-Mamon, de Al-Mosateme et de Ahmède ; il s'appliqua particulièrement aux Mathématiques et à la Philosophie : Aristote était destiné à étouffer ce que la nature produirait de génie chez presque tous les peuples ; Alkindi fut une de ses victimes parmi les Sarrasins. Après avoir perdu son temps aux cathégories, aux prédicaments, à l'art sophistique, il se tourna du côté de la Médecine avec le plus grand succès ; il ne négligea pas la philosophie naturelle ; ses découvertes le firent soupçonner de magie. Il avait appliqué les Mathématiques à la Philosophie ; il appliqua la Philosophie à la Médecine ; il ne vit pas que les Mathématiques détruisaient les systèmes en Philosophie, et que la Philosophie les introduisait en Médecine. Il fut eclectique en religion ; il montra bien à un interprete de la loi qui le déchirait publiquement, et qui avait même attenté à sa vie, la différence de la Philosophie et de la superstition ; il aurait pu le châtier, ou employer la faveur dont il jouissait à la cour, et le perdre ; il se contenta de le reprimander doucement, et de lui dire : " ta religion te commande de m'ôter la vie, la mienne de te rendre meilleur si je puis : viens que je t'instruise, et tu me tueras après si tu veux ". Que pense-t-on qu'il apprit à ce prêtre fanatique ? l'Arithmétique et la Géométrie. Il n'en fallut pas davantage pour l'adoucir et le réformer ; c'est peut-être ainsi qu'il en faudrait user avec les peuples féroces, superstitieux et barbares. Faites précéder le missionnaire par un géométre ; qu'ils sachent combiner des vérités, et puis vous leur ferez combiner ensuite des idées plus difficiles.

Thabit suivit la méthode d'Alkindi ; il fut géométre, philosophe, théologien et médecin sous le calife Mootade. Il naquit l'an de l'hégire 221, et mourut l'an de la même époque 288.

Al-Farabe méprisa les dignités et la richesse, s'enfuit de la maison paternelle, et s'en alla entendre Mesué à Bagdad ; il s'occupa de la Dialectique, de la Physique, de la Métaphysique, et de la Politique ; il joignit à ces études celles de la Géométrie, de la Médecine, et de l'Astronomie, sans lesquelles on ne se distinguait pas dans l'école de Mesué. Sa réputation parvint jusqu'à l'oreille des califes ; on l'appela ; on lui proposa des récompenses, mais rien ne lui parut préférable aux douceurs de la solitude et de la méditation ; il abandonna la cour au crime, à la volupté, à la fausseté, à l'ambition, au mensonge et à l'intrigue : celui-ci ne sut pas seulement de la philosophie, il fut philosophe ; une seule chose l'affligeait, c'est la briéveté de la vie, l'infirmité de l'homme, ses besoins naturels, la difficulté de la science, et l'étendue de la nature. Il disait, du pain d'orge, de l'eau d'un puits, un habit de laine ; et loin de moi ces joies trompeuses, qui finissent par des larmes. Il s'était attaché à Aristote ; il embrassa les mêmes objets. Ses ouvrages furent estimés des Arabes et des Juifs : ceux-ci les traduisirent dans leur langue. Il mourut l'an 339 de l'hégire, à l'âge de 80 ans.

Eschiari ou al-Asshari appliqua les principes de la philosophie péripatéticienne aux dogmes relevés de l'islamisme, fit une théologie nouvelle, et devint chef de la secte appelée de son nom des Assharites ; c'est un syncretisme théosophique. Il avait été d'abord motazalite, et il était dans le sentiment que Dieu est nécessité de faire ce qu'il y a de mieux pour chaque être ; mais il quitta cette opinion.

Asshari, suivant à toute outrance les abstractions, distinctions, précisions aristotéliques, en vint à soutenir que l'existence de Dieu différait de ses attributs.

Il ne voulait pas qu'on instituât de comparaison entre le créateur et la créature. Maimonide qui vivait au milieu de tous ces hérésiarques musulmants, dit qu'Aristote attribuait la diversité des individus à l'accident, Asaria à la volonté, Mutazali à la sagesse ; et il ajoute pour nous autres Juifs, c'est une suite du mérite de chacun et de la raison générale des choses.

La doctrine d'Asshari fit les progrès les plus rapides. Elle trouva des sectateurs en Asie, en Afrique, et en Espagne. Ce fut le docteur orthodoxe par excellence. Le nom d'hérésiarque demeura aux autres théologiens. Si quelqu'un osait accuser de fausseté le dogme d'Asshari, il encourait peine de mort. Cependant il ne se soutint pas avec le même crédit en Asie et en Egypte. Il s'éteignit dans la plupart des contrées au temps de la grande révolution ; mais il ne tarda pas à se renouveller, et c'est aujourd'hui la religion dominante ; on l'explique dans les écoles ; on l'enseigne aux enfants ; on l'a mise en vers, et je me souviens bien, dit Léon, qu'on me faisait apprendre ces vers par cœur quand j'étais jeune.

Abul Hussein Essophi succéda à al-Asshari. Il naquit à Bagdad ; il y fut élevé ; il y apprit la philosophie et les mathématiques, deux sciences qu'on faisait marcher ensemble et qu'il ne faudrait jamais séparer. Il posséda l'astronomie au point qu'on dit de lui, que la terre ne fut pas aussi-bien connue de Ptolémée que le ciel d'Essophi. Il imagina le premier un planisphère, où le mouvement des planètes était rapporté aux étoiles fixes. Il mourut l'an 383 de l'hégire.

Qui est-ce qui a parcouru l'histoire de la Médecine et qui ignore le nom de Rasès, ou al-Rase, ou abu-becre ? Il naquit à Rac, ville de Perse, d'où son père l'emmena à Bagdad pour l'initier au commerce ; mais l'autorité ne subjugue pas le génie. Rasès était appelé par la nature à autre chose qu'à vendre ou acheter. Il prit quelque teinture de Médecine, et s'établit dans un hôpital. Il crut que c'était là le grand livre du médecin, et il crut bien. Il ne négligea pas l'érudition de la philosophie, ni celle de son art ; ce fut le Galien des Arabes. Il voyagea : il parcourut différents climats. Il conversa avec des hommes de toutes sortes de professions ; il écouta sans distinction quiconque pouvait l'instruire ou des médicaments, ou des plantes, ou des métaux, ou des animaux, ou de la philosophie, ou de la chirurgie, ou de l'histoire naturelle, ou de la physique, ou de la chimie. Arnauld de Villeneuve disait de lui : cet homme fut profond dans l'expérience, sur dans le jugement, hardi dans la pratique, clair dans la spéculation. Son mérite fut connu d'Almansor qui l'appela en Espagne, où Rasès acquit des richesses immenses. Il devint aveugle à quatre-vingt ans, et mourut à Cordoue âgé de quatre-vingt-dix, l'an de l'hégire 101. Il laissa une multitude incroyable d'opuscules ; il nous en reste plusieurs.

Avicenne naquit à Bochara l'an 370 de l'hégire, d'un père qui connut de bonne heure l'esprit excellent de son fils et le cultiva. Avicenne, à l'âge où les enfants bégaient encore, parlait distinctement d'arithmétique, de géométrie, et d'astronomie. Il fut instruit de l'islamisme dans la maison ; il alla à Bagdad étudier la médecine et la philosophie rationelle et expérimentale. J'ai pitié de la manière dont nous employons le temps, quand je parcours la vie d'Avicenne. Les jours et les nuits ne lui suffisaient pas, il en trouvait la durée trop courte. Il faut convenir que la nature leur avait été bien ingrate, à lui et à ses contemporains, ou qu'elle nous a bien favorisés, si nous devenons plus savants au milieu du tumulte et des distractions, qu'ils ne l'ont été après leurs veilles, leurs peines, et leur assiduité. Son mérite le conduisit à la cour ; il y jouit de la plus grande considération, mais il ignorait le sort qui l'attendait. Il tomba tout-à-coup du faite des honneurs et de la richesse au fond d'un cachot. Le sultan Jasochbagh avait conféré le gouvernement de la contrée natale d'Avicenne à son neveu. Celui-ci s'était attaché notre philosophe en qualité de médecin, lorsque le sultan alarmé sur la conduite de son neveu, résolut de s'en défaire par le poison, et par la main d'Avicenne. Avicenne ne voulut ni manquer au maître qui l'avait élevé, ni à celui qu'il servait. Il garda le silence et ne commit point le crime ; mais le neveu de Josochbagh instruit avec le temps du projet atroce de son oncle, punit son médecin du secret qu'il lui en avait fait. Sa prison dura deux ans. Sa conscience ne lui reprochait rien, mais le peuple qui juge, comme on sait, le regardait comme un monstre d'ingratitude. Il ne voyait pas qu'un mot indiscret aurait armé les deux princes, et fait répandre des fleuves de sang. Avicenne fut un homme voluptueux ; il écouta le penchant qu'il avait au plaisir, et ses excès furent suivis d'une dyssenterie qui l'emporta, l'an 428 de l'hégire. Lorsqu'il était entre la mort et la vie, les inhumains qui l'environnaient lui disaient : eh bien, grand médecin, que ne te guéris-tu ? Avicenne indigné se fit apporter un verre d'eau, y jeta un peu d'une poudre qui la glaça sur-le-champ, dicta son testament, prit son verre de glace, et mourut. Il laissa à son fils unique, Hali, homme qui s'est fait un nom dans l'histoire de la Médecine, une succession immense. Freind a dit d'Avicenne, qu'il avait été louche en médecine et aveugle en philosophie ; ce jugement est sévère. D'autres prétendent que son Canon medicinae, prouve avec tous ses défauts, que ce fut un homme divin ; c'est aux gens de l'art à l'apprécier.

Sortis de l'Asie, nous allons entrer en Afrique et dans l'Europe, et passer chez les Maures. EsserephEssachalli, le premier qui se présente, naquit en Sicîle ; ce fut un homme instruit et éloquent. Il eut les connaissances communes aux savants de son temps, mais il les surpassa dans la cosmographie. Il fut connu et protégé du comte Roger, qui préférait la lecture du spatiatorium locorum d'Essachalli à celle de l'almageste de Ptolémée, parce que Ptolémée n'avait traité que d'une partie de l'univers, et qu'Essachalli avait embrassé l'univers entier. Ce philosophe se défit des biens qu'il tenait de son souverain, renonça aux espérances qu'il pouvait encore fonder sur sa libéralité, quitta la cour et la Sicile, et se retira dans la Mauritanie.

Thograi naquit à Ispahan. Il fut poète, historien, orateur, philosophe, médécin et chymiste. Cet homme né malheureusement pour son bonheur, accablé des bienfaits de son maître, élevé à la seconde dignité de l'empire, toujours plus riche, plus considéré, et plus mécontent, n'ouvrait la bouche, ne prenait la plume que pour se plaindre de la perversité du sort et de l'injustice des hommes ; c'était le sujet d'un poème qu'il composait lorsque le sultan son maître entra dans sa tente. Celui-ci, après en avoir lu quelques vers, lui dit : " Thograi, je vois que tu es mal avec toi-même ; écoute, et ressouviens-toi de ma prédiction. Je commande à la moitié de l'Asie ; tu es le premier d'un grand empire après moi ; le ciel a versé sur nous sa faveur, il ne dépend que de nous d'en jouir. Craignons qu'il ne punisse un jour notre ambition par quelques revers ; nous sommes des hommes, ne veuillons pas être des dieux ". Peu de temps après, le sultan, plus sage dans la spéculation que dans la pratique, fut jeté dans un cachot avec son ministre. Thograi fut mis à la question et dépouillé de ses trésors peu de temps après, et fut condamné de périr attaché à un arbre et percé de flèches. Ce supplice ne l'abbattit point. Il montra plus de courage qu'on n'en devait attendre d'une âme que l'avarice avait avilie. Il chanta des vers qu'il avait composés ; brava la mort ; il insulta à ses ennemis, et s'offrit sans pâlir à leurs coups. On exerça la férocité jusque sur son cadavre, qui fut abandonné aux flammes. Il a écrit des commentaires historiques sur les choses d'Asie et de Perse, et il nous a laissé un ouvrage d'alchimie intitulé defloratio naturae. Il parait s'être soustrait au joug de l'aristotélisme, pour s'attacher à la doctrine de Platon. Il avait médité sa république. D'un grand nombre de poèmes dans lesquels il avait célébré les hommes illustres de son temps, il ne nous en reste qu'un dont l'argument est moral.

