Les noms se divisent communément en appelatifs et en propres, et il semble que ces deux espèces soient suffisantes aux besoins de la Grammaire ; cependant, soit pour lui fournir plus de ressources, soit pour entrer dans les vues de la Métaphysique, on soudivise encore les noms appelatifs en noms génériques ou de genre, et en noms spécifiques ou d'espèce. " Les premiers, pour employer les propres termes de M. du Marsais, conviennent à tous les individus ou êtres particuliers de différentes espèces ; par exemple, arbre convient à tous les noyers, à tous les orangers, à tous les oliviers, etc. Les derniers ne conviennent qu'aux individus d'une seule espèce ; tels sont noyer, olivier, oranger, etc. ". Voyez APPELLATIF.

M. l'abbé Girard, tom. I. disc. Ve pag. 219. partage les noms en deux classes, l'une des génériques, et l'autre des individuels ; c'est la même division générale que nous venons de présenter sous d'autres expressions. Ensuite il soudivise les génériques en appelatifs, abstractifs et actionnels, selon qu'ils servent, dit-il, à dénommer des substances, des modes, ou des actions. Mais on peut remarquer d'abord que le mot appelatif n'est pas appliqué ici plus heureusement que dans le système ordinaire, et que l'auteur ne fait que déroger à l'usage, sans le corriger. D'autre part, la soudivision de l'académicien n'est ni ne peut-être grammaticale, et elle devait l'être dans son livre. La diversité des objets peut fonder, si l'on veut, une division philosophique ; mais une division grammaticale doit porter sur la diversité des services d'une même sorte de mots ; et cette diversité de service dépend, non de la nature des objets,

* Il s'agit dans cet endroit du Roi de Pologne Duc de Lorraine : ce Prince a donné aux magistrats de la ville de Bar dix mille écus qui doivent être employés à acheter du blé, lorsqu'il est à bas prix, pour le revendre aux pauvres à un prix médiocre, lorsqu'il est monté à certain point de cherté. Par cet arrangement, la somme augmente toujours ; et bien-tôt on pourra la répartir sur d'autres endroits de la province.

** Ce n'est là qu'une partie des idées qui étaient renfermées dans un article sur la générosité, qu'on a communiqué à M. Diderot. Les bornes de cet Ouvrage n'ont pas permis de faire usage de cet article en entier.

mais de la manière dont les mots les expriment. Ainsi la division des noms appelatifs en génériques et spécifiques, peut-être regardée comme grammaticale, en ce que les noms génériques conviennent aux individus de plusieurs espèces, et que les noms spécifiques qui leur sont subordonnés, ne conviennent, comme on l'a déjà dit, qu'aux individus d'une seule espèce ; ce qui constitue deux manières d'exprimer bien différentes : animal convient à tous les individus, hommes et brutes ; homme ne convient qu'aux individus de l'espèce humaine.

Si l'on avait appelé communs les noms auxquels on a donné la dénomination d'appelatifs, on aurait peut-être rendu plus sensible tout-à-la-fais et leur nature intrinseque et leur opposition aux noms propres : mais nous croyons devoir nous en tenir aux dénominations ordinaires, les mêmes que M. du Marsais parait avoir adoptées ; parce qu'elles sont autorisées par un usage, qui au fond n'a rien de contraire aux vues légitimes de la Grammaire, et que de plus elles sont en quelque sorte l'expression abrégée de la génération de nos idées, et des effets merveilleux de l'abstraction dans l'entendement humain. Voyez ABSTRACTION.

On peut voir au mot APPELLATIF une sorte de tableau raccourci de cette génération d'idées qui sert de fondement à la division des mots ; mais elle est amplement développée au mot ARTICLE, t. I. p. 722.

Nous y ajouterons quelques observations qui nous ont paru intéressantes, parce qu'elles regardent la signification des noms appelatifs, et qu'elles peuvent même produire d'heureux effets, si, comme nous le présumons, on les juge applicables au système de l'éducation.

On peut remonter de l'individu au genre suprême, ou descendre du genre suprême à l'individu, en passant par tous les degrés différentiels intermédiaires : Médor, chien, animal, substance, être, voilà la gradation ascendante ; être, substance, animal, chien, Médor, c'est la gradation descendante. L'idée de Médor renferme nécessairement plus d'attributs que l'idée spécifique de chien ; parce que tous les attributs de l'espèce conviennent à l'individu, qui a de plus son suppôt particulier, ses qualités exclusivement propres et incommunicables à tout autre. Par une raison semblable et que l'on peut appliquer à chaque degré de cette progression, l'idée de chien renferme plus d'attributs que l'idée générique d'animal, parce que tous les attributs du genre conviennent à l'espèce, et que l'espèce a de plus ses propriétés différencielles et caractéristiques, incommunicables aux autres espèces comprises sous le même genre.

La gradation ascendante de l'individu à l'espèce, de l'espèce au genre prochain, de celui-ci au genre plus éloigné, et successivement jusqu'au genre suprême, est donc une véritable décomposition d'idées que l'on simplifie par le secours de l'abstraction, pour les mettre en quelque sorte plus à la portée de l'esprit ; c'est la méthode d'analyse.

