LE, (Physiologie) le tact, le toucher, l'atouchement, comme on voudra le nommer, est le plus sur de tous les sens ; c'est lui qui rectifie tous les autres, dont les effets ne seraient souvent que des illusions, s'il ne venait à leur secours ; c'est en conséquence le dernier retranchement de l'incrédulité. Il ajoute à cette qualité avantageuse, celle d'être la sensation la plus générale. Nous pouvions bien ne voir ou n'entendre, que par une petite portion de notre corps ; mais il nous fallait du sentiment dans toutes les parties pour n'être pas des automates, qu'on aurait démontés et détruits, sans que nous eussions pu nous en apercevoir, la nature y a pourvu : partout où se trouvent des nerfs et de la vie, on éprouve plus ou moins cette espèce de sentiment. Il parait même que cette sensation n'a pas besoin d'une organisation particulière, et que la simple tissure solide du nerf lui est suffisante. Les parois d'une plaie fraiche, le périoste, ou un tendon découvert, ont un sentiment très-vif, quoiqu'ils n'aient pas les houpes nerveuses qu'on observe à la peau : on dirait que la nature, obligée de faire une grande dépense en sensation du toucher, l'a établi à moins de frais qu'il lui a été possible ; elle a fait en sorte que les houpes nerveuses ne fussent pas absolument nécessaires ; ainsi le sentiment du toucher est comme la base de toutes les autres sensations ; c'est le genre dont elles sont des espèces plus parfaites.

Tous les solides nerveux animés de fluides, ont cette sensation générale ; mais les mamelons de la peau, ceux des doigts, par exemple, l'ont à un degré de perfection qui ajoute au premier sentiment une sorte de discernement de la figure du corps touché. Les mamelons de la langue enchérissent encore sur ceux de la peau ; ceux du nez sur ceux de la langue, et toujours suivant la finesse de la sensation. Ce qui se dit des mamelons, n'exclut pas le reste du tissu nerveux, de la part qu'il a à la sensation. Les mamelons y ont plus de part que ce tissu dans certains organes, comme à la peau et à la langue ; dans d'autres, ils y ont moins de part, comme à la membrane pituitaire du nez qui fait l'organe de l'odorat. Enfin, ailleurs le tissu du solide nerveux fait presque seul l'organe, comme dans la vue ; ces différences viennent, de ce que chaque organe est proportionné à l'objet dont il reçoit l'impression.

Il était à-propos pour que le sentiment du toucher se fit parfaitement, que les nerfs formassent de petites éminences sensibles, parce que ces pyramides sont beaucoup plus propres qu'un tissu uniforme, à être ébranlées par la surface des corps. Le goût avait besoins de boutons nerveux, qui fussent spongieux et imbibés de la salive, pour délayer, fondre les principes des saveurs, et leur donner entrée dans leur tissure, afin d'y mieux faire leur impression. La membrane pituitaire qui tapisse l'organe de l'odorat a son velouté, ses cornets et ses cellules, pour arrêter les vapeurs odorantes ; mais son objet étant subtil, elle n'avait pas besoin ni de boutons, ni de pyramides grossières. La choroïde a aussi son velouté noir pour absorber les images ; mais le fond de ce velours, fait pour recevoir des images, devait être une membrane nerveuse, très-polie et très-sensible.

Nous appelons donc tact ou toucher, non pas seulement ce sens universel, dont il n'est presque aucune partie du corps qui soit parfaitement dépourvue ; mais surtout ce sens particulier, qui se fait au bout de la face interne des doigts, comme à son véritable organe. La douleur, la tension, la chaleur, le froid, les inégalités de la surface des corps se font sentir à tous les nerfs, tant intérieurement qu'extérieurement.

Le tact cause une douleur sourde dans les viscères, mais ce sentiment est exquis dans les nerfs changés en papilles, et en nature molle : ce tact n'a point une différente nature du précédent, il n'en diffère que par degrés.