L'histoire de la philosophie et de la médecine des Sarrasins d'Espagne nous offre d'abord les noms d'Avenzoar et d'Avenpas.

Avenzoar naquit à Séville ; il professa la Philosophie, et exerça la médecine avec un désintéressement digne d'éloge. Il soulageait les malades indigens du salaire qu'il recevait des riches. Il eut pour disciples Avenpas, Averroès et Rasis. Il bannit les hypothèses de la Médecine, et la ramena à l'expérience et à la raison. Il mourut l'an de l'hégire 1064.

Le médecin Avenpas fut une espèce de théosophe. Sa philosophie le rendit suspect ; il fut emprisonné à Cordoue comme impie ou comme hérétique. Il y avait alors un assez grand nombre d'hommes qui s'imaginant perfectionner la religion par la Philosophie, corrompaient l'une et l'autre. Cette manie qui se décélait dans l'islamisme, devait un jour se manifester avec une force bien autre dans le Christianisme. Elle prend son origine dans une sorte de pusillanimité religieuse très-naturelle. Avenpas mourut l'an 1025 de l'hégire.

Algazel s'illustra par son apologie du mahométisme contre le judaïsme et le Christianisme. Il professa la philosophie, la théologie et le droit islamitique à Bagdad. Jamais école ne fut plus nombreuse que la sienne. Riches, pauvres, magistrats, nobles, artisans, tous accoururent pour l'entendre. Mais un jour qu'on s'y attendait le moins, notre professeur disparut. Il prit l'habit de pélerin ; il alla à la Mecque ; il parcourut l'Arabie, la Syrie et l'Egypte : il s'arrêta quelque temps au Caire pour y entendre Etartose, célèbre théologien islamite. Du Caire il revint à Bagdad, où il mourut agé de 55 ans, l'an 1005 de l'hégire. Il était de la secte de Al-Asshari. Il écrivit de l'unité de Dieu contre les Chrétiens. Sa foi ne fut pas si aveugle qu'il n'eut le courage et la témérité de reprendre quelque chose dans l'alcoran ; ni si pure, qu'elle n'ait excité la calomnie des zélés de son temps. On loue l'élégance et la facilité de ses poèmes ; ils sont tous moraux. Après avoir exposé les systèmes des philosophes dans un premier ouvrage, intitulé, de opinionibus philosophorum, il travailla à les réfuter dans un second qu'il intitula, de destructione philosophorum.

Thophail, né à Séville, chercha à sortir des ruines de sa famille par ses talents. Il étudia la Médecine et la Philosophie ; il s'attacha à l'aristotélisme : il eut un tour poétique dans l'esprit. Averroes fait grand cas de l'ouvrage où il introduit un homme abandonné dans un fort et nourri par une biche, s'élevant par les seules forces de la raison à la connaissance des choses naturelles et surnaturelles, à l'existence de Dieu, à l'immortalité de l'âme, et à la béatitude intuitive de Dieu après la mort. Cette fable s'est conservée jusqu'à nos jours ; elle n'a point été comprise dans la perte des livres qui a suivi l'expulsion des Maures hors de l'Espagne. Leibnitz l'a connue et admirée. Thophail mourut dans sa patrie l'an 1071 de l'égire.

Averroès fut disciple de Thophail. Cordoue fut sa patrie. Il eut des parents connus par leurs talents, et respectés par leurs postes. On dit que son aïeul entendit particulièrement le droit mahométan, selon l'opinion de Malichi.

Pour se faire une idée de ce que c'est que le droit mahométan, il faut savoir 1°. que les disputes de religion chez les Musulmants, ont pour objet, ou les mots, ou les choses, et que les choses se divisent en articles de foi fondamentaux, et en articles de foi non fondamentaux ; 2°. que leurs lieux théologiques, sont la divine Ecriture ou l'alcoran ; l'assonnah ou la tradition ; le consentement et la raison. S'éleve-t-il un doute sur le licite ou l'illicite, on ouvre d'abord l'alcoran ; s'il ne s'y trouve aucun passage formel sur la question, on a recours à la tradition ; la tradition est-elle muette, on assemble des savants, et l'on compte les voix ; les sentiments sont-ils partagés, on consulte la raison. Le témoignage de la raison est le dernier auquel on s'en rapporte. Il y a plus ; les uns rejettent absolument l'autorité de la raison, tels sont les asphahanites ; d'autres la préfèrent aux opinions des docteurs, tels sont les hanifites ; il y en a qui balancent les motifs ; il y en a au contraire au jugement desquels rien ne prévaut sur un passage précis. Au reste, quelque parti que l'on prenne, on n'est accusé ni d'erreur, ni d'incrédulité. Entre ces casuistes, Malichi fut un des plus célèbres. Son souverain s'adressa quelquefois à lui, mais la crainte ne le porta jamais à interprêter la loi au gré de la passion de l'homme puissant qui le consultait. Le calife Rashid l'ayant invité à venir dans son palais instruire ses enfants, il lui répondit : " La science ne vient point à nous, mais allons à elle " ; et le sultan ordonna que ses enfants fussent conduits au temple avec les autres. L'approche de la mort, et des jugements de Dieu lui rappela la multitude de ses décisions : il sentit alors tout le danger de la profession de casuiste ; il versa des larmes amères en disant : " Eh, que ne m'a-t-on donné autant de coups de verges, que j'ai décidé de cas de conscience ? Dieu Ve donc comparer mes jugements avec sa justice : je suis perdu ". Cependant ce docteur s'était montré en toute circonstance d'une équité et d'une circonspection peu commune.

Averroès embrassa l'assharisme. Il étudia la théologie et la philosophie scolastique, les mathématiques et la médecine. Il succéda à son père dans les fonctions de juge et de grand-prêtre à Cordoue. Il fut appelé à la cour du calife Jacque Al-Mansor, qui le chargea de réformer les lois et la jurisprudence. Il s'acquitta dignement de cette commission importante. Al-Mansor, à qui il avait présenté ses enfants, les chérit ; il demanda le plus jeune au père, qui le lui refusa. Ce jeune homme aimait le cherif et la cour. La maison paternelle lui devint odieuse ; il se détermina à la quitter, contre le sentiment de son père, qui le maudit, et lui souhaita la mort.

Averroès jouissait de la faveur du prince, et de la plus grande considération, lorsque l'envie et la calomnie s'attachèrent à lui. Ses ennemis n'ignoraient pas combien il était aristotélicien, et l'incompatibilité de l'aristotélisme et de l'islamisme. Ils envoyèrent leurs domestiques, leurs parents, leurs amis dans l'école d'Averroès. Ils se servirent ensuite de leur témoignage pour l'accuser d'impiété. On dressa une liste de différents articles mal-sonans, et on l'envoya, souscrite d'une multitude de noms, au prince Al-Mansor, qui dépouilla Averroès de ses biens, et le relégua parmi les Juifs. La persécution fut si violente qu'elle compromit ses amis. Averroès, à qui elle devint insupportable à la longue, chercha à s'y soustraire par la fuite ; mais il fut arrêté et jeté dans une prison. On assembla un concîle pour le juger, et il fut condamné à paraitre les vendredis à la porte du temple, la tête nue, et à souffrir toutes les ignominies qu'il plairait au peuple de lui faire. Ceux qui entraient lui crachaient au visage, et les prêtres lui demandaient doucement : ne vous repentez-vous pas de vos hérésies ?

Après cette petite correction charitable et théologique, il fut renvoyé dans sa maison, où il vécut longtemps dans la misere et dans le mépris. Cependant un cri général s'éleva contre son successeur dans les fonctions de juge et de prêtre, homme dur, ignorant, injuste et violent. On redemanda Averroès. Al-Mansor consulta là-dessus les théologiens, qui répondirent que le souverain qui reprimait un sujet, quand il lui plaisait, pouvait aussi le relever à son gré ; et Averroès retourna à Maroc, où il vécut assez tranquille et assez heureux.

Ce fut un homme sobre, laborieux et juste. Il ne prononça jamais la peine de mort contre aucun criminel. Il abandonna à son subalterne le jugement des affaires capitales. Il montra de la modestie dans ses fonctions, de la patience et de la fermeté dans ses peines. Il exerça la bienfaisance même envers ses ennemis. Ses amis s'offensèrent quelquefois de cette préférence, et il leur répondait : " C'est avec ses ennemis et non avec ses amis qu'on est bienfaisant : avec ses amis c'est un devoir qu'on remplit ; avec ses ennemis c'est une vertu qu'on exerce. Je dépense ma fortune comme mes parents l'ont acquise : je rends à la vertu ce qu'ils ont obtenu d'elle. La préférence dont mes amis se plaignent ne m'ôtera pas ceux qui m'aiment vraiment ; elle peut me ramener ceux qui me haïssent ". La faveur de la cour ne le corrompit point : il se conserva libre et honnête au milieu des grandeurs. Il fut d'un commerce facîle et doux. Il souffrit moins dans sa disgrace de la perte de sa fortune, que des calomnies de l'injustice. Il s'attacha à la philosophie d'Aristote, mais il ne négligea pas Platon. Il défendit la cause de la raison contre Al-Gazel. Il était pieux ; et on n'entend pas trop comment il conciliait avec la religion sa doctrine de l'éternité du monde. Il a écrit de la Logique, de la Physique, de la Métaphysique, de la Morale, de la Politique, de l'Astronomie, de la Théologie, de la Rhétorique et de la Musique. Il croyait à la possibilité de l'union de l'âme avec la Divinité dans ce monde. Personne ne fut aussi violemment attaqué de l'aristotélomanie, fanatisme qu'on ne conçoit pas dans un homme qui ne savait pas un mot de grec, et qui ne jugeait de cet auteur que sur de mauvaises traductions. Il professa la Médecine. A l'exemple de tous les philosophes de sa nation, il s'était fait un système particulier de religion. Il disait que le Christianisme ne convenait qu'à des fous, le judaïsme qu'à des enfants, et le mahométisme qu'à des pourceaux. Il admettait, avec Aristote, une âme universelle, dont la nôtre était une particule. A cette particule éternelle, immortelle, divine, il associait un esprit sensitif, périssable et passager. Il accordait aux animaux une puissance estimatrice qui les guidait aveuglément à l'utile, que l'homme connait par la raison. Il eut quelqu'idée du sensorium commun. Il a pu dire, sans s'entendre, mais sans se contredire, que l'âme de l'homme était mortelle et qu'elle était immortelle. Averroès mourut l'an de l'égire 1103.

Le philosophe Noimoddin obtint des Romains quelques marques de distinction, après la conquête de la Grèce ; mais il sentit bientôt l'embarras et le dégoût des affaires publiques : il se renferma seul dans une petite maison, où il attendit en philosophe que son âme délogeât de son corps pour passer dans un autre ; car il parait avoir eu quelque foi à la métempsycose.

Ibrin Al-Chatil Raisi, l'orateur de son siècle, fut théologien, philosophe, jurisconsulte et médecin. Ceux qui professaient à Bagdad l'accusèrent d'hérésie, et le conduisirent dans une prison qui dura. Il y a longtemps qu'un hérétique est un homme qu'on veut perdre. Le prince, mieux instruit, lui rendit justice ; mais Raisi qui connaissait apparemment l'opiniâtreté de la haine théologique, se réfugia au Caire, d'où la réputation d'Averroès l'appela en Espagne. Il partit précisément au moment où l'on exerçait contre Averroès la même persécution qu'il avait soufferte. La frayeur le saisit, et il s'en revint à Bagdad. Il suivit Abu-Habdilla dans ses disgraces. Il prononça à Fez un poème si touchant sur les malheurs d'Habdilla, que le souverain et le peuple se déterminèrent à le secourir. On passa en Espagne. On ramena les villes à l'autorité de leur maître. Hasis ennemi d'Habdilla fut renfermé dans la Castille, et celui-ci regna sur le reste de la contrée. Habdilla, tranquille sur le trône de Grenade, ne l'oublia pas ; mais Rasis préféra l'obscurité du séjour de Fez à celui de la cour d'Espagne. Le plus léger mécontentement efface auprès des grands la mémoire des plus grands services. Habdilla, qui lui devait sa couronne, devint son ennemi. La conduite de ce prince envers notre philosophe est un tissu de faussetés et de cruautés, auxquelles on ne conçoit pas qu'un roi, qu'un homme puisse s'abaisser. Il employa l'artifice et les promesses pour l'attirer ; il médita de le faire périr dans une prison. Rasis lui échappa : il le fit redemander mort ou vif au souverain de Fez ; celui-ci le livra, à condition qu'on ne disposerait point de sa vie. On manqua à cette promesse. On accusa Rasis de vol et d'hérésie : il fut mis à la question ; la violence des tourments en arrachèrent l'aveu de crimes qu'il n'avait point commis. Après l'avoir brisé, disloqué, on l'étouffa. On le poursuivit au-delà du tombeau : il fut exhumé, et l'on exerça contre son cadavre toutes sortes d'indignités. Tel fut le sort de cet homme à qui la nature avait accordé l'art de peindre et d'émouvoir, talents qui devaient un jour servir si puissamment ses ennemis, et lui être si inutiles auprès d'eux. Il mourut l'an 1278 de l'égire.

