Il y a des bélemnites qui sont chargées de petites huitres et de petits tuyaux de vers marins, dont la nature est d'être nécessairement attachés aux corps où ils naissent, vivent et meurent sans changer de place ; d'autres ont été rongés par de petits insectes, comme cela arrive souvent aux huitres et aux autres coquilles de mer. Les bélemnites sont en général d'une figure fort régulière ; elles diffèrent néanmoins en trois manières entr'elles. Il y en a de parfaitement coniques, d'autres presque cylindriques, dont la pointe parait au haut après une espèce d'arrondissement, qui les fait ressembler à un doigt de la main ; les dernières ont un renflement à-peu-près comme les fuseaux. Leur longueur est depuis environ deux pouces jusqu'à huit et davantage, et leur grosseur depuis celle d'une plume médiocre jusqu'à trois et quatre pouces de circonférence ; leur couleur bien que différente ne peut point servir à les distinguer, puisqu'elle dépend uniquement des lieux où on les trouve. Elles ont toutes une cannelure plus ou moins marquée, qui règne depuis la base jusqu'à la pointe, mais dont l'enfoncement Ve toujours en diminuant ; et c'est cette cannelure qui fait qu'elles se fendent facilement en long. Toutes celles qui sont entières, ont à leur base une cavité de figure conique, qui diffère en largeur et en longueur, selon que ces pierres sont plus grosses et plus longues. Cette cavité est souvent vide et quelquefois pleine de sable, de crystaux et d'autres matières. Il en a aussi qui renferment une alvéole fort curieuse, composée de plusieurs petites coupes semblables aux verres des montres de poche, enchassées l'une dans l'autre, et qui toutes ensemble forment un cone parfaitement convenable au vide de la pierre ; ce qui fait que quoique ces alvéoles soient de différentes matières, tous les auteurs qui en ont parlé croient qu'ils appartiennent véritablement à la bélemnite, et qu'ils se sont formés dans sa cavité.

Leur structure inférieure est toujours absolument la même. Elles sont toutes composées de plusieurs couches très-régulièrement rangées, comme les aubiers des arbres, et si minces qu'il faut une loupe pour les distinguer avec quelque exactitude. Leur matière forme par ses filets presque imperceptibles des rayons qui vont du centre à la circonférence. Ces rayons partent d'un très-petit tuyau, qui occupe toute la largeur de la pierre, et qui n'est bien visible que dans les plus transparentes : d'horizontaux qu'ils sont d'abord, ils s'élèvent ensuite peu-à-peu vers la circonférence, surtout en approchant de la pointe. C'est-là la raison pourquoi la partie de la pierre du côté de la base parait creuse, et l'autre parait convexe, quand on l'a coupée en travers. Le demi-diamètre de la bélemnite qui regarde la cannelure, est toujours plus court que celui qui lui est opposé ; et l'on remarque par intervalles des lignes longitudinales, qui se terminent en cone autour du petit tuyau. On peut facilement séparer les couches de ces pierres en les mettant sur un charbon allumé, ou à la flamme d'une chandelle. Elles sont en-dedans et en-dehors d'un parfait poli, et deviennent blanches lorsqu'elles sont exposées au feu. Il en sort une mauvaise odeur, comme de corne brulée, ou d'urine de chat, quand on les frotte l'une contre l'autre, mais surtout quand on les brule.