La peau qui est l'organe du toucher, présente un tissu de fibres, de nerfs et de vaisseaux merveilleusement entrelacés. Elle est collée sur toutes les parties qu'elle enveloppe par les vaisseaux sanguins, lymphatiques, nerveux ; &, pour l'ordinaire, par une couche de plusieurs feuillets très-minces, lesquels forment entr'eux des cellules, où les extrémités artérielles, déposent une huîle graisseuse ; aussi les anatomistes nomment ces couches de feuillets le tissu cellulaire ; c'est dans ce tissu que les bouchers introduisent de l'air quand ils soufflent leur viande, pour lui donner plus d'apparence.

La peau est faite de toutes ces parties mêmes qui l'attachent aux corps qui l'enveloppe. Ces feuillets, ces vaisseaux et ces nerfs capillaires sont appliqués les uns sur les autres, par la compression des eaux qui environnent le foetus dans le sein de la mère, et par celle de l'air lorsqu'il est né. Plusieurs de ces vaisseaux, creux d'abord, deviennent bien-tôt solides, et ils forment des fibres comme tendineuses, qui font avec les nerfs la principale tissure de cette toîle épaisse. Les capillaires nerveux, après avoir concouru par leur entrelacement à la formation de la peau, se terminent à la surface externe ; là se dépouillant de leur première paroi, ils forment une espèce de réseau : qu'on a nommé corps réticulaire. Ce réseau nerveux est déjà une machine fort propre à recevoir l'impression des objets ; mais l'extrémité du nerf dépouillé de sa première tunique s'épanouit, et produit le mamelon nerveux ; celui-ci dominant sur le réseau est bien plus susceptible d'ébranlement, et par conséquent de sensation délicate. Une lymphe spiritueuse abreuve ces mamelons, leur donne de la souplesse, du ressort, et acheve par-là d'en faire un organe accompli.

Ces mamelons sont rangés sur une même ligne, et dans un certain ordre, qui constitue les sillons qu'on observe à la surpeau, et qui sont si visibles au bout des doigts, où ils se terminent en spirale. Quand ils y sont parvenus, Ils s'allongent suivant la longueur de cette partie, et ils s'unissent si étroitement, qu'ils forment les corps solides que nous appelons ongles.

Les capillaires sanguins, que nous appelons lymphatiques et huileux, qui entrent dans le tissu de la peau, s'y distribuent à-peu-près comme les nerfs ; leur entrelacement dans la peau forme le réseau vasculaire, leur épanouissement fait l'épiderme qui recouvre les mamelons, et qui leur est si nécessaire pour modérer l'impression des objets, et rendre parlà cette impression plus distincte. Enfin, les glandes situées sous la peau servent à abreuver les mamelons nerveux.

Il suit de ce détail, 1°. que l'organe corporel qui sert au toucher, est formé par des mamelons ou des houpes molles, pulpeuses, médullaires, nerveuses, muqueuses, veloutées, en un mot de diverses espèces, infiniment variées en figure et en arrangement, produites par les nefs durs qui rampent sur la peau, lesquels s'y dépouillent de leurs membranes externes, et par-là deviennent très-mols, et conséquemment très-sensibles. Il suit 2°. que ces houpes sont humectées, et arrosées d'une liqueur très-fluide qui abonde sans cesse ; 3°. que cette membrane fine et solide qu'on appelle épiderme, leur prête des sillons, des sinuosités, où elles se tiennent cachées, et leur sert ainsi de défense, sans altérer leur sensibilité.

