& FERMENTATION VINEUSE, (Chimie) la fermentation vineuse ou spiritueuse est regardée comme la première espèce de fermentation. Les autres espèces sont la fermentation acéteuse, et la putréfaction. Voyez VINAIGRE et PUTREFACTION.

Personne n'a mieux éclairci que Stahl les phénomènes de la fermentation : il l'a définie un mouvement intestin imprimé par un fluide aqueux à un composé d'un tissu lâche, qui divise les parcelles de ce composé, les expose à des chocs très-multipliés, et les résout en leurs principes, dont il forme de nouvelles combinaisons.

Il faut d'abord considérer dans la fermentation proprement dite, les parties salines, huileuses et terrestres des sucs muqueux des végétaux qui fermentent.

On est fondé à croire, que les parties salines de ces sucs sont acides, parce que les fruits qui ne sont pas murs, ont une saveur acide austère, qui s'efface lorsque l'acide s'enveloppe dans les sucs gras, ou lorsque les fruits murissent ; parce qu'il n'existe point d'alkali naturel, qui ne soit le produit du feu, ou de la putréfaction : enfin parce que les sucs disposés à la fermentation vineuse donnent par la distillation une liqueur acide d'autant plus abondante, que la partie grasse de ces sucs aura été plus soigneusement extraite.

Le principe gras ou huileux de ces sucs peut se démontrer non-seulement par leur odeur et leur faveur, mais encore parce qu'on en distille une plus grande quantité d'huile, à mesure que ces sucs ont acquis plus de maturité, et donnent plus de substance spiritueuse par la fermentation. Cette huîle est tenue et volatîle ; mais elle ne doit pas l'être trop. Les aromates, et les plantes balsamiques ne sont pas propres à la fermentation spiritueuse, parce que leur huîle déliée et expansible ne se combine pas assez étroitement avec les autres principes.

Les sels acides ne peuvent être intimement unis avec les huiles, qu'au moyen d'une longue digestion ; mais ils s'y lient beaucoup plus facilement par l'intermède des terres, avec lesquelles ils font des sels crystallisés, ou déliquescens ; en même temps, ces acides embarrassés par l'addition des huileux retiennent moins fortement les terreux ; et ce mélange forme une substance muqueuse ou gluten, qui est beaucoup moins visqueux dans les sujets de la fermentation proprement dite, que dans ceux de la putréfaction.

L'ordre suivant lequel les différentes espèces de fermentation se succedent dans les matières qui en sont susceptibles, ne peut avoir lieu pour les corps dans la composition desquels un principe l'emporte extrêmement sur les autres. C'est ainsi que les sucs des citrons, et ceux des fruits acerbes dégénèrent d'abord enmoisissure. L'excès du principe terrestre dans les parties ligneuses des végétaux s'oppose à ce que leur mixtion soit dissoute. Les aromates pour être propre à la fermentation vineuse ont besoin d'être dépouillés par la distillation de leurs huiles surabondantes.

On voit par les exemples des résines artificielles et du savon, ou sel huileux de Starkey, que les mélanges des huiles avec le sel approchent de la consistance solide : comme l'acide pur adhere bien plus fortement à la terre qu'à l'eau, il doit se lier presque sous une forme seche avec le principe terreux qui existe dans les huiles, suivant les expériences de Kunckel. Ces raisons et l'exemple des grains, prouve que l'eau n'entre pas essentiellement dans la mixtion des corps qui peuvent fermenter : mais elle est l'instrument du mouvement de fermentation. Elle s'attache à la partie saline du mixte, ou à la partie terreuse subtîle qui a le plus d'affinité avec l'élément salin ; elle les sépare des parties plus grossières, et purifie de plus en plus la liqueur qui fermente.

Le fluide aqueux qui produit cet effet par son rapport avec les corpuscules salins, et par l'agitation qui lui imprime un degré de chaleur modéré, ne doit pas être trop subtil. C'est pourquoi l'esprit-de-vin très rectifié ne dissout point le sucre, et lorsqu'il agit sur le miel et les grains, il extrait plutôt une portion de ces substances. Les suites n'excitent point la fermentation, parce que les molécules huileuses qui leur sont analogues sont retenues dans le tissu des mixtes par un plus grand nombre de molécules terrestres et salines, et d'ailleurs ne peuvent entraîner celles-ci, qui sont plus et moins mobiles.

La fermentation ne demande pas absolument le contact immédiat de l'air libre. Elle a lieu quoique plus tard et plus difficilement dans des vaisseaux bien fermés, et même, suivant Stahl, dans des vaisseaux dont on a pompé l'air, pourvu qu'ils soient assez grands. Boerhaave dit cependant qu'il ne peut se faire de mouvement de fermentation dans la machine pneumatique, lorsqu'on en a retiré l'air élastique.

Il n'est pas douteux que l'air a beaucoup d'influence dans la fermentation, car les variations du chaud et du froid extérieur accélèrent ou affoiblissent beaucoup le mouvement de fermentation. Ainsi, il est avantageux pour l'égalité des progrès de la fermentation, que la masse qu'on fait fermenter soit considérable ; et on observe que les liqueurs fermentées sont plus fortes et plus pénétrantes, lorsqu'elles ont été préparées dans des grands tonneaux.

Mais il parait certain que l'eau seule est l'instrument immédiat de la fermentation. Celle-ci est également arrêtée par l'excès ou le défaut de fluide aqueux. On fait du vin doux en remplissant de mout aussitôt qu'il est foulé, un tonneau bien relié, qu'on abandonne et qu'on met pendant quinze jours dans l'eau, qui doit baigner par-dessus ; de même une humidité surabondante empêche la putréfaction. Voyez PUTREFACTION. D'un autre côté, Stahl rapporte, qu'un vin concentré se conserva pendant plusieurs années, quoique le vaisseau où il était contenu ne fut qu'à demi-plein.

Les liqueurs qui fermentent jettent des vapeurs très-subtiles, dont il faut modérer l'éruption pour rendre les liqueurs plus parfaites. Ces vapeurs se répandent avec un effort, qui se fait sentir dans des espaces beaucoup plus grands que ceux que remplit l'expansion des vapeurs de l'acide vitriolique sulfureux de l'eau-forte, de l'esprit de sel fumant, qu'on retire du mercure sublimé. Ces exhalaisons forment dans les celliers, comme un nuage qui éteint la flamme des chandelles. Les effets pernicieux de cette vapeur sur les animaux qui la respirent, sont plus funestes, suivant Boerhaave, que ceux d'aucun autre poison. Elle leur cause une mort soudaine, ou des maladies très-graves du cerveau et des nerfs sans apparence d'humeur morbifique, ou de lésion des viscères.

Comme les animaux sont affectés de la même manière par la fumée des corps gras à demi-brulés, ou des charbons allumés dans un lieu étroit ; Stahl en a inféré avec vraisemblance, que ces vapeurs sont des parties grasses de la liqueur qui fermente, extrêmement atténuées, et jointes à des parcelles d'eau. Il a fort bien connu que l'élasticité de ces vapeurs, n'est point inhérente à leurs substances sulfureuses, puisque l'action même du feu ne peut la développer dans cette substance. Mais il a prétendu que cette substance devait son ressort au commerce de l'air extérieur, et il s'est jeté dans une explication vague et insuffisante.

Beccher avait pensé que ces vapeurs ne sont ni salines, ni sulfureuses, parce qu'il ne put les condenser en appliquant au bondon d'un gros tonneau plein de mout qui fermentait un alambic avec son réfrigerant. Il a comparé ces esprits à ceux qui naissent du mélange de l'huîle de tartre avec des esprits corrosifs, durant le temps de l'effervescence. Voyez GAS.

En réfléchissant sur cette analogie proposée par Beccher, on est porté à croire, que pour achever la belle théorie de Stahl sur la fermentation, il faut y suppléer par celle de M. Venel sur les effervescences. Voyez EFFERVESCENCE. L'eau qui dissout les sujets de la fermentation spiritueuse composés d'huile, de sel et de terre, fait une précipitation de l'air combiné chymiquement avec ces principes. Cet air, à mesure qu'il se dégage, étant intercepté par les parties visqueuses de la liqueur, y produit une ébullition d'autant plus forte, qu'il rencontre plus de terre muqueuse : mais s'il trouve des parties huileuses, pures, il les atténue prodigieusement, les entraîne, et les élève en vapeurs élastiques. On voit pourquoi les sujets de la fermentation spiritueuse étant exposés à un feu nud, ne donnent point de vapeurs semblables. Si Stahl eut connu les expériences de Halles, il n'eut pas parlé de ces vapeurs d'une manière si obscure et si incertaine. Voyez la statique des végétaux, exp. 55. et 57. L'effervescence est causée par l'air principe de la composition des corps, dont il est détaché par l'action des acides sur les particules terreuses, qui ne sont pas réunies en de trop grandes masses. Ainsi, les vins qui ont trop bouilli sont austères, &moisissent bientôt, parce qu'il s'y est développé trop d'acide. L'addition des terres maigres, comme la craie, par exemple, arrête l'ébullition d'une liqueur qui fermente, parce qu'elles embarrassent les acides, et sont très-peu analogues aux parties grasses et huileuses de la liqueur pour se séparer avec les feces ; l'ébullition a toujours lieu dans la bière forte, et dans les vins spiritueux, tant que ces liqueurs se conservent ; lorsqu'on les verse, on voit surnager une écume légère, qui est la marque d'une fermentation subite, et lorsqu'elles coulent aussi tranquillement que l'eau ou l'huîle pure, elles sont sur le point de se gâter. Les corps gras et huileux ne renferment pas assez de sel et de terre dans leur mixtion. C'est pourquoi les vins qui sont plus huileux en Espagne et en Italie bouillent beaucoup moins que les vins des pays septentrionaux.

La fermentation ne produit de chaleur spontanée que dans ces corps terreux, dont la substance grasse est pour la plus grande partie épaisse et bitumineuse. Mais le mouvement intestin dont est agitée une liqueur qui fermente, quelque fort qu'il sait, n'est pas plus favorable à l'atténuation des molécules de cette liqueur, qu'à leur complication. Il reste donc à considerer les nouvelles combinaisons que la fermentation fait naître des principes qu'elle a divisés.

La partie grasse résineuse d'une liqueur qui fermente, comme plus mobile, forme d'abord à la surface une croute, où naissent de temps-en-temps des crevasses, qui sont aussi-tôt réparées. Cette croute contribue à rendre la fermentation plus parfaite. Elle est enfin entrainée au fond par l'écume et les flocons de poussière qui s'y attachent durant la forte agitation de la liqueur, après que le bouillonnement en a dissout les parties huileuses. La substance grasse et la tartareuse entrent dans la composition des feces, qui sont néanmoins formées principalement des parties les plus terrestres de la liqueur qui fermente, lorsque ces parties terrestres sont séparées des parties salines, et empêchées de s'y rejoindre par l'esprit vineux.

Cet esprit, à-mesure qu'il se forme par l'intermède de ses parties grasses, enveloppe les parties terreuses de la liqueur, et émousse les acides. Ainsi le vin, qui en commençant à fermenter a une acidité austère, étonne les dents, et ronge même les métaux les moins solubles, s'adoucit dans la suite, et il est bien plus tôt mitigé par l'addition de l'esprit-de-vin pur (en observant néanmoins avec Beccher qu'une trop grande quantité d'esprit-de-vin ajoutée, arrêterait la fermentation). Dans la préparation que faisait Beccher de ce qu'il appelait la substance moyenne du vin, le tartre était précipité par le même principe. On sait que les acides minéraux dulcifiés par l'esprit-de vin ont beaucoup moins de prise sur les terres ; et que cet esprit rectifié étant versé sur une dissolution de vitriol, précipite un très-grand nombre de parties vitrioliques sous une forme crystalline.

Il est remarquable que la lie a une consistance épaisse et mucilagineuse, tant qu'elle renferme dans sa mixtion le vin ou la substance spiritueuse ; mais dès que cette substance est détachée par coction, la lie devient assez liquide, et après avoir été exprimée, elle donne par la distillation de l'esprit volatil, ou du sel urineux, et beaucoup d'huile. Par une seconde coction on en retire un tartre fort blanc et fort pur.

La mixtion vineuse est accomplie dans le mout qui a fermenté par la précipitation de la lie. La séparation de ce marc salin, gras et limoneux laisse une liqueur qui a un goût légérement acide, pénétrant, qu'on trouve moins épaisse au goût et au tact, et qui a acquis beaucoup de transparence et de fluidité.

La transparence des vins en assure la durée ; étant trop épais, ilsmoisissent facilement, surtout les vins nouveaux, qu'on ne soutire pas assez tôt au printemps de la lie qui s'en est séparée pendant l'hiver. D'un autre côté les vins qu'on soutire trop tôt dégénèrent aisément, s'ils ne sont assez forts ; parce que la lie, qui a les mêmes principes que le vin, est un sédiment ménagé par la nature, pour que cette liqueur en y puisant répare les pertes qu'elle fait par l'évaporation, tandis qu'elle fermente encore.

La lie ne donne point de sel volatil urineux qu'après avoir été exposée à l'action du feu, ou à la putréfaction. Ce sel urineux ne pourrait subsister dans la lie séparément de l'acide du tartre ; leur union formerait un sel soluble, qui serait entrainé par l'eau : mais on ne retire de la lie du vin qu'un sel acide tartareux, dont la fermentation dégage une grande quantité dans les substances végétales, où il existait déjà tout formé. De plus Stahl a rendu très probable que la fermentation en produit beaucoup de tout pareil ; puisque la combinaison d'eau et de terre qui a produit ce sel naturel dans les raisins, voyez SEL, semble avoir été le résultat d'un mouvement de fermentation. En effet, il ne parait pas que ce sel ait été rapporté dans le fruit par les racines de la vigne, puisqu'il aurait été plutôt absorbé par la terre poreuse du vignoble. Il n'est pas vraisemblable qu'il y ait pénétré en forme de vapeurs, ni qu'il ait été reçu de l'athmosphère par imbibition, puisqu'on voit souvent paraitre après un mois de temps sec une quantité prodigieuse de raisins qui sont très-acides, avant que d'être mûrs.

On ne peut douter que ce sel n'ait pénétré par les racines de la vigne, malgré la qualité poreuse et absorbante du terroir qu'oppose Stahl ; puisqu'il y a apparence que l'huîle suit cette route, quoiqu'elle soit un mixte plus composé et moins pénétrant que l'eau. En effet, on a observé que la trop grande quantité de fumier dans un vignoble, rend le vin mol et fade, et facîle à graisser. On est parvenu à faire prendre à un sep de vigne l'odeur de l'anis. Un bon vin de Moselle doit avoir le goût de l'ardoise, parce qu'on engraisse les vignes qui donnent ces vins avec des ardoises, qu'on a laissé exposées à l'air, jusqu'à ce qu'elles fussent réduites à une espèce d'argîle ou de terre grasse. Les vignobles d'Hochheim auprès de Mayence enferment dans leur sein des charbons fossiles, qui peuvent être cause que les vins de ce terroir approchent du succin par le goût et par l'odeur. Hoffman, diss. de naturâ vini Rhenani, n °. 24. Les brasseurs ont trouvé que l'orge venu dans les champs couverts de fumier de brebis, produit une bière, dont la senteur et le goût sont extraordinaires et vicieux, principalement si le fumier de ce champ a été mêlé avec des excréments humains, comme on le pratique en quelques endroits. Voyez là-dessus Kunckel de appropriatione, p. 89. l'acide du tartre, dont la consistance est seche, et qui est difficilement soluble dans l'eau, est le dernier produit que développe la fermentation vineuse. Le vin du Rhin ne pose du tartre sur les parois des vaisseaux qui le contiennent, qu'après qu'il a laissé tomber au fond la lie muqueuse et terrestre. Les vins d'Espagne ne laissent point de tartre dans leurs vaisseaux, parce qu'il est enveloppé dans ces vins d'une trop grande quantité de substance huileuse et tenace.

Le degré de consistance qui est propre à chaque liqueur fermentée, dépend de l'union de ces principes, et du concours du principe aqueux qui se combine intimément avec eux, après avoir été l'instrument de la fermentation. C'est pourquoi on ne pourrait enlever toute l'humidité que renferment le vin et le vinaigre, sans altérer extrêmement ces liqueurs, quoiqu'on put en retirer ensuite de la lie, du tartre, de l'esprit ardent avec son phlegme essentiel.

Les vins des pays humides sont chargés d'une eau plus abondante, qu'il n'est nécessaire pour étendre leurs principes. On les dépouille de cette eau superficielle en les concentrant par la gelée ; par ce procédé dont Stahl passe pour l'inventeur, mais qui est connu depuis longtemps, comme on peut voir dans van Helmont au commencement du traité tartari vini historia : on donne au vin, ainsi qu'au vinaigre une odeur très-pénétrante et une saveur très-forte ; et en garantissant ces liqueurs concentrées d'une chaleur ou d'une agitation violente, elles résistent aux changements des saisons, et peuvent durer des siècles.

