La prophétie est donc la connaissance de l'avenir impénétrable à l'esprit humain ; ou pour mieux dire, c'est la connaissance infaillible des événements futurs, libres, casuels, où l'esprit ne découvre ni détermination antérieure, ni disposition préliminaire. On peut encore la définir la prédiction certaine d'une chose future et contingente, et qui n'a pu être prévue par aucun moyen naturel.

Dieu seul a par lui-même la connaissance de l'avenir ; mais il peut la communiquer aux hommes, et leur ordonner d'annoncer aux autres les vérités qu'il leur a manifestées : or, c'est ce qu'il a fait, et delà les prophéties qui sont contenues dans l'ancien Testament.

Quelques auteurs ont pensé que la divination étant un art enseigné méthodiquement dans les écoles romaines, les Juifs avaient pareillement des colléges et des écoles où l'on apprenait à prophétiser. Dodwel ajoute que dans ces écoles on apprenait les règles de la divination, et que le don de prophétie n'était pas une chose occasionnelle, mais une chose de fait et assurée ; et quelques autres ont osé avancer qu'il y avait dans l'ancien Testament un ordre de prophetes à-peu-près semblable aux colléges des augures chez les payens.

Il est vrai qu'on trouve dans l'Ecriture ces communautés des prophetes et des enfants des prophetes établies ; mais où trouve-t-on qu'on y enseignât l'art de prophétiser ? quelles en étaient les règles ? Tous les sectateurs des prophetes étaient-ils prophetes eux-mêmes ? Enfin ne voit-on pas dans tous les prophetes un choix particulier de Dieu sur eux, une vocation spéciale, des inspirations particulières marquées par ces paroles, factum est verbum Domini ad me ? Enfin, entre les impostures, les conjectures des devins du paganisme, et le ton sérieux et affirmatif des prophetes de l'ancienne loi, il y a une différence palpable.

On ajoute qu'il y avait parmi les Juifs un grand nombre de prophetes, qui non-seulement parlaient sur la religion et le gouvernement, mais encore qui faisaient profession de dire la bonne aventure, et de faire retrouver les choses perdues ; mais ces deux espèces de prophetes étaient fort différents. Les devins, les imposteurs et les charlatants, sont condamnés par la loi de Moïse : les vrais prophetes démasquaient leurs fourberies ; les princes impies avaient beau les tolérer et les favoriser, tôt ou tard on découvrait la fausseté de leurs prédictions ; au lieu que celles des vrais prophetes étaient confirmées, ou sur-le-champ par des miracles éclatants, ou peu après par l'infaillibilité de l'événement.

L'accomplissement des prophéties de l'ancien Testament dans la personne de Jesus-Christ, est une des preuves les plus fortes que les Chrétiens emploient pour démontrer la vérité de la religion, contre les Juifs et les Payens : on y oppose diverses difficultés, mais qui ne demeurent pas sans replique.

Ainsi l'on objecte que souvent les textes de l'ancien Testament cités dans le nouveau, ne se trouvent point dans l'ancien ; que souvent aussi le sens littéral du nouveau Testament ne parait pas le même que celui de l'ancien : ce qui a obligé quelques critiques et théologiens à avoir recours à un sens mystique et allégorique pour adapter ces prophéties à Jesus-Christ. Par exemple, quand saint Matthieu, après avoir rapporté la conception et la naissance de J. C., dit : " Tout cela arriva, afin que fût accompli ce qui avait été dit par le seigneur par la bouche de son prophète, disant, ecce virgo concipiet et pariet filium, et vocabitur nomen ejus Emmanuel ". Or, ajoute-t-on, ces paroles telles qu'elles se trouvent dans Isaïe, prises dans leur sens littéral et ordinaire, regardent une jeune femme épouse du prophète, qui accoucha d'un fils au temps d'Achaz, et ne peuvent s'appliquer à Jesus-Christ que dans un sens allégorique : c'est le sentiment de Grotius, de Castalion, de Courcelles, d'Episcopius, et de M. le Clerc.

Nous voulons bien ne pas tirer avantage contre ces auteurs, de ce qu'ils sont tous suspects de socinianisme ou d'arianisme ; et s'il s'agissait de décider la chose par autorité, nous leur opposerions une foule de pères, d'interpretes, de théologiens, soit catholiques, soit protestants, qui ont entendu ce passage d'Isaïe à la lettre de Jesus-Christ. Mais il s'agit, pour l'instruction du lecteur, de montrer que c'est de Jesus-Christ qu'on doit l'entendre réellement. Or il s'agit premièrement dans ce passage d'une vierge, virgo concipiet : l'hébreu porte halma, c'est-à-dire une fille encore vierge, qui n'a eu aucun commerce avec un homme. Peut-on appliquer ce titre à l'épouse d'Isaïe, qui avait déjà eu un fils ? 2°. Il s'agit d'un enfant qui naitra postérieurement à la prophétie d'Isaïe : on ne connait à ce prophète que deux fils, l'un déjà né et qu'il tenait par la main lorsqu'il parlait à Achaz, et qui a nom Jasub. L'autre qui naquit effectivement peu de temps après, et auquel ce prophète donna le nom de Maher-Schalal Chazbaz. Or quelle ressemblance y a-t-il entre cette dénomination et le nom d'Emmanuel, vocabitur nomen ejus Emmanuel, dont Isaïe prédit la naissance ? 3°. L'événement qu'annonce le prophète doit être frappant, merveilleux, extraordinaire ; mais qu'y a-t-il de merveilleux que l'épouse du prophète, qui avait déjà eu un fils, et qui était jeune, en eut un second ? 4°. Enfin, le seul nom d'Emmanuel, Dieu avec nous, n'est applicable à aucun des enfants des hommes. Toutes les autres circonstances de la prophétie marquent qu'elle n'a pu s'accomplir littéralement du temps d'Isaïe ; que Grotius et les autres nous montrent donc comment et pourquoi elle ne s'est accomplie dans la personne de Jesus-Christ que dans un sens allégorique ?