Ces houpes ont la vertu de se retirer sur elles-mêmes, et de ressortir. Malpighi qui a tant éclairci la matière que nous traitons, a dit une fois qu'en examinant au microscope les extrémités des doigts d'un homme délicat à un air chaud, il vit sortir les houpes nerveuses des sillons de l'épiderme, qui semblaient vouloir toucher et prendre exactement quelque chose au bout du doigt. Mais ailleurs le même Malpighi ne paraissant pas bien certain de ce qu'il avait vu, révoque presque en doute cette expérience. Il est probable cependant que ces houpes s'élèvent, comme il arrive dans le bout du téton, qui s'étend par le chatouillement. Quand on présente des sucreries à un enfant qui les aime, et qu'on lui fait tirer la langue devant un miroir, on y voit de toutes parts s'élever de petits tubercules. Le limaçon en se promenant fait sortir ses cornes, à la pointe desquelles sont ses yeux, qui n'aperçoivent jamais de corps durs, sans que le craintif animal n'entre dans sa coquille. Nos houpes en petit sortent comme les cornes du limaçon en grand ; ainsi, l'impression que les corps font sur les houpes de la peau, constitue le tact, qui consiste en ce que l'extrémité du doigt étant appliquée à l'objet qu'on veut toucher, les houpes présentent leur surface à cet objet, et le frottent doucement.

Je dis d'abord que l'extrémité des doigts doit être appliquée à l'objet qu'on veut toucher ; j'entens ici les doigts de la main plutôt que du pied ; cependant le tact se ferait presque aussi-bien avec le pied qu'avec la main, si les doigts du pied étaient plus flexibles, plus séparés, plus exercés, et s'ils n'étaient pas encore racornis par le marcher, le poids du corps et la chaussure. J'ajoute, que les houpes présentent leur surface à l'objet, parce qu'en quelque sorte, semblables à ces animaux qui dressent l'oreille pour écouter, elles s'élèvent comme pour juger de l'objet qu'elles touchent. Je dis enfin que ces houpes frottent doucement leur surface contre celle de l'objet, parce que le tact est la résistance du corps qu'on touche. Si cette résistance est médiocre, le toucher en est clair et distinct ; si elle nous heurte vivement, on sent de la douleur sans toucher, à proprement parler : c'est ainsi que lorsque le doigt est excorié, nous ne distinguons point les qualités du corps, nous souffrons de leur attouchement : or, suivant la nature de cet attouchement, il se communique à ces houpes nerveuses un certain mouvement dont l'effet propagé jusqu'au sensorium commune, excite l'idée de chaud, de froid, de tiede, d'humide, de sec, de mol, de dur, de poli, de raboteux, de figuré, d'un corps mu ou en repos, proche ou éloigné. L'idée de chatouillement, de démangeaison, et le plaisir naissent d'un ébranlement leger ; la douleur d'un tiraillement, d'un déchirement des houpes.

L'objet du toucher est donc de tout corps qui a assez de consistance et de solidité pour ébranler la surface de notre peau ; et alors le sens qui en procede nous découvre les qualités de ce corps, c'est-à-dire sa figure, sa dureté, sa molesse, son mouvement, sa distance, le chaud, le froid, le tiede, le sec, l'humide, le fluide, le solide, etc.

Ce sens distingue avec facilité le mouvement des corps, parce que ce mouvement n'est qu'un changement de surface, et c'est par cette raison qu'il s'aperçoit du poli, du raboteux, et autres degrés d'inégalité des corps.

Il juge aussi de leur distance ; bonne et belle observation de Descartes ! Ce philosophe parle d'un aveugle, ou de quelqu'un mis dans un lieu fort obscur, qui distinguait les corps proches ou éloignés, pourvu qu'il eut les mains armées de deux bâtons en croix, dont les pointes répondissent au corps qu'on lui présentait.

L'homme est né ce semble, avec quelque espèce de trigonométrie. On peut regarder le corps de cet aveugle, comme la base du triangle, les bâtons comme ses côtés, et son esprit, comme pouvant conclure du grand angle du sommet, à la proximité du corps ; et de son éloignement, par la petitesse du même angle. Cela n'est pas surprenant aux yeux de ces géomètres, qui maniant la sublime géométrie avec une extrême facilité, savent mesurer les efforts des sauts, la force de l'action des muscles, les degrés de la voix, et les tacts des instruments de musique.

Enfin le sens du toucher discerne parfaitement le chaud, le froid et le tiede. Nous appelons tiede, ce qui n'a pas plus de chaleur que le corps humain, réservant le nom de chaud et de froid, à ce qui est plus ou moins chaud que lui.