Dans une année pluvieuse, non-seulement le vin est plus aqueux, mais encore l'humidité excessive du mout en augmentant la fermentation, produit un vin plus austère et plus acide. C'est par une raison semblable qu'on fait cuire le mout des vins de Malvaisie et de Crète, comme Belon nous l'apprend ; ceux dont on n'aurait pas fait ainsi évaporer l'humidité superflue, ne pourraient passer la mer sans s'aigrir. De même en Espagne et dans les pays chauds, pour modérer la fermentation du mout, on en prend une partie, qu'on reduit par la coction au tiers ou au quart, évitant qu'elle ne contracte une odeur de brulé, et on la distribue sur le reste du mout, pour y diminuer la proportion de l'humidité. C'est ainsi que les vins d'Hongrie ont une qualité spiritueuse moins piquante, et conservent très-longtemps leur douceur ; parce qu'on l'extrait avec des raisins qu'on a laissé à demi sécher sur leurs souches par l'ardeur du soleil, ou qu'on en fait chauffer le mout, jusqu'à le faire bouillir. Hoffman, diss. de vini Hungarici natura, etc. n °. 20. et in obs. chym.

Les vins gras se conservent beaucoup plus longtemps que les vins clairs, mais ils peuvent être trop gras dans les années seches et hâtives, par la trop grande maturité du raisin. Il arrive alors que le vin se graisse, c'est-à-dire fîle quand on veut le vider, comme s'il y avait de l'huîle ; c'est une maladie du vin, qui passe au-bout de quelques mois, même sans le déplacer : sans doute parce que la fermentation qui se renouvelle quand l'eau est séparée de l'huile, porte à la surface de la liqueur les parties terrestres et salines, et les recombine de nouveau avec les parties grasses ; ce qui confirme ma conjecture, c'est que le vin se dégraisse plus tôt, lorsqu'on le met à l'air, qu'en le laissant dans la cave, et qu'on emploie pour le dégraisser de l'alun, du sable chaud, et autres ingrédiens qu'on ajoute avec le vin, en remuant et tournant le tonneau.

Rien n'est plus décisif pour la qualité des vins, que la rapidité ou la lenteur des progrès de la fermentation ; lorsqu'elle est trop impétueuse, ce qui arrive si la saison de la vendange est plus chaude qu'à l'ordinaire, il se forme dans la liqueur beaucoup de concrétions grossières, ou de feces, elle devient faible et acide. Lorsque le vin a fermenté un temps convenable, il a un piquant sans acidité, qui est moins l'objet du gout, proprement dit, que du tact fin dans la langue, qu'il fait comme frémir légèrement. Beccher conseille, pour rendre le vin plus sort, de le faire fermenter longtemps, c'est-à-dire lentement ; ce qu'on gagne par une fermentation lente, c'est d'empêcher l'éruption des vapeurs sulfureuses élastiques, qui s'exhalent de la liqueur. Stahl imagine que ces vapeurs enlèvent beaucoup de substances spiritueuses, parce qu'elles approchent de la nature de l'air, de la même manière que les vapeurs aqueuses, qui en sortant des éolipiles, peuvent souffler le feu ; mais il est plus simple de penser, comme il le dit aussi, que ces vapeurs sulfureuses sont nécessaires pour la mixtion des esprits du vin. En effet pour rendre le vin plus spiritueux, on y ajoute, tandis qu'il fermente, des aromates qui sont propres à réparer ses pertes par leurs parties volatiles, salines, et huileuses.

On se sert de différents moyens pour modérer la fermentation : on place le mout dans des lieux souterrains où le froid est tempéré ; on le met dans des tonneaux dont la courbure et la forme contraignent les vapeurs sulfureuses à retomber plusieurs fois dans la liqueur qui les absorbe avant que de pouvoir s'échapper par le trou du bondon, et les oblige à se combiner avec l'eau ; c'est par le même principe qu'avant d'entonner la bière, lorsque le levain est mûr, on frappe avec une longue perche sur la grosse écume qui se forme à la superficie, et on la fait rentrer dans la liqueur, ce qu'on appelle battre la guilloire. Voyez BRASSERIE.

Boerhaave assure que le mélange du blanc d'œuf empêche l'éruption des esprits du vin, et le fait fermenter plus longtemps. On parvient au même but, en couvrant la surface du mout d'esprit de vin, ou d'huîle ; ce mout donne un vin beaucoup plus fort et plus agréable ; pour arrêter la fermentation des liqueurs, il suffit d'environner les vaisseaux qui les contiennent de vapeurs sulfureuses, qui pénétrent dans ces vaisseaux par les pores du bois : on n'aura pas de peine à se persuader cette pénétration, si l'on considère que le tonnerre fait tourner le vin, et que le cidre se fait mieux et se conserve plus longtemps dans les futailles où il y a eu depuis peu de l'huîle d'olive.

Il ne nous reste plus qu'à parler de l'esprit de vin, dont nous n'avons pas encore traité pour ne pas interrompre ce que nous avions à dire sur le vin. Les principes exposés plus haut, semblent suffire pour l'explication des détails où nous ne pouvons entrer sur le vin : nous ajouterons seulement que si on voulait reproduire une liqueur fermentée en mêlant tous les principes qu'on en retire, on n'y réussirait pas ; ce qui prouve que ces principes ont souffert en se séparant une altération qui ne leur permet pas de se combiner de nouveau.

Esprit-de-vin. Deux sentiments partagent les chymistes sur l'origine de l'esprit-de-vin. Boerhaave croit qu'une portion déterminée de chaque matière qui fermente, ne peut donner par la fermentation qu'une certaine quantité d'esprits ardents ; il remarque que le résidu d'une matière dont on a enlevé l'esprit ardent, quoiqu'il ait conservé beaucoup d'huile, ne peut fermenter une seconde fais, ni donner de nouvel esprit, et qu'on ne peut retirer des esprits ardents du tartre, quoiqu'il renferme beaucoup d'huîle inflammable et très-pénétrante. Ces observations sont autant d'inductions contre le sentiment de Beccher et de Stahl, qui regardent l'esprit-de-vin comme un produit de la fermentation.

Beccher préparait avec du limon et des charbons un esprit insipide, qui étant mêlés à une certaine proportion d'esprit de vinaigre, se changeait en esprit ardent. Stahl a regardé l'esprit-de-vin comme un résultat de la fermentation, dans lequel l'eau est intimement mêlée à l'huîle par l'intermède d'un sel acide très-subtil. Il se fonde sur ce que les baies de genièvre écrasées, dont on a ramolli le tissu muqueux dans une eau chargée de sel commun, étant exposées au feu, donnent assez d'huîle tenue, et point d'esprit ardent : au-lieu que d'une égale quantité de ces baies qu'on a fait fermenter avec la levure de bière, on ne retire plus, par la distillation, que fort peu d'huile, mais bien une quantité considérable d'esprit : on trouve la même chose dans le mout et dans la farine de froment exposée au feu avant et après la fermentation. Après avoir séparé l'huîle des graines aromatiques, on en retire beaucoup moins d'esprit ardent : la présence de l'acide dans l'esprit-de-vin est démontrée, parce que tous les composés qui ne peuvent tourner à l'acide, ne donnent point d'esprit ardent, et parce que l'esprit-de-vin étant redistillé plusieurs fois sur du sel de tartre, ou des cendres gravelées, le résidu après l'évaporation fournit les mêmes crystaux que le sel de tartre joint à l'esprit volatil de vitriol : crystallisation unique, par laquelle Stahl a déterminé bien plus précisément la nature de ce sel, que les auteurs qui le disent une terre foliée de tartre. Van-Helmont, et Boerhaave après lui, ont retiré le principe aqueux de l'esprit-de-vin, en le distillant sur du sel de tartre.

Les chymistes modernes ont suivi le sentiment de Stahl sur la mixtion de l'esprit-de-vin, et M. Baron a bien refuté Cartheuser, qui prétend que l'esprit-de-vin n'est que de l'eau unie au phlogistique, et qu'il ne contient ni huîle ni acide.

M. Vogel (inst. chym. p. 167.) dit que sans l'autorité de Gmelin, qui le rapporte, il douterait fort que les Tartares, en Sibérie, retirent un esprit ardent du lait de vache, sans y ajouter de ferment ; mais Stahl (fund. chym. part. alleman. pag. 188.), dit qu'il n'y a point de doute que le lait aigre qui sert à faire le beurre, ne puisse donner un esprit, puisqu'il est d'une nature moyenne entre les substances végétales et animales, et puisqu'il est le seul parmi celles-ci qui subisse la fermentation acéteuse.

On n'a Ve encore personne qui put retirer de l'esprit ardent d'autres substances que de celles qui sont préparées par la nature ; mais Stahl remarque que ce n'est point parce que la végétation seule peut produire des concrets qui sont propres à la fermentation spiritueuse, mais seulement parce que leur tissu doit être intimément pénétré d'une huîle tenue.

Il est remarquable que le caractère spécifique de l'huîle végétale, peut se faire apercevoir dans l'esprit ardent ; c'est ainsi qu'on retrouve l'odeur de sureau, dans l'esprit qu'on retire de ses baies, après les avoir fait fermenter.

Il est très-probable qu'il se forme une grande quantité d'esprit ardent dans les fermentations spiritueuses, d'autant plus qu'il est difficîle qu'il se fasse aucune dissolution qui ne soit bientôt suivie d'une nouvelle récomposition : cependant il est vraisemblable qu'il existait un principe spiritueux dans les raisins, puisqu'on a Ve qu'étant pris avec excès, ils causaient une espèce d'ivresse aux personnes d'un tempérament faible.

Il parait que l'esprit ardent ne doit sa qualité enivrante qu'à ces vapeurs sulfureuses expansibles, dont nous avons beaucoup parlé. Il faut attribuer à la même cause, l'assoupissement qui suit l'usage des eaux de Spa, comme l'assure de Heers, et M. de Limbourg ; c'est aussi ce qui rend la boisson des eaux acidules, pernicieuse dans les maladies internes de la tête, comme Wepfer l'a observé plus d'une fais. M. le Roi, célèbre professeur de Montpellier, a observé qu'il l'est assez dans la vapeur des puits méphitiques, pour teindre en rouge la teinture de tournesol, qu'on y expose. Voyez MOFFETES.

Le premier esprit ardent qu'on retire du vin, s'appelle eau-de-vie, et ce n'est que par une nouvelle distillation qu'on obtient l'esprit-de-vin pris selon l'acception vulgaire : on retire des lies de vin beaucoup d'esprit-de-vin, dans lequel le principe huileux est plus abondant, suivant la remarque de M. Pott. On peut voir dans la Chimie allemande de Stahl, un procédé qu'il a imaginé pour faire cette distillation plus avantageusement.

Après qu'on a retiré l'esprit-de-vin, la distillation continuée donne une assez grande quantité de phlegme acide légèrement spiritueux, et laisse une huîle épaisse, d'une odeur désagréable ; on trouve dans le caput mortuum brulé, de l'alkali fixe.

L'esprit-de-vin prend le nom d'alcohol, après avoir été rectifié, ou dépouillé de son phlegme par plusieurs distillations : on le regardait autrefois comme très-pur, lorsqu'il se consumait entièrement par l'inflammation, sans laisser d'humidité, ou lorsque à la fin de sa combustion il mettait feu à la poudre à canon sur laquelle on l'avait versé ; mais Mr. Boerhaave a remarqué que la flamme peut chasser, dans ces épreuves, les parcelles d'eau que l'esprit-de-vin renferme ; c'est pourquoi il a proposé un moyen beaucoup plus sur de reconnaître la pureté de l'esprit-devin ; c'est de le mêler avec le sel de tartre fortement desséché, et de faire chauffer ce mélange, après l'avoir secoué, à une chaleur un peu inférieure au degré qui ferait bouillir l'esprit-de-vin ; si l'alkali n'est point humecté par-là, c'est une preuve certaine que l'esprit-de-vin est très-pur. Voyez la chimie de Boerhaave, tom. II. p. 127.

Non-seulement on rectifie l'esprit-de-vin par des distillations repetées, mais encore en le faisant digérer sur de l'alkali bien sec. Il me parait remarquable que l'esprit-de-vin ainsi alkalisé, a une saveur et une odeur beaucoup plus douce que celui qui est rectifié par la distillation. Cela ne viendrait-il point de ce que les parties huileuses de l'esprit-de-vin sont beaucoup plus rapprochées par la première espèce de rectification ? on peut encore rectifier l'esprit-de-vin, en le faisant digérer sur du sel marin décrépité et bien sec : on le rend d'abord beaucoup plus pénétrant, en le rectifiant sur de la chaux vive ; mais si l'on repete trop souvent cette dernière rectification, on décompose l'esprit-de-vin, et on le réduit en phlegme : on connait la propriété qu'a la chaux de décomposer en partie toutes les substances huileuses.

L'esprit-de-vin extrait la partie résineuse des végétaux, et donne outre les teintures des résines et des bitumes, diverses teintures métalliques, salines, astringentes, etc. il est un des excipients des plus usités des préparations pharmaceutiques. Voyez TEINTURE. Il ne peut dissoudre les graisses, ni les huiles exprimées, mais il dissout très-bien, surtout lorsqu'il est rectifié, les baumes et les huiles essentielles ; cela dépend, suivant M. Macquer (Mém. de l'acad. des Sciences, 1745.) du principe acide qui est surabondant dans les huiles essentielles, et beaucoup plus enveloppé dans les huiles grasses.

La solubilité respective des différentes huiles essentielles dans l'esprit-de-vin, dépend de la ténuité des parties intégrantes de ces huiles, comme Hoffman l'a prouvé dans ses observations chymiques, l. I. obs. 2. Le même auteur a fort bien remarqué, que si l'on distille les dissolutions de ces huiles dans l'esprit-de-vin, elles donnent à cet esprit leurs saveurs et leurs odeurs spécifiques ; mais que la meilleure partie de ces huiles reste au fond du vaisseau et ne peut en être chassée qu'après avoir pris une qualité empyreumatique, ce qui doit s'entendre surtout des huiles plus pesantes que l'eau ; par conséquent il y a un désavantage considérable à distiller les espèces aromatiques avec l'esprit-de-vin, qui par sa volatilité a beaucoup moins de proportion que l'eau avec les huiles. idem. ibid. obs. 12.

L'esprit-de-vin aiguisé avec le sel ammoniac, ou avec le sel secret de Glauber, peut extraire les soufres des métaux. Hoffman assure que l'esprit-de-vin digeré et cohobé sur le précipité du mercure dissout dans l'eau forte, est un très-bon menstrue de substances métalliques. Suivant les expériences de Stahl et de Pott, on peut avec de l'esprit-de-vin extraire la couleur du vitriol de cuivre, de manière que cette couleur ne saurait être développée même par les esprits volatils.

On peut consulter sur les sels qui se dissolvent en partie dans l'esprit-de-vin qu'on a fait bouillir, la dissertation de M. Pott sur la dissolution des corps, section 10. mais M. Pott n'aurait pas dû dire sans restriction, que l'esprit-de-vin dissout les différents sels ammoniacaux : car suivant la remarque d'Hoffman (Obs. chym. l. II. obs. 5.) l'esprit-de-vin dissout parfaitement les sels neutres formés de l'union du sel volatil ammoniac, avec l'esprit de nitre, ou l'esprit de sel ; mais il ne peut dissoudre le sel qui résulte de la combinaison de ce sel volatil, avec l'huîle de vitriol.

On dulcifie les esprits acides par l'esprit-de-vin, en mêlant ensemble ces liqueurs, qu'on prend très-pures, en les faisant digerer à froid pendant un jour ou deux, et en distillant à un feu doux, et avec précaution.

Le mélange des trois parties d'esprit-de-vin, avec une partie d'esprit de vitriol, est un astringent fort employé, qui porte le nom d'eau de Rabel ; si l'on fait digérer le mélange de l'acide vitriolique avec un esprit-de-vin qui ait été tenu longtemps en digestion sur des substances végétales aromatiques, on a l'élixir de vitriol de Mynsicht.