La gradation descendante du genre suprême à l'espèce prochaine, de celle-ci à l'espèce plus éloignée, et successivement jusqu'aux individus, est au contraire une véritable composition d'idées que l'on réunit par la réflexion, pour les rapprocher davantage de la vérité et de la nature ; c'est la méthode de synthèse.

Ces deux méthodes opposées peuvent être d'une grande utilité dans des mains habiles, pour donner aux jeunes gens l'esprit d'ordre, de précision, et d'observation.

Montrez-leur plusieurs individus ; et en leur faisant remarquer ce que chacun d'eux a de propre, ce qui l'individualise, pour ainsi dire, faites-leur observer en même temps ce qu'il a de commun avec les autres, ce qui le fixe dans la même espèce ; et nommez-leur cette espèce, en les avertissant que quand on désigne les êtres par cette sorte de nom, l'esprit ne porte son attention que sur les attributs communs à toute l'espèce, et qu'il tire en quelque sorte hors de l'idée totale de l'individu, les idées singulières qui lui sont propres, pour ne considérer que celles qui lui sont communes avec les autres. Amenez-les ensuite à la comparaison de plusieurs espèces, et des propriétés qui les distinguent les unes des autres, qui les spécifient ; mais n'oubliez pas les propriétés qui leur sont communes, qui les réunissent sous un point de vue unique, qui les constituent dans un même genre ; et nommez-leur ce genre, en y appliquant les mêmes observations que vous aurez faites sur l'espèce ; savoir que l'idée de genre est encore plus simplifiée, qu'on en a séparé les idées différencielles de chaque espèce, pour ne plus envisager que les idées communes à toutes les espèces comprises sous le même genre. Continuez de même aussi loin que vous pourrez, en faisant remarquer avec soin toutes les abstractions qu'il faut faire successivement, pour s'élever par degrés aux idées les plus générales. N'en demeurez pas là ; faites retourner vos élèves sur leurs pas ; qu'à l'idée du genre suprême ils ajoutent les idées différencielles constitutives des espèces qui lui sont immédiatement subordonnées ; qu'ils recommencent la même opération de degrés en degrés, pour descendre insensiblement jusqu'aux individus, les seuls êtres qui existent réellement dans la nature.

En les exerçant ainsi à ramener, par l'analyse, la pluralité des individus à l'unité de l'espèce et la pluralité des espèces à l'unité du genre, et à distinguer, par la synthèse, dans l'unité du genre la pluralité des espèces et dans l'unité de l'espèce la pluralité des individus ; ces idées deviendront insensiblement précises et distinctes, et les éléments des connaissances et du langage se trouveront disposés de la manière la plus méthodique. Quel préjugé pour la facilité de concevoir et de s'exprimer, pour la netteté du discernement, la justesse du jugement, et la solidité du raisonnement !

Serait-il impossible, pour l'exécution des vues que nous proposons ici, de construire un dictionnaire où les mots seraient rangés par ordre de matières ? Les matières y seraient divisées par genres, et chaque genre serait suivi de ses espèces : le genre une fois défini, il suffirait ensuite d'indiquer les idées différencielles qui constituent les espèces. Il y a lieu de croire que ce dictionnaire philosophique, en apprenant des mots, apprendrait en même temps des choses, et d'une manière d'autant plus utile, qu'elle serait plus analogue aux procédés de l'esprit humain.

Quoi qu'il en sait, il résulte des principes que nous venons de présenter sur la composition et la décomposition des idées, que les noms qui les expriment ont une signification plus ou moins déterminée, selon qu'ils s'éloignent plus ou moins du genre suprême ; parce que les idées abstraites que l'esprit se forme ainsi, deviennent plus simples, et par-là plus générales, plus vagues et applicables à un plus grand nombre d'individus ; les noms plus ou moins génériques qui en sont les expressions, portent donc aussi l'empreinte de ces divers degrés d'indétermination : la plus grande indétermination est celle du nom le plus générique, du genre suprême ; elle diminue par degrés dans les noms des espèces inférieures, à mesure qu'elles s'approchent de l'individu, et disparait entièrement dans les noms propres qui ont tous un sens déterminé.

On tire cependant les noms appelatifs de leur indétermination, pour en faire des applications précises. Les moyens abrégés qu'on emploie à cette fin dans le discours, sont quelquefois des équivalents de noms propres qui n'existent pas ou qu'on ignore ; cette pierre, mon chapeau, cet homme. D'autres fois on supplée par cet artifice à une énumération ennuyeuse et impossible de noms propres ; les philosophes de l'antiquité, au lieu du long étalage des noms de tous ceux qui dans les premiers siècles ont fait profession de philosophie.

Il y a diverses manières de restreindre la signification d'un nom générique : ici c'est l'apposition d'un autre nom, le prophète roi : là c'est un autre nom lié au premier par une préposition, ou sous une terminaison choisie à dessein ; la crainte du supplice, metus supplicii : dans une occasion c'est un adjectif mis en concordance avec le nom ; un homme savant, vir doctus : dans une autre c'est une phrase incidente ajoutée au nom ; la loi qui nous soumet aux puissances : souvent plusieurs de ces moyens sont combinés et employés tout-à-la-fais. C'est ainsi que l'esprit humain a su trouver des richesses dans le sein même de l'indigence, et assujettir les termes les plus vagues aux expressions les plus précises. (E. R. M.)