Quoique tout le corps humain sente la chaleur, ce sentiment se fait mieux par-tout où il y a plus de houpes et de nerfs, comme à la pointe de la langue et des doigts.

La sensation du chaud ou de la chaleur est une sorte d'ébranlement léger des parties nerveuses, et un épanouissement de nos solides et de nos fluides, produit par l'action modérée d'une médiocre quantité de la matière, qui compose le feu ou le principe de la chaleur, soit naturelle, soit artificielle. Quand cette matière est en plus grande quantité, ou plus agitée ; alors au-lieu d'épanouir nos solides et nos liqueurs, elle les brise, les dissout, et cette action violente fait la brulure.

La sensation du froid au contraire, est une espèce de resserrement dans les mamelons nerveux, et en général dans tous nos solides, et une condensation ou défaut de mouvement dans nos fluides, causé ou par l'attouchement d'un corps froid, ou par quelqu'autre accident qui supprime le mouvement de notre propre feu naturel. On conçoit que nos fluides étant fixés ou ralentis par quelqu'une de ces deux causes, les mamelons nerveux doivent se resserrer ; et c'est ce resserrement, qui est le principe de tous les effets du froid sur le corps humain.

Le sens du toucher nous donne aussi les sensations différentes du fluide et du solide. Un fluide diffère d'un solide, parce qu'il n'a aucune partie assez grosse pour que nous puissions la saisir et la toucher, par différents côtés à la fois ; c'est ce qui fait que les fluides sont liquides ; les particules qui le composent ne peuvent être touchées par les particules voisines, que dans un point, ou dans un si petit nombre de points, qu'aucune partie ne peut avoir d'adhérence avec une autre partie. Les corps solides réduits en poudre, mais impalpable, ne perdent pas absolument leur solidité, parce que les parties se touchant de plusieurs côtés, conservent de l'adhérence entr'elles. Aussi peut-on en faire des petites masses, et les serrer pour en palper une plus grande quantité à-la-fais. Or par le tact on discerne parfaitement les espèces qu'on peut réunir, serrer, manier avec les autres ; ainsi le tact distingue par ce moyen les solides des fluides, la glace de l'eau.

Mais ce n'est pas tout-d'un-coup qu'on parvient à ce discernement. Le sens du toucher ne se développe qu'insensiblement, et par des habitudes réitérées. Nous apprenons à toucher, comme nous apprenons à voir, à entendre, à goûter. D'abord nous cherchons à toucher tout ce que nous voyons ; nous voulons toucher le soleil ; nous étendons nos bras pour embrasser l'horizon ; nous ne trouvons que le vide des airs. Peu-à-peu nos yeux guident nos mains ; et après une infinité d'épreuves, nous acquérons la connaissance des qualités des corps, c'est-à-dire, la connaissance de leur figure, de leur dureté, de leur mollesse, etc.

Enfin le sens du toucher peut faire quelquefois, pour ainsi dire, la fonction des yeux, en jugeant des distances, et réparant à cet égard en quelque façon chez des aveugles, la perte de leur vue. Mais il ne faut pas s'imaginer que l'art du toucher s'étende jusqu'au discernement des couleurs, comme on le rapporte dans la république des lettres (Juin 1685) d'un certain organiste hollandais ; et comme Bartholin dans les acta medica Hafniensia, anno 1675, le raconte d'un autre artisan aveugle, qui, dit-il, discernait toutes les couleurs au seul tact. On lit encore dans Aldrovandi, qu'un nommé Ganibasius, natif de Volterre et bon sculpteur, étant devenu aveugle à l'âge de 20 ans, s'avisa, après un repos de 10 années, d'essayer ce qu'il pourrait produire de son art, et qu'il fit à Rome une statue de plâtre qui ressemblait parfaitement à Urbain VIII. Mais il n'est pas possible à un aveugle, quelque vive que soit son imagination, quelque délicat qu'il ait le tact, quelque soin qu'il se donne à sentir avec ses doigts les inégalités d'un visage, de se former une idée juste de la figure de l'objet, et d'exécuter ensuite la ressemblance de l'original.