On sait que l'éther vitriolique est un des produits de la distillation du mélange de l'esprit-de-vin, et de l'acide vitriolique. Il semble que l'ether n'est autre chose que le principe huileux de l'esprit-de-vin séparé par l'intermède de l'acide vitriolique. Voyez ETHER. D'autres chymistes pensent que l'éther est formé par la combinaison de l'acide vitriolique et de l'esprit-de-vin. M. Vogel (inst. chym. §. 486.), veut prouver ce dernier sentiment, parce que si l'on distille un mélange d'eau et d'éther, on en retire un phlegme acide, et qu'on diminue la quantité de l'éther à mesure qu'on répète cette opération, parce que le mélange d'éther avec l'huîle de tartre par défaillance, donne un sel neutre ; enfin parce qu'on retire de l'éther, joint à l'eau de chaux, une très-petite quantité d'huile, et que le résidu présente une huîle de vitriol très-âcre, et une substance qui a l'air gypseux ; mais ces phénomènes peuvent être produits par la décomposition du principe huileux de l'esprit-de-vin : on sait que cette décomposition a lieu en partie, quand on déphlegme l'esprit-de-vin par la chaux, ou par les alkalis fixes.

Quand on a retiré tout l'éther par l'opération décrite à l'article ETHER ; en continuant la distillation, on obtient un phlegme acide, et une huîle beaucoup plus pesante que l'éther, qu'on appelle huîle douce de vitriol. Cette huîle résulte effectivement de la combinaison de l'acide vitriolique avec l'huîle de l'esprit-de-vin, qui dulcifie cet acide, et qui acquiert de la pesanteur en s'y unissant : on voit que cette huîle a beaucoup de rapport avec la teinture qu'Angelus Sala a nommée extrait anodin de vitriol.

Il reste au fond de la cornue une liqueur bitumineuse épaisse, que M. Beaumé a analysée par une très-longue filtration, à travers une bouteille de grès moins cuit qu'il ne l'est ordinairement ; seul moyen par lequel il a pu séparer la matière grasse de l'esprit-de-vin, tenue en dissolution par une surabondance d'acide vitriolique ; il en a retiré successivement diverses liqueurs, dont l'examen lui a fait voir qu'une partie de l'acide vitriolique est tellement altérée, qu'elle se rapproche beaucoup des acides végétaux, et qu'un autre partie de cet acide se rapproche de la nature de l'acide marin. Le résidu de l'éther après la filtration, étant mêlé avec des alkalis fixes, ou de la lessive de savonniers, donne toujours du bleu de Prusse, qui parait aussi quand on fait du tartre vitriolé avec le sel de tartre, et avec ce même résidu pris avant la filtration. M. Beaumé a prouvé que cette fécule bleue n'est autre chose que la portion du fer que contient toujours l'acide vitriolique, convertie en bleu de Prusse. Voyez le mémoire de M. Beaumé, dans le troisième tome des mémoires étrangers, approuvés par l'académie des Sciences.

A la fin de l'opération de l'éther, il se sublime aussi un corps concret analogue au soufre, mais qui peut n'être qu'un sel vitriolique sulfureux. M. Pott prétend, dis. chym. tom. I. pag. 445. que le caput mortuum, que donne l'opération de l'éther, après qu'on en a dégagé par l'eau un acide vitriolique, ressemble parfaitement au résidu de l'huîle de vitriol, traitée avec les huiles. En effet il est très-vraisemblable qu'à la fin de l'opération de l'éther, les principes mêmes de l'acide vitriolique, et de l'huîle de l'esprit-de-vin peuvent être décomposés, soit qu'il se sublime en véritable soufre, soit par la seule production de l'acide sulfureux.

On purifie l'éther en y versant un peu d'huîle de tartre par défaillance, qui absorbe l'acide sulfureux contenu dans les liqueurs, qu'on retire avec l'éther. Lorsqu'on fait l'éther suivant le procédé de M. Hellot, avec l'intermède de la terre glaise ordinaire, on ne voit paraitre ni le phlegme sulfureux, ni l'huîle douce de vitriol, ni le résidu bitumineux. M. Pott croit avec beaucoup de vraisemblance, que dans le procédé de M. Hellot, la terre bolaire n'est attaquée par l'acide vitriolique, que parce qu'elle s'alkalise ; il a observé, que les lotions de cette terre, après qu'elle a servi à l'opération de l'éther, donnent des véritables crystaux d'alun. Voyez sa Lithologie, to. I. page 110.

Il me semble qu'on est d'autant plus fondé à penser que l'éther n'enlève l'or et le mercure de leurs dissolutions, que par son affinité avec l'acide nitreux, depuis que M. Beaumé a fait voir dans sa dissertation sur l'éther, page 143 et suivantes, que l'éther vitriolique se décompose par son mélange avec l'acide nitreux, et forme une espèce de faux éther nitreux. Voyez sur le véritable éther nitreux, l'article ETHER ; sur l'éther marin, l'article MARIN (sel) et sur l'éther acéteux, l'article VINAIGRE.

Autres principes des vins. Nous nous sommes assez étendus sur l'acide tartareux, et sur l'esprit inflammable, qui sont les principaux produits de la fermentation vineuse ; mais pour connaître parfaitement la nature du vin, il est à-propos d'y considérer encore avec Hoffman, liv. I. obs. chym. 25. outre le phlegme, et le principe aérien, qui y est contenu, une substance sulfureuse, et comme visqueuse, qu'on observe surtout dans les vins de Frontignan, d'Espagne, et d'Hongrie ; ce principe huileux est d'autant plus abondant, que les vins sont d'une couleur plus foncée.

Les vins rouges reçoivent leur couleur des enveloppes des grains de raisins, dont l'acide du mout extrait et exalte la partie colorante. Ils doivent leurs qualités astringentes à ces enveloppes, et aux pepins du raisin sur lesquels ils séjournent longtemps.

Les vins rouges distillés, et évaporés jusqu'à consistance d'extrait, acquièrent une couleur très-chargée, et une saveur très-astringente, qu'ils peuvent communiquer à une grande quantité d'eau. Quand on verse une suffisante quantité d'huîle de tartre par défaillance sur un vin rouge, ou sur son extrait obtenu par l'évaporation ; le mélange se trouble, prend une couleur brune, et dépose un sédiment. Ce qui prouve, que la beauté de sa couleur rouge dépendait en grande partie de l'acide, qui l'exaltait. De plus, quand on mêle de l'huîle de tartre par défaillance avec la partie acide du vin du Rhin qui reste après la distillation et l'évaporation, il se fait une effervescence violente et écumeuse, occasionnée parce que cet extrait renferme beaucoup de soufre et de principe visqueux, que les parties aériennes qui y sont contenues élèvent en bulles pour se dégager.

L'air qu'on voit s'échapper en forme de bulles du vin que l'on transvase, est contenu en grande quantité dans les vins qui ont fermenté librement ; ils donnent à ceux-ci plus de finesse, plus de légéreté, et il les rend plus salubres que ceux dont on a arrêté à dessein la fermentation, en bouchant exactement les vaisseaux qui les renfermaient, quoiqu'ils ne fussent qu'à demi-pleins. Il est aisé d'imaginer, après ce que nous avons dit au commencement de cet article, que la fermentation n'est arrêtée alors, que parce que l'air renfermé dans les vaisseaux à demi-pleins, perd trop de son élasticité par les vapeurs de la liqueur qui fermente, pour pouvoir en favoriser longtemps la fermentation. Ce qui est encore plus clair, si l'on fait attention à un fait rapporté par Hoffman, dissert. de nat. vini rhen. n °. 28. que le soufre et l'esprit-de-vin ne peuvent s'enflammer dans un air qui séjourne dans un tonneau, où il est corrompu et chargé des exhalaisons d'un vin éventé.

On ne s'attend pas que nous rapportions tous les usages pharmaceutiques du vin et de l'esprit-de-vin ; on peut trouver une longue liste de ces usages dans la table des médicaments simples, qui est à la tête de la pharmacopée de Paris : nous nous arrêterons seulement aux usages diététiques de ces liqueurs.

On peut consulter sur ceux de l'esprit-de-vin, l'article LIQUEURS SPIRITUEUSES, en observant toutefois que dans ces liqueurs, sans compter la correction du sucre, il est à peine par sa dilatation en état d'eau-de-vie ; le kyrsch wasser cependant est presque un esprit-de-vin pur. Les liqueurs qu'on appelle taffia, rum, rach, etc. sont des esprits-de-vin ; tous les esprits ardents sont les mêmes lorsqu'ils sont bien dépurés, soit qu'on les retire du vin, du sarment, du sucre, etc. ainsi esprit-de-vin est synonyme à esprit ardent.

M. Halles explique la nature pernicieuse des liqueurs fortes distillées, parce qu'il a observé que la viande crue se durcit dans ces liqueurs ; effet, qu'il attribue à des sels caustiques et mal-faisants qui ont une polarité particulière ; ne serait-ce point, pour le dire en passant, à ces parties salines de l'esprit-de-vin, qu'il faudrait attribuer l'augmentation de chaleur indiquée par le thermomètre, qui résulte du mélange de l'eau avec l'esprit-de-vin, suivant les observations de Boerhaave et de Schwenck ?

VIN, (Diete et Matière médicale) Hoffman a donné à la fin de sa dissertation de praest. vini rhen. in med. des détails très-instructifs sur l'utilité du vin dans plusieurs maladies. Il a enseigné même en plus d'un endroit à varier l'espèce du vin que l'on prescrit, suivant la nature des maladies qu'on a à traiter.

On sait que le vin était la panacée d'Asclépiade, et que cet enthousiaste aussi célèbre qu'ignorant, ordonnait également l'usage du vin aux phrénétiques pour les endormir, et aux léthargiques pour les réveiller ; quelque mépris que mérite Asclépiade, on ne peut qu'approuver un précepte que Galien nous a conservé de ce médecin, T. V. éd. gr. Bas. pag. 323. c'est de donner du vin pour dissiper les roideurs qui se font sentir après les grandes évacuations. C'était dans la même vue qu'Hippocrate conseillait de boire du vin pur de temps-en-temps, et même avec quelque excès, pour se remettre d'une grande fatigue.

Dioscoride et Avicenne après Hippocrate, ont dit, qu'il était utîle pour la santé de boire quelquefois jusqu'à s'enivrer ; il est assez naturel de penser, que pour affermir sa constitution, on pourrait se permettre, quoique rarement, des excès autant dans le boire que dans le manger, si l'on ne considérait ces dérèglements que d'un coup d'oeil philosophique ; la secte rigide des Stoïciens regardait l'ivresse comme nécessaire pour remédier à l'abattement et aux chagrins, qui sont des maladies de l'âme.

L'usage du vin et des liqueurs spiritueuses est beaucoup plus salutaire dans les climats chauds, que dans les pays froids. On a fort bien remarqué à l'article CLIMAT, que les paysans des provinces méridionales, qui sont occupés des travaux les plus pénibles, ne trempent point leurs vins en été, mais seulement en hiver ; ce qui est contraire à la théorie reçue, qui prétend que les pertes que le sang fait, doivent être réparées par une boisson aqueuse. Il me semble qu'une théorie mieux fondée démontrerait que c'est à la chaleur du climat et de la saison qu'est dû. la disposition que les corps et le sang surtout ont par leur mixtion même à se putréfier ; que la boisson abondante de l'eau ne peut être alors que très-dangereuse, entant qu'elle favorise la fermentation putride ; mais que cette fermentation est puissamment prévenue par l'acide du vin.

Divers auteurs anciens avaient écrit des traités entiers sur l'article de préparer et d'améliorer les vins. Pour ne pas rendre cet article trop long, nous n'avons rien dit des moyens qu'ils employaient ; mais on pourra s'en instruire en lisant Columelle, Pline, et les Géoponiques ; on y trouvera des pratiques singulières, propres à fournir des vues utiles, et même à confirmer la théorie de la fermentation vineuse.

VIN, (Histoire des boissons spiritueuses) suc tiré du raisin après la fermentation. La qualité propre du vin, quand on en use modérément, est de réparer les esprits animaux, de fortifier l'estomac, de purifier le sang, de favoriser la transpiration, et d'aider à toutes les fonctions du corps et de l'esprit ; ces effets salutaires se font plus ou moins sentir, selon le caractère propre de chaque vin. La consistance, la couleur, l'odeur, le gout, l'âge, la séve, le pays, l'année, apportent ici des différences notables.

Des qualités des vins en consistance, couleur, odeur, saveur, âge, séve. 1°. Quant à la consistance, le vin est ou gros ou délicat, ou entre les deux ; le gros vin contient peu de phlegme, et beaucoup de soufre grossier, de terre et de sel fixe ; en sorte que les principes qui le composent, sont portés avec moins de facilité au cerveau, et s'en dégagent avec plus de peine, quand ils y sont parvenus. Cette sorte de vins convient à ceux qui suent facilement, ou qui font un grand exercice ; à ceux que le jeune épuise, et qui ont peine à supporter l'abstinence.

Le vin délicat renferme beaucoup de phlegme, peu de soufre, et quelques sels volatils ; ce qui le rend moins nourrissant, mais plus capable de délayer les sucs, de se distribuer aux différentes parties du corps, et d'exciter les évacuations nécessaires ; c'est pourquoi il est propre aux convalescens, et à ceux dont les viscères sont embarrassés par des obstructions ; pourvu toutefois que ce vin n'ait point trop de pointe, comme il arrive à quelques-uns.

Le vin qui tient le milieu entre le gros et le délicat, n'est ni trop nourrissant, ni trop diurétique, et il convient à un très-grand nombre de personnes.

2°. Quant à la couleur, le vin est ou blanc ou rouge, et le rouge est ou paillet ou couvert.

Les vins blancs contiennent un tartre plus fin ; les rouges en ont un plus grossier ; les premiers sont plus actifs ; les seconds le sont moins, et nourrissent davantage : en un mot, les vins blancs picotent plus que les autres ; ce qui est cause qu'ils poussent par les urines ; mais ils peuvent à la longue incommoder l'estomac et les intestins, en les dépouillant trop de leur enduit.

Il y a des vins rouges qui tirent sur le noir ; ceux-là renferment plus de tartre que d'esprit ; ils sont astringens et plus capables de resserrer que d'ouvrir ; le vin paillet ou clairet, tient beaucoup du vin blanc ; mais il est moins fumeux et plus stomacal.

3°. A l'égard de l'odeur, les vins qui en ont une agréable, qui est ce qu'on appelle sentir la framboise, sont plus spiritueux que les autres ; ils réparent plus promptement les forces, et contribuent plus efficacement à la digestion : aussi conviennent-ils mieux aux vieillards. Il y a des vins qui ont une odeur de fût ; d'autres qui sentent le poussé ; d'autres le bas, tous vins mal-faisants.

4°. Pour ce qui est de la saveur, les uns sont doux, les autres austères ; les autres participent de l'un et de l'autre : il y en a enfin qui sont acides ; d'autres qui sont âcres.

Les vins doux sont tels, parce que dans le temps qu'ils ont fermenté, leurs parties sulfureuses ont été moins subtilisées par l'action des sels ; en sorte que ces soufres grossiers embarrassant les pointes de ces mêmes sels, les empêchent de piquer fortement la langue ; c'est pourquoi les vins doux causent moins d'irritation, et conviennent par conséquent à ceux qui sont sujets à tousser, ou qui ont des chaleurs de reins. Ils nourrissent beaucoup ; ils humectent, et ils lâchent ; mais il en faut boire peu ; sans quoi ils font des obstructions par leurs parties grossières ; le vin bouru surtout, est de cette nature. Ces sortes de vins au reste n'enivrent guère ; ce qui vient de ce que les esprits en sont trop concentrés ; mais il y en a qui avec cette douceur, autrement appelée liqueur du vin, ont beaucoup de piquant ; et ceux-là sont plus apéritifs, parce que leurs soufres ont été plus coupés, et plus divisés par les pointes des sels.

Les vins rudes et austères ont des sels grossiers, plus capables d'embarrasser les parties où ils sont portés, que de les pénétrer ; ce qui est cause qu'ils sont fort astringens, et qu'ils resserrent l'estomac et les intestins. Ces vins nourrissent peu, et n'attaquent guère la tête ; mais comme ils sont extrêmement stiptiques, il y a peu de constitutions auxquelles ils conviennent.

Les vins qui tiennent le milieu entre le doux et l'austère, sont les plus agréables, et en même temps les plus sains ; ils fortifient l'estomac et se distribuent aisément.

Il y a des vins qui n'ont que du piquant, et dont ce piquant tire sur l'amertume ; ceux-là sont à craindre aux bilieux, et à tous les tempéraments secs.

5°. Par rapport à l'âge, le vin est vieux ou nouveau, ou de moyen âge. Le nouveau parmi nous, est celui qui n'a pas encore passé deux ou trois mois ; le vieux, celui qui a passé un an ; et le vin de moyen âge, celui qui ayant passé le quatrième mois, n'a pas encore atteint la fin de l'année.

Le vin nouveau est de deux sortes, ou tout nouvellement fait, ou fait depuis un mois ou deux. Le premier étant encore verd, et se digérant à peine, produit des diarrhées et quelquefois des vomissements, et peut donner lieu à la génération de la pierre ; le second a les qualités du premier dans un moindre degré.

