Pour peu que l'on considère la nature, on s'aperçoit qu'il part de tous les corps des émanations plus ou moins sensibles. L'odorat nous avertit qu'il part des émanations très-fortes d'un grand nombre de végétaux : nous en avons une infinité de preuves dans les parfums que répandent les fleurs, surtout quand leur partie aromatique a été mise en mouvement par la chaleur du soleil. Les animaux répandent aussi des émanations ; la chaleur de leur sang est très-propre à les dégager et à les disperser dans l'atmosphère. Il n'est point surprenant que les substances que la terre renferme dans son sein puissent pareillement être dégagées et portées dans l'air. Un grand nombre d'expériences prouve qu'il règne souvent une chaleur très-sensible dans l'intérieur de la terre, même dans les lieux où l'on ne voit point d'embrasements. C'est ainsi que dans les mines de mercure d'Esclavonie, on éprouve une chaleur si forte, que pour peu qu'on s'arrête dans les souterrains de ces mines, on se trouve entièrement baigné de sueur.

Cela posé, il n'est point surprenant que la chaleur souterraine puisse mettre en action une infinité de substances, surtout lorsqu'elles ont été atténuées et divisées par les eaux qui leur servent de véhicule, et qui les emportent avec elles dans l'air où elles sont elles-mêmes poussées. On ne peut douter qu'une infinité de substances du règne minéral ne soient très-volatiles, plusieurs sels, le soufre, l'arsenic, le mercure, la plupart des demi-métaux, et les métaux mêmes, lorsqu'ils sont dans un état de division, les substances bitumineuses et inflammables, etc. peuvent être portées dans l'atmosphère ; il n'est donc point difficîle de se faire une idée très-naturelle de la formation des vapeurs que l'on nomme mouffettes.

La chaleur du soleil produit souvent des mouffettes ou exhalaisons à la surface de la terre ; ces brouillards que l'on voit quelquefois s'élever à très-peu de hauteur au dessus de la terre en été, en sont une preuve convaincante. De plus, des expériences souvent réitérées nous apprennent qu'il est dangereux de se coucher et de s'endormir sur l'herbe, surtout au printemps, lorsque les premières impressions du soleil se font sentir à la terre. Un grand nombre d'hommes ont souvent été punis pour s'être imprudemment couchés sur le gason, et plusieurs y ont trouvé la mort même, au lieu du repos qu'ils cherchaient ; d'autres en ont été perclus et privés pendant longtemps de l'usage de leurs membres.

Si ces effets sont sensibles à la surface de la terre, où les vents peuvent sans cesse renouveller l'air, ils doivent l'être encore bien plus dans l'intérieur de la terre, qui renferme un grand nombre de matières propres à se réduire en vapeurs, et à porter dans l'air des molécules nuisibles et peu analogues à l'homme. Presque toutes les mines sont sujettes à se décomposer ; c'est l'arsenic et le soufre qui entrent dans la combinaison de la plupart de ces mines ; ces deux substances dangereuses dégagées des entraves qui les retenaient, se répandent dans l'air des souterrains, qui faute d'être renouvellé en devient quelquefois si chargé, que ceux qui s'y exposent en sont subitement suffoqués.

On peut juger par ce qui vient d'être dit, que toutes les mouffettes ne sont point de la même nature ; et il est très-aisé de s'apercevoir qu'elles produisent des effets tout différents. En effet, on doit sentir que les mouffettes qui règnent dans les souterrains d'une mine, où il se trouve beaucoup d'arsenic, doivent être d'une nature différente de celles où l'on ne trouve que du charbon de terre ou des substances bitumineuses ; ou de celles qui ne sont formées que par le soufre : il est bien vrai que toutes ces mouffettes ou exhalaisons sont à peu de chose près également nuisibles aux hommes ; cependant on ne peut s'empêcher de reconnaître qu'elles doivent être chargées de principes différents.

Il n'y a point lieu de douter que la mouffette décrite par plusieurs voyageurs, qui se fait sentir dans la grotte du chien au royaume de Naples, ne soit une vapeur sulfureuse, volatile, produite par le soufre qui se brule et se décompose peu-à-peu dans le sein de la terre, d'un pays où les feux souterrains agissent sans cesse. Ainsi la vapeur de la grotte du chien est d'une nature acide, sulfureuse, et volatîle ; en un mot, telle que celle que produit le soufre lorsqu'on le brule ; il n'est donc pas surprenant qu'elle suffoque les animaux qui y sont exposés.

Les mouffettes ou vapeurs qui se font sentir dans des souterrains où l'on trouve des pyrites qui se décomposent à l'air, des substances arsénicales, des demi-métaux, du mercure, etc. doivent être encore d'une nature différente, et doivent participer des substances qui abondent le plus dans les lieux où ces vapeurs règnent.

Enfin, les mouffettes ou vapeurs qui se font sentir dans les souterrains d'où l'on tire des charbons de terre et des substances bitumineuses et inflammables, doivent encore être d'une nature particulière, étant chargées de molécules grasses et inflammables ; sans cela comment expliquer la facilité avec laquelle certaines vapeurs qui s'élèvent dans les souterrains de quelques mines, s'allument aux lampes des ouvriers, et produisent les effets du tonnerre, comme on l'a fait observer du feu térou ou feu brisou, en parlant des mines de charbon de terre. Voyez CHARBON MINERAL.