Cet auteur, après un pareil essai, n'est donc pas recevable à dire que presque toutes les prophéties de l'ancien Testament citées dans le nouveau, sont prises dans un sens mystique. Encouragés apparemment par cette prétention, Dodwel et Marsham ont avancé que la fameuse prophétie de Daniel sur les soixante-dix semaines, a été accomplie littéralement au temps d'Antiochus Epiphanes ; et que les expressions que Jesus-Christ en tire dans la prédiction de la ruine de Jérusalem par les Romains, ne doivent être prises que dans un sens adoptif, un second sens.

Mais outre les sens forcés que Dodwel et Marsham donnent aux paroles de la prophétie ; outre le calcul faux qu'ils font des soixante-dix semaines d'années, qui composant 490 ans, ne peuvent jamais tomber au règne d'Antiochus Epiphanes : combien de caractères de cette prophétie qui ne peuvent convenir au temps de ce prince ? Le péché a-t-il fini, et la justice éternelle a-t-elle paru sous son règne ? Quel est le saint des saints qui y a reçu l'onction ? Jérusalem a-t-elle été renversée de fond en comble ? et la désolation de la nation juive a-t-elle été pour lors durable et permanente ? On peut voir l'absurdité de ce sentiment et de plusieurs autres semblables, savamment réfutés par M. Witasse, traité de l'Incarn. part. I. quest. IIIe article 1. sect. 2.

Il faut penser de même de ce que disent Grotius, Simon, Stillingfleet, etc. que la fameuse prophétie du Pentateuque, le Seigneur votre Dieu vous suscitera un prophète comme moi de votre nation et d'entre vos frères : c'est lui que vous écouterez, etc. ne contient que la promesse d'une succession de prophetes dans Israèl. Mais outre qu'il ne s'agit pas d'une succession de prophetes, mais d'un prophète par excellence, il est clair par toute la suite du texte, que les caractères que Moïse donne à ce prophète conviennent infiniment mieux à Jesus-Christ qu'à tous ceux qui l'ont précédé dans le ministère prophétique.

Pour donner quelque couleur à ces opinions, on a avancé que les Apôtres avaient des règles pour discerner les prophéties de l'ancien Testament, qui devaient être prises dans un sens littéral, d'avec celles qu'on devait entendre dans un sens allégorique ; ces règles, ajoute-t-on, sont perdues.

A cela il est aisé de répondre que les Apôtres inspirés par le saint-Esprit, n'avaient pas besoin de ces prétendues règles : la lumière divine qui les éclairait, était bien supérieure à celle qu'on veut qu'ils aient tiré des écrits des rabbins et des docteurs juifs ; mais si ces règles sont si précieuses et paraissent si essentielles, M. Surenhusius, professeur en hébreu à Amsterdam, les a toutes retrouvées dans l'ouvrage qu'il a donné sous le titre de Sepher hamechave, ou de , qu'il faut n'avoir pas lu pour dire, comme fait M. Chambers, que ces règles sont forcées et peu naturelles. Voyez ce que nous en avons dit au mot CITATIONS.

Ce sont apparemment ces objections et de semblables raisonnements qui ayant effrayé M. Whiston, lui ont fait condamner toute explication allégorique des prophéties de l'ancien Testament, comme fausse, faible, fanatique, et ajouter que si l'on soutient qu'il y a un double sens des prophéties, et qu'il n'y a d'autre moyen d'en faire voir l'accomplissement qu'en les appliquant dans un sens allégorique et représentatif à Jesus-Christ, quoiqu'elles aient été accomplies longtemps auparavant dans leur premier sens, on se prive par-là de l'avantage réel des prophéties, et d'une des plus solides preuves du Christianisme ; car nous montrerons ci-dessous qu'il y a nécessairement des prophéties typiques, mais que cela n'ôte rien à la Religion de la force de ses preuves.