Après avoir établi quel est l'organe du toucher, la texture de cet organe, son mécanisme, l'objet de ce sens, son étendue, et ses bornes, il nous sera facîle d'expliquer les faits suivants.

1°. Pourquoi l'action du toucher est douloureuse, quand l'épiderme est ratissée, macérée ou brulée : c'est ce qu'on éprouve après la chute des ongles, après celle de l'épiderme causée par des fièvres ardentes, par la brulure, et dans le gerse des lèvres, dont est enlevé l'épithélion, suivant l'expression de Ruysch. Tout cela doit arriver, parce qu'alors les nerfs étant trop à découvert, et par conséquent trop sensibles, le tact se fait avec trop de force. Il parait que la nature a voulu parer à cet inconvénient, en mettant une tunique sur tous les organes de nos sensations.

2°. Pourquoi le tact est-il détruit, lorsque l'épiderme s'épaissit, se durcit, devient calleuse, ou est déshonorée par des cicatrices, etc. ? Par la raison que le toucher se fait mal quand on est ganté. Les cals font ici l'obstacle des gants : ce sont des lames, des couches, des feuillets de la peau, plusieurs fois appliqués les uns sur les autres par une violente compression, qui empêche l'impression des mamelons nerveux ; et ces cals se forment surtout dans les parties où la peau est épaisse, et serrée comme au creux de la main, ou la plante des pieds. C'est à la faveur de ces cals, de ces tumeurs dures et insensibles, dans lesquels tous les nerfs et vaisseaux entamés sont détruits, qu'il y a des gens qui peuvent, sans se bruler, porter du fer fondu dans la main ; et des verriers manier impunément le verre brulant. Charrière, Kaw et autres, ont fait la même observation dans les faiseurs d'ancres.

Plus le revêtement de la peau est dure et solide, moins le sentiment du toucher peut s'exercer ; plus la peau est fine et délicate, plus le sentiment est vif et exquis. Les femmes ont entr'autres avantages sur les hommes, celui d'avoir la peau plus fine, et par conséquent le toucher plus délicat. Le foetus dans le sein de la mère pourrait sentir par la délicatesse de sa peau, toutes les impressions extérieures ; mais comme il nage dans une liqueur, et que les liquides reçoivent et rompent l'action de toutes les causes qui peuvent occasionner des chocs ; il ne peut être blessé que rarement, et seulement par des corps ou des efforts très-violents. Il a donc fort peu, ou plutôt il n'a point d'exercice de la sensation du tact général, qui est commune à tout le corps ; comme il ne fait aucun usage de ses mains, il ne peut acquérir dans le sein de sa mère aucune connaissance de cette sensation particulière qui est au bout des doigts. A peine est-il né, qu'on l'en prive encore par l'emmaillottement pendants six ou sept semaines, et qu'on lui ôte par-là le moyen d'acquérir de bonne heure les premières notions de la forme des choses, comme si l'on avait juré de retarder en lui le développement d'un sens important duquel toutes nos connaissances dépendent.

Par la raison que les cals empêchent l'action du toucher, la macération rend le toucher trop tendre en enlevant la surpeau ; c'est ce qu'éprouvent les jeunes blanchisseuses, en qui le savon amincit tellement l'épiderme, qu'il vient à leur causer un sentiment désagréable, parce que le tact des doigts se fait chez elles avec trop de force.

3°. Quelle est la cause de ce mouvement singulier et douloureux, de cette espèce d'engourdissement que produit la torpille, quand on la touche ? C'est ce que nous indiquerons au mot TORPILLE. Mais pour ces engourdissements universels qu'on observe quelquefois dans les filles hystériques, ce sont des phénomènes où le principe de tout le genre nerveux est attaqué, et qui sont très-difficiles à comprendre.