Les observations qui viennent d'être faites, suffiront pour donner une idée de la nature et des variétés des vapeurs ou mouffettes qui s'excitent naturellement dans l'intérieur de la terre. L'on ne peut douter qu'il n'y ait une grande quantité d'air et d'eau qui y sont renfermés : ces deux substances mises en expansion par la chaleur, agissent sur les corps qui les environnent ; elles les entraînent avec elles dans l'air extérieur, à qui elles donnent des propriétés qu'il n'avait point auparavant. De-là naissent des vapeurs différentes, en raison des différentes substances qui ont été entrainées par l'air et l'eau.

Dans les souterrains de quelques mines où l'on est obligé de faire du feu pour attendrir la roche qui enveloppe le minerai, il s'excite des espèces de vapeurs ou mouffettes artificielles, parce qu'alors le feu dégage et volatilise les substances arsénicales, sulfureuses et inflammables contenues dans ces souterrains, et il en couterait la vie aux ouvriers qui se présenteraient dans les galeries des mines avant que ces vapeurs dangereuses fussent entièrement dissipées.

On peut aussi regarder comme une espèce de mouffette artificielle la vapeur qui part du charbon de bois brulé dans un lieu où il n'y a point de circulation d'air, et dont les funestes effets sont assez connus de tout le monde.

Après avoir tâché d'expliquer la nature des mouffettes qui s'excitent dans le sein de la terre et à sa surface, nous allons rapporter quelques-uns des principaux phénomènes qui les accompagnent.

Les mouffettes ou vapeurs souterraines sont plus ou moins sensibles, elles se montrent communément sous la forme d'un brouillard humide qui éteint les lumières qu'on y présente ; d'autres au-contraire s'y allument et font des explosions semblables à celles du tonnerre. Ces vapeurs ou brouillards ne s'élèvent souvent qu'à très-peu de hauteur au-dessus de la surface de la terre, et quelquefois elles s'élèvent beaucoup plus haut, ce qui dépend du plus ou du moins de pesanteur de l'air de l'atmosphère. Quelquefois ces vapeurs sortent avec bruit et avec sifflement des fentes des rochers que les mineurs percent avec leurs outils. On a Ve quelquefois des vapeurs arsénicales bleuâtres s'arrêter à la surface des eaux dormantes qui se trouvent dans les souterrains des mines, où elles ne faisaient aucun mal ; mais lorsqu'il venait à tomber une pierre dans ces eaux, ou lorsqu'il s'y excitait du mouvement, ces vapeurs qui sont très-mobiles, se répandaient dans les souterrains, et donnaient la mort à tous ceux qui s'en approchaient. Quelques-unes de ces vapeurs ou mouffettes sont d'une chaleur très-sensible, d'autres n'ont point de chaleur. Il y a des mouffettes qui ont un goût doucereux, d'autres sont âcres et corrosives, les unes engourdissent et endorment, pour ainsi dire, ceux qui y ont été exposés ; celles qui sont arsénicales saisissent à la gorge et font éprouver une sensation semblable à celui d'une corde qui serrerait étroitement le cou.

M. Seip, médecin allemand, a décrit dans les Transactions philosophiques, les phénomènes singuliers que présente une mouffette qui se fait sentir dans une carrière qui est tout auprès des eaux minérales de Pyrmont en Westphalie ; cette vapeur tue les oiseaux, les insectes, et tous les animaux qui en sont atteints ; les oiseaux meurent dans des convulsions semblables à celles qu'ils éprouvent dans le récipient de la machine pneumatique après qu'on en a pompé l'air. Cette vapeur est semblable aux brouillards qui s'élèvent quelquefois à la surface des prairies en été, elle ne s'élève communément que jusqu'à un ou deux pieds de terre, excepté aux approches d'un orage. Lorsqu'on se tient debout dans cette carrière ou grotte on ne s'aperçoit d'aucune odeur, on sent seulement que les pieds s'échauffent, la chaleur gagne les parties inférieures du corps, et peu-à-peu on éprouve une transpiration très-abondante. En baissant la tête vers le sol de la caverne on s'aperçoit d'une odeur très-pénétrante et si âcre, qu'elle picote les yeux et les fait pleurer. Cette vapeur reçue dans la bouche est d'un goût sulfureux. Si l'on continue quelque temps à y rester exposé, on sent un engourdissement, alors il faut promptement sortir et prendre l'air, ou boire de l'eau, sans quoi l'on risquerait de périr : cette vapeur éteint le feu et les lumières. Quoiqu'elle fasse éprouver une sensation de chaleur aux pieds, M. Seip a trouvé que les thermomètres ne souffrent aucune variation lorsqu'ils sont prolongés dans cette vapeur. Voyez les Transactions philosophiques, n°. 448.

En Angleterre, dans l'île de Wight, des ouvriers qui creusaient un puits, rencontrèrent une couche d'où il sortit une vapeur sulfureuse d'une chaleur suffocante et semblable à celle qui sort d'un four bien échauffé ; plusieurs ouvriers en périrent, et l'on fut obligé d'abandonner le travail, lorsqu'on vit que cette vapeur ne cessait point de se montrer ; elle était fort basse dans un temps serein, et montait plus haut dans les temps pluvieux. Voyez les Transactions philosophiques, n°. 450.

En Hongrie, à Ribar près des monts Crapacks, est une source d'eau minérale que l'on peut boire impunément, mais qui, sans répandre d'émanation sensible, ne laisse pas de tuer sur-le-champ les oiseaux et les autres animaux qui en approchent. Voyez les Transact. philos. n°. 452. Voyez EXHALAISONS MINERALES et MINES. (-)