Les vins de moyen âge, c'est-à-dire, qui ayant plus de quatre mois, n'ont pas encore un an, sont bons, parce que leurs principes ont eu assez de temps pour se mêler intimement les uns avec les autres, et n'en ont pas eu assez pour se désunir ; c'est en cela que consiste leur point de maturité.

Le vin vieux qui avance dans la deuxième année, commence à dégénérer : plus il vieillit alors, et plus généralement il perd de sa bonté. Celui d'un an, autrement dit d'une feuille, est encore dans sa vigueur ; mais les vins de quatre et cinq feuilles, que quelques personnes vantent tant, sont des vins usés, dont les uns sont insipides, les autres amers, ou aigres ; ce qui dépend de la qualité qu'ils avaient auparavant : car les vins forts deviennent amers en vieillissant, et les faibles s'aigrissent.

Chez les anciens, un vin passait pour nouveau les cinq premières années ; il était de moyen âge les cinq autres, et on ne le regardait comme vieux que lorsqu'il avait dix ans ; encore s'en buvait-il qui ne commençait à être de moyen âge qu'à quinze ans. Quelques auteurs font même mention de vins qui avaient cent et deux cent feuilles. Mais il faut remarquer que les anciens pour conserver leurs vins si longtemps, les faisaient épaissir jusqu'à consistance de miel, quelquefois même jusqu'à leur laisser prendre une telle dureté, en les exposant à la fumée dans des outres ou peaux de boucs, qu'on était obligé pour se servir de ces vins, de les raper avec un couteau. Souvent aussi par une certaine façon qu'on leur donnait pour les empêcher de se gâter, quand ils étaient encore assez clairs, on les laissait s'épaissir d'eux-mêmes avec le temps. Tous ces vins épais contractaient dans la fuite une amertume insupportable ; mais comme en s'épaississant ils se réduisaient à une fort petite quantité, et qu'en même temps ils étaient si forts, qu'on s'en servait pour donner goût aux autres ; ils se vendaient extrêmement cher. Leur amertume et leur épaisseur étaient cause qu'il fallait employer beaucoup d'eau, tant pour les délayer que pour rendre leur goût supportable.

Il est facîle de juger qu'une once de ces vins délayée dans une pinte d'eau y conservait encore de sa vertu ; aussi y en avait-il dans lesquels il fallait mettre vingt parties d'eau sur une de vin.

6°. Quant à la seve qui est ce qui fait la force du vin, on distingue le vin en vineux et en aqueux. Le premier est celui qui porte bien de l'eau, et le second celui qu'un peu d'eau affoiblit. Le vin vineux nourrit davantage ; l'aqueux nourrit moins. Le premier est sujet à troubler la tête ; le second est plus ami du cerveau, et convient mieux aux gens de lettres.

A l'égard du pays, nous avons les vins de Grèce, d'Italie, d'Espagne, d'Allemagne et de France.

Des vins de Grèce, d'Italie, d'Espagne, d'Allemagne et de France. Les vins de Crète et de Chypre sont les deux vins de Grèce le plus généralement estimés.

Le meilleur vin d'Italie est celui qui croit au pied du mont Vésuve, et qui est vulgairement appelé lacrima Christi. Il est d'un rouge vif, d'une odeur agréable, d'une saveur un peu douce, et il passe aisément par les urines.

Un des plus renommés après celui-là, est le vin d'Albano : il y en a de rouge et de blanc. Ils conviennent l'un et l'autre aux sains et aux infirmes ; ils facilitent la respiration, et excitent les urines.

Le vin de Monte-Fiascone ne cede point à celui d'Albano pour l'excellence du gout.

Le vin de Vicence, capitale d'un petit pays appelé le Vicentin dans l'état de Venise, est un vin innocent dont les goutteux boivent sans en ressentir aucune incommodité.

Les vins de Rhétie, qui croissent dans la vallée Télivienne, sont riches et délicieux ; ils sont rouges comme du sang, doux, et laissent un goût quelque peu austère sur la langue.

Les vins qu'on nous envoie d'Espagne, sont non seulement différents des autres par la qualité qu'ils tiennent du climat, mais encore par la manière dont on les fait ; car on met bouillir sur un peu de feu le suc des raisins dès qu'il a été tiré, puis on le verse dans des tonneaux, où on le laisse fermenter ; mais comme il a été dépouillé par le feu d'une partie considérable de son phlegme, ce qui a empêché les sels de se développer assez par la fermentation pour pouvoir diviser exactement les parties sulfureuses, il arrive que les soufres n'en sont qu'à demi raréfiés, et qu'embarrassant les pointes des sels, ils ne leur laissent que la liberté de chatouiller doucement la langue : ce qui est cause que ces sortes de vins ont une consistance de syrop et un goût fort doux ; mais l'usage fréquent en est dangereux. Ces vins ne se doivent boire qu'en passant et en fort petite quantité, seulement pour remédier à certaines indispositions d'estomac, que l'usage commun des vins ordinaires est quelquefois incapable de corriger.

On compte entre les excellents vins d'Espagne, le vin de Canarie, qui croit aux environs de Palma. Le vin de Malvaisie est fait avec de gros raisins ronds, et se conserve si longtemps, qu'on peut le transporter dans toutes les parties du monde. Le vin de Malaga est beaucoup plus gras que celui de Canarie. Le vin d'Alicante, dans le royaume de Valence, est rouge, épais, agréable au gout, et fortifie l'estomac. Celui auquel on donne communément le nom de tinto, ou de vin couvert, ne diffère en rien du précédent.

L'Allemagne n'est pas également fertîle en bons vins, il n'y a que la partie méridionale ; et l'on voit même en consultant la carte, que toutes les régions situées à plus de 51 degrés d'élévation du pôle, sont stériles en bons vins, parce que dans les pays voisins du septentrion, l'air est moins subtil, la terre moins remplie de soufre, et le soleil trop faible.

Entre les vins d'Allemagne, ceux du Rhin et de la Moselle tiennent le premier rang. Ils renferment un soufre très-fin, et un acide très-délié, beaucoup d'esprit éthéré, une suffisante quantité de phlegme, et très-peu de terre : ce qui les rend sains et diurétiques.

On dira peut-être qu'ils contiennent beaucoup d'acide tartareux, comme on le reconnait par la distillation, et que par conséquent ils doivent être ennemis des nerfs ; mais il faut remarquer que l'acide du vin du Rhin n'est point un acide grossier, un acide fixe et corrosif, mais un acide de toute une autre nature par le mélange d'un soufre subtil qui le corrige ; car il n'y a rien qui adoucisse et qui modifie plus les acides que le soufre. D'ailleurs, s'il y a de l'acide dans le vin du Rhin, cet acide même en fait le mérite ; car il sert à en briser les soufres, qui sans cela se porteraient avec trop de violence dans le sang, et pourraient troubler les fonctions. Les vins de Hongrie contiennent au lieu d'acide tartareux, des parties extrêmement subtiles et spiritueuses, qui sont propres à rétablir les forces, et à détruire les humeurs crues du corps : ce sont des vins singulièrement estimés.

Les principaux vins de France sont ceux d'Orléans, de Bourgogne, de Gascogne, de Languedoc, de Provence, d'Anjou, de Poitou, de Champagne, etc.

Les vins d'Orléans sont vineux et agréables ; ils n'ont ni trop ni trop peu de corps ; ils fortifient l'estomac ; mais ils portent à la tête, et ils enivrent aisément. Pour les boire bons, il faut qu'ils soient dans leur seconde année.

Les vins de Bourgogne sont la plupart un peu gros, mais excellents. Ils ont pendant les premiers mois quelque chose de rude, que le temps corrige bientôt. Ils sont nourrissants ; ils fortifient l'estomac, et portent peu à la tête.

Les vins de Gascogne sont gros et couverts, peu astringens néanmoins. Ils ont du feu sans porter à la tête, comme les vins d'Orléans. Ceux de Grave qui croissent auprès de Bordeaux, et qu'on nomme ainsi à cause du gravier de leur terroir, sont fort estimés, quoiqu'ils aient un goût un peu dur. Le vin rouge de Bordeaux est austère ; il fortifie le ton de l'estomac ; il ne trouble ni la tête ni les opérations de l'esprit ; il soufre les trajets de mer, et se bonifie par le transport ; c'est peut-être le vin de l'Europe le plus salutaire.

Les vins d'Anjou sont blancs, doux et fort vineux. Ils se gardent assez longtemps, et sont meilleurs un peu vieux.

Les vins de Champagne sont très-délicats : ce qui est cause qu'ils ne portent presque point d'eau, et nourrissent peu. Ils exhalent une odeur subtîle qui réjouit le cerveau. Leur goût tient le milieu entre le doux et l'austère. Ils montent aisément à la tête, et passent facilement par les urines. Ceux de la côte d'Aï sont les plus excellents.

Les vins de Poitou ont de la réputation par le rapport qu'ils ont avec les vins du Rhin ; mais ils sont plus cruds.

Les vins de Paris sont blancs, rouges, gris, paillets, faibles et portant peu l'eau.

Les vins de Roanne flattent le goût ; ils croissent sur des coteaux, dont la plupart regardent ou l'orient ou le midi : ce qui ne peut que les rendre excellents.

Les vins de Lyon qui croissent le long du Rhône, connus sous le noms de vins de rivage, sont vigoureux et exquis. Ceux de Condrieux surtout sont loués pour leur bonté.

Les vins de Frontignan, de la Cioutat, de Canteperdrix, de Rivesalte, sont comparables aux vins de Saint-Laurent et de Canarie. Ils ne conviennent point pour l'usage ordinaire, et ils ne sont bons que lorsqu'il s'agit de fortifier un estomac trop froid, ou de dissiper quelque colique causée par des matières crues et indigestes. On en use aussi par régal, comme on use des vins d'Espagne.

Ces vins contiennent une grande quantité de sels, beaucoup de soufre et peu de phlegme : ce qui vient de la façon qu'on donne au raisin dont on les fait. On en tord la grappe avant de la cueillir, et on la laisse ainsi quelque temps se cuire à l'ardeur du soleil, qui enlève une bonne partie de l'humidité ; en sorte que leur suc trop dépouillé de son phlegme ne peut ensuite fermenter entièrement ; d'où il arrive qu'il retient une douceur et une épaisseur à-peu-près semblable à celle des vins d'Espagne.

Pour ce qui est de l'année, il faut y avoir beaucoup d'égard, si l'on veut juger sainement de la qualité d'un vin. Celui de Beaune, par exemple, demande une saison tempérée, et celui de Champagne veut une saison bien chaude. Le premier est sujet à s'engraisser quand les chaleurs ont été grandes, et le second demeure verd après un été médiocre ; il en est de même des autres vins ; mais le détail en serait inutile.

Des principes des vins. Les vins diffèrent les uns des autres par rapport au gout, à l'odeur et aux autres vertus, selon la proportion et le mélange des élements qui les constituent. Ceux qui contiennent une grande quantité d'esprit inflammable, enivrent et échauffent ; mais ceux en qui les parties phlegmatiques ou tartareuses aigrelettes dominent, sont laxatifs et diurétiques, et n'affectent pas aisément la tête. Les vins qui contiennent une grande quantité de substance oléagineuse et sulfureuse, comme sont tous les vins vieux, sont d'un jaune extrêmement foncé, d'un goût et d'une odeur forte ; et comme ils ne transpirent pas aisément, ils restent longtemps dans le corps, et le dessechent.

On trouve encore dans les vins qui n'ont pas suffisamment fermenté, surtout dans ceux de Frontignan, de Canarie et de Hongrie, un autre élément ou principe essentiel, savoir une substance douce, oléagineuse, tempérée et visqueuse, qui les rend non-seulement agréables au gout, mais encore nutritifs et adoucissants.

Il y a des vins qui contiennent un soufre doux et subtil, au lieu que les autres n'ont qu'un soufre grossier moins agréable au gout. Les vins de Hongrie, par exemple, et du Rhin contiennent un esprit beaucoup plus agréable, et un soufre plus doux et plus subtil que ceux de France ; de-là vient que l'odeur seule du vin du Rhin, lorsqu'il est vieux et de bonne qualité, ranime les esprits.

Le principe tartareux varie aussi, selon les vins : les uns, comme ceux de Provence, contiennent une grande quantité de tartre grossier, et les autres, comme celui du Rhin, un tartre plus délié ; quelques-uns, comme ceux de Marseille, contiennent un tartre nitreux légérement amer : ce qui les rend laxatifs et diurétiques.

La couleur des vins dépend du principe oléagineux et sulfureux qui se résout et se mêle intimément avec leurs parties, à l'aide du mouvement fermentatif intestin ; d'où il suit qu'elle doit être d'autant plus foncée, que le vin contient une plus grande quantité d'huile.

Tous les vins rouges en général ont un goût et une vertu astringente, non-seulement à cause qu'on les laisse longtemps infuser avec les pellicules rouges du raisin, mais encore avec leurs pepins, dont le goût est manifestement astringent ; aussi extraient-ils le principe astringent de ces deux substances pour se l'approprier.

Du climat, soleil et autres causes qui contribuent à la bonté des vins. Les pays situés entre le 40 et le 50 degré de latitude, comme la Hongrie, l'Espagne, le Portugal, l'Italie, la France, une grande partie de l'Allemagne, l'Autriche, la Transylvanie, et une grande partie de la Grèce, produisent les meilleurs vins, parce que ces régions sont beaucoup plus exposées au soleil que les autres.

L'expérience prouve encore que les vins qui croissent sur des montagnes situées sur les bords des rivières, sont les meilleurs ; car la bonté des vins ne dépend pas seulement de l'influence du soleil, mais aussi de la nourriture que les raisins reçoivent. Or comme les montagnes sont exposées à la rosée, qui est beaucoup plus abondante aux environs des rivières que par-tout ailleurs, et que celle-ci renferme une eau subtîle et un principe éthéré, il n'est pas étonnant qu'elle fournisse une nourriture convenable pour les vignes. Les vignes ont encore besoin de pluie ; car les rosées ne suffisent pas pour les nourrir.

La nature du terroir contribue beaucoup à la bonté du vin ; l'on observe que les meilleurs ne croissent point dans les terres grasses, argilleuses, grossières et noirâtres, mais dans celles qui abondent en pierres, en sable, en craie ; car ces dernières, quoique stériles en apparence, conservent longtemps la chaleur du soleil, qui échauffe les racines des vignes, et donne moyen à la nourriture de se distribuer dans toutes les parties de la plante.

Ajoutez à cela que les eaux qui circulent dans ces sortes de terrains, s'atténuent, se filtrent, et se débarrassent de leurs parties les plus grossières, au moyen de quoi le suc nourricier de la plante devient plus pur.

On ne doit donc pas douter que la nature du soleil ne contribue infiniment à varier les gouts du vin, et à lui donner une qualité bonne ou malfaisante, puisque des cantons situés sur la même montagne, également exposés au soleil, et qui portent des vignes de même espèce, produisent des vins tout à fait différents par rapport à la salubrité, au goût et à la qualité. La salubrité des vins de Tokai et de Hongrie dépend de la subtilité de la nourriture que les vignes reçoivent, aussi bien que le principe aérien et éthéré qui se mêle avec leur suc.

Des effets du vin pris immodérément et modérément. Tout vin est composé de sel, de soufre, d'esprit inflammable, d'eau, de terre, et ce n'est qu'aux diverses proportions et aux divers mélanges de ces principes qu'il faut attribuer les différentes qualités des vins. Ceux de ces principes qui dominent le plus dans tous les vins, sont le sel et l'esprit ; l'esprit qui est le principe le plus actif, fait la principale vertu des vins : c'est ce qui les rend capables de donner de la vigueur, d'aider à la digestion, de réjouir le cerveau, de ranimer les sucs ; mais comme le propre de cet esprit est de se raréfier dans les différentes parties où il se porte, et d'y faire raréfier les liqueurs qu'il y trouve, il arrive que lorsqu'il est en trop grande abondance, il dilate les parties outre mesure : ce qui fait qu'elles n'agissent plus avec la même aisance qu'auparavant ; en sorte que l'équilibre qui règne entre les solides et les fluides, doit se déranger ; c'est ce qu'on voit arriver à ceux qui boivent trop de vin ; leur tête appesantie, leurs yeux troubles, leurs jambes chancelantes, leurs délires ne prouvent que trop ce désordre ; mais sans boire du vin jusqu'à s'exposer à ces accidents, il arrive toujours lorsqu'on en bait beaucoup, que les membranes et les conduits du cerveau plus tendus qu'ils ne doivent être, tombent enfin par cet effort réitéré dans un relâchement qui ne leur permet plus de reprendre d'eux-mêmes leur première action : ce qui doit nécessairement interrompre les secrétions, et porter beaucoup de dommage au corps et à l'esprit. Mais le vin pris avec modération est une boisson très-convenable à l'homme fait. Il aide à la digestion des aliments, répare la dissipation des esprits, résout les humeurs pituitaires, ouvre les passages des urines, corrige la bile, augmente la transpiration et la chaleur naturelle trop languissante.