4°. D'où vient que les doigts sont le principal organe du toucher ? Ce n'est pas uniquement, répond l'auteur ingénieux de l'histoire naturelle de l'homme, parce qu'il y a une plus grande quantité de houpes nerveuses à l'extrémité des doigts que dans les autres parties du corps ; c'est encore parce que la main est divisée en plusieurs parties toutes mobiles, toutes flexibles, toutes agissantes en même temps, et obéissantes à la volonté ; en sorte que par ce moyen les doigts seuls nous donnent des idées distinctes de la forme des corps. Le toucher parfait est un contact de superficie dans tous les points ; les doigts peuvent s'étendre, se raccourcir, se plier, se joindre et s'ajuster à toutes sortes de superficies, avantage qui suffit pour rendre dans leur réunion l'organe de ce sentiment exact et précis, qui est nécessaire pour nous donner l'idée de la forme des corps.

Si la main, continue M. de Buffon, avait un plus grand nombre d'extrémités, qu'elle fût, par exemple, divisée en vingt doigts, que ces doigts eussent un plus grand nombre d'articulations et de mouvements, il n'est pas douteux que doués comme ils sont de houpes nerveuses, le sentiment de leur toucher ne fût infiniment plus parfait dans cette conformation qu'il ne l'est, parce que cette main pourrait alors s'appliquer beaucoup plus immédiatement et plus précisément sur les différentes surfaces des corps.

Supposons que la main fût divisée en une infinité de parties toutes mobiles et flexibles, et qui pussent toutes s'appliquer en même temps sur tous les points de la surface des corps, un pareil organe serait une espèce de géométrie universelle, si l'on peut s'exprimer ainsi, par le secours de laquelle nous aurions dans le moment même de l'attouchement, des idées précises de la figure des corps que nous pourrions manier, de l'égalité ou de la rudesse de leur surface, et de la différence même très-petite de ces figures.

Si au contraire la main était sans doigts, elle ne pourrait nous donner que des notions très-imparfaites de la forme des choses les plus palpables, et il nous faudrait beaucoup plus d'expérience et de temps que nous n'employons, pour acquérir la même connaissance des objets qui nous environnent. Mais la nature a pourvu suffisamment à nos besoins, en nous accordant les puissances de corps et d'esprit convenables à notre destination. Dites-moi quel serait l'avantage d'un toucher plus étendu, plus délicat, plus raffiné, si toujours tremblans nous avions sans-cesse à craindre que les douleurs et les agonies ne s'introduisissent en nous par chaque pore ? C'est Pope qui fait cette belle réflexion dans le langage des dieux :

Say what the use, were finer senses given

And touch, if tremblingly alive all o'er

To smart and agonize at ev'ry pore ?

(D.J.)

TACT DES INSECTES, (Histoire naturelle) la plupart des insectes semblent être doués d'un seul sens qui est celui du tact ; car ils ne paraissent pas avoir les organes des autres sens. Les limaçons, les écrevisses, les cancres se servent du toucher pour suppléer au défaut des yeux.

Ce sens unique et universel, quel qu'il soit dans les insectes, est sans comparaison plus fin et plus exquis que le nôtre. Quoiqu'il s'en trouve plusieurs qui ont l'usage de l'odorat, de la vue et de l'ouïe, il est aisé de comprendre que la délicatesse de leur tact peut suffire à toutes leurs connaissances ; l'exhalaison de la main qui s'avance pour prendre une mouche, peut recevoir par le mouvement une altération capable d'affecter cet insecte d'une manière qui l'oblige à s'envoler. D'ailleurs on a lieu de douter qu'une mouche voie la main qui s'approche, parce que de quelque côté qu'on l'avance, elle sent également, et qu'il n'y a pas plus de facilité à la prendre par-derrière que par-devant. Quand un papillon se jette dans la flamme d'une chandelle, il y est peut-être plutôt attiré par la chaleur que par la lumière ; enfin parmi les insectes qui excellent dans la subtilité du toucher, on doit compter les fourmis et les mouches ; je croirais même que la subtilité du tact de la mouche l'emporte sur celui de l'araignée ; en échange la mouche ne parait avoir ni goût fin, ni odorat subtil. Il est du moins constant qu'on empoisonne les mouches avec de l'orpin minéral, dont l'odeur et le goût sont assez forts pour devoir détourner cet insecte d'en goûter. (D.J.)