Etosi, ainsi nommé de Tos sa patrie, fut ruiné dans le sac de cette ville par le tartare Holac. Il ne lui resta qu'un bien qu'on ne pouvait lui enlever, la science et la sagesse. Holac le protégea dans la suite, se l'attacha, et l'envoya même, en qualité d'ambassadeur, au souverain de Bagdad, qui paya chérement le mépris qu'il fit de notre philosophe. Etosi fut aristotélicien. Il commenta la Logique de Rasis, et la Métaphysique d'Avicenne. Il mourut à Samrahand, en Asie, l'an 1179 de l'égire. On exige d'un philosophe ce qu'on pardonnerait à un homme ordinaire. Les Mahométans lui reprochent encore aujourd'hui de n'avoir point arrêté la vengeance terrible qu'Holac tira du calife de Bagdad. Fallait-il pour une petite insulte qu'un souverain et ses amis fussent foulés aux pieds des chevaux, et que la terre but le sang de quatre-vingt mille hommes ? Il est d'autant plus difficîle d'écarter cette tache de la mémoire d'Etosi, qu'Holac fut un homme doux, ami de la science et des savants, et qui ne dédaigna pas de s'instruire sous Etosi.

Nasiroddin de Tus naquit l'an de l'égire 1097. Il étudia la Philosophie, et se livra de préférence aux Mathématiques et aux arts qui en dépendent. Il présida sur toutes les écoles du Mogol : il commenta Euclide et Ptolémée. Il observa le ciel : il dressa des tables astronomiques. Il s'appliqua à la Morale. Il écrivit un abrégé de l'Ethique de Platon et d'Aristote. Ses ouvrages furent également estimés des Turcs, des Arabes et des Tartares. Il inspira à ces derniers le goût de la science, qu'ils reçurent et qu'ils conservèrent même au milieu du tumulte des armes. Holac, Ilechan, Kublat, Kanm et Tamerlan aimèrent à conférer avec les hommes instruits.

Mais nous ne finirions point si nous nous étendions sur l'histoire des philosophes qui, moins célébres que les précédents, n'ont pas été sans nom dans les siècles qui ont suivi la fondation du mahométisme : tels sont parmi les Arabes, Matthieu-ebn-Junis, Afrihi, Al-Bazrani, Bachillani, Abulsaric, AbulChars, Ebn-Malca, Ebno'l Hosan, Abu'l Helme, Mogrebin, Ibnu-el-Baitar, qui a écrit des animaux, des plantes, des venins et des métaux ; Abdessalame qui fut soupçonné d'hérésie, et dont les ouvrages furent brulés ; Said-ebn Hebatolla, Muhammed Tusius, Masisii, Joseph, Hasnum, Dacxub, Phacroddin, Noimoddin, Ettphtèseni, qui fut premier ministre de Tamerlan, philosophe et factieux ; Abul Hasan, Abu-Bahar, parmi les Maures ; Abumasar, astronome célèbre ; Albatigne, Alfragan, Alchabit, Geber, un des pères de la Chimie ; Isaac-ben-Erram, qui disait à Zaid son maître, qui lui avait associé un autre médecin avec lequel il ne s'accordait pas, que la contradiction de deux médecins était pire que la fièvre tierce ; Esseram de Tolede, Abraham-ibnuSahel de Séville, qui s'amusa à composer des vers licencieux ; Aaron-ben-Senton, qui mécontenta les habitants de Fez, auxquels il commandait pour Abdalla, et excita par sa sévérité leur révolte, dans laquelle il fut égorgé lui et le reste des Juifs.

Il suit de ce qui précède, qu'à proprement parler, les Arabes ou Sarrasins n'ont point eu de philosophe avant l'établissement de l'islamisme.

Que le Zabianisme, mélange confus de différentes opinions empruntées des Perses, des Grecs, des Epyptiens, ne fut point un sistême de Théologie.

Que Mahomet fut un fanatique ennemi de la raison, qui ajusta comme il put ses sublimes rêveries, à quelques lambeaux arrachés des livres des juifs et des chrétiens, et qui mit le couteau sur la gorge de ceux qui balancèrent à regarder ses chapitres comme des ouvrages inspirés. Ses idées ne s'élevèrent point au-dessus de l'Antropomorphisme.

Que le temps de la Philosophie ne commença que sous les Ommiades.

Qu'elle fit quelques progrès sous les Abassides.

Qu'alors on s'en servit pour pallier le ridicule de l'islamisme.

Que l'application de la Philosophie à la révélation engendra parmi les Musulmants une espèce de théosophisme le plus détestable de tous les systèmes.

Que les esprits aux yeux desquels la Théologie et la Philosophie s'étaient dégradées par une association ridicule, inclinèrent à l'Athéisme : tels furent les Zendekéens et les Dararianéens.

Qu'on en vit éclore une foule de fanatiques, de sectaires et d'imposteurs.

Que bientôt on ne sut ni ce qui était vrai, ni ce qui était faux, et qu'on se jeta dans le Scepticisme.

Les Motasalites disaient : Dieu est juste et sage ; il n'est point l'auteur du mal : l'homme se rend lui-même bon ou méchant.

Les Al-Iobariens disaient : l'homme n'est pas libre, Dieu produit en lui tout ce qu'il fait : il est le seul être qui agisse. Nous ne sommes pas moins nécessités que la pierre qui tombe et que l'eau qui coule.

Les Al-Naiarianens disaient que Dieu à la vérité saisait le bien et le mal, l'honnête et le déshonnête ; mais que l'homme libre s'appropriait ce qui lui convenait.

Les Al-Assharites rapportaient tout à l'idée de l'harmonie universelle.

Que l'attachement servîle à la philosophie d'Aristote, étouffa tout ce qu'il y eut de bons esprits parmi les Sarrasins.

Qu'avec cela ils ne possédèrent en aucun temps quelque traduction fidèle de ce philosophe.

Et que la Philosophie qui passa des écoles arabes dans celles des chrétiens, ne pouvait que retarder le progrès de la connaissance parmi ces derniers.

De la théologie naturelle des Sarrasins. Ces peuples suivirent la philosophie d'Aristote ; ils perdirent des siècles à disputer des catégories, du syllogisme, de l'analytique, des topiques, de l'art sophistique. Or nous n'avons que trop parlé des sentiments de ces anciens. Voyez les articles ARISTOTELISME et PERIPATETICIEN. Nous allons donc exposer les principaux axiomes de la théologie naturelle des Sarrasins.

Dieu a tout fait et réparé ; il est assis sur un trône de force et de gloire : rien ne résiste à sa volonté.

Dieu, quant à son essence, est un, il n'a point de collègue ; singulier, il n'a point de pareil ; uniforme, il n'a point de contraire ; séparé, il n'a point d'intime ; ancien, il n'a rien d'antérieur ; éternel, il n'a point eu de commencement ; perdurable, il n'aura point de fin ; constant, il ne cesse point d'être, il sera dans tous les siècles des siècles orné de ses glorieux attributs.

Dieu n'est soumis à aucun decret qui lui donne des limites, ou qui lui prescrive une fin ; il est le premier et le dernier terme ; il est au-dehors et en-dedans.

Dieu, élevé au-dessus de tout, n'est point un corps ; il n'a pas de forme, et n'est pas une substance circonscrite, une mesure déterminée ; les corps peuvent se mesurer et se diviser. Dieu ne ressemble point aux corps. Il semble, d'après ce principe, que les Musulmants ne sont ni antropomorphites, ni matérialistes : mais il y a des sectes qui s'attachant plus littéralement à l'alcoran, donnent à Dieu des yeux, des pieds, des mains, des membres, une tête, un corps. Reste à savoir s'il n'en est pas d'elles, comme des juifs et de nous : celui qui voudrait juger de nos sentiments sur Dieu par les expressions de nos livres, et par les nôtres, se tromperait grossièrement. Il n'y a aucun de nos théologiens qui s'en tienne assez ouvertement à la lettre, pour rendre Dieu corporel ; et s'il reste encore parmi les fidèles quelques personnes qui, accoutumées à s'en faire une image, voient l'éternel sous la forme d'un vieillard vénérable avec une longue barbe, elles ont été mal instruites, elles n'ont point entendu leur catéchisme ; elles imaginent Dieu comme il est représenté dans les morceaux de peinture qui décorent nos temples, et qui peut-être sont le premier germe de cette espèce de corruption.

Dieu n'est point une substance, et il n'y a point de substance en lui ; ce n'est point un accident, et il n'y a point en lui d'accident ; il ne ressemble à rien de ce qui existe, ni rien de ce qui existe ne lui ressemble.

Il n'y a en Dieu ni quantité, ni termes, ni limites, ni position différente ; les cieux ne l'environnent point ; s'il est dit qu'il est assis sur un trône, c'est d'une manière et sous une acception qui ne marque ni contact, ni forme, ni situation, ni existence en un lieu déterminé, ni mouvement local. Son trône ne le soutient point ; mais il est soutenu avec tout ce qui l'environne par la bonté de sa puissance. Son trône est par-tout, parce qu'il règne par-tout. Sa main est par-tout, parce qu'il commande en tous lieux. Il n'est ni plus éloigné, ni plus voisin du ciel que de la terre.

Il est en tout ; il est plus proche de l'homme que ses veines jugulaires ; il est présent à tout ; il est témoin de tout ce qui se passe ; sa proximité des choses n'a rien de commun avec la proximité des choses entr'elles ; ce sont deux essences, deux existences, deux présences différentes.

Il n'existe en quoi que ce sait, ni quoi que ce soit en lui ; il n'est le sujet de rien.

Il est immense, et l'espace ne le comprend pas ; il est très-saint, et le temps ne le limite pas. Il était avant le temps et l'espace, et il est à présent comme il a été de toute éternité.

Dieu est distingué de la créature par ses attributs ; il n'y a dans son essence que lui ; il n'y a dans les autres choses que son essence.

Sa sainteté ou perfection exclut de sa nature toute idée de changement et de translation ; il n'y a point en lui d'accident ; il n'est point sujet à la contingence ; il est lui dans tous les siècles ; exempt de dissolution, quant aux attributs de sa gloire ; exempt d'accroissement, quant aux attributs de sa perfection.

Il est de foi que Dieu existe présent à l'entendement et aux yeux pour les saints et les bienheureux ; dont il fait ainsi le bonheur dans la demeure éternelle, où il leur accorde de contempler sa face glorieuse.

Dieu est vivant, fort, puissant, supérieur à tout ; il n'est sujet ni à excès, ni à impuissance, ni au sommeil, ni à la veille, ni à la vieillesse, ni à la mort.

C'est lui qui commande et qui règne, qui veut et qui peut ; c'est de lui qu'est la souveraineté et la victoire, l'ordre et la création.

Il tient les cieux dans sa droite ; les créatures sont dans la paume de sa main ; il a notifié son excellence et son unité par l'œuvre de la création.

Les hommes et leurs œuvres sont de lui ; il a marqué leurs limites.

Le possible est en sa main ; ce qu'il peut ne se compte pas ; ce qu'il sait ne se comprend pas.

Il sait tout ce qui peut être su ; il comprend, il voit tout ce qui se fait des extrémités de la terre jusqu'au haut des cieux ; il suit la trace d'un atome dans le vide ; il est présent au mouvement délié de la pensée ; le mouvement le plus secret du cœur ne lui est pas caché ; il sait d'une science antique qui fut son attribut de toute éternité, et non d'une science nouvelle qu'il ait acquise dans le temps. La charge de l'univers est moins par rapport à lui, que celle d'une fourmi par rapport à l'étendue et à la masse de l'univers.