Le grand froid gèleles vins. Tout le monde sait qu'il n'y a point de vin qui ne gèlepar l'âpreté du froid. Sans parler de l'année 1709, dont quelques personnes peuvent encore se souvenir, l'histoire des temps antérieurs nous en fournit bien d'autres exemples.

En 1543 Charles V. voulant reprendre Luxembourg que François I. lui avait enlevé, le fit assiéger dans le fort de l'hiver, qui était, dit Martin du Bellay, l. X. fol. 478. le plus extrême qu'il fût, vingt ans au précédent. Le roi ne voulant en façon quelconque perdre rien de sa conquête, dépêcha le prince de Melphes pour aller lever le siege. Les gelées, ajoute-t-il, furent si fortes tout le voyage, qu'on départait le vin de munition à coups de coignée, et se débitait au poids, puis les soldats le portaient dans des paniers.

Philippe de Comines, l. II. c. xiv. parlant d'un pareil froid arrivé de son temps, en 1469, dans le pays de Liege, dit expressément, que par trois jours fut départi le vin, qu'on donnait chez le duc pour les gens de bien qui en demandaient, à coups de coignée, car il était gelé dedans les pipes, et fallait rompre le glaçon qui était entier, et en faire des pièces que les gens mettaient en un chapeau ou en un panier, ainsi qu'ils voulaient.

Ovide parle d'un semblable événement de son temps : voici ses termes.

Nudaque consistunt formam servantia testae

Vina, nec hausta meri, sed data frusta bibunt.

Trist. l. III. éleg. Xe vers. 23.

Le vin glacé retient la forme du tonneau, et ne se bait pas liquide, mais distribué en morceaux.

On ne savait pas alors qu'un jour la Chimie tenterait de perfectionner les vins, par le moyen de la gelée ; c'est une expérience très-curieuse, imaginée par Stahl, et sur laquelle Voyez VIN, Chimie. (D.J.)

VIN, (Chimie) Méthode pour faire des vins artificiels. La chimie enseigne l'art de changer en vin le suc naturel des végétaux.

Prenez une centaine de grappes de raisins de Malaga non écrasé, avec environ 28 pintes d'eau de source froide ; mettez le tout dans un vaisseau de bois, ou dans un tonneau à moitié couvert, placé dans un lieu chaud, afin que ce qu'il contient puisse y fermenter pendant quelques semaines. Après quoi vous trouverez que l'eau qui aura pénétré à travers la peau des raisins, aura dissout leur substance intérieure, douce et sucrée, et s'en sera chargée comme un menstrue ; vous verrez aussi un mouvement intérieur dans les parties de la liqueur, qui se manifestera par un nombre infini de petites bulles, qui s'éléveront à la surface avec un sifflement considérable. Quand la fermentation sera finie, cette liqueur deviendra du vin effectif, dont on pourra juger aisément par son gout, son odeur et ses effets. Elle déposera au fond du tonneau une grande quantité de sédiment grossier et terrestre, connu sous le nom de lie, différent de l'enveloppe ou de la peau, et des sables qui se trouvent autour des raisins.

Cette expérience est universelle, et indique la méthode générale pour faire, par la fermentation, des vins de toute espèce, et toutes les autres liqueurs ou boissons spiritueuses.

En effet, avec un léger changement dans les circonstances, on peut l'appliquer à la brasserie de la bière faite avec le malt ; à l'hydromel fait avec le miel ; au cidre et au poiré qu'on fait avec des pommes et des poires.

On fait aussi de la même manière des vins qu'on appelle artificiels, avec des cerises, des groseilles, des raisins de Corinthe, des baies de sureau, des mûres sauvages, des oranges, et plusieurs autres fruits ; des sucs de certains arbres, comme le bouleau, l'érable, le sycomore, etc. et de meilleur encore, du jus de canne de sucre, de son syrop, ou du sucre même avec de l'eau. Tous les sucs de ces végétaux, après avoir bien fermenté, fournissent conformément à leurs différentes natures, du vin aussi pur que les grappes les plus abondantes des meilleurs vignobles.

Pour former de ces différents sucs un vin parfait, la règle est de les faire évaporer, s'ils sont naturellement trop clairs et trop légers, jusqu'à ce qu'ils deviennent semblables au suc des raisins ; on peut faire cette expérience très-aisément, par le moyen du pese-liqueur ordinaire. Cet instrument montre évidemment la force de la dissolution ; car en général, tout suc ou dissolution végétale est regardée comme suffisamment chargée pour faire un vin très-fort, quand elle soutient un œuf frais à sa surface.

La chimie nous enseigne à imiter les marchands de vin, en ôtant au suc du raisin presque toute sa douceur, ou son acidité, pour rendre les vins d'une meilleure qualité ; ceux même de Canarie, des montagnes d'Andalousie ou d'Oporto : on falsifie souvent ces vins dans le transport, quoique la base de tous soit le suc du raisin.

Ce suc examiné et considéré chymiquement, n'est cependant autre chose qu'une grande quantité de suc réel, dissous dans l'eau avec un certain montant propre au suc du raisin, conformément à la nature du vin. Cette observation nous sert à établir comme un axiome, et le résultat d'un examen exact et suivi, qu'une substance sucrée est la base de tous les vins ; car le sucre n'est pas particulier à la canne de sucre, puisqu'on en retire aussi du raisin : on en trouve même souvent des grains assez gros dans les raisins secs, particulièrement dans ceux de Malaga lorsqu'ils ont été quelque temps enfermés, et pressés les uns contre les autres ; on y trouve aussi du sucre candi, une efflorescence sucrée, et des grains de sucre effectifs.

On fait en France une confiture connue sous le nom de résiné, en évaporant simplement le suc du raisin, jusqu'à ce qu'il soit capable de se coaguler par le froid ; et lorsqu'il est dans cet état, on en use comme d'un sucre mollasse. Il en est de même du malt, ou mout de bière qu'on peut employer de la même façon, ainsi que les sucs doux de tous les végétaux, qui fournissent du vin par la fermentation.

Nous pouvons tirer de ces expériences, des règles pour obtenir la matière essentielle des vins sous une forme concrete, soit en la faisant bouillir, soit par quelqu'autre moyen, de manière qu'on la conserve sans qu'elle s'aigrisse, pendant plusieurs années. De cette façon on pourrait faire des vins, des vinaigres et des eaux-de-vie de toute espèce, même dans les pays où l'on ne cultive point de vignes. Cette découverte nous éclaire aussi sur la nature réelle et les usages de la fermentation spiritueuse et acide.

Pour confirmer encore davantage cette découverte, prenez 250 livres de sucre royal ; mettez-les dans une cuve tenant deux muids ; remplissez-la d'eau de source, jusqu'à 16 pintes ou environ du bord ; mettez-la ensuite dans un lieu chaud, ou dans un cellier ; ajoutez-y 3 ou 4 livres de levure de bière fraiche, faite sans houblon, ou plutôt d'écume de vin nouveau : la liqueur en peu de mois fermentera, et produira de fort bon vin sans couleur et sans odeur ; mais susceptible de prendre l'une ou l'autre, telle qu'on voudra la lui donner. Par exemple, avec la teinture de tournesol on en fera du vin rouge, et avec un peu d'huîle essentielle on lui donnera l'odeur qu'on jugera à-propos. Cette expérience a été tentée avec succès, et peut servir de méthode pour faire des vins dans les colonies de l'Amérique, et partout ailleurs où il croit beaucoup de sucre. Ces vins pourraient le disputer en bonté aux vins de France, d'Italie et d'Espagne, si la nature de la fermentation était parfaitement connue ; on pourrait même abréger ce procédé avec le temps, et l'on en retirerait encore d'autres avantages.

L'usage de cette expérience peut devenir utîle au commerce, et aux besoins ordinaires de la vie. Elle nous apprend d'abord que la substance qui fermente dans chaque matière susceptible de fermentation, est très-peu de chose en comparaison de la quantité de vin qu'elle fournit. Nous voyons, par exemple, que quatre livres de raisins peuvent être délayées dans huit pintes d'eau, y fermenter, et faire encore un vin assez fort. Cependant les raisins eux-mêmes contiennent une grande quantité d'eau, outre leur substance sucrée ; cette substance devient du sucre effectif, lorsqu'elle est réduite sous une forme seche. Si on veut connaître exactement la nature, les usages et les moyens de perfectionner la fermentation spiritueuse et acide, on ne saurait mieux faire que de choisir le sucre pour la matière de ses expériences. Son analyse démontre évidemment les principes essentiels à cette opération. Ces principes paraissent être un sel acide, une huîle et de la terre, unis si intimement ensemble, qu'ils sont capables de se dissoudre parfaitement dans l'eau.

Recomposition du vin. Comme on peut récomposer le vinaigre avec son résidu, on peut pareillement faire la récomposition du vin après qu'il a perdu son esprit par la dissolution. On exécute l'une et l'autre récomposition par le moyen d'un nouveau bouillonnement, ou d'une légère fermentation. Si l'opération dans ces deux cas, est faite par un artiste habile, la récomposition doit être exacte. Pour la bien faire dans l'une ou l'autre de ces circonstances, il faut avoir soin d'employer une substance intermédiaire qui leur soit propre, c'est-à-dire que cette substance doit être susceptible de fermentation, ou même dans un état de fermentation actuelle. Par exemple, un peu du vin nouveau, du sucre, le jus des grappes de raisins, etc. parce que ces matières venant à travailler dans la liqueur, saisissent ses parties aqueuses, spiritueuses et salines, de manière à les mêler ensemble, selon l'ordre ou l'arrangement qui leur convient : c'est de ces circonstances que dépend la perfection des vins et vinaigres. On n'a pas encore examiné jusqu'ici avec assez de soin jusqu'où pouvait s'étendre cette méthode de récomposition.

Procédé pour réduire les sucs des végétaux dans un état propre à fournir du vin. Passons à la méthode de réduire les sucs des végétaux dans un état propre à fournir du vin, du vinaigre, de l'eau-de-vie ; à faire du mout ou du vin doux, aussi bon que le naturel, capable de fermenter à volonté, de bouillir, et de se clarifier de manière à pouvoir en faire du vin, du vinaigre et des esprits inflammables.

Prenez trois livres de sucre blanc en pain, bien épuré de son syrop ; faites-les fondre dans trois pintes d'eau pure ; ajoutez-y ensuite, lorsqu'elle bouillira, une demi-once de bon tartre de vin du Rhin pulvérisé : il s'y dissoudra bientôt avec une effervescence marquée, et communiquera à la liqueur une acidité agréable : ôtez pour lors de dessus le feu le vaisseau qui la contiendra, et laissez-la refroidir. Vous aurez par ce procédé un mout qui à tous égards sera parfaitement semblable au suc naturel et doux d'un raisin blanc qui n'aurait point d'odeur. Après que ce suc a été bien purifié et soutiré plusieurs fois de son sédiment ; si l'on falsifiait ce mout artificiel, c'est-à-dire qu'on le mutât, ou qu'on le fumât avec du sucre brulant, il ferait un mout parfait auquel l'artiste pourrait donner l'odeur et le goût qu'il voudrait.

Cette expérience est si importante, qu'elle mériterait presque un traité exprès pour expliquer les usages auxquels elle peut être propre. Elle fournit un grand nombre d'instructions pour perfectionner l'art de faire l'hydromel, le mout, le vin, le vinaigre et les esprits inflammables. Elle nous en donne aussi de très-utiles pour connaître la nature des sucs doux et aigres des végétaux, et la façon de les imiter par le moyen de l'art.

Cette expérience fut d'abord faite d'après l'analyse du suc du raisin avant qu'il eut fermenté. Ce suc ne parait aux sens qu'une substance sucrée, dissoute dans l'eau avec l'addition d'un acide tartareux. Cette observation est pleinement confirmée par l'examen que la Chimie en a fait. Il était donc fort aisé de concevoir que si le tartre qui est le sel naturel du vin, ou de tout autre suc doux tiré des végétaux, après qu'ils ont subi la fermentation, pouvait être dissout par le moyen de l'art dans un mélange convenable d'eau et de sucre, ce composé aurait une parfaite ressemblance avec le vin ordinaire. Dans l'essai qu'on en fit, on trouva que le tartre pouvait se dissoudre, de manière à communiquer au sucre une acidité agréable, et à imiter dans un grand degré de perfection le suc doux et naturel des végétaux, sans avoir à la vérité leur odeur particulière. L'expérience qu'on en a faite sert par conséquent à nous faire découvrir en quoi consiste la nature, l'usage et la perfection de l'art de faire des liqueurs douces.

Par une liqueur douce nous entendons un sel végétal quelconque, soit qu'on l'ait obtenu par le moyen du sucre ou du raisin, soit qu'on l'ait retiré de quelqu'un de nos fruits, ou de quelque fruit étranger. On ajoute ce suc aux vins à dessein de les rendre meilleurs. Nous voyons par cette définition que l'art de faire ces liqueurs pourrait acquérir un grand degré de perfection en faisant usage de sucre bien épuré, parce que c'est une substance douce extrêmement saine. Cette méthode serait préférable à ces mélanges sans nombre de miel, de raisin, de syrop, de cidre, etc. dont les distillateurs fournissent les marchands de vin pour augmenter ou perfectionner leurs vins. En effet, en mettant du sucre purifié dans du vin faible, il le fait fermenter de nouveau, le rend meilleur, et lui donne le degré convenable de forces et d'esprits ; si le vin qu'on veut perfectionner d'après cette méthode, est naturellement piquant, il ne faut point ajouter de tartre au sucre ; il n'est à propos de se servir de tartre que lorsque le vin est trop doux ou trop fade.

L'expérience présente n'est pas moins utîle pour perfectionner l'art du mout. Nous désirerions donc que les commerçans fissent réflexion que par-tout où l'on transporte du sucre, l'on y porte en même temps du mout, du vin, du vinaigre et de l'eau-de-vie sous une forme solide ; c'est-à-dire la matière qui constitue ces substances, puisqu'en ajoutant simplement de l'eau au sucre, on peut préparer promptement ces différentes liqueurs. En effet, il n'est nullement nécessaire que le sucre soit transporté et vendu sous une forme liquide pour en faire du mout, du vin, etc. parce qu'il est très-aisé d'y ajouter du tartre et de l'eau dans quelque port que ce soit que l'on débarque.

Notre expérience nous enseigne aussi un moyen de perfectionner l'art de faire du vin en réduisant la substance qui le compose à un très-petit volume pour en faire du mout, en y joignant de l'eau à mesure qu'on en aurait besoin dans quelque climat que ce put être ; on pourrait ensuite teindre ce mout ou l'impregner de la couleur et de l'odeur qu'on jugerait à propos ; après quoi on le ferait fermenter pour en faire du vin de toutes les espèces possibles. C'est ainsi qu'on peut mêler quelques gouttes d'huîle essentielle de muscade ou de canelle avec du sucre de la manière dont on fait l'elaeo-saccharum ; si on jette ensuite ce mélange sur notre mout artificiel, le vin acquerra une odeur et un goût très-agréable. On peut encore retirer une huîle essentielle de la lie de quelque vin en particulier et l'introduire dans notre mout artificiel de la même manière qu'on vient de le décrire, alors le vin prendra l'odeur et le montant du vin naturel que cette lie aura fourni, sans les mauvaises qualités qu'elle peut avoir contractées dans le tonneau : en effet, le mout artificiel n'a point de montant, ni de couleur qui lui soit propre, mais il les acquiert promptement, et l'on peut lui communiquer l'un ou l'autre à volonté par le moyen de l'art.

Cette expérience peut encore nous conduire plus loin, et devenir très-utîle en nous donnant une méthode pour faire du vin concentré, très-fort, capable de donner du corps en peu de temps à des vins faibles ; ou pour faire promptement du vin dans un besoin pressant où l'on en manquerait, en le mêlant simplement avec de l'eau.

De la clarification des vins. Il y a plusieurs moyens de clarifier les liqueurs vineuses qui ont subi la fermentation, afin de les rendre promptement limpides et propres aux différents usages de la vie.

Prenez une once de belle colle de poisson réduite en poudre grossière ; faites-la dissoudre en la faisant bouillir dans une pinte d'eau ; lorsqu'elle sera dissoute, ôtez-la de dessus le feu ; laissez-la refroidir, et vous aurez une gelée épaisse : prenez pour lors un peu de cette gelée, fouettez-la avec des verges dans une petite portion du vin que vous avez dessein de clarifier, jusqu'à ce qu'elle soit toute en écume ; après quoi jetez cette mousse dans le tonneau, agitez-la pendant quelque temps afin qu'elle se mêle bien avec le vin ; ensuite bouchez bien le tonneau avec son bondon, et le laissez en repos. Par cette méthode le vin devient clair ordinairement en huit ou dix jours.