On agite la question ; si ces pierres sont de vrais minéraux, ou si elles appartiennent à quelque animal, et en ce cas à quelle de ses parties on doit les rapporter. Il faut lire là-dessus les Lettres philosophiques sur la formation des sels et des crystaux, etc. par M. Bourguet. Ce savant de Neufchâtel y établit d'une manière qui me parait démonstrative, que les bélemnites n'appartiennent point au règne minéral, Ve que les corps les plus réguliers que ce règne fournisse ne gardent point une symétrie aussi parfaite dans leur structure. Il compare la bélemnite à la stalactite, qui est de toutes les pierres celle qui en approche le plus ; et il fait voir qu'il reste encore une énorme différence entr'elles. Cela le conduit à conjecturer que c'est une dent d'animal ; et quoiqu'on ne puisse pas encore indiquer l'animal auquel elles ont appartenu, la grande conformité qu'a la bélemnite avec les dents d'autres animaux, et particulièrement avec les dents droites du crocodile, met cette conjecture dans une fort grande vraisemblance. La cavité de figure conique que les bélemnites entières ont à leur base, est en effet semblable à celle qu'on voit aux dents du crocodîle et du physeter, aux défenses de l'éléphant, et du poisson nahrwal. La cannelure de la même pierre a beaucoup de rapport avec celles des dents de la scie du spadon, qui sont enchâssées dans cette longue défense, comme dans une mâchoire. Enfin ses petits filets sont de même nature que ceux de la structure intérieure de l'émail des dents de presque tous les autres animaux. Quant à l'alvéole, ses couches répondent aux couches de la bélemnite par le moyen des lignes longitudinales, qui forment d'espace en espace de petits cones qui marquent peut-être les divers temps de son accroissement. M. Bourguet répond ensuite aux difficultés de M. Scheuchzer, et de quelques autres Physiciens. Enfin il explique la formation et le mécanisme organique de la bélemnite d'une manière fort plausible. Comme les animaux auxquels ces dents appartiennent, croissent pendant toute leur vie, il n'est pas étonnant qu'il y ait des bélemnites si différentes en grosseur et en longueur ".

Nous ajouterons seulement à cet article l'opinion de M. Woodward et celle de M. le Monnier le Médecin, de l'académie royale des Sciences. M. Woodward rapporte dans sa lettre sur l'origine, la nature et la constitution de la bélemnite, que M. Lhwyd prétendait qu'elle se forme dans le pinceau de mer ou dans le coquillage appelé dentale. Notre auteur réfute ce sentiment par la raison qu'on ne voit jamais aucunes traces du moule dans lequel la bélemnite se serait formée, comme on voit celle du moule des autres pétrifications ; que le prétendu moule de la bélemnite devrait être bien apparent autour de celles qui ont près de deux pieds de longueur, et environ deux pouces de diamètre à l'endroit le plus gros ; et que cependant il n'en a aperçu aucun vestige dans des bélemnites de cette grandeur qu'il a observées.

M. Woodward répond ensuite à ceux qui croient que les bélemnites sont des cornes d'animaux ou des dents de poissons : il soutient que ce ne sont pas des cornes, parce que la plupart n'en ont pas la figure ; et pour le prouver, il fait mention de trois principales espèces de bélemnites, qui sont la bélemnite conoïde, qui est la plus commune ; la bélemnite en forme de fuseau, et la bélemnite cylindrique terminée en pointe par les deux bouts ; et il conclut que si toutes ces bélemnites ressemblent à des cornes, il n'y a rien qui ne puisse y ressembler. Le même auteur ne croit pas qu'il soit à présumer que la bélemnite soit une corne, parce qu'on la trouve dans la terre avec des coquilles, des dents et d'autres parties d'animaux ; puisqu'il s'y trouve aussi bien d'autres choses qui ne sont certainement pas des cornes. Il nie que toutes les bélemnites aient une odeur de corne brulée, c'est-à-dire une odeur animale : il assure que les bélemnites d'Angleterre n'ont ordinairement aucune odeur, et que toutes celles qu'il a trouvées dans la craie n'en ont point du tout ; et il croit que les bélemnites n'ont que l'odeur qui leur a été communiquée par des matières salines, sulphureuses ou bitumineuses avec lesquelles elles ont séjourné. Enfin M. Woodward soutient que les bélemnites ne sont ni des cornes ni des dents ; parce que leur pesanteur spécifique est différente de celle des cornes et des dents : les raisons qu'il en donne sont tirées de ses principes sur l'Histoire naturelle de la terre.

C'est en conséquence de ces mêmes principes que M. Woodward met la bélemnite dans la classe des corps talqueux, parce que sa pesanteur est égale à celle de ces corps. La couleur jaune de certaines bélemnites est semblable à celle de quelques talcs, spars, et autres productions minérales.