TACT en Chirurgie, de la guérison des maladies par le tact. Les auteurs anciens et modernes rapportent comme une chose merveilleuse, et en même temps comme un fait positif, la guérison de plusieurs maladies incurables ou opiniâtres, par le seul attouchement. Le roi Pyrrhus passait pour avoir la vertu de guérir les rateleux, en pressant doucement de son pied droit le viscère des malades couchés sur le dos, après avoir fait le sacrifice d'un coq blanc. On lit dans Plutarque qu'il n'y avait point d'homme si pauvre ni si abject auquel il ne fit ce remède, quand il en était prié ; pour toute reconnaissance il prenait le coq même qui avait été sacrifié, et ce présent lui était très-agréable. Suetone attribue pareillement aux empereurs Adrien et Vespasien la vertu de guérir plusieurs maladies ; et Dion rapporte qu'Agrippa faisait des cures singulières par le pouvoir d'un anneau qui avait appartenu à Auguste. Des naturalistes ne voyant aucun rapport entre la cause et l'effet prétendu, ont regardé ces œuvres comme des illusions et des prestiges dont le diable était l'opérateur, par la raison que ces princes étaient payens, et qu'il est impossible au diable de faire de vrais miracles. C'est une des raisons que donne Gaspard à Rejes dans son livre intitulé Elysius jucundarum quaestionum campus. Mais cet auteur qui n'a point de principes fixes, prétend ailleurs que la vanité des princes, la bassesse des courtisans et la superstition des peuples ont été la source des singulières prérogatives qu'on a attribuées aux maîtres du monde qui voulaient exciter l'admiration en s'élevant au-dessus de la condition humaine. Bientôt après il change d'opinion, et croit que la nature opère des merveilles en faveur de ceux qui doivent commander aux autres hommes, et que Dieu a pu accorder, même à des princes payens, des dons et des privilèges extraordinaires. C'est ainsi, dit-il, que les rois d'Angleterre guérissent de l'épilepsie, les rois de France des écrouelles ; mais en bon et zélé sujet de la couronne d'Espagne, il croit qu'il convenait que le plus grand roi de la chrétienté eut un pouvoir supérieur, c'est celui de faire trembler le démon à son aspect, et de le chasser par sa seule présence du corps de ceux qui en sont possédés. Tel est, selon lui, le privilège des rois d'Espagne.

André Dulaurents, premier médecin du roi Henri IV. a composé un traité de la vertu admirable de guérir les écrouelles par le seul attouchement, accordée divinement aux seuls rois de France très-chrétiens. Cette cérémonie se pratiquait de son temps aux quatre fêtes solennelles, savoir à pâques, à la pentecôte, à la toussaint et à noèl, souvent même à d'autres jours de fête, par compassion pour la multitude des malades qui se présentaient ; il en venait de tous les pays, et il est souvent arrivé d'en compter plus de quinze cent, surtout à la fin de la pentecôte, à cause de la saison plus favorable pour les voyages. Les médecins et chirurgiens du roi visitent les malades pour ne recevoir que ceux qui sont véritablement attaqués d'écrouelles. Les Espagnols avaient le premier rang, sans aucun titre que l'usage, et les François le dernier ; les malades des autres nations étaient indifféremment entre-deux. Le roi en revenant de la messe où il a communié, arrive accompagné des princes du sang, des principaux prélats de la cour romaine et du grand aumonier, trouve les malades à genoux en plusieurs rangs ; il récite une prière particulière, et ayant fait le signe de la croix, il s'approche des malades ; le premier médecin passe derrière les rangs, et tient à deux mains la tête de chaque écrouelleux, à qui le roi touche la face en croix, en disant, le roi te touche, et Dieu te guérit. Les malades se lèvent aussi-tôt qu'ils ont été touchés, reçoivent une aumône, et s'en vont. A plusieurs, dit Dulaurents, les douleurs très-aiguès s'adoucissent et s'apaisent aussi-tôt ; les ulcères se dessechent à quelques-uns, aux autres les tumeurs diminuent ; en sorte que dans peu de jours, de mille il y en a plus de cinq cent qui sont parfaitement guéris.