Ce procédé convient mieux aux vins blancs qu'aux vins rouges. Les marchands de vin emploient communément le blanc d'œuf fouetté, et le mêlent ensuite avec leurs vins de la même manière qu'on a indiqué pour la colle de poisson. Telles sont les deux méthodes ordinaires pour clarifier les vins.

La raison physique de cette clarification est que les substances qu'on emploie à cet usage sont visqueuses ou gélatineuses ; par ce moyen elles se mêlent aisément avec la lie et les ordures légères qui flottent dans le vin ; elles forment aussi une masse spécifiquement plus pesante que le vin ; cette masse traverse tout le liquide, Ve à fond, et emporte avec elle, comme une espèce de filet, toutes les parties hétérogènes qu'elle a rencontrées dans son chemin. Mais quand le vin est extrêmement fort, de façon que sa gravité spécifique se trouve plus considérable que la masse formée par le blanc d'œuf, ou la colle de poisson jointe avec la lie, cette masse s'élève à la surface et flotte sur le vin, ce qui produit le même effet.

Le principal inconvénient de cette méthode est sa lenteur ; car il lui faut une semaine au moins, pour avoir son effet, et quelquefois quinze jours, selon que le temps se trouve plus ou moins favorable, nébuleux, clair, venteux ou calme, ce qui pourrait être la matière d'une observation suivie ; mais les marchands de vin auraient souvent besoin d'un procédé qui rendit leurs vins propres à être bus en très-peu d'heures ; il y en a certainement un lequel n'est connu que d'un petit nombre de personnes qui en font un très-grand secret : peut-être ne dépend-il que de l'usage prudent d'un esprit-de-vin tartarisé joint aux substances ordinaires propres à la clarification. Ces substances n'y servent même que d'accessoire, et on leur ajoute du gypse ou de l'albâtre calciné, comme le principal agent : on remue bien le tout ensemble dans le vin pendant une demi-heure, après quoi on le laisse reposer.

On peut employer de même le lait écumé pour clarifier tous les vins blancs, les eaux-de-vie d'arack et les esprits-de-vin faibles ; mais on ne peut pas s'en servir pour les vins rouges, parce qu'il leur enlève leur couleur. Ainsi en mettant quelques pintes de lait bien écumé dans un muid de vin rouge, il précipitera aussi-tôt la plus grande partie de sa couleur, et la liqueur deviendra beaucoup plus pâle, ou même plus blanche. C'est par cette raison qu'on fait quelquefois usage de ce procédé pour convertir en vin blanc du vin rouge qui est trop piquant, parce que ce petit degré d'acidité ne s'y aperçoit pas tant. Cette propriété du lait sert encore pour les vins blancs, à qui le tonneau a communiqué une couleur brune, ou qu'on a fait bouillir promptement avant qu'ils eussent fermenté ; car dans ce cas, l'addition d'un peu de lait écumé, précipite aussi-tôt la couleur brune, et rend le vin presque limpide, ou lui donne ce que les marchands de vin appellent une blancheur d'eau. Cette limpidité est ce qu'on désire le plus dans les pays étrangers, tant dans les vins blancs que dans les eaux-de-vie.

Il est à propos d'observer ici que tous les vins, les liqueurs maltées, et les vinaigres qui ont été faits avec soin, et dont la qualité est parfaite dans leur espèce, se clarifient d'eux-mêmes en les laissant simplement en repos : s'ils ne s'éclaircissent pas dans une espace de temps raisonnable, c'est une marque qu'ils se gâtent, c'est-à-dire qu'ils sont trop aqueux, ou trop acides, ou trop alkalins, ou qu'ils tendent à la putréfaction, ou qu'ils ont quelqu'autre défaut semblable. Tous ces cas peuvent proprement s'appeler les maladies des vins, dont nous parlerons. Il y a des remèdes convenables pour ces maladies, qu'il faut employer, afin qu'ils se clarifient ensuite naturellement.

Des moyens de colorer les vins en rouge. Voici la méthode de colorer, sans employer d'autres vins, les vins blancs en vins rouges, et de redonner de la couleur aux vins rouges qui l'ont perdue par la trop grande vieillesse.

Prenez quatre onces de ce qu'on appelle communément drapeau de tournesol ; mettez-les dans un vaisseau de terre, versez dessus une pinte d'eau bouillante, couvrez bien le vaisseau, et laissez-le refroidir ; après cela passez la liqueur dans un filtre, vous la trouverez d'un rouge très-foncé, tirant un peu sur le pourpre ; en mêlant une petite portion de cette liqueur dans une grande quantité de vin blanc, elle lui communiquera une belle couleur rouge brillante.

On peut mêler cette teinture avec de l'eau-de-vie ou avec du sucre, pour en faire un syrop propre à être conservé. Le procédé ordinaire des marchands de vin en gros et des cabaretiers est de faire infuser ces drapeaux à froid dans le vin qu'ils veulent colorer, pendant l'espace d'une nuit au plus : alors ils les tordent avec les mains. Mais l'inconvénient de cette méthode est qu'elle donne au vin un goût desagréable, ou ce qu'on appelle vulgairement le goût de drapeau. Par cette raison, les vins colorés passent ordinairement parmi les connaisseurs pour des vins pressés. En effet ils ont tous généralement le goût de drapeau.

La méthode de faire infuser les drapeaux dans de l'eau bouillante n'est pas sujette à cet inconvénient, parce que l'eau se charge de l'excès de la teinture qui pourrait préjudicier au vin. Si l'on en fait un syrop ou qu'on la mêle avec de l'eau-de-vie, il en résulte le même effet, parce que la couleur est délayée ou affoiblie ; par ce moyen il n'y a qu'une très-petite portion de cette couleur (la juste dose dont on a besoin) qui soit employée avec une très-grande quantité des autres substances qu'on y ajoute.

On voit par tout ce que nous venons de dire, que la méthode de colorer les vins est sujette à de grands inconvénients dans les climats qui ne fournissent point de ce raisin rouge, qui donne un jus couleur de sang, dont on se sert souvent pour teindre les vins de France. A son défaut, les marchands de vins font quelquefois usage du suc de baie de sureau ou de bois de campêche à Oporto, quand leurs vins ne sont pas naturellement assez rouges, car il semble qu'il faut qu'ils aient cette couleur pour pouvoir les vendre.

La couleur qu'on obtient par le moyen de notre expérience n'est pas proprement celle du vin d'Oporto, mais celle des vins de Bordeaux : elle ne convient pas si bien aux vins de Portugal ; aussi les marchands de vins des pays étrangers sont-ils souvent fort embarrassés, faute de couleur qui soit propre à leurs vins rouges dans les mauvaises années. Nous leur conseillons dans ce cas de faire usage d'un extrait, en faisant bouillir un bâton de laque dans l'eau : il donne à l'eau une belle couleur rouge qui n'est pas fort chère, et qui peut être la véritable couleur du vin d'Oporto. Si cette méthode ne leur réussit pas, on pourrait essayer de faire une espèce de laque avec des raisins de teinte. La cochenille pourrait encore être employée à cet usage, quoiqu'elle perde cependant un peu de sa couleur lorsqu'on la mêle avec des vins acides. Les baies de sureau donnent une couleur assez passable, mais elles communiquent aux vins une odeur desagréable.

Le procédé de cette expérience réussirait toujours très-bien, si l'on pouvait avoir la couleur pure, ou qu'on la mit dans les tonneaux sans le drapeau qui l'accompagne ; car il est très-aisé d'éteindre sa grande vivacité ou sa couleur pourpre par l'addition d'un peu de sucre brulé, de rob de prunelle sauvage, de rob de chêne, de rob de vin, ou de quelqu'autre couleur approchante de celle du tan, pour imiter la vraie couleur du vin d'Oporto.

De la concentration des vins par la gelée. Un art moins connu et très-curieux est celui de concentrer par la gelée des vins, des vinaigres et des liqueurs fortes faites avec le malt ; et par cette concentration ou condensation on vient à bout de perfectionner ces sortes de liqueurs potables ; en voici la méthode selon quelques curieux.

Prenez une pinte de vin rouge ordinaire d'Oporto, mettez-la dans une bouteille plate bien bouchée, placez ensuite cette bouteille dans un mélange composé d'une partie de sel marin, et de deux parties de neige ou de glace pilée, la partie la plus aqueuse du vin se gelera promptement ; après quoi vous retirerez très-aisément les parties du vin les plus épaisses, les plus colorées et les plus spiritueuses, en inclinant simplement la bouteille.

Cette expérience, telle que nous venons de la décrire, est trop prompte, de façon que les parties du vin les plus épaisses et les plus précieuses peuvent être saisies et retenues dans la glace. Ainsi pour la bien exécuter, il faut employer le froid naturel de la gelée en hiver. Par ce moyen, les vins, les vinaigres et les liqueurs de malt peuvent se réduire à une quatrième de leur volume ordinaire sans aucune perte de leurs parties essentielles. L'eau inutile, ou même nuisible, étant séparée par cette voie, laisse toutes les parties spiritueuses du vin extrêmement saines, et capables de se conserver parfaites pendant plusieurs années, comme on l'a éprouvé plusieurs fais. Par un usage et une application prudente de cette expérience, il est aisé de concevoir les grands avantages qu'on pourrait en retirer pour le commerce des vins.

Par des moyens convenables et un peu d'adresse qu'on acquiert aisément par l'expérience, on peut à très-peu de frais réduire, suivant cette méthode, une grande quantité de petits vins à une moindre de vins beaucoup plus forts, de manière à augmenter leur valeur à proportion qu'on diminuera leur volume. On peut aussi en réitérant l'opération plusieurs fois se procurer des vins extrêmement forts et spiritueux, ou même une vraie quintessence pour perfectionner les vins les plus faibles.

Dans cette vue, il est à propos de se ressouvenir que les pays de vignobles qui sont montagneux, sont souvent couverts de neige, et que par ce moyen on pourrait employer la congélation artificielle dans le temps même de la vendange. Nous n'indiquons cependant cet expédient que pour donner une idée suffisante de cette méthode, et pour introduire une branche nouvelle et utîle au commerce ; car il n'est pas plus difficîle de concentrer le suc des grappes avant la fermentation et sur les lieux mêmes, que de concentrer le vin après qu'il a fermenté.

On peut encore ajouter que l'art de la congélation peut aussi se perfectionner par un usage convenable d'eau et de sel ammoniac ; on retirerait aisément l'un et l'autre ensuite quand on n'en aurait plus besoin, mais il parait qu'il faudrait encore quelque chose de plus pour porter cette expérience à sa perfection, avec tous les avantages qu'on en peut retirer.

Des maladies des vins et de leurs remèdes. Les liqueurs vineuses sont du nombre de celles qui s'altéreraient ou se putréfieraient très-promtement, si elles n'étaient conservées avec soin après leur fermentation, surtout si, par quelque grande commotion occasionnée par la chaleur, la connexion la plus intime des parties spiritueuses avec les molécules salines et mucilagineuses, ou même avec les particules aqueuses, était dérangée ou interrompue, parce qu'il arriverait que toute la liqueur se tournerait en vinaigre ou en une substance visqueuse, corrompue et putride. Si au contraire on conserve soigneusement en repos une liqueur quelconque qui a fermenté et qu'on la mette à l'abri des injures de l'air extérieur, elle demeurera longtemps dans un état sain et incorruptible, comme on le voit tous les jours dans les vins et dans les liqueurs faites avec le malt.

Toutes ces liqueurs fermentées résisteraient encore plus longtemps aux changements de temps et aux différentes saisons de l'année, chaudes ou froides, et à l'humidité de l'air si capable de produire la fermentation, si on en séparait l'eau superflue par le moyen de l'art, de façon que la liqueur put être concentrée par elle-même ; dans cet état, elle pourrait se conserver inaltérable pendant plusieurs années, malgré les chaleurs de l'été et le froid de l'hiver.

Quand on fait l'analyse chymique de ces liqueurs, la première partie qui monte est l'esprit inflammable, ensuite le flegme mêlé d'acide et d'huîle essentielle ; il reste après au fond de l'alembic une matière épaisse ou le rob du vin : ce rob dégagé de son humidité superflue, se conserve très-bien : il a beaucoup de tartre ; mais la simple mixtion de ces différentes parties unies ensemble ne redonne point la liqueur primitive ; il est donc prouvé que ces substances étaient précédemment unies ensemble d'une manière particulière qui a été dérangée ou détruite dans l'action de la séparation. Il fallait d'ailleurs que chacune de ces productions eut reçu une nouvelle espèce d'altération particulière dans cette séparation qui les empêchât de se réunir comme auparavant, à-moins qu'on n'y ajoutât une substance propre intermédiaire, ou qu'on ne les fit fermenter de nouveau.

On peut donc conclure des principes que nous venons d'établir que le vin naturel consiste en beaucoup d'eau, une certaine quantité d'esprit inflammable, un peu d'huîle essentielle, une juste proportion de sel acide jointe à une substance mixte ou au rob, que Beccher appelle substance moyenne du vin. Quand ces différentes parties demeurent constamment unies ensemble dans une juste proportion, le vin est pour-lors dans son état de perfection ; mais lorsque leur connexion se trouve lâche, ou que quelqu'une de ces parties est défectueuse en elle-même ou surabondante, alors le vin est imparfait et sujet à des changements et à des altérations qui peuvent le rendre fort mauvais. Ces observations nous apprennent le véritable fondement de ce qu'on peut appeler avec raison le bon ou le mauvais état des vins.

On voit évidemment qu'une grande quantité d'eau entre nécessairement dans la composition du vin ordinaire par la préparation des vins artificiels, et la congélation des naturels ; mais quoique cette grande quantité d'eau soit nécessaire à la fermentation, et serve à la porter à sa perfection, non-seulement elle n'est pas essentielle aux vins, mais tellement étrangère et nuisible, qu'elle rend les vins susceptibles d'une altération, dont ils n'auraient pas été capables sans elle. On peut en conclure que le préservatif le plus souverain, pour tous les vins en général, est de les priver de leur eau superflue pour les rendre inaltérables, à-moins de quelque accident imprévu et extraordinaire. En effet ce remède est si efficace, qu'on n'a plus besoin d'aucun autre, et que les vins les plus aqueux et les plus faibles peuvent par ce moyen devenir durables et acquérir du corps.

La difficulté qu'on peut trouver dans l'usage de ce puissant remède, eu égard à la grande quantité de vins qui en ont besoin, doit cependant faire regarder, comme plus commode et plus facile, une autre méthode qu'on emploie quelquefois : elle consiste à se servir d'esprit-de-vin rectifié dans une assez grande proportion, pour qu'il puisse prévenir tous les changements que les vins pourraient subir, et conserver ses parties essentielles comme une espèce de baume ; mais quand le mal est invétéré, l'esprit-de-vin tout seul n'est pas suffisant, à-moins qu'il ne soit joint à quelqu'autre substance qui puisse donner du corps et de la force aux vins. Ainsi il est à propos d'avoir toujours une certaine quantité de vin toute prête : il faut aussi que ce vin soit assez fort pour redonner le mouvement de fermentation : d'excellent esprit-de-vin qu'on ajoute ensuite dans une juste proportion ne peut produire qu'un très-bon effet, principalement si le tout est fortifié par un peu d'huîle essentielle de vin, qui n'est jamais parfaite dans les vins qui sont trop aqueux. Cette maladie étant une des principales dans les vins, ou du-moins celle à laquelle toutes les autres doivent leur origine, il peut être à propos de donner ici un procédé qu'on a trouvé très-propre pour remédier à cet accident.

Prenez une once d'huîle essentielle de vin très-parfaite ; mêlez-la par la trituration avec une livre de sucre bien sec, pour en faire un oleo-saccharum ; dissolvez ensuite cet oleo-saccharum dans huit pintes de vin le plus fort, auquel vous ajouterez huit pintes de l'esprit-de-vin le mieux rectifié, de manière qu'ils puissent être bien incorporés ensemble : la dose de ce mélange doit être proportionnée au besoin qu'en a le vin qu'on veut rétablir dans son premier état ; mais ordinairement la moitié de la dose exprimée plus haut, suffit pour un muid et demi de vin.

Il y a encore une autre maladie des vins, qui est l'opposée de celle que nous venons de décrire, c'est lorsqu'on les a trop privés de leur humidité aqueuse. Ce manque d'eau les rend, pour ainsi dire, secs et même brulés, si l'on peut se servir de ce terme. Il est vrai que cet accident ne saurait arriver que lorsqu'on fait concentrer le vin : cette opération rapproche en effet ses parties essentielles à un tel degré qu'il n'est plus propre à boire, jusqu'à-ce qu'on les ait séparées en les délayant dans quelqu'autre liquide, mais l'eau ne doit pas être employée seule, de crainte de rendre le vin fade et plat. La meilleure façon dans ce cas est de prendre du vin faible et sans gout, auquel on communique le degré de force qu'on veut.