La substance de la bélemnite, dit M. Woodward, n'est pas coriace et ténace comme celle des animaux, mais friable et cassante comme celle du talc, etc. à la vue elle parait minérale ; et on en est convaincu par les épreuves chimiques ; sa tissure, ajoute le même auteur, est directement contraire à celle des dents, et des autres parties solides des animaux ; ses fibres coupent diamétralement son axe, au lieu que celles des dents, des os, des cornes, etc. sont parallèles à leur axe. Le talc fibreux ou cannelé, le gypse strié, le spar talqueux, l'amiante, l'alun de plume, etc. ont leurs fibres transversales comme celles des bélemnites. L'auteur cite un exemple remarquable de cette tissure, qu'il a observée dans quelques stalactites composées d'un spar talqueux, qui sont suspendues dans des grottes souterraines ; il y en a Ve plusieurs qui étaient cannelées.

De tout ceci M. Woodward conclut affirmativement que les bélemnites ne peuvent venir d'un animal. Quand on lui objecte qu'elles ont été altérées comme d'autres pétrifications, il répond que cela n'est pas possible, parce qu'il en serait resté au moins quelqu'une sans altération, comme il y a tant de coquilles fossiles qui ne sont pas pétrifiées.

Les tuyaux vermiculaires, les coquilles d'huitres qui sont attachées sur quelques bélemnites, ne prouvent rien pour leur origine ; puisque l'on trouve les mêmes choses sur des cailloux, des pyrites, etc. D'ailleurs si la bélemnite était une dent de poisson, on trouverait au moins quelques vestiges de cette dent, ou quelques marques de son adhérence à une mâchoire. On aura beau dire que cette dent aura été séparée de la mâchoire, M. Woodward ne conçoit pas que cela puisse être pour toutes les bélemnites qui sont si nombreuses ; tandis que toutes les vraies dents fossiles sont reconnaissables à ces mêmes marques qui manquent aux bélemnites. Géographie, Physique, etc. pag. 363.

M. Le Monnier n'est point opposé au sentiment de M. Woodward, pour l'origine de la bélemnite ; il la croit appartenante au règne minéral. Il en a Ve dans le Berri qui étaient entièrement solides, et d'autres qui étaient creuses en-dedans : celles-ci avaient une cavité conique comme la surface extérieure de la bélemnite ; l'axe du cone extérieur était double de celui du cone intérieur ; de sorte que la pointe de la bélemnite était entièrement solide, et cette solidité allait toujours en diminuant jusqu'aux bords de la base, qui n'était qu'une lame transparente, et mince comme une feuille de papier ; cette cavité était remplie d'une terre très-fine, jaune, grasse et humide, qui paraissait être, pour ainsi dire, la matrice des bélemnites. M. le Monnier n'a pas Ve d'apparence que ces bélemnites fussent des tuyaux, des pointes d'hérisson de mer, non plus que des dents du souffleur ; il lui à semblé au contraire que ce sont des productions de la terre, comme des stalactites ou des pyrites. M. le Monnier appuie cette conjecture sur ce que les bélemnites incrustées dans la pierre et dans la craie, et qui n'ont pour ainsi dire plus de vie, ne renferment point de cette terre jaune et humide, que cette même terre se trouve par-tout où il y a des bélemnites en certaine quantité : et que le feuillet mince, transparent et fragîle qui termine la bélemnite, peut être regardé, comme un ouvrage en train, auquel la nature n'a pas encore mis la dernière main. M. le Monnier sait parfaitement que l'on trouve avec les bélemnites des cornes d'ammon, et d'autres coquilles, telles que les gryphytes, les petoncles, les cames, etc. mais il fait remarquer qu'on rencontre aussi dans les mêmes endroits du gypse et des pyrites. Mérid. de l'Observ. de Paris, etc. Observ. d'Histoire naturelle p. 125. et suiv.

On voit par cet exposé, que les Naturalistes ne sont point d'accord sur l'origine et la nature de la bélemnite : on n'a pas encore prouvé d'une manière décisive que ce soit un minéral ou une pétrification originaire du règne animal. (I)

BELEMNITE ou PIERRE DE LYNX, (Matière médicale) Les Allemands la croient bonne contre le cochemar et le calcul des reins ; ils en ordonnent la poudre depuis un gros jusqu'à un gros et demi. (N)