L'auteur fait remonter l'origine de ce privilège admirable à Clovis qui le reçut par l'onction sacrée. Il rapporte tout ce que différents écrivains ont dit à ce sujet, et il refute Polidor Virgile qui attribue la même vertu aux rois d'Angleterre. Il est vrai qu'on tient pour certain qu'Edouard a guéri une femme de scrophules ; mais c'est un cas particulier, et cette guérison fut accordée au mérite de ce roi qui pour sa grande piété a été mis au rang des saints. On traite dans cet ouvrage avec beaucoup plus d'érudition que de gout, de tout ce qui a été écrit d'analogue à ce sujet par les anciens ; on prouve que l'imagination ne peut en aucune façon contribuer à la guérison des écrouelles à l'occasion de l'attouchement des rais, et l'on réfute une objection qui méritait une discussion particulière. Pour contester le pouvoir surnaturel qui fait le sujet de la question, l'on convenait que les Espagnols, et en général les étrangers, recouvraient effectivement la santé, et que c'était l'effet du changement d'air et de la façon de vivre, ce qui réussit pour la guérison de plusieurs autres maladies ; mais des considérations pathologiques sur le caractère du mal et sur la guérison radicale des François sans changement d'air ni de régime, on conclud que ce n'est point à ces causes que les étrangers doivent rapporter le bien qu'ils reçoivent, mais à la bonté divine, qui par une grâce singulière a accordé le don précieux de guérir aux rois très-chrétiens.

L'application de la main d'un cadavre ou d'un moribond sur des parties malades, a été regardée par quelques personnes comme un moyen très-efficace de guérison. Suivant Van-Helmont, la sueur des mourants a la vertu merveilleuse de guérir les hémorrhoïdes et les excraissances. Pline dit qu'on guérit les écrouelles, les parotides et les goètres, en y appliquant la main d'un homme qui a péri de mort violente : ce que plusieurs auteurs ont répété. Boyle s'explique un peu plus sur l'efficacité de ce moyen, à l'occasion d'une personne qui a été guérie d'une tumeur scrophuleuse par la main d'un homme mort de maladie lente, appliquée sur la tumeur jusqu'à ce que le sentiment du froid eut pénétré ses parties intimes. Quelques-uns recommandent qu'on fasse avec la main du mort des frictions assez fortes et assez longtemps continuées, jusqu'à ce que le froid ait gagné la tumeur, ce qu'il est difficîle d'obtenir, puisque le mouvement doit au contraire exciter de la chaleur. Il y en a qui préfèrent la main d'un homme mort de phtisie, à raison de la chaleur et de la sueur qu'on remarque aux mains des phtisiques, qu'on trouve très-souvent fort humides à l'instant de leur mort. Suivant Bartholin, des personnes dignes de foi, ont usé avec succès de ce moyen, et croient que la tumeur se dissipe à mesure que le cadavre se pourrit, ce qui arrive plutôt en été qu'en hiver. J'ai Ve plusieurs femmes venir dans les hôpitaux me demander la permission de tenir la plante du pied d'un homme à l'agonie sur un goètre jusqu'à ce que cet homme fût mort, assurant très-affirmativement que leurs mères ou d'autres gens de leur connaissance avaient été guéries par ce moyen. L'expérience doit tenir ici lieu de raisonnement : comment nier à des gens la possibilité des faits qu'ils attestent, et qui leur donne de la confiance pour une pratique qui par elle-même ne peut inspirer que de l'aversion ? (Y)