Dieu veut ce qui est ; il a disposé à l'événement ce qui se fera ; il n'y a par rapport à sa puissance ni peu ni beaucoup, ni petitesse ni grandeur, ni bien ni mal, ni foi ni incrédulité, ni science ni ignorance, ni bonheur ni malheur, ni jouissance ni privation, ni accroissement ni diminution, ni obéissance ni révolte, si ce n'est par un jugement déterminé, un décret, une sentence, un acte de sa volonté.

Ce fatalisme est l'opinion dominante des Musulmants. Ils accordent tout à la puissance de Dieu, rien à la liberté de l'homme.

Ce que Dieu veut, est ; ce qu'il ne veut pas, n'est pas ; le clin de l'oeil, l'essor de la pensée sont par sa volonté.

C'est lui par qui les choses ont commencé, qui les a ordonnées, qui les réordonnera ; c'est lui qui fait ce qu'il lui plait, dont la sentence est irrévocable, dont rien ne retarde ou n'avance le décret, à la puissance duquel rien ne se soustrait, qui ne souffre point de rebelles, qui n'en trouve point, qui les empêche par sa miséricorde, ou qui les permet par sa puissance ; c'est de son amour et de sa volonté que l'homme tient la faculté de lui obéir, de le servir. Que les hommes, les démons et les anges se rassemblent, qu'ils combinent toutes leurs forces ; s'ils ont mis un atome en mouvement, ou arrêté un atome mu, c'est qu'il l'aura voulu.

Entre les attributs qui constituent l'essence de Dieu, il faut surtout considérer la volonté ; il a voulu de toute éternité que ce qui est fût ; il en a Ve le moment, et les existences n'ont ni précédé ce moment, ni suivi ; elles se sont conformé à sa science, à son décret, sans délai, sans précipitation, sans désordre.

Il voit, il entend : rien n'est loin de son oreille, quelque faible qu'il soit ; rien n'est loin de sa vue, quelque petit qu'il sait. Il n'y a point de distance pour son ouïe, ni de ténèbres pour ses yeux. Il est sans organes, cependant il a toutes sensations ; comme il connait sans cœur, il exécute sans membres, il crée sans instrument ; il n'y a rien d'analogue à lui dans la créature.

Il parle, il ordonne, il défend, il promet, il menace d'une voix éternelle, antique, partie de son essence. Mais son idiome n'a rien de commun avec les langues humaines. Sa voix ne ressemble point à la nôtre : il n'y a ni ondulation d'air, ni collision de corps, ni mouvement de lèvres, ni lettres, ni caractères ; c'est la loi, c'est l'alcoran, c'est l'Evangile, c'est le pseautier, c'est son esprit qui est descendu sur ses apôtres, qui ont été les interprêtes entre lui et nous.

Tout ce qui existe hors de Dieu est son œuvre, émané de sa justice de la manière la plus parfaite et la meilleure.

Il est sage dans ses œuvres, juste dans ses décrets, comment pourrait-il être accusé d'injustice ? Ce ne pourrait être que par un autre être qui aurait quelque droit de juger de l'administration des choses, et cet être n'est pas.

D'où l'on voit que les Musulmants n'établissent aucune liaison entre le créateur et la créature ; que tout se rapporte à lui seul ; qu'il est juste, parce qu'il est tout-puissant ; que l'idée de son équité n'a peut-être rien de commun avec la nôtre ; et que nous ne savons précisément par quels principes nous serons jugés à son tribunal bons ou mécans. Qu'est-ce qu'un être passager d'un moment, d'un point, devant un être éternel, immense, infini, tout-puissant ? moins que la fourmi devant nous. Qu'on imagine ce que les hommes seraient pour un de leurs semblables, si l'existence éternelle était seulement assurée à cet être ? Crait-on qu'il eut quelque scrupule d'immoler à sa félicité tout ce qui pourrait s'y opposer ? Crait-on qu'il balançât de dire à celui qui deviendrait sa victime : qu'êtes-vous par rapport à moi ? Dans un moment il ne s'agira plus de vous, vous ne souffrirez plus, vous ne serez plus : moi, je suis, et je serai toujours. Quel rapport de votre bien-être au mien ! Je ne vous dois qu'à proportion de votre durée comparée à la mienne. Il s'agit d'une éternité pour moi, d'un instant pour vous. Je me dois en raison de ce que vous êtes, et de ce que je suis : voilà la base de toute justice. Souffrez donc, mourez, périssez, sans vous plaindre. Or quelle distance encore plus grande d'un Dieu qui aurait accordé l'éternité à sa créature, à cette créature éternelle, que de cette créature éternelle à nous ? Combien ne lui resterait-il pas d'infirmités qui rapprocheraient sa condition de la nôtre, tandis qu'il n'aurait qu'un seul attribut qui rendrait sa condition comparable à celle de Dieu. Un seul attribut divin, supposé dans un homme, suffit donc pour anéantir entre cet homme et ses pareils toute notion de justice. Rien par rapport à cet homme hypothétique, que sommes-nous donc par rapport à Dieu ? Il n'y a que le brachmane qui a craint d'écraser la fourmi qui puisse lui dire ; ô Dieu, pardonne-moi ; si j'ai fait descendre l'idée de ma justice jusqu'à la fourmi, j'ai pu la faire aussi remonter jusqu'à toi. Traite-moi comme j'ai traité le plus faible de mes inférieurs.

Les génies, les hommes, les démons, les anges, le ciel, la terre, les animaux, les plantes, la substance, l'accident, l'intelligible, le sensible, tout a commencé, excepté Dieu. Il a tiré tout du néant, ou de la pure privation : rien n'était ; lui seul a toujours été.

Il n'avait besoin de rien. S'il a créé, ce n'est pas qu'il ne put se passer des créatures. Il a voulu qu'elles fussent pour que sa volonté se fit, sa puissance se manifestât, la vérité de sa parole s'accomplit. Il ne remplit point un devoir ; il ne céda point à une nécessité ; il ne satisfit point à un sentiment de justice ; il n'était obligé à rien envers quelqu'être que ce fût. S'il a fait aux êtres la condition dont ils jouissent, c'est qu'il l'a voulu. Il pourrait accabler l'homme de souffrances, sans qu'il put en être accusé. S'il en a usé autrement, c'est bienveillance, c'est bonté, c'est grâce. O homme, remercie-le donc du bien qu'il t'a départi gratuitement, et soumets-toi sans murmurer à la peine.

S'il récompense un jour ceux qui l'auront aimé et imité, cette récompense ne sera point le prix du mérite, une indemnité, une compensation, une reconnaissance nécessaire. Ce sera l'accomplissement de sa parole, la suite de son pacte qui fut libre. Il pouvait créer, ne se point obliger, disposer de nous à son gré, et cela sans cesser d'être juste. Qu'y a-t-il de commun entre nous et lui ?

Il faut avouer que les Musulmants ont de hautes idées de la nature de Dieu ; et que Leibnitz avait raison de dire, que le Christianisme ne s'était élevé à rien de plus sublime.

De la doctrine des musulmants sur les anges et sur l'âme de l'homme. Ils disent :

Les anges sont les ministres de Dieu ; ils n'ont point péché ; ils sont proches de leur souverain ; il commande, et ils lui obéissent.

Ce sont des corps subtils, saints, formés de lumières ; ils ne courent point ; ils ne mangent point ; ils ne dorment point ; ils n'ont point de sexe ; ils n'ont ni père, ni mère, ni appétit charnel.

Ils ont différentes formes, selon les fonctions auxquelles ils sont destinés. Il y en a qui sont debout ; d'autres sont inclinés ; d'autres assis ; d'autres prosternés ; les uns prient, les autres chantent ; les uns célébrent Dieu par des louanges ; les autres implorent sa miséricorde pour les pécheurs ; tous l'adorent.

Il faut croire aux anges, quoiqu'on en ignore et les noms et les ordres. Il faut les aimer. La foi l'ordonne. Celui qui les néglige est un infidèle.

Celui qui n'y croit pas, qui ne les aime pas, qui ne les revère pas, qui les suppose de différents sexes, est un infidèle.

L'ame de l'homme est immortelle. La mort est la dissolution du corps et le sommeil de l'âme. Ce sommeil cessera.

Ce sentiment n'est pas général. Les Al-sharestants et les Al-assharites regardent l'âme comme un accident périssable.

Lorsque l'homme est déposé dans le tombeau, deux anges terribles le visitent ; ils s'appellent Moncar et Nacir. Ils l'interrogent sur sa croyance et sur ses œuvres. S'il répond bien, ils lui permettent de reposer mollement ; s'il répond mal, ils le tourmentent en le frappant à grands coups de masses de fer.

Ce jugement du sépulcre n'est pas dans l'alcoran ; mais c'est un point de tradition pieuse.

La main de l'ange de mort, qui s'appelle Azariel, reçoit l'âme au sortir du corps ; et si elle a été fidèle, il la confie à deux anges qui la conduisent au ciel, où son mérite désigne sa place, ou entre les prophêtes, ou entre les martyrs, ou parmi le commun des fidèles.

Les âmes au sortir du corps descendent dans l'albazach. C'est un lieu placé entre ce monde et le monde futur, où elles attendent la résurrection.

L'ame ne ressuscite pas seule. Le corps ressuscite aussi. L'alcoran dit, qui est-ce qui pourra ressusciter les os dissous ? qui est-ce qui rassemblera leurs particules éparses ? Celui qui les a formés, lorsqu'ils n'étaient rien.

Au jour du jugement, Dieu rassemblera et les hommes et les génies qui ont été. Il les examinera, il accordera le ciel aux bons. Les méchants seront envoyés à la gêne.

Entre les méchants ceux qui auront reconnu l'unité de Dieu, sortiront du feu, après avoir expié leurs fautes.

Il n'y a point de damnation éternelle pour celui qui a cru en un seul Dieu.

De la physique et de la métaphysique des Sarrasins. C'est l'aristotélisme ajouté aux préjugés religieux, une théosophie islamitique ; Thophail admet les quatre qualités des Péripatéticiens, l'humide et le sec, le froid et le chaud. C'est de leur combinaison qu'il déduit l'origine des choses ; l'âme a, selon lui, trois facultés ; la végétative, la sensitive et la naturelle ; il y a trois principes, la matière, la forme et la privation ; les deux premiers sont de l'essence ; la puissance et la raison des existences ; le mouvement est l'acte de la puissance, en tant que puissance. Le progrès du mouvement n'est point infini ; il se résout à un premier moteur immobile, un, éternel, invisible, sans quantité et sans matière. Il y a des corps simples ; il y en a de composés ; ils sont mus en ligne droite ou circulaire. Il n'y a que quatre éléments. Le ciel est un, il est simple, exempt de génération et de corruption. Il se meut circulairement. Il n'y a point de corps infini. Le monde est fini, cependant éternel. Les corps célestes ont un cinquième élément particulier. Plus une sphère est voisine du premier moteur, plus elle est parfaite, plus son mouvement est rapide. Les éléments sont des corps simples, dans lesquels les composés se résolvent. Il y en a de légers qui tendent en haut, et de graves qui tendent en bas. C'est leur tendance opposée qui cause l'altération et le changement des corps. L'ame végétative préside à la végétation, la sensitive aux sens, la rationelle à la raison. L'entendement est ou actif ou passif. L'entendement actif est éternel, immortel, loin de tout commerce avec le corps ; le passif est ou théorétique ou pratique. La mort est l'extinction de la chaleur naturelle. La vie est l'équilibre de la chaleur naturelle et de l'humide vital. Tous les êtres sont par la matière et par la forme. On ne peut définir que les composés ; la matière et la forme ne s'engendrent point. Il y a des puissances douées de la raison ; il y en a qui en sont privées. Personne ne juge mal de ce qui ne change point. L'unité est l'opposé de la multitude. Il y a trois sortes de substances, les unes qui périssent, comme les plantes et les animaux ; d'autres qui ne périssent point, comme le ciel ; de troisiemes qui sont éternelles et immobiles. Il y a un mouvement éternel. Il y a donc des substances éternelles. Elles sont immatérielles. Elles se meuvent de toute éternité d'un mouvement actuel. Le premier moteur meut toutes les autres intelligences. Cette cause première du mouvement ne change point. Elle est par elle-même. C'est Dieu, être éternel, immobile, insensible, indivisible, infiniment puissant, infiniment heureux dans sa propre contemplation. Il y a sous Dieu des substances motrices des sphères. Ce sont des esprits. Elles ont leurs fonctions particulières, &c....