M. Whiston, pour obvier à ce mal, propose un nouveau plan ; car il avoue qu'en prenant le texte de l'ancien Testament tel que nous l'avons maintenant, il est impossible d'interprêter les citations des Apôtres sur les prophéties de l'ancien Testament, autrement que par le sens allégorique ; et pour ôter toute difficulté, il est contraint d'avoir recours à des suppositions contraires au sentiment de tous les auteurs ecclésiastiques, savoir que le texte de l'ancien Testament a été corrompu et altéré par les Juifs depuis le temps des Apôtres. Voyez TEXTE.

Selon son hypothèse, les Apôtres faisaient leurs citations de l'ancien Testament d'après la version des septante, qui était en usage de leur temps, et exactement d'accord avec l'original hébreu ; et comme ils faisaient des citations exactes, ils les prenaient dans le sens littéral telles qu'elles sont dans l'ancien Testament. Mais depuis ce temps l'original hébreu et les copies des septante (de l'ancien Testament) ont été notablement altérées, ce qui, selon cet auteur, occasionne les différences remarquables que l'on trouve entre l'ancien et le nouveau Testament, par rapport aux paroles et au sens de ces citations. Voyez SEPTANTE.

A l'égard de la manière dont a pu se faire cette corruption, Whiston suppose que les Juifs du second siècle altérèrent le texte hébreu et les septante, et principalement les prophéties citées par les Apôtres, qu'ils regardaient comme des arguments très-pressants. Ce qu'il prétend prouver, parce que dans le troisième siècle on trouve dans les écrits d'Origène une de ces copies altérées des septante, qu'Origène regardant comme vraie, a insérée dans ses exaples ; qu'on s'en servait dans les églises ; et que sur la fin du IVe siècle les Juifs firent passer dans les mains des Chrétiens, qui ignoraient entièrement la langue hébraïque, une copie corrompue du texte hébreu de l'ancien Testament. Whiston soutient donc que toutes les différences qui se trouvent entre le vieux et le nouveau Testament quant aux citations en question, n'appartiennent point au vrai texte de l'ancien Testament, qui n'existe plus, mais seulement au texte corrompu que nous avons. C'est pourquoi pour justifier les discours des Apôtres, il propose de rétablir le texte de l'ancien Testament comme il était avant le temps d'Origène et au temps des Apôtres ; et pour lors, dit-il, on prouvera que les Apôtres ont cité exactement et raisonné juste d'après l'ancien Testament.

Mais en bonne foi n'est-ce pas là trahir la cause de la Religion sous ombre de la défendre ? et sur quels fondements est appuyée l'hypothèse de Whiston ? Car enfin à qui persuadera-t-il que l'ancien Testament ait été ainsi corrompu ; que les églises chrétiennes n'aient pas reclamé ; que la supercherie des Juifs ait eu un succès universel, et que les Chrétiens aient été pour ainsi dire d'accord avec eux afin de l'accréditer ? Car il faut supposer tout cela pour donner quelque lueur de vraisemblance à ce système. Un exemplaire altéré du temps d'Origène, prouverait-il que tous l'eussent été ? D'ailleurs on pense généralement que les différences du texte hébreu et des septante existaient déjà du temps des Apôtres. Enfin sur quel texte original veut-il qu'on corrige et l'hébreu et les septante, puisque, selon lui, tous les exemplaires sont altérés ? Le remède qu'il propose est aussi impraticable que ridicule.

Avouons que cet auteur s'est laissé écraser par une difficulté qu'on évite, en disant qu'il y a des prophéties et en très-grand nombre, qui dans leur sens littéral ne peuvent s'entendre que de Jesus-Christ, et qui n'ont jamais été accomplies que dans sa personne ; telles sont celles de Jacob, de Daniel, un grand nombre tirées des Pseaumes et d'Isaïe ; celles d'Aggée et de Malachie. Mais en convenant aussi qu'il y a dans l'Ecriture plusieurs prophéties typiques qui ont deux objets, l'un prochain et immédiat sous l'ancienne loi, l'autre éloigné mais principal dans la nouvelle, savoir Jesus-Christ, en qui elles se sont accomplies d'une manière plus sublime et plus parfaite, telles que celles d'Osée, XIe 1, de Jérémie, xxxj. 15 ; citées dans S. Matth. IIe 15 et 18 ; de l'Exode, XIIe 46, citée en saint Jean, xjx. 36. du pseaume 108, citée dans les Actes, j. 6. du II. liv. des Rais, VIIe et citée par saint Paul aux Hébreux, j. 6 ; qui toutes ont été accomplies en Jesus-Christ, ou à son occasion.

On convient qu'il n'est pas facîle de discerner les prophéties qui se sont accomplies dans le sens littéral en Jesus-Christ, d'avec celles qui ne s'y sont accomplies que dans le sens mystique ; mais malgré cette difficulté, on en a toujours un assez grand nombre qui déposent en faveur de la divinité et de la vérité de sa religion, pour ne pas craindre que la preuve qu'on tire des prophéties puisse jamais être énervée. On peut consulter sur cette matière Maldonat, M. Bossuet, et le P. Baltus, jésuite, dans son ouvrage intitulé, défense des prophéties.