Une maladie des vins fort commune, c'est de s'aigrir, mais voici la méthode pour raccommoder les vins aigres.

Prenez une bouteille de vin rouge de Portugal qui commence à s'aigrir : jetez dedans une demi-once ou environ d'esprit-de-vin tartarisé ; secouez ensuite la bouteille pour bien mêler l'esprit-de-vin dans la liqueur, après quoi vous la laisserez reposer pendant quelques jours, et vous la trouverez au bout de ce temps évidemment adoucie.

Cette expérience dépend entièrement de la connaissance des acides et des alkalis ; les meilleurs vins ont naturellement un peu d'acidité, quand elle prévaut, ils sont piquans, et tendent à devenir dans l'état de vinaigre ; mais en y introduisant avec prudence de bon sel alkali, tel que celui dont on a imbibé l'esprit-de-vin, en le faisant digérer sur du sel de tartre, suivant la méthode de préparer l'esprit-de-vin tartarisé, il a le pouvoir par lui-même, d'ôter au vin sa trop grande acidité quoique l'esprit-de-vin y contribue aussi, et à d'autres égards, il sert beaucoup à la conservation des vins ; si on faisait cette opération avec grand soin, les vins qui tournent à l'aigre pourraient se rétablir tout à fait, et rester dans cet état pendant quelque temps, de manière à pouvoir les débiter. On peut se servir de la même méthode pour les liqueurs faites avec le malt lorsqu'elles sont trop âpres, ou qu'elles tournent à l'aigre, et qu'elles sont sur le point de se convertir en vinaigre.

On fait souvent usage d'un expédient de la même nature, à-peu-près, pour rétablir les petites bières qui sont devenues aigres. On y ajoute un peu de chaux, ou de coquille d'huitre mise en poudre, parce que la chaux et les coquilles d'huitres étant des alkalis terreux, ôtent immédiatement la trop grande acidité de la liqueur, et font avec elle une effervescence qui lui donne une force et une vivacité considérable, si on la bait avant que l'effervescence soit totalement finie ; mais pour la faire durer plus longtemps, il vaut mieux jeter la chaux ou les coquilles d'huitres dans le tonneau où est la liqueur, et la boire d'abord, sans quoi elle se gâterait infailliblement si on la gardait longtemps.

Dans les cas où les vins ne se clarifient pas promptement d'eux-mêmes, l'addition d'un peu d'esprit-de vin tartarisé en accélere l'effet, ou bien on peut faire usage d'un remède généralement bon pour tous les vins qui sont trop faibles et trop aqueux. Pour cet effet, prenez un esprit inflammable pur et sans gout, tiré du sucre ; faites-le digerer sur une dixième partie de sel de tartre bien pur et bien sec pendant trois jours ; après cela, vous décanterez la liqueur, et vous la verserez sur dix fois sa quantité d'un vin assez fort pour fermenter de nouveau : ensuite en versant six ou huit pintes de cette liqueur, elle perfectionnera et clarifiera en peu de temps un muid et demi de vin ordinaire.

Axiomes et conséquences de ce discours. 1°. Il est possible de rapprocher tous les vins et tous les vinaigres à la consistance d'un syrop épais, puisque leur matière première qui n'est que du sucre est sous une forme solide, et qu'on peut les condenser par la gelée à un degré considérable de force et d'épaississement.

2°. On pourrait introduire un nouvel art pour fournir les pays étrangers d'un syrop fort chargé, ou d'un extrait en petit volume pour en faire des vins, des bières, des vinaigres, et des esprits inflammables dans tous les pays du monde avec un très-grand avantage. Cette observation mérite toute l'attention des colonies qui cultivent le sucre, et celle de leurs souverains.

3°. Tous leurs sucs doux et aigres, tels que ceux des fruits d'été, comme les cerises, les groseilles, etc. consistent en une substance sucrée et tartareuse, ou pour parler en termes plus positifs, en un sucre actuel, et un tartre fluide effectif. Cette observation peut nous servir de règle pour perfectionner ces sucs naturels dans les mauvaises années, et même les imiter par le moyen de l'art, comme aussi de produire des vins, des vinaigres, et des eaux-de-vie sans leurs secours, par-tout où l'on pourra avoir du sucre et du tartre.

4°. Il y a une grande affinité entre le sucre et le tartre, puisque non-seulement ils existent ensemble, et sont mêlés intimement dans tous les sucs doux et aigres des végétaux, mais paraissent aussi se convertir très-promtement l'un en l'autre réciproquement ; en effet, les sucs acides et aigres des fruits qui sont encore verts, deviennent sucrés en murissant.

5°. On fait les différentes espèces de vins et d'eau-de-vie sans nombre que nous connaissons, en ajoutant simplement quelque plante odorante, ou l'huîle essentielle de ces vins au mout, naturel ou artificiel, pendant le temps de la fermentation. Il en est de même, proportion gardée, de la couleur des vins, qu'on peut, avec des matières colorantes, teindre en bleu, en verd, en jaune, ou en toute autre couleur, s'il est nécessaire, aussi-bien qu'en blanc ou en rouge.

6°. L'agent physique dans la clarification des vins et des autres liqueurs fermentées, est une substance visqueuse qui se saisit des particules grossières et les fait couler à fond, ou les élève à la surface du liquide : par ce moyen, elles se séparent, et ne se mêlent point avec le reste de la liqueur. C'est sur ce fondement qu'on pourrait peut-être découvrir quelques méthodes plus parfaites pour clarifier, que celles qui sont connues jusqu'ici.

7°. La méthode de colorer des vins rouges artificiels, peut être perfectionnée, par l'usage prudent d'une teinture de tournesol sans drapeau, ou d'un extrait de laque ordinaire, etc. mais particulièrement par une teinture faite avec de la peau de raisin rouge, ou bien avec une laque particulière, tirée du raisin de teinte. (D.J.)

VIN musté, (Chimie) on nomme ainsi le mout qu'on clarifie en le laissant quelque temps en repos ; on le soutire ensuite ; après quoi on le verse dans des tonneaux soufrés, c'est-à-dire imprégnés de la vapeur du soufre brulé ; par ce procédé on conserve le mout sans craindre qu'il se gâte et qu'il puisse entrer en fermentation. C'est une belle chose que la fermentation qu'éprouve le mout, c'est-à-dire le suc du raisin, avant que d'être changé en vin ; l'auteur du discours préliminaire des leçons de chimie du docteur Shaw, a peint ce phénomène avec des couleurs agréables et brillantes, ce qui n'est pas ordinaire en Chimie.

Le suc grossier des raisins, dit-il, s'affine et se subtilise par un mouvement qui s'excite de lui-même dans toutes les molécules de la liqueur fermentante. Ce mouvement les divise chacune en particulier, les recombine ensemble, et les sépare ensuite pour les réunir de nouveau. Dans ce choc, et dans cette union réciproque, les diverses parties du tout empruntent mutuellement les unes des autres, ce qui leur manque, et forment enfin un nouveau composé, dont les principes et les produits diffèrent entièrement du premier. Un suc épais et trouble se change en une liqueur claire et transparente. Sa couleur louche et indécise, prend de l'éclat et du brillant. Son goût fade et doucereux se tourne en force, et de presque inodore qu'il était, il acquiert le parfum le plus exquis. C'est ainsi que le mout transformé en vin, produit cet esprit subtil et inflammable, dont on n'apercevait même aucun vestige, avant que la nature lui eut imprimé le mouvement, qui seul pourrait lui donner son dernier degré de perfection.

Cette liqueur, toute admirable qu'elle est, est capable de se conserver sans se corrompre pendant plusieurs années, pourvu qu'on la tienne dans un vaisseau fermé, et dans un endroit frais ; abandonnée à elle-même, et exposée à l'air extérieur, elle perd cependant bien-tôt tous les avantages qu'elle avait reçus de la nature ; sa couleur brillante, son odeur suave, sa saveur agréable, et surtout cet esprit inflammable qui formaient son caractère distinctif. Elle pâlit, elle se trouble, elle prend un goût et une odeur acides, et si on la laisse en cet état sans y apporter de remède, elle passe à la putréfaction. Il semble que la nature ait épuisé tout son pouvoir dans la fermentation spiritueuse, et qu'elle n'ait plus rien à offrir aux hommes après un tel présent. Impuissante et fatiguée, elle ne fait plus que décroitre, et nous donne dans une de ses opérations les plus parfaites, l'image de la vie humaine. (D.J.)

VIN, (Littérature) les Romains dans le temps de leurs richesses, étaient très-curieux des grands vins du monde. Les noms des meilleurs vins de leur pays, après ceux de la Campanie, se tiraient du cru des vignobles ; tel était le vin de Setines, de Gaurano, de Faustianum, d'Albe, de Sorrento, qui du temps de Pline, étaient des vins recherchés.

Entre les vins Grecs, ils estimaient surtout le vin de Maronée, de Thase, de Cos, de Chio, de Lesbos, d'Icare, de Smyrne, etc. Leur luxe les porta jusqu'à rechercher les vins d'Asie, de la Palestine, du mont-Liban, et autres pays éloignés.

Mais il faut remarquer que les Romains tiraient leurs vins les plus précieux de la Campanie, aujourd'hui la terre de Labour, province du royaume de Naples : tous les autres vins d'Italie n'approchaient point de la bonté de ces derniers. Le Falerne et le Massique venaient de vignobles plantés sur des collines tout-autour de Mondragon, au pied duquel passe le Garigliano, anciennement nommé Iris. Mais Athénée remarque qu'il y avait deux sortes de vins de Falerne ; l'un était doux et avait beaucoup de liqueur ; l'autre était rude et gros. Pline, liv. XIV. ch. VIIIe fait la même observation sur le vin d'Albe, auquel il donne le troisième rang parmi les grands vins d'Italie ; il y avait, dit-il, un vin d'Albe douçâtre et l'autre rude ; en vieillissant, le premier acquérait de la fermeté, et l'autre de la douceur, alors ils étaient excellents. Le vin de Caecube, aussi prisé que le bon Falerne, croissait dans la terre de Labour, ainsi que le vin d'Amiela et de Fundi, près de Gaïette ; le vin de Suessa tirait son nom d'un terroir maritime du royaume de Naples ; le Calenum, d'une ville de la terre de Labour ; il en était ainsi de plusieurs autres que cette province fournissait à la ville de Rome.

Ces vins qui étaient excellents de leur nature, acquéraient encore en vieillissant un degré de perfection auquel aucun autre vin d'Italie ne pouvait atteindre. Ces derniers vins nommés par les Grecs oligophora, et par les Latins paucifera, se conservaient aisément dans les lieux frais. Pareillement ceux que les Grecs nommaient polyphora et les Latins vinosa, devenaient plus vigoureux et plus spiritueux par la chaleur. Les vins qui se conservaient par le froid abondaient en flegme, et les derniers vins en esprits. C'est pour cela qu'ils acquéraient de la force par la chaleur, et qu'on les préparait d'une manière particulière.

Les Romains mettaient leurs tonneaux pleins de vin aqueux dans des endroits exposés au nord, tels que ce que nous appelons aujourd'hui des caves. Ils mettaient au-contraire les tonneaux pleins de vins spiritueux dans des endroits découverts exposés à la pluie, au soleil, et à toutes les injures du temps. La première espèce de vins se conservait seulement deux ou trois ans dans ces endroits frais ; et pour les garder plus longtemps, il fallait les porter dans des endroits plus chauds. Nous apprenons de Pline, que plus le vin est fort, plus il s'épaissit par la vieillesse. C'est en effet ce que nous voyons arriver de nos jours aux vins d'Espagne.

Galien parle de vins d'Asie, qui mis dans de grandes bouteilles, qu'on pendait au coin des cheminées, acquéraient par l'évaporation et par la fumée, la dureté du sel. Aristote dit que les vins d'Arcadie se séchaient tellement dans les outres, qu'on les en tirait par morceaux qu'il fallait fondre dans l'eau pour la boisson.

Voici la manière dont les Romains faisaient leurs vins. Ils mettaient dans une cuve de bois le mout qui coulait des grappes de raisin après qu'elles avaient été bien foulées auparavant. Dès que ce vin avait fermenté quelque temps dans la cuve, ils en remplissaient des tonneaux, dans lesquels il continuait sa fermentation ; pour aider sa dépuration, ils y jetaient du plâtre, de la craie, de la poussière de marbre, du sel, de la résine, de la lie de nouveau vin, de l'eau salée, de la myrrhe, des herbes aromatiques, etc. chaque pays ayant son mélange particulier, et c'est-là ce que les Latins appelaient conditura vinorum.

Ils laissaient ce vin ainsi préparé dans les tonneaux jusqu'à l'année suivante, quelquefois même deux ou trois ans, suivant la nature du vin et du cru ; ensuite ils le soutiraient dans de grandes jarres de terre vernissées en-dedans de poix fondue ; on marquait sur le dehors de la cruche le nom du vignoble et celui du consulat sous lequel le vin avait été fait. Les Latins appelaient le soutirage du vin de leurs tonneaux dans des vaisseaux de terre, diffusio vinorum.

Ils avaient deux sortes de vaisseaux pour leurs vins ; l'un se nommait amphore, et l'autre cade ; l'amphore était de forme carrée ou cubique à deux anses, et contenait deux urnes, environ quatre-vingt pintes de liqueur ; ce vaisseau se terminait en un cou étroit, qu'on bouchait avec de la poix et du plâtre pour empêcher le vin de s'éventer ; c'est ce que Pétrone nous apprend en ces mots : amphorae vitreae diligenter gypsatae, allatae sunt, quarum in cervicibus pittacia erant affixa, cum hoc titulo :

Falernum opimianum annorum centum.

" On apporta de grosses bouteilles de verre bien bouchées, avec des écriteaux sur les bouchons, qui contenaient ces paroles : vin de Falerne de cent feuilles, sous le consulat d'Opimius. " Le cade, cadus, avait à peu-près la figure d'une pomme de pin ; c'était une espèce de tonneau qui contenait une moitié plus que l'amphore. On bouchait bien ces deux vaisseaux, et on les mettait dans une chambre du haut de la maison exposée au midi ; cette chambre s'appelait horreum vinarium, apotheca vinaria, le cellier du vin. Comme ce fut depuis le consulat de L. Opimius, c'est-à-dire depuis 633, que les Romains se mirent en goût de boire des vins vieux, il fallut multiplier les celliers dans tous les quartiers de Rome pour y mettre les vins en garde et à demeure.

Nous venons de voir que Pétrone parle de vins de cent feuilles, mais Pline dit qu'on en buvait presque de deux cent ans, qui par la vieillesse avaient acquis la consistance du miel. Adhuc vina ducentis ferè annis jàm in speciem redacta mellis asperi ; etenim haec natura vini in vetustate est, lib. XIV. cap. IVe Ils délayaient ce vin avec de l'eau chaude pour le rendre fluide, et ensuite ils le passaient par la chausse ; c'est ce qui se nommait, saccatio vinorum.

Turbida sollicitò transmittère caecuba sacco.

Martial.

Ils avaient cependant d'autres vins qu'ils ne passaient point par la chausse ; tel était le vin de Massique, qu'ils se contentaient d'exposer à l'air pour l'épurer. Horace nous l'apprend, sat. IV. liv. II. Ve 52.

Massica si coelo supponas vina sereno,

Nocturnâ, si quid crassi est, tenuabitur aurâ,

Et decedet odor nervis inimicus : at illa

Integrum perdunt lino vitiata saporem.

" Exposez le vin de Massique au grand air dans un beau temps ; non-seulement le serein de la nuit le clarifiera, mais il emportera encore ses esprits fumeux qui attaquent les nerfs ; au-lieu que si vous le passez dans une chausse de lin, il perdra toute sa qualité ".

Ils bonifiaient le vin du Surrentum en le mettant sur de la lie de vin de Falerne douçâtre, pour adoucir son âpreté ; car c'était un vin rude, et qui du temps de Pline, avait déjà beaucoup perdu de sa réputation.

Les Grecs mêlaient de l'eau de mer dans tous les vins qu'ils envoyaient à Rome des îles de l'Archipel, et c'est ainsi qu'ils apprêtaient les vins de Chio dont les Romains étaient fort curieux. Caton, au rapport de Pline, avait trouvé le secret de contrefaire ce dernier vin, à tromper les plus fins gourmets.

