Aristote trouva qu'il était ridicule de supposer ainsi des essences universelles hors de la matière, par lesquelles les êtres soient modifiés, quant à leur essence. Mais comme il ne pouvait nier que les choses n'aient une forme essentielle, il aima mieux soutenir que ces formes avaient été imprimées dans la matière de toute éternité, et que c'était de ces formes séminales ou substantielles, que la matière recevait sa forme.

Zénon et l'école stoïcienne ne disconvenaient point qu'il n'y eut des principes des choses matérielles, mais ils se moquaient de ces universaux qu'on faisait exister hors de l'entendement, et qu'on distinguait des notions universelles, et des termes dont on se servait pour les désigner.

En disputant dans la suite sur ces belles questions, la doctrine d'Aristote prévalut insensiblement, et les Philosophes soutinrent que l'universel n'était ni avant ni après la chose, mais dans la chose même ; en un mot, qu'il existait des formes substantielles. C'était l'opinion régnante de l'onzième siècle, temps où s'éleva une nouvelle secte, qui abandonnant Aristote, adopta les principes des Stoïciens, et soutint que les universaux n'existaient ni avant les choses, ni dans les choses ; qu'ils n'avaient aucune existence réelle, et que ce n'étaient que de simples noms, pour désigner les divers genres des choses. On n'est pas d'accord sur le premier inventeur de ce système ; mais voici ce qu'en disent les auteurs de l'histoire littéraire de la France, tom. VII. pag. 132.

" Jean le Sophiste, fort peu connu d'ailleurs, passa pour le père de la nouvelle secte, quoique d'autres transportent cet honneur à Roscelin, clerc de Compiègne, qui ne le mérite que pour en avoir été le plus zélé partisan.... Outre Roscelin, Jean eut encore pour principaux disciples, Robert de Paris, Arnoul de Laon et Raimbert Ecolâtre de Lille en Flandres, qui en firent de leur côté grand nombre d'autres. Ainsi se forma la fameuse secte des Nominaux, qui causa un schisme furieux parmi les Philosophes, et troubla toutes nos écoles. Le mal ayant commencé sur la fin de ce siècle, alla toujours en croissant, et l'on fut très-longtemps sans y pouvoir apporter de remède. Une de ses plus funestes suites, fut de réduire le bel art de la dialectique, à un pur exercice de disputer et de subtiliser à l'infini. L'on ne s'y proposait autre chose, que de chicaner sur les termes et les réponses des adversaires, de les embarrasser par des questions sophistiques ; d'en inventer de curieuses et d'inutiles, de trouver de vaines subtilités, des distinctions frivoles, qui ne demandent que de l'esprit et de l'imagination, sans lecture et sans examen des faits. En un mot, bien loin d'approfondir les choses, jusqu'à ce qu'on eut trouvé un principe évident par la lumière naturelle, ce qui est le but de la bonne dialectique ; on ne s'amusait qu'à disputer sans fin, et ne s'avouer jamais vaincu. De-là, tant d'opinions incertaines, et de doutes pires que l'ignorance même : déplorable manière de philosopher, qui s'étendit sur la théologie et sur la morale. "

Saint Anselme, Lanfranc et Odon, s'opposèrent vigoureusement aux Nominaux, et l'on croit que trois ouvrages du dernier sur la dialectique, regardaient cette controverse. Un de ces écrits était intitulé le Sophiste, et tendait à apprendre à discerner les sophismes, et à les éviter. Un autre portait pour titre complexionum, des conclusions ou des conséquences, dans lequel on conjecture qu'Odon établissait les règles du syllogisme, pour mettre ce que l'école appelle un argument en forme, et apprendre par-là à raisonner juste. Le troisième était intitulé : de l'être et de la chose, parce qu'il y discutait, si l'être est le même que la chose, et la chose le même que l'être. On ne connait au reste ces trois écrits, que par le peu que nous en apprend Herimanne ; et Sanderus, qui a trouvé parmi les manuscrits des bibliothèques de la Belgique, la plupart des autres écrits d'Odon, n'y a découvert aucun des trois qu'on vient de nommer. (D.J.)