De la physique et de la métaphysique de Thophail. Il peut y avoir dans quelque contrée saine et tempérée placée sous la ligne équinoxiale ou ailleurs des hommes vraiment autochtones, naissant de la terre, sans père et sans mère, par la seule influence de la lumière et du ciel.

Cette génération spontanée sera l'effet d'une fermentation du limon, continuée pendant des siècles, jusqu'au moment où il s'établit un équilibre fécond entre le froid et le chaud, l'humide et le sec.

Dans une masse considérable de ce limon ainsi fécondé, il y aura des parties où l'équilibre des qualités ou la température sera plus parfaite, où la disposition à la formation du mixte sera plus grande. Ces parties appartiendront à la nature animale ou humaine.

La matière s'agitera ; il s'y formera des bulles ; elle deviendra visqueuse ; les bulles seront partagées au-dedans d'elles-mêmes en deux capacités séparées par un voîle léger ; un air subtil y circulera ; une température égale s'y établira ; l'esprit envoyé par Dieu s'y insinuera et s'y unira, et le tout sera vivant.

L'union de l'esprit avec la matière prédisposée à le recevoir sera si intime qu'on ne pourra le séparer.

L'esprit vivifiant émane incessamment de Dieu. La lumière qui s'élance continuellement du soleil, sans l'épuiser, en est un image.

Il descend également sur toute la création ; mais il ne se manifeste pas également en tout lieu. Toutes les parties de l'univers ne sont pas également disposées à le faire valoir. De-là les êtres inanimés qui n'ont pas de vie ; les plantes où l'on aperçoit quelques symptômes de sa présence ; les animaux où il a un caractère plus évident.

Entre les animaux, il y en a qui ont avec lui une affinité particulière ; une organisation plus analogue à sa forme ; dont le corps est, pour ainsi dire, une image de l'esprit qui doit l'animer. Tel est l'homme.

Si cette analogie de l'esprit et de la forme prédomine dans un homme, ce sera un prophête.

Aussitôt que l'esprit s'est uni à sa demeure, il se soumet toutes les facultés ; elles lui obéissent ; Dieu a voulu qu'il en disposât.

Alors il se forme une autre bulle divisée en trois capacités séparées chacune par des cloisons, des fibres, des canaux déliés. Un air subtil, assez semblable à celui qui remplissait les capacités de la première bulle, remplit les capacités de celle-ci.

Chacune de ces capacités contient des qualités qui lui sont propres ; elles s'y exercent, et ce qu'elles produisent de grand ou de petit est transmis à l'esprit vivifiant qui a son ventricule particulier.

Aux environs de ce ventricule, il nait une troisième bulle. Cette bulle est aussi remplie d'une substance aérienne, mais plus grossière. Elle a ses capacités. Ce sont des réservoirs des facultés subalternes.

Ces réservoirs communiquent entr'eux et s'entretiennent. Mais ils sont tous subordonnés au premier, à celui de l'esprit, excepté dans les fonctions des membres qui se formeront, et auxquels ils présideront avec souveraineté.

Le premier des membres c'est le cœur. Sa figure est conique ; c'est l'effet de celle que l'esprit ou la flamme affecte. C'est par la même raison que la membrane forte qui l'environne suit la même configuration. Sa chair est solide. Il est conservé par une enveloppe épaisse.

La chaleur dissout les humeurs et les dissipe. Il fallait que quelques organes les réparassent. Il fallait que ces organes sentissent ce qui leur était propre, et l'attirassent ; ce qui leur était contraire, et le repoussassent.

Deux membres ont été formés à cette fin, avec les facultés convenables. L'un préside aux sensations, c'est le cerveau ; l'autre à la nutrition, c'est le foie.

Il était nécessaire qu'ils communiquassent entr'eux et avec le cœur. De-là les artères, les veines et la multitude de canaux, les uns étroits, les autres larges, qui s'y rendent et qui s'en distribuent.

C'est ainsi que le germe se forme, que l'embryon s'accrait, et qu'il se perfectionne jusqu'au moment de la naissance.

Lorsque l'homme est parfait, les téguments du limon se déchirent, comme dans les douleurs de l'enfantement ; la terre aride environnante s'entr'ouvre, et la génération spontanée s'acheve.

La nature a refusé à l'homme ce qu'elle a accordé aux bêtes ; elle lui a fait des besoins particuliers. De-là l'invention des vêtements et d'autres arts.

Ses mains ont été les sources les plus fécondes de ses connaissances. C'est de-là que lui est venue la connaissance de sa force et de sa supériorité sur les animaux.

L'exercice des sens ne se fait pas sans obstacle. Il a fallu les lever.

Lorsque l'action des sens est suspendue, et que le mouvement cesse dans l'animal, sans qu'il y ait aucun obstacle extérieur, aucun vice interne, l'animal continue de vivre. Il faut donc chercher en lui quelque organe sans le secours duquel les autres ne puissent vaquer à leurs fonctions. Cet organe est le cœur.

Lorsque l'animal est mort, lorsque la vie n'y est plus, sans qu'on remarque dans sa configuration et dans ses organes aucun dérangement qui en anéantisse les opérations, il faut en conclure qu'il y a un principe particulier et antérieur dont toute l'économie dépendait.

Lorsque ce principe s'est retiré, l'animal restant entier ; quelle apparence qu'il revienne, l'animal étant détruit ?

Il y a donc deux choses dans l'animal, le principe par lequel il vit, et le corps qui sert d'instrument au principe. La partie noble c'est le principe ; le corps est la partie vile.

Il faut le déposer dans le temps, lorsque le principe vivifiant s'en est retiré. Un être vraiment étonnant, précieux et digne d'admiration, c'est le feu.

Sa force est surprenante ; ses effets prodigieux ; la chaleur du cœur ne permet pas de douter que le feu n'anime cet organe, et ne soit le principe de son action.

La chaleur subsiste dans l'animal, tant qu'il vit ; elle n'est dans aucune partie aussi grande qu'au cœur. A la mort, elle cesse. L'animal est froid.

Cette vapeur humide et chaude du cœur qui fait le mouvement dans l'animal, est sa vie.

Malgré la multitude et la diversité des parties dont l'animal est composé ; il est un relativement à l'esprit. L'esprit y occupe un point central d'où il commande à toute l'organisation.

L'esprit est un. Il communique avec les membres par des fibres et des canaux. Coupez, anéantissez, embarrassez la communication de l'esprit à un membre et ce membre sera paralysé.

Le cœur envoie l'esprit au cerveau ; le cerveau le distribue dans les artères. Le cerveau abonde en esprit. Il en est un réservoir.

Si par quelque cause que ce sait, un organe est privé d'esprit, son action cesse. C'est un instrument inutîle et abject.

Si l'esprit s'échappe de tout le corps ; s'il se consume en entier, ou s'il se dissout, le corps reste sans mouvement ; il est dans l'état de mort.

De la comparaison de l'homme avec les autres êtres, il suit qu'ils ont des qualités communes et des qualités différentes. Qu'ils sont uns dans les convenances ; variés et plusieurs, dans les disconvenances.

Le premier coup d'oeil que nous jetons sur les propriétés des choses, nous instruit de toute la richesse de la nature.

Si l'esprit est un, le corps est un relativement à la continuité et à son économie. C'est un même organe qui a différentes fonctions sur sa longueur, selon le plus ou le moins d'énergie de l'esprit.

Il y a aussi une sorte d'unité sous laquelle on peut considérer tous les animaux ; même organisation, même sens, même mouvement, même fonction, même vie, même esprit.

L'esprit est un, les cœurs sont différents. La différence est dans les vaisseaux et non dans la liqueur.

L'espèce est une. Les individus différents ; mais cette différence est semblable à celle des membres, qui n'empêche point la personne d'être une.

Il y a dans toute espèce d'animaux la sensation, la nutrition et le mouvement spontané. Ces fonctions communes sont propres à l'esprit ; les autres fonctions diverses dans les différentes espèces d'animaux lui appartiennent moins spécialement.

L'esprit est un dans tout le genre animal, quoiqu'il y ait quelque différence légère dans ses fonctions, d'une espèce d'animaux à une autre. Le genre animal est un.

Quelque diversité que nous remarquions dans le port, la tige, les branches, les fleurs, les feuilles, les fruits, les semences des plantes, elles vivent, elles croissent, elles se nourrissent de même. Le genre en est un.

Le genre animal et le genre végétal ont des qualités communes, telles que l'accroissement et la nutrition. Les animaux sentent, conçoivent ; les plantes ne sont pas tout à fait privées de ces qualités. On peut donc renfermer par la pensée ces deux genres et n'en faire qu'un.

Les pierres, la terre, l'eau, l'air, le feu, en un mot tous les corps qui n'ont ni sentiment, ni accroissement, ni nutrition, ne diffèrent entr'eux que comme les colorés et les non-colorés, les chauds et les froids, les ronds et les carrés. Mais ce qui est chaud peut se refroidir, ce qui est froid se rechauffer, ce qui est coloré s'obscurcir, ce qui est obscur se colorer ; les eaux se changent en vapeurs, les vapeurs se remettent en eau ; ainsi, malgré l'apparence de la diversité il y a unité.

Mais c'est la diversité des organes qui fait la diversité des actions ; les actions ne sont point essentielles ; appliquez le principe de l'action de la même manière, et vous aurez les mêmes actions ; appliquez-le diversement vous aurez des actions différentes ; mais tous les êtres étant convertibles les uns dans les autres, il n'y a que le principe de l'action qui soit un. Il est commun à tous les êtres, animés ou inanimés, vivants ou brutes, mus ou en repos.

Toute cette variété répandue dans l'univers disparait donc aux yeux de l'homme attentif. Tout se reduit à l'unité.

Entre les qualités des corps naturels, les premières qu'on remarque ce sont la tendance en haut dans les uns, tels que l'air, le feu, la fumée, la flamme ; et la tendance en bas dans les autres, tels que l'eau, la terre, les pierres.

Il n'y en a point qui soit absolument privé de l'un et de l'autre de ses mouvements, ou parfaitement en repos, à moins qu'un obstacle ne l'arrête.

La pesanteur et la légèreté ne sont pas des qualités des corps comme tels ; sans quoi il n'y aurait point de grave qui n'eut quelque légèreté, ni de léger qui n'eut quelque pesanteur. La pesanteur et la légèreté sont donc de quelque chose surajoutée à la notion de corporéité.

L'essence des graves et des légers est donc composée de deux notions ; l'une commune, c'est la corporéité ; l'autre différente, c'est ce qui constitue grave le corps grave, et léger le corps léger.

Mais cela n'est pas vrai seulement des graves et des légers, mais de tout en général. L'essence est une notion composée de la corporéité et de quelque chose sur-ajoutée à cette qualité.

L'esprit animal qui réside dans le cœur, a nécessairement quelque chose de sur-ajouté à sa corporéité, qui le rend propre à ses fonctions admirables : c'est la notion de ce quelque chose qui constitue sa forme et sa différence : c'est par elle qu'il est âme animale ou sensitive.

Ce qui opère dans les plantes les effets de la chaleur radicale dans les animaux, s'appelle âme végétative.

Ces qualités sur-ajoutées ou formes se distinguent par leurs effets.

Elles ne tombent pas toujours sous les sens. La raison les soupçonne.

La nature d'un corps animé, c'est le principe particulier de ce qu'il est, et de ce qui s'y opere.

L'essence même de l'esprit consiste dans quelque chose de sur-ajouté à la notion de corporéité.

Il y a une forme générale et commune à tous les êtres dans laquelle ils conviennent, et d'où émanent une ou plusieurs actions ; outre cette forme commune et générale, un grand nombre ont une forme commune particulière sur-ajoutée, d'où émanent une ou plusieurs actions particulières à cette forme sur-ajoutée. Outre cette première forme sur-ajoutée, un grand nombre de ceux auxquels elle est commune, en ont une seconde sur-ajoutée particulière d'où émanent une ou plusieurs actions particulières à cette seconde forme sur-ajoutée. Outre cette seconde forme sur-ajoutée, un grand nombre de ceux à qui elle est commune, en ont une troisième particulière sur-ajoutée d'où émane une ou plusieurs actions particulières à cette troisième forme surajoutée, et ainsi de suite.