Le père Hardouin a eu tort de mettre le vin de Crète au nombre des excellents vins grecs recherchés par les Romains ; il cite pour le prouver une médaille des Sidoniens où Bacchus parait couronné de pampre. Les Bysantins n'en ont-ils pas fait aussi frapper une semblable aux têtes de Bacchus et de Géta avec de grosses grappes de raisin ; cependant le vin de Constantinople n'a jamais passé pour bon : mais le vin de Crète n'était certainement pas en réputation chez les Romains, du-moins sous le siècle d'Auguste. Il ne l'était pas plus sous le règne de Trajan : Martial, liv. I. épigr. 103. l'appelait alors vindemica Cretae, mulsum pauperis ; et Juvenal, sat. XIV. Ve 270. le nomme pingue passum Cretae ; car il se faisait de raisins cuits au soleil, dont on exprimait une liqueur grasse, épaisse et douçâtre.

Je sais bien que les vins de Candie sont aujourd'hui en réputation, mais nous voyons qu'ils ne l'ont pas toujours été. Les qualités des terres ne sont pas toujours les mêmes, et la culture y apporte souvent des changements. Pas un des anciens n'a loué le vin de Ténédos, qui est de nos jours un délicieux muscat de l'Archipel. Combien de vignobles renommés dans l'antiquité sont tombés dans le mépris ou dans l'oubli ? On ne connait plus le vin de Maronée, si vanté du temps de Pline. Strabon trouvait le vin de Samos détestable, c'est aujourd'hui un muscat excellent. D'autres vins inconnus aux anciens ont pris leur place ; ou, si l'on veut, les gouts ont changé ; car nous ne serions pas curieux aujourd'hui d'eau de mer dans aucun des vins grecs.

Mais un goût qui subsiste toujours, est de frapper les vins de glace. Les Romains le faisaient aussi, et aimaient surtout à jeter de la neige dans leurs vins, et à passer la liqueur par une espèce de couloir d'argent, que le jurisconsulte Paul appelle colum vinarium.

De plus grands détails sur cette matière me meneraient trop loin. Je renvoie donc les curieux au savant ouvrage de Baccius, de naturali vinorum historia : de vinis Italiae, et de conviviis antiquorum, lib. VII. Romae, 1596, in-fol. et Fruncof. 1607, in-fol. (D.J.)

VIN SCILLITIQUE, voyez SCILLE, (Matière médicale)

VIN DE CHIOS, (Littérature) Arvisium vinum, le meilleur vin de toute la Grèce, au jugement des anciens, et qui par cette raison mérite un article particulier. Théopompe, dans Athénée, Deipn. liv. I. dit que ce fut Oenepion fils de Bacchus, qui apprit aux habitants de Chios à cultiver la vigne ; que ce fut dans cette île que se but le premier vin rosé, et que ses habitants montrèrent à leurs voisins la manière de faire le bon vin. Virgile caractérise de nectar celui de Chios : le vin de Chios, dit-il, le vrai nectar des dieux, ne sera point épargné :

Vina novum fundam calathis Arvisia nectar.

Eclog. V. Ve 71.

Arvisia est mis là pour Chia, du nom du promontoire de cette ile, nommé Arvisium ; mais il semble qu'il vaut mieux lire Ariusia, qu'Arvisia, comme le prétend Casaubon ; en effet, Strabon, liv. XIV. pag. 645. parlant de l'île de Chio dit : la contrée Ariusienne qui produit le meilleur vin de la Grèce, . Ce que nous appelons présentement v consonne tenait lieu de l'u voyelle et de l'v consonne, du temps de Cicéron, comme l'ont prouvé le père Mabillon, Gronovius et autres savants.

Le quartier nommé Arvisium était opposé à la partie de l'île nommée Psyra. Pline, liv. XIV. chap. VIIe XIe et XVe parle avec éloge des vins de Chios, Arvisia ou Ariusia vina, et cite Varron, le plus savant des romains, pour prouver qu'on l'ordonnait à Rome dans les maladies de l'estomac. Varron rapporte aussi qu'Hortensius en avait laissé plus de dix mille pièces à son héritier. César, ajoute Pline, en regalait ses amis dans ses triomphes, et dans les festins qu'il donnait au grand Jupiter et aux autres divinités ; mais Athénée entre dans un plus grand détail sur la nature et sur les qualités des vins de Chios : ils aident, dit-il, à la digestion, ils engraissent, ils sont bienfaisants, et on n'en trouve point de si agréables ; sur tout ceux du quartier d'Ariuse, où l'on en fait de trois sortes, continue cet auteur ; l'un a tant-sait-peu de cette verdeur qui se convertit en seve, moèlleux, nourrissant, et passant aisément ; l'autre qui n'est pas tout à fait sans liqueur, engraisse, et tient le ventre libre ; le dernier participe de la délicatesse et de la vertu des autres.

La culture de la vigne des anciens habitants de Chios, n'est point tombée dans l'oubli ; les Sciotes modernes cultivent la vigne sur les coteaux, et fournissent de leur vin aux îles voisines. Ils coupent les raisins dans le mois d'Aout, les font sécher pendant huit jours au soleil, les foulent ensuite, et les laissent cuver dans des celliers bien fermés. Pour faire le meilleur vin, ils mêlent parmi les raisins noirs une espèce de raisins blancs, qui sont comme le noyau de pêche, , persicum ; mais pour faire le nectar, qui porte encore aujourd'hui le même nom, on emploie à Scio une autre sorte de raisin, dont le grain a quelque chosé de stiptique, et qui le rend difficîle à avaler.

Les vignes les plus estimées sont celles de Mesta, d'où les anciens tiraient ce nectar ; on en recherche les crossettes, et Mesta est comme la capitale de ce fameux quartier de l'ile, que les anciens appelaient Ariousia. Il est vrai que la plupart de nos voyageurs n'aiment point le nectar moderne de Scio, ils le trouvent très-dur et très-âpre ; mais c'est que le goût des hommes, qui au fond n'est qu'un objet de mode, change sans cesse ; ou que le nectar de Scio a besoin de passer la mer, et d'être gardé longtemps pour perdre son âpreté.

Quoi qu'il en sait, les anciens préféraient les vins de Chios à tous les autres vins grecs ; et par conséquent il est aisé de comprendre pourquoi l'on voit dans Goltzius, de insul. graec. tab. 15 et 16. des grappes de raisin sur quelques médailles de Chios. On y voit aussi de ces cruches, nommées diota, pointues par le bas, et à deux anses vers le cou ; cette figure était propre pour en faire séparer la lie, qui se précipitait toute à la pointe, après qu'on les avait enterrées ; ensuite on en pompait le vin : mais il n'est pas si aisé de rendre raison pourquoi l'on représentait des sphinx sur les revers de ces médailles, si ce n'est que le sphinx eut servi de symbole aux habitants de Chios, de même que la chouette aux Athéniens. (D.J.)

VIN DE LA PALESTINE, (Critique sacrée) il y avait dans la Palestine plusieurs bons vignobles. L'Ecriture loue les vignes de Sorec, de Sébama, de Jazer, d'Abel ; les auteurs profanes parlent avec éloge des vins de Gaza, dont nous avons fait un article à part, des vins de Sarepta, du Liban, de Saron, d'Ascalon, de Tyr.

Dulcia Bachi

Munera quae Sarepta ferax, quae Gaza crearat.

Vin de Chelbon : Ezéchiel, ch. xxvij. vers. 18. parle de ce vin exquis, et que l'on vendait aux foires de Tyr. Ce vin est aussi fort connu des anciens ; Athenée, Strabon et Plutarque en font mention ; ils l'appellent Chalibonium vinum. On le faisait à Damas, et les Perses y avaient exprès planté des vignes, dit Possidonius cité dans Athenée. Cet auteur ajoute que les rois de Perse n'en usaient point d'autre.

Vin du Liban ; les vins des côtes les mieux exposées du Liban étaient estimés. Cependant on croit que le texte hébreu du prophète Osée, ch. xiv. Ve 8. vin du Liban, marque du vin odorant, du vin où l'on a mêlé de l'encens, ou d'autres drogues pour le rendre plus agréable au goût et à l'odorat : les vins odoriférants étaient fort recherchés des Hébreux.

Le vin de palmier est celui que la vulgate appelle sicera, et qui se fait du jus de palmier ; il est très-commun dans tout l'Orient. Le vin récent de palmier est doux comme le miel ; quand on le conserve quelque temps, il enivre comme du vin de raisin.

Le vin de droiture dont il est parlé dans le Cantique des cantiques, est un bon vin, un vin droit ; c'est une qualité qu'Horace aime sur toute autre.

Generosum et lene requiro,

Quod curas abigat, quod cum spe divite manat

In venas animumque meum ; quod verba ministret ;

Quod me, Lucanae, juvenem commendet amicae.

Liv. I. épist. XVe

" Je veux, dit-il, du vin qui ait du corps sans avoir rien de rude ; qui coulant dans mes veines, bannisse les soucis de mon esprit, porte dans mon cœur les plus riches espérances, et mette sur ma langue les grâces de la parole ". (D.J.)

VIN DE MARCHE, (Jurisprudence) appelé aussi pot-de-vin, est une somme que l'acquéreur paye au vendeur, pour lui tenir lieu de ce qu'il lui en aurait couté pour boire ensemble en concluant le marché.

Quelques coutumes considèrent les vins du marché ou de vente, comme faisant partie du prix, et décident en conséquence qu'il en est dû des lods au seigneur, telles sont les coutumes de Chaumont et de Vitry.

Cependant suivant l'usage le plus général, ces vins ne font pas partie du prix, tel est le sentiment de Laisel, de Dumoulin et de Charondas, à moins que le contraire ne fût stipulé, ou que ces vins ne fussent considérables.

Mais ils entrent toujours dans les loyaux couts, comme les autres frais de contrat que le retrayant est obligé de rembourser à l'acquéreur. Voyez LODS et VENTES, LOYAUX COUTS, T-DE-VIN-VIN. (A)

VIN DE MESSAGER, est un droit qui est dû à la partie qui a obtenu gain de cause avec dépens, lorsque cette partie demeure hors du lieu où est le siege de la juridiction dans laquelle elle a été obligée de plaider.

Ce droit est ainsi appelé, parce qu'avant l'établissement des postes et messageries publiques c'était ce que l'on donnait pour la dépense des messagers, ou commissionnaires particuliers que l'on envoyait sur les lieux, soit pour charger un procureur, soit pour faire quelque autre chose nécessaire pour l'instruction d'une affaire.

Présentement ce qu'on alloue dans la taxe des dépens, sous le titre de vins de messager, est pour tenir lieu de remboursement des ports de lettres que la partie a reçues de son procureur, et des ports de lettres et papiers qu'elle a été obligée d'envoyer à son procureur, et dont elle doit lui tenir compte.

On alloue un vin de messager, 1°. pour charger un procureur de l'explait introductif.

2°. L'on en alloue aussi pour tous les actes dont il est nécessaire qu'un procureur instruise son client.

3°. Dans toutes les occasions où il y a des déboursés à faire, autres que ceux de procédures du procureur, comme pour consigner l'amende, payer les honoraires des avocats, lever des sentences et arrêts.

4°. Lorsqu'il s'agit de charger un avocat pour plaider, soit contradictoirement ou par défaut.

5°. Pour donner avis à la partie que son affaire est appointée.

6°. Pour faire juger une affaire appointée lorsqu'elle est en état.

Tous ces vins de messager se règlent à un taux plus on moins fort, selon l'objet des actes dont il s'agit, et la distance des lieux. Pour connaître à fond tout ce détail, il faut voir le règlement du 26 Aout 1665. (A)

VIN MUET, (Histoire des arts) vin fait avec du mout, dont on empêche la fermentation au moyen du soufre. Pour cet effet, à mesure que le mout coule du pressoir, on en met une certaine quantité dans des barriques, où l'on fait bruler du soufre. En quelques endroits, comme sur la Dordogne, on y ajoute du sucre brut ; ensuite on le brasse à force jusqu'à ce qu'il ne donne aucun signe de fermentation. Il faut y revenir plusieurs fais, et à chaque fois on diminue la quantité de soufre. Enfin on le laisse bien reposer et on le soutire. Ce mout devient clair comme de l'eau-de-vie, et conserve toujours sa douceur. Il n'est point mal-sain, et même peut être utîle dans plusieurs maladies du poumon ; cependant on en fait principalement usage pour bonifier les vins auxquels l'année n'a pas été favorable ; car quelques pots de ce vin muet, jetés dans une barrique de vin trop verd, le rendent potable ; et c'est un mélange non seulement innocent, mais très-bien imaginé. (D.J.)

VIN DE GAZA, (Littérature) vin célèbre de Palestine. Grégoire de Tours parle plusieurs fois du vin de Gaza en Palestine, vina Gazatina. Il raconte entre autres choses à ce sujet, que la femme d'un sénateur de Lyon, offrait régulièrement à chaque messe qu'elle faisait célébrer pour son mari, un septier de ce vin ; et qu'elle s'aperçut un jour en communiant sous les deux espèces, que le soudiacre qui servait à l'autel prenant sans doute pour lui le vin de Gaza, en avait substitué d'autre. On ne sera point étonné de trouver du vin de Palestine en France sous la première race, si l'on se souvient que dès-lors les habitants de Syrie venaient y commercer. (D.J.)

VINS GRECS, (Agriculture) il parait que les Romains étaient beaucoup plus curieux que nous ne le sommes des vins grecs en général, et de certains vins grecs en particulier. J'avoue que le mahométisme a presque fait abandonner la culture des vignes dans les lieux où il s'est établi ; j'avouerai même que le sol a pu changer de nature ; mais il faut aussi convenir que les gouts des hommes sont encore plus variables. Strabon trouvait le vin de Samos détestable ; et nous le mettions dans le dernier siècle au rang des excellents muscats. Aucun ancien n'a loué le vin de Ténédos, qui passait il n'y a pas longtemps pour le meilleur de l'Archipel ; le vin de Chypre autrefois méprisé, fait aujourd'hui nos délices en France. Les fameux vignobles d'Alexandrie, d'Egypte, ne produisent plus de vins de notre goût ; ils sont tombés dans l'oubli : cependant personne n'ignore le cas que faisaient les anciens du vin Maréotique ; les vignobles de ce vin d'Alexandrie étaient alors si excellents, que cette ville est représentée dans une médaille d'Adrien, par le symbole d'une femme qui tient du blé d'une main, et une vigne de l'autre. Nous ne prisons guère les vins de Scio, que les Romains estimaient singulièrement, et que Caton, selon Pline, trouva le secret de contrefaire au point de tromper les plus fameux gourmets. Dans tous les vins qui se transportaient des îles de l'Archipel, les anciens y mêlaient de l'eau de mer, pour corriger leur trop grande force et leur trop grande rudesse. On suit encore cet usage aujourd'hui, et voici la manière dont ils font leurs vins par tout l'Archipel.

Chaque particulier a un réservoir de la grandeur qu'il juge à propos, carré, bien maçonné, revêtu de ciment ; mais tout découvert. On foule les raisins dans ce réservoir, après les y avoir laissé sécher pendant deux ou trois jours ; à mesure que le mout coule par un trou de communication, dans un bassin qui est au bas du réservoir, on remplit de ce mout des outres que l'on porte à la ville : on les vide dans des futailles, ou dans de grandes cruches de terre cuite, enterrées jusqu'à l'ouverture, dans lesquelles ce vin nouveau bout tout à son aise sans marc ; on y jette trois ou quatre poignées de plâtre, suivant la grandeur de la pièce ; souvent on y ajoute une quatrième partie d'eau douce, ou d'eau salée, selon la commodité des lieux. Après que le vin a suffisamment cuvé, on bouche les vaisseaux avec du plâtre gâché. (D.J.)

VIN de haut pays, (Commerce) ce sont les vins de toutes sortes de crus, qui se recueillent au-dessus de S. Macaire, qui est à 7 lieues au-dessus de Bordeaux. On les nomme ainsi pour les distinguer de ceux qui se font dans la sénéchaussée de Bordeaux, qu'on appelle vins de ville. (D.J.)

VIN, (Critique sacrée) on employait ordinairement cette liqueur pure dans les sacrifices que l'on offrait au Seigneur ; mais l'usage en était défendu aux prêtres pendant qu'ils étaient dans le tabernacle occupés au service de l'autel, Lévit. Xe 9. Ce mot se prend par métaphore pour la vengeance de Dieu, Jérem. xxv. 15. et pour les biens temporels, Cantiq. j. 1. ubera tua meliora sunt vino.

Entre tous les vins de l'Idumée, le plus estimé était celui du Liban dont parle Osée, xiv. 8. Il croissait sur certains coteaux de cette montagne.

Vin de myrrhe, myrrhatum vinum, Marc, XVe 23. était une sorte de liqueur qui se donnait aux suppliciés pour leur causer une sorte d'ivresse, et amortir en eux le sentiment de la douleur. Voyez MYRRHE.

Vