C'est à cause de cette destination, que l'on a appelé ce cas nominatif, mot tiré de nomen même, pour mieux indiquer que sous cette forme le nom est employé pour la fin qui l'a fait instituer. C'est encore dans le même sens que ce cas a été appelé rectus, direct, pour dire qu'il ne détourne pas le nom des vues de son institution : les autres sont appelés obliqui, obliques, par une raison contraire. J'ose croire que cette explication est plus raisonnable, que les imaginations détaillées sérieusement par Priscien (lib. V. de cas.), et réfutées aussi sérieusement par Scaliger, de caus. L. L. lib. IV. cap. lxxx.

Quelques Grammairiens modernes ont encore voulu donner à ce cas le nom de subjectif, pour mieux caractériser l'usage qu'il en faut faire. Je crois que l'ancienne dénomination étant sans équivoque, une nouvelle deviendrait superflue, quelqu'expressive qu'elle put être.

On demande très sérieusement si le nominatif est un cas proprement dit ; et ce qu'il y a de plus singulier, c'est que l'unanimité est pour la négative. M. du Marsais lui-même (article CAS), et M. Lancelot avant lui (Grammaire gén. part. II. ch. vj.), l'ont dit ainsi. " Il est appelé cas par extension, dit M. du Marsais, et parce qu'il doit se trouver dans la liste des autres terminaisons du nom. Il n'est pas proprement un cas, dit M. Lancelot ; mais la matière d'où se forment les cas par les divers changements qu'on donne à cette première terminaison du nom ". Je dirais volontiers ici, quandoque bonus dormitat Homerus. Ces deux excellents grammairiens conviennent l'un et l'autre que les cas d'un nom sont les différentes terminaisons de ce nom. On le voit par les textes mêmes que je viens de rapporter ; mais il est certain que les noms sont terminés au nominatif comme aux autres cas, puisqu'un mot sans terminaison est impossible ; le nominatif est donc un cas aussi proprement dit que tous les autres.

Mais c'est, dit-on, la matière d'où se forment les autres cas. Quand cela serait, il n'en serait pas moins un cas, puisqu'il serait d'une terminaison differente de celle que l'on en formerait. Mais cela même n'est pas absolument vrai, comme on le donne à entendre : il faudrait qu'on ajoutât au nominatif les autres terminaisons, et que de dominus, par exemple, on formât dominusi, dominuso, dominusum, etc. On ne le fait point ; on ôte la terminaison nominative, qui est us, et on y substitue les autres, i, o, um, etc. C'est donc de domin qu'il faut dire qu'il n'est point un cas, ou plutôt qu'il est sans cas, parce qu'il est sans terminaison significative ; mais aussi domin n'est pas un mot. Voyez MOT.

Il y a plus : les mêmes grammairiens avouent ailleurs que le génitif sert à former les autres cas, et cela est vrai en un sens, puisque les cas qui ne doivent point être semblables au nominatif, ne changent qu'une partie de la terminaison génitive : de lum-en vient le génitif lum-inis, et de celle-ci, lum-in-i, lum-in-e, lum-in-a, lum-in-um, lum-in-ibus. C'était donc plutôt sur le génitif que devait tomber le doute occasionné par cette formation, et l'on pouvait autant dire que le génitif n'était cas que par extension.

Quand la terminaison du génitif a plus de syllabes que celle du nominatif, on dit que le génitif et les autres cas qui en sont formés, ont un crément : ainsi il y a un crément dans luminis, parce qu'il y a une syllabe de plus que dans lumen ; il n'y en a point dans domini, parce qu'il n'y a pas plus de syllabes que dans dominus. Dans la grammaire grecque on appelle parisyllabes, les déclinaisons des noms dont le génitif singulier n'a pas de crément, et imparisyllabes, celles des noms dont le génitif a un crément.

De la destination essentielle du nominatif, il suit deux conséquences également nécessaires.

La première, c'est que tout verbe employé à un mode personnel suppose avant soi un nom au nominatif qui en est le sujet : c'est un principe qui a été démontré directement au mot IMPERSONNEL, et qui reçoit ici une nouvelle confirmation par sa liaison nécessaire avec la nature du nominatif.

La seconde conséquence est l'inverse de celle-ci, et sort plus directement de la notion du cas dont il s'agit : c'est qu'au contraire tout nom au nominatif suppose un verbe dont il est le sujet ; et si ce verbe n'est point exprimé, la plénitude de la construction analytique exige qu'il soit suppléé. On a déjà Ve (INTERJECTION) que ecce homo veut dire ecce homo adest : tum quidam ex illis quos prius despexerat, contentus nostris si fuisses sedibus, etc. (Phaed. I. IIIe 12.) c'est-à-dire, tum quidam ex illis quos prius despexerat dixit ei, si, etc. nulli nocendum, (Id. Lib. I. xxvj. 1.) suppl. est. Les titres des livres sont au nominatif par la même raison : Terentii comediae, suppléez sunt in hoc volumine, et ainsi des autres.

Je ne dois pas oublier que l'on dit communement du sujet du verbe, qu'il est le nominatif du verbe ; expression impropre, puisque le nominatif ne peut être cas que d'un nom, d'un pronom ou d'un adjectif. Que l'on dise que tel nom est nominatif, parce qu'il est sujet de tel verbe ; à la bonne heure, c'est rendre raison d'un principe de syntaxe ; mais il ne faut pas confondre les idées. (B. E. R. M.)