Ainsi les corps terrestres sont graves, et tombent. Entre les corps graves et qui tombent, il y en a qui se nourrissent et s'accraissent. Entre les corps graves et qui tombent, et qui se nourrissent et s'accraissent, il y en a qui sentent et se meuvent. Entre les corps graves et qui tombent, et qui se nourrissent et s'accraissent, et qui sentent et se meuvent, il y en a qui pensent.

Ainsi toute espèce particulière d'animaux a une propriété commune avec d'autres espèces, et une propriété sur-ajoutée qui la distingue.

Les corps sensibles qui remplissent dans ce monde le lien de la génération et de la corruption, ont plus ou moins de qualités sur-ajoutées à celle de la corporéité, et la notion en est plus ou moins composée.

Plus les actions sont variées, plus la notion est composée, et plus il y a de qualités sur-ajoutées à la corporéité.

L'eau a peu d'actions propres à sa forme d'eau. Ainsi la notion ni la composition ne supposent pas beaucoup de qualités sur-ajoutées.

Il en est de même de la terre et du feu.

Il y a dans la terre des parties plus simples que d'autres.

L'air, l'eau, la terre, et le feu se convertissant les uns dans les autres, il faut qu'il y ait une qualité commune. C'est la corporéité.

Il faut que la corporéité n'ait par elle-même rien de ce qui caractérise chaque élément. Ainsi elle ne suppose ni pesanteur ni légéreté, ni chaleur ni froid, ni humidité ni sécheresse. Il n'y a aucune de ces qualités qui soit commune à tous les corps. Il n'y en a aucune qui soit du corps en tant que corps.

Si l'on cherche la forme sur-ajoutée à la corporéité qui soit commune à tous les êtres animés ou inanimés, on n'en trouvera point d'autre que l'étendue conçue sous les trois dimensions. Cette notion est donc du corps comme corps.

Il n'y a aucun corps dont l'existence se manifeste aux sens par la seule qualité d'étendue sur-ajoutée à celle de corporéité ; il y en a une troisième surajoutée.

La notion de l'étendue suppose la notion d'un sujet de l'étendue : ainsi l'étendue et le corps diffèrent.

La notion du corps est composée de la notion de la corporéité et de la notion de l'étendue. La corporéité est de la matière ; l'étendue est de la forme. La corporéité est constante ; l'étendue est variable à l'infini.

Lorsque l'eau est dans l'état que sa forme exige, on y remarque un froid sensible, un penchant à descendre d'elle-même ; deux qualités qu'on ne peut lui ôter sans détruire le principe de sa forme, sans en séparer la cause de sa manière d'être aqueuse ; autrement, des propriétés essentielles à une forme pourraient émaner d'une autre.

Tout ce qui est produit, suppose un produisant ; ainsi d'un effet existant, il existe une cause efficiente.

Qu'est-ce que l'essence d'un corps ? C'est une disposition d'où procédent ses actions, ou une aptitude à y produire ses mouvements.

Les actions des corps ne sont pas d'elles-mêmes, mais de la cause efficiente qui a produit dans les corps les attributs qu'ils ont, et d'où ces actions émanent.

Le ciel et toutes les étoiles sont des corps qui ont longueur, largeur et profondeur. Ces corps ne peuvent être infinis ; car la notion d'un corps infini est absurde.

Les corps célestes sont finis par le côté qu'ils nous présentent ; nous avons là-dessus le témoignage de nos sens. Il est impossible que par le côté opposé, ils s'étendent à l'infini. Car soient deux lignes parallèles tirées des extrémités du corps, et s'enfonçant ou le suivant dans toute son extension à l'infini ; qu'on ôte à l'une de ces lignes une portion finie ; qu'on applique cette ligne moins cette portion coupée à la parallèle qui est entière, il arrivera de deux choses l'une ; ou qu'elles seront égales, ce qui est absurde, ou qu'elles seront inégales, ce qui est encore absurde ; à-moins qu'elles ne soient l'une et l'autre finies, et par conséquent le corps dont elles formaient deux côtés.

Les cieux se meuvent circulairement ; donc le ciel est sphérique.

La sphéricité du ciel est encore démontrée par l'égalité des dimensions des astres à leur lever, à leur midi et à leur coucher. Sans cette égalité, les astres seraient plus éloignés ou plus voisins dans un moment que dans un autre.

Les mouvements célestes s'exécutent en plusieurs sphères contenues dans une sphère suprême qui les emporte toutes d'orient en occident dans l'intervalle d'un jour et d'une nuit.

Il faut considérer l'orbe céleste et tout ce qu'il contient, comme un système composé de parties unies les unes aux autres, de manière que la terre, l'eau, l'air, les plantes, les animaux et le reste des corps renfermé sous la limite de cet orbe, forment une espèce d'animal dont les astres sont les organes de la sensation, dont les sphères particulières sont les membres, dont les excréments sont cause de la génération et de la corruption dans ce grand animal, comme on le remarque quelquefois, que les excréments des petits produisent d'autres animaux.

Le monde est-il éternel, ou ne l'est-il pas ? C'est une question qui a ses preuves également fortes pour et contre.

Mais, quel que soit le sentiment qu'on suive, on dira : si le monde n'est pas éternel, il a une cause efficiente : cette cause efficiente ne peut tomber sous les sens, être matérielle ; autrement elle serait partie du monde. Elle n'a donc ni l'étendue et les autres propriétés du corps ; elle ne peut donc agir sur le monde. Si le monde est éternel, le mouvement est éternel ; il n'y a jamais eu de repos. Mais tout mouvement suppose une cause motrice hors de lui : donc la cause motrice du monde serait hors de lui ; il y aurait donc quelque chose d'abstrait, d'antérieur au monde, d'incomparable, et d'anomal à toutes les parties qui le composent.

L'essence de ce monde, relativement au moteur dont il reçoit son action, qui n'est point matériel, qui est un abstrait qui ne peut tomber sous le sens, qu'on ne peut s'imaginer, qui produit les mouvements célestes sans différence, sans altération, sans relâche, est quelque chose d'analogue à ce moteur.

Toute substance corporelle a une forme, sans laquelle le corps ne peut ni être conçu ni être. Cette forme a une cause ; cette cause est Dieu : c'est par elle que les choses sont, subsistent, durent : sa puissance est infinie, quoique ce qui en dépend soit fini.

Il y a donc eu création. Il y a priorité d'origine, mais non de temps, entre le monde et la cause efficiente du monde. Au moment qu'on la conçoit, on peut la concevoir, disant que tout sait, et tout étant.

Sa puissance et sa sagesse, si évidentes dans son œuvre, ne nous laissent aucun doute sur sa liberté, sa prévoyance et ses autres attributs : le poids de l'atome le plus petit lui est connu.

Les membres qu'il a donnés à l'animal, avec la faculté d'en user, annoncent sa munificence et sa miséricorde.

L'être le plus parfait de cet univers n'est rien en comparaison de son auteur. N'établissons point de rapports entre le créateur et la créature.

Le créateur est un être simple. Il n'y a en lui ni privation ni défaut. Son existence est nécessaire ; c'est la source de toutes les autres existences. Lui, lui ; tout périt excepté lui.

Le Dieu des choses est le seul digne objet de notre contemplation. Tout ce qui nous environne, nous ramène à cet être, et nous transporte du monde sensible dans le monde intelligible.

Les sens n'ont de rapport qu'au corps ; l'être qui est en nous, et par lequel nous atteignons à l'existence de la cause incorporelle, n'est donc pas corps.

Tout corps se dissout et se corrompt ; tout ce qui se corrompt et se dissout, est corps. L'ame incorporelle est donc indissoluble, incorruptible, immortelle.

Les facultés intelligentes le sont, ou en puissance ou en action.

Si une faculté intelligente conçoit un objet, elle en jouit à sa manière ; et sa jouissance est d'autant plus exquise, que l'objet est plus parfait ; et lorsqu'elle en est privée, sa douleur est d'autant plus grande.

La somme des facultés intelligentes, l'essence de l'homme ou l'âme, c'est la même chose.

Si l'âme unie au corps n'a pas connu Dieu ; au sortir du corps, elle n'en peut jouir ; elle est étrangère au bonheur de posséder ou à la douleur d'être privée de la contemplation de l'être éternel ; que devient-elle donc ? Elle descend à l'état des brutes. Si l'âme unie au corps a connu Dieu, quand elle en sera séparée, devenue propre à la jouissance de cet astre par l'usage qu'elle aurait fait de ses sens et de ses facultés, lorsqu'elle les commandait, elle sera ou tourmentée éternellement par la privation d'un bien infini qui lui est familier, ou éternellement heureuse par sa possession : c'est selon les œuvres de l'homme en ce monde.

La vie de la brute se passe à satisfaire à ses besoins et à ses appétits. La brute ne connait point Dieu ; après sa mort elle ne sera ni tourmentée par le désir d'en jouir, ni heureuse par sa jouissance.

L'incorruptibilité, la permanence, l'éclat, la durée, la constance du mouvement des astres, nous portent à croire qu'ils ont des âmes, ou essences capables de s'élever à la connaissance de l'être nécessaire.

Entre les corps de ce monde corruptible, les uns ont la raison de leur essence dans certain nombre de qualités surajoutées à la corporéité, et ce nombre est plus ou moins grand ; les autres dans une seule qualité surajoutée à la corporéité, tels sont les éléments. Plus le nombre des qualités surajoutées à la corporéité est grand, plus le corps a d'action ; plus il a de vie. Le corps considéré sans aucune qualité surajoutée à la corporéité, c'est la matière nue ; elle est morte. Ainsi voici donc l'ordre des vies, la matière morte, les éléments, les plantes, les animaux. Les animaux ont plus d'actions, et conséquemment vivent plus qu'aucun autre être.

Entre les composés, il y en a où la coordination des éléments est si égale, que la force ou qualité d'aucun ne prédomine point sur la force ou qualité d'un autre. La vie de ces composés en est d'autant meilleure et plus parfaite.

L'esprit animal qui est dans le cœur est un composé de terre et d'eau très-subtîle ; il est plus grossier que l'air et le feu ; sa température est très-égale ; sa forme est celle qui convient à l'animal. C'est un être moyen qui n'a rien de contraire à aucun élément : de tout ce qui existe dans ce monde corruptible, rien n'est mieux disposé à une vie parfaite. Sa nature est analogue à celle des corps célestes.

L'homme est donc un animal doué d'un esprit, d'une température égale et uniforme, semblable à celle des corps célestes, et supérieure à celle des autres animaux. Aussi est-il destiné à une autre fin. Son âme est sa portion la plus noble ; c'est par elle qu'il connait l'être nécessaire. C'est quelque chose de divin, d'incorporel, d'inaltérable, d'incorruptible.

L'homme étant de la nature des corps célestes, il faut qu'il s'assimîle à eux, qu'il prenne leurs qualités, et qu'il imite leurs actions.

L'homme est un de la nature de l'être nécessaire, il faut qu'il s'assimîle à lui, qu'il prenne ses qualités, et qu'il imite ses actions.

Il représente toute l'espèce animale par sa partie abjecte. Il subit dans ce monde corruptible le même sort que les animaux. Il faut qu'il boive, qu'il mange, qu'il s'accouple.

La nature ne lui a pas donné un corps sans dessein ; il faut qu'il le joigne et le conserve. Ce soin et cette conservation exigent de lui certaines actions correspondantes à celles des animaux.

Les actions de l'homme peuvent donc être considérées, ou comme imitatives de celles des brutes, ou comme imitatives de celles des corps célestes, ou comme imitatives de celles de l'être éternel. Elles sont toutes également nécessaires : les premières, parce qu'il a un corps ; les secondes, parce qu'il a un esprit animal ; les troisiemes, parce qu'il a une âme ou essence propre.

La jouissance ou contemplation ininterrompue de l'être nécessaire, est la souveraine félicité de l'homme.

Les actions imitatives de la brute ou propres au corps, l'éloignent de ce bonheur ; cependant elles ne sont pas à négliger ; elles concourent à l'entretien et à la conservation de l'esprit animal.

Les actions imitatives des corps célestes ou propres à l'esprit animal, l'approchent de la vision béatifique.

Les actions imitatives de l'être nécessaire, ou propres à l'âme ou à l'essence de l'homme, lui acquièrent vraiment ce bonheur.

D'où il s'ensuit qu'il ne faut vaquer aux premières, qu'autant que le besoin ou la conservation de l'esprit animal l'exige. Il faut se nourrir, il faut se vêtir ; mais il y a des limites à ces soins.

Préférez entre ces aliments ceux qui vous distrairont le moins des actions imitatives de l'être nécessaire. Mangez la pulpe des fruits, et jetez-en les pepins dans un endroit où ils puissent germer. Ne reprenez des aliments qu'au moment où la défaillance des autres actions vous en avertira.

Vous n'imiterez bien les actions des corps célestes, qu'après les avoir étudiés et connus.

Les corps célestes sont lumineux, transparents, purs, mus autour d'un centre ; ils ont de la chaleur ; ils obéissent à l'être nécessaire ; ils s'en occupent.

En vous conformant à leur bonté, vous ne blesserez ni les plantes, ni les animaux ; vous ne détruirez rien sans nécessité ; vous entretiendrez tout dans son état d'intégrité ; vous vous attacherez à écarter de vous toute souillure extérieure. Vous tournerez sur vous-même, d'un mouvement circulaire et rapide ; vous poursuivrez ce mouvement jusqu'à ce que le saint vertige vous saisisse : vous vous éleverez par la contemplation au-dessus des choses de la terre. Vous vous séparerez de vos sens ; vous fermerez vos yeux et vos oreilles aux objets extérieurs ; vous enchainerez votre imagination ; vous tenterez tout pour vous aliéner et vous unir à l'être nécessaire. Le mouvement sur vous-même, en vous étourdissant, vous facilitera beaucoup cette pratique. Tournez donc sur vous-même, étourdissez-vous, procurez-vous le saint vertige.

Le saint vertige suspendra toutes les fonctions du corps et de l'esprit animal, vous réduira à votre essence, vous fera toucher à l'être éternel, vous assimilera à lui.

Dans l'assimilation à l'être divin, il faut considérer ses attributs. Il y en a de positifs ; il y en a de négatifs.

Les positifs constituent son essence ; les privatifs sa perfection.

Vos actions seront imitatives de celles de l'être nécessaire, si vous travaillez à acquérir les premiers, et à éloigner de vous toutes les qualités dont les seconds supposent la privation.

Occupez-vous à séparer de vous toutes les qualités surajoutées à la corporéité. Enfoncez-vous dans une caverne, demeurez-y en repos, la tête panchée, les yeux fixés en terre, perdez, s'il se peut, tout mouvement, tout sentiment ; ne pensez point, ne réfléchissez point, n'imaginez point ; jeunez, conduisez par degrés toute votre existence, jusqu'à l'état simple de votre essence ou de votre âme ; alors un, constant, pur, permanent, vous entendrez la voix de l'être nécessaire ; il s'intimera à vous ; vous le saisirez ; il vous parlera, et vous jouirez d'un bonheur que celui qui ne l'a point éprouvé n'a jamais conçu, et ne concevra jamais.

C'est alors que vous connoitrez que votre essence diffère peu de l'essence divine ; que vous subsistez ou qu'il y a quelque chose en vous qui subsiste par soi-même, puisque tout est détruit, et que ce quelque chose reste et agit ; qu'il n'y a qu'une essence, et que cette essence est comme la lumière de notre monde, une et commune à tous les êtres éclairés.

Celui qui a la connaissance de cette essence, a aussi cette essence. C'est en lui la particule de contact avec l'essence universelle.

La multitude, le nombre, la divisibilité, la collection, sont des attributs de la corporéité.

Il n'y a rien de cela dans l'essence simple.

La sphère suprême, au-delà de laquelle il n'y a point de corps, a une essence propre. Cette essence est incorporelle. Ce n'est point la même que celle de Dieu. Ce n'est point non plus quelque chose qui en diffère ; l'une est à l'autre comme le soleil est à son image représentée dans une glace.

Chaque sphère céleste a son essence immatérielle, qui n'est point ni la même que l'essence divine, ni la même que l'essence d'une autre sphère, et qui n'en est cependant pas différente.

Il y a différents ordres d'essences.

Il y a des essences pures ; il y en a de libres ; il y en a d'enchainées à des corps ; il y en a de souillées ; il y en a d'heureuses ; il y en a de malheureuses.

Les essences divines et les âmes héroïques sont libres. Si elles sont unies ou liées à quelque chose, c'est à l'essence éternelle et divine, leur principe, leur cause, leur perfection, leur incorruptibilité, leur éternité, toute leur perfection.

Elles n'ont point de corps et n'en ont pas besoin.

Le monde sensible est comme l'ombre du monde divin ; quoique celui-ci n'ait nulle dépendance, nul besoin du premier, il serait absurde de supposer l'un existant, et l'autre non existant.

Il y a corruption, vicissitude, génération, changement dans le monde sensible ; mais rien ne s'y résout en privation absolue.

Plus on s'exercera à la vision intuitive de l'essence première, plus on l'acquerra facilement. Il en est du voyage du monde sensible dans le monde divin, comme de tout autre.

Cette vision ne sera parfaite qu'après la mort. L'ame ou l'essence de l'homme sera libre alors de tous les obstacles du corps.

Toute cette science mystique est contenue dans le livre du saint prophète ; je ne suis que l'interprete. Je n'invente aucune vérité nouvelle. La raison était avant moi ; la tradition était avant moi ; l'alcoran était avant moi. Je rapproche ces trois sources de lumière.

Pourquoi le saint prophète ne l'a-t-il pas fait lui-même ? c'est un châtiment qu'il a tiré de l'opiniâtreté, de la désobéissance et de l'imbécillité de ceux qui l'écoutaient. Il a laissé à leurs descendants le soin de s'élever par eux-mêmes à la connaissance de l'unité vraie.

L'imitateur du saint prophète, qui travaillera comme lui à éclairer ses semblables, trouvera les mêmes hommes, les mêmes obstacles, les mêmes passions, les mêmes jalousies, les mêmes inimitiés, et il exercera la même vengeance. Il se taira ; il se contentera de leur prescrire les principes de cette vie, afin qu'ils s'abstiennent de l'offenser.

Peu sont destinés à la félicité de la vie ; les seuls vrais croyans l'obtiendront.

Quand on voit un derviche tourner sur lui-même jusqu'à tomber à terre, sans connaissance, sans sentiment ; yvre, abruti, étourdi, presque dans un état de mort, qui croirait qu'il a été conduit à cette pratique extravagante par un enchainement incroyable de conséquences déliées, et de vérites très-sublimes ?

Qui croirait que celui qui est assis immobîle au fond d'une caverne, les coudes appuyés sur ses genoux, la tête panchée sur ses mains, les yeux fixément attachés au bout de son nez ; où il attend des journées entières l'apparition béatifique de la flamme bleue, est un aussi grand philosophe que celui qui le regarde comme un fou, et qui se promene tout fier d'avoir découvert qu'on voit tout en Dieu ?

Mais après avoir exposé les principaux axiomes de la philosophie naturelle des Arabes et des Sarrasins, nous allons passer à leur philosophie morale.

Après avoir remarqué que c'est vraisemblablement par une suite de ces idées que les musulmants révèrent les idiots : ils les regardent sans-doute comme des hommes étourdis de naissance, qui sont naturellement dans l'état de vertige, et dont la stupidité innée suspendant toutes les fonctions animales et vitales ; l'essence de leur être est sans habitude, sans exercice ; mais par une faveur particulière du ciel, intimement unie à l'essence éternelle.

Mahomet ramena les idolâtres à la connaissance de l'unité de Dieu, il assura les fondements de la science morale, la distinction du juste et de l'injuste, l'immortalité de l'âme, les récompenses et les châtiments à venir ; il pressentit que la passion des femmes était trop naturelle, trop générale et trop violente, pour tenter avec quelque succès à la refrener ; il aima mieux y conformer sa législation, que d'en multiplier à l'infini les infractions, en opposant son autorité à l'impulsion si utîle et si douce de la nature ; il défendit le vin, et il permit les femmes ; en encourageant les hommes à la vertu, par l'espérance future des voluptés corporelles, il les entretint d'une sorte de bonheur dont ils avaient un avant-gout.

Voici les cinq préceptes de l'islamisme ; vous direz : il n'y a qu'un Dieu, et Mahomet est l'apôtre de Dieu ; vous prierez ; vous ferez l'aumône ; vous irez en pélerinage ; et vous jeunerez le ramadan.

Ajoutez à cela des ablutions légales, quelques pratiques particulières, un petit nombre de cérémonies extérieures, et de ces autres choses dont le peuple ne saurait se passer, qui sont absolument arbitraires, et qui ne signifient rien pour les gens sensés, de quelque religion que ce sait, comme de tourner le dos au soleil pour pisser chez les mahométants.

Il prêcha le dogme de la fatalité, parce qu'il n'y a point de doctrine qui donne tant d'audace et de mépris de la mort, que la persuasion que le danger est égal pour celui qui combat, et pour celui qui dort ; que l'heure, l'instant, le lieu de notre sortie de ce monde est fixé, et que toute notre prudence est vaine devant celui qui a enchainé les choses de toute éternité, d'un lien que sa volonté même ne peut relâcher.

Il proscrivit les jeux de hasard, dont les Arabes avaient la fureur.

Il fit un culte pour la multitude, parce que le culte qui serait fait pour un petit nombre, marquerait l'imbécillité du législateur.

La morale de l'islamisme s'étendit et se perfectionna dans les siècles qui suivirent sa fondation. Parmi ceux qui s'occupèrent de ce travail, et dont nous avons fait mention, on peut compter encore Scheich Muslas, Eddin, Sadi, l'auteur du jardin des roses persiques.

Sadi parut vers le milieu du treizième siècle ; il cultiva par l'étude le bon esprit que la nature lui avait donné ; il fréquenta l'école de Bagdad, et voyagea en Syrie où il tomba entre les mains des chrétiens qui le jetèrent dans les chaînes, et le condamnèrent aux travaux publics. La douceur de ses mœurs et la beauté de son génie, lui firent un protecteur zélé, qui le racheta, et qui lui donna sa fille ; Après avoir beaucoup Ve les hommes, il écrivit son rosarium, dont voici l'exorde.

Quadam nocte praeteriti temporis memoriam revocavi ;

Vitaeque male transactae dispendium cum indignatione devoravi,

Saxumque habitaculo cordis lacrymarum adamante perforavi,

Hosque versus conditioni meae convenientes effudi.

Quovis momento unus vitae abit spiritus,

Illud dum inspicio, non multum restitit.

O te cujus jam quinquaginta sunt elapsi somno etiamnum gravem !

Utinam istos quinque supremos vitae dies probe intelligens !

Pudor illi qui absit, opusque non perfecit.

Discussus tympanum percusserunt, sarcinam non composuit,

Suavis somnus in discessus aurora,

Retinet peditem ex itinere.

Quicumque venit novam fabricam struxit ;

Abit ille ; fabricamque alteri construxit ;

Alter illa similia huic vanitatis molimina agitavit ;

Illam vero fabricam ad finem perduxit nemo.

Sodalem instabilem, amicum ne adscisse.

Amicitiâ indignus est fallacissimus hic mundus.

Cum bonis malisque pariter sit moriendum,

Beatus ille qui bonitatis palmam reportavit.

Viaticum vitae in sepulcrum tuum praemitte ;

Mortuo enim te, nemo ferret, tute ipse praemitte.

Vita ut nix est, solque augusti.

Pauxillum reliquit, tibi tamen domino etiamnum socordia et inertia blanditur !

Heus tu qui manu vacuâ forum adiisti ?

Metuo ut plenum referas strophiolum.

Quicumque segetem suam comederit, dum adhuc in herbâ est,

Messis tempore, spicilegio contentus esse cogitur.

Consilium Saadi, attentis animi auribus percipe.

Vita ita se habet : tu te virum praesta, et vade.

Le poète ajoute : j'ai murement pesé ces choses, j'ai Ve que c'était la vérité, et je me suis retiré dans un lieu solitaire ; j'ai abandonné la société des hommes ; j'ai effacé de mon esprit tous les discours frivoles que j'avais entendus ; je me suis bien proposé de ne plus rien dire de mal, et ce dessein était formé au-dedans de moi, lorsqu'un de mes anciens amis, qui allait à la Mecque à la suite d'une caravane, avec sa provision et son chameau, entra dans mon hermitage ; c'était un homme dont l'entretien était plein d'agréments et de saillies ; il chercha à m'engager de conversation inutilement, je ne proférai pas un mot ; dans les moments qui suivirent, si j'ouvris la bouche, ce fut pour lui révéler mon dessein de passer ici, loin des hommes, obscur et ignoré, le reste de ma vie ; d'adorer Dieu dans le silence, et d'ordonner toutes mes actions à ce but ; mais l'ami séduisant me peignit avec tant de charmes la douceur et les avantages d'ouvrir son cœur à un homme de bien, lorsqu'on l'avait rencontré, que je me laissai vaincre ; je descendis avec lui dans mon jardin, c'était au printemps, il était couvert de roses écloses, l'air était embaumé de l'odeur délicieuse qu'elles exhalent sur le soir. Le jour suivant, nous passames une partie de la nuit à nous promener et à converser, dans un autre jardin aussi planté et embaumé de roses ; au point du jour, mon hôte et mon ami se mit à cueillir une grande quantité de ces roses, et il en remplissait son sein ; l'amusement qu'il prenait, me donnait des pensées sérieuses ; je me disais : voilà le monde : voila ses plaisirs : voilà l'homme : voilà la vie ; et je méditais d'écrire un ouvrage que j'appellerais le jardin des roses, et je confiai ce dessein à mon ami, et mon dessein lui plut, et il m'encouragea, et je pris la plume, et je commençai mon ouvrage qui fut achevé avant que les roses dont il avait rempli son sein, ne fussent fanées. La belle âme qu'on voit dans ce récit ! qu'il est simple, délicat, et élevé ! qu'il est touchant !

Le rosarium de Sadi n'est pas un traité complet de morale ; ce n'est pas non plus un amas informe et décousu de préceptes moraux ; il s'attache à certains points capitaux, sous lesquels il rassemble ses idées ; ces points capitaux sont les mœurs des rais, les mœurs des hommes religieux, les avantages de la continence, les avantages du silence, l'amour et la jeunesse, la vieillesse et l'imbécillité, l'étude des sciences, la douceur et l'utilité de la conversation.

Voici quelques maximes générales de la morale des Sarrasins, qui serviront de préliminaire à l'abrégé que nous donnerons du rosarium de Sadi, le monument le plus célèbre de la sagesse de ses compatriotes.

L'impie est mort au milieu des vivants ; l'homme pieux vit dans le séjour même de la mort.

La religion, la piété, le culte religieux, sont autant de glaives de la concupiscence.

La crainte de Dieu est la vraie richesse du cœur.

Les prières de la nuit font la sérénité du jour.

La piété est la sagesse la plus sage, et l'impiété est la folie la plus folle.

Si l'on gagne à servir Dieu, on perd à servir son ennemi.

Celui qui dissipe sa fortune en folies, a tort de se plaindre, lorsque Dieu l'abandonne à la pauvreté.

L'humilité est le havre de la foi ; la présomption est son écueil.

Humilie-toi dans ta jeunesse, afin que tu sois grand dans ta vieillesse.

L'humilité est le fard de la noblesse, c'est le complement de la grâce, elle élève devant le monde et devant Dieu.

L'insensé aux yeux des hommes et de Dieu, c'est celui qui se croit sage.

Plus tu seras éclatant, plus tu seras prudent si tu te caches ; les ténèbres dérobent à l'envie, et ajoutent de la splendeur à la lumière ; ne monte point au haut de la montagne d'où l'on t'apercevrait de loin ; enfonce-toi dans la caverne que la nature a creusée à ses pieds, où l'on t'ira chercher ; si tu te montres, tu seras haï ou flatté, tu souffriras, ou tu deviendras vain ; marche, ne cours pas.

Trais choses tourmentent surtout, l'avarice, le faste et la concupiscence.

Moins l'homme vaut, plus il est amoureux de lui.

Plus il est amoureux de lui, plus il aime à contredire un autre.

Entre les vices difficiles à corriger, c'est l'amour de soi, c'est le penchant à contredire.

Lorsque les lumières sont allumées, ferme les fenêtres.

Sais distrait, lorsqu'on tient un discours obscène.

S'il reste en toi une seule passion qui te domine, tu n'es pas encore sage.

Malheur au siècle de l'homme qui sera sage dans la passion.

On s'enrichit en appauvrissant ses désirs.

Si la passion enchaine le jugement, il faut que l'homme périsse.

Une femme sans pudeur est un mets fade et sans sel.

Si l'homme voyait sans distraction la nécessité de sa fin et la briéveté de son jour, il mépriserait le travail et la fraude.

Le monde n'est éternel pour personne, laisse-le passer, et t'attache à celui qui l'a fait.

Le monde est doux à l'insensé, il est amer au sage.

Chacun a sa peine, celui qui n'en a point n'est pas à compter parmi les enfants des hommes.

Le monde est un mensonge, un séjour de larmes.

Le monde est la route qui te conduit dans ta patrie.

Donne celui-ci pour l'autre, et tu gagneras au change.

Reçais de lui selon ton besoin, et songes que la mort est le dernier de ses dons.

Quand as-tu résolu de le quitter ? quand as-tu résolu de le haïr ? quand, dis-moi, quand ? il passe, et il n'y a que la sagesse qui reste. C'est le rocher et l'amas de poussière.

Songe à ton entrée dans le monde, songe à ta sortie, et tu te diras, j'ai été fait homme de rien, et je serai dans un instant comme quand je n'étais pas.

Le monde et sa richesse passent, ce sont les bonnes œuvres qui durent.

Vais-tu ce cadavre infect, sur lequel ces chiens affamés sont acharnés ; c'est le monde, ce sont les hommes.

Que le nombre ne te séduise point, tu seras seul un jour, un jour tu répondras seul.

Suppléer à une folie par une folie, c'est vouloir éteindre un incendie avec du bois et de la paille.

L'homme religieux ne s'accoude point sur la terre.

Dis-toi souvent d'où suis-je venu ; qui suis-je ; où vais-je ; où m'arrêterai-je ?

Tu marches sans-cesse au tombeau.

C'est la victime grasse qu'on immole, c'est la maigre qu'on épargne.

Tu sommeilles à présent, mais tu t'éveilleras.

Entre la mort et la vie, tu n'es qu'une ombre qui passe.

Ce monde est aujourd'hui pour toi, demain c'en sera un autre.

C'est l'huîle qui soutient la lampe qui luit, c'est la patience qui retient l'homme qui souffre.

Sais pieux en présence des dieux, prudent parmi les hommes, patient à côté des mécans.

La joie viendra si tu sais l'attendre, le répentir si tu te hâtes.

Le mal se multiplie pour le pusillanime, il n'y en a qu'un pour celui qui sait souffrir.

Laisse l'action dont tu ne pourras supporter le châtiment, fais celle dont la récompense t'est assurée.

Tout chemin qui écarte de Dieu, égare.

L'aumône dit en passant de la main de celui qui donne, dans la main de celui qui reçoit, je n'étais rien, et tu m'as fait quelque chose ; j'étais petite, et tu m'as fait grande ; j'étais haïe, et tu m'as fait aimer ; j'étais passagère, et tu m'as fait éternelle ; tu me gardois, et tu m'as fait ta gardienne.

La justice est la première vertu de celui qui commande.

N'écoute pas ta volonté qui peut être mauvaise, écoute la justice.

Le bienfaisant touche l'homme, il est à côté de Dieu, il est proche du ciel.

L'avare est un arbre stérile.

Si le pauvre est abject, le riche est envié.

Sans le contentement, qu'est-ce que la richesse ? qu'est-ce que la pauvreté sans l'abjection ?

Le juge n'écoutera point une partie, sans son adverse.

Ton ami est un rayon de miel qu'il ne faut pas dévorer.

Mon frère est celui qui m'avertit du péril ; mon frère est celui qui me secourt.

La sincérité est le sacrement de l'amitié.

Bannissez la concorde du monde, et dites-moi ce qu'il devient.

Le ciel est dans l'angle où les sages sont assemblés.

La présence d'un homme sage donne du poids à l'entretien.

Embarque-toi sur la mer, ou fais société avec les mécans.

Obéis à ton père afin que tu vives.

Imite la fourmi.

Celui-là possède son âme, qui peut garder un secret avec son ami.

Le secret est ton esclave si tu le gardes, tu deviens le sien s'il t'échappe.

La taciturnité est sœur de la concorde.

L'indiscret fait en un moment des querelles d'un siècle.

On connait l'homme savant à son discours, l'homme prudent à son action.

Celui qui ne sait pas obéir, ne sait pas commander.

Le souverain est l'ombre de Dieu.

L'homme capable qui ne fait rien, est une nuè qui passe et qui n'arrose point.

Le plus méchant des hommes, est l'homme inutîle qui sait.

Le savant sans jugement, est un enfant.

L'ignorant est un orphelin.

Regarde derrière toi, et tu verras l'infirmité et la vieillesse qui te suivent, or tu concevras que la sagesse est meilleure que l'épée, la connaissance meilleure que le sceptre.

Il n'y a point d'indigence pour celui qui sait.

La vie de l'ignorant ne pese pas une heure de l'homme qui sait.

La douceur accomplit l'homme qui sait.

Fais le bien, si tu veux qu'il te soit fait.

Qu'as-tu, riche ? si la vie est nulle pour toi.

Celui qui t'entretient des défauts d'autrui, entretient les autres des tiens.

Les rois n'ont point de frères ; les envieux point de repos ; les menteurs point de crédit.

Le visage du mensonge est toujours hideux.

Dis la vérité, et que ton discours éclaire ta vie.

Que la haine même ne t'approche point du parjure.

L'avare qui a est plus indigent que le libéral qui manque.

La soif la plus ardente est celle de la richesse.

Il y a deux hommes qu'on ne rassasie point, celui qui court après la science, et celui qui court après la richesse.

La paresse et le sommeil éloignent de la vérité, et conduisent à l'indigence.

Le bienfait périt par le silence de l'ingrat.

Celui que tu vois marcher la tête penchée et les yeux baissés, est souvent un méchant.

Oublie l'envieux, il est assez puni par son vice.

C'est trop d'un crime.

Le malheureux, c'est l'homme coupable qui meurt avant le repentir.

Le repentir après la faute, ramène à l'état d'innocence.

La petitesse de la fante est ce qu'il y a de mieux dans le repentir.

Il est temps de se repentir tant que le soleil se leve.

Songe à toi, car il y a une récompense et un châtiment.

La récompense attend l'homme de bien dans l'éternité.

Outre cette sagesse dont l'expression est simple, ils en ont une parabolique. Les Sarrasins sont même plus riches en ce fond, que le reste des nations ; ils disent :

Ne nage point dans l'eau froide ; émousse l'épine avec l'épine ; ferme ta porte au voleur ; ne lâche point ton troupeau, sans parc ; chacun a son pied ; ne fais point de société avec le lion ; ne marche point nud dans les rues ; ne parle point où il y a des oiseaux de nuit ; ne te livre point aux singes ; mets le verrou à ta porte ; j'entens le bruit du moulin, mais je ne vois point de farine ; si tu crains de monter à l'échelle, tu n'arriveras point sur le tait ; celui qui a le poing serré, a le cœur étroit ; ne brise point la salière de ton hôte ; ne crache point dans le puits d'où tu bois ; ne t'habille pas de blanc dans les ténèbres ; ne bois point dans une coupe de chair ; si un ange passe, ferme ta fenêtre ; lave-toi avant le coucher ; allume ta lampe avant la nuit ; toute brebis sera suspendue par le pied.

Ils ont aussi des fables : en voici une. Au temps d'Isa, trois hommes voyageaient ensemble ; chemin faisant, ils trouvèrent un trésor, ils étaient bien contens ; ils continuèrent de marcher, mais ils sentirent la fatigue et la faim, et l'un d'eux dit aux autres, il faudrait avoir à manger, qui est-ce qui ira en chercher ? Moi, répondit l'un d'entr'eux ; il part, il achète des mets ; mais après les avoir achetés, il pensa que s'il les empoisonnait, ses compagnons de voyage en mourraient, et que le trésor lui resterait, et il les empoisonna. Cependant les deux autres avaient résolu, pendant son absence, de le tuer, et de partager le trésor entr'eux. Il arriva, ils le tuèrent ; ils mangèrent des mets qu'il avait apportés, ils moururent tous les trois, et le trésor n'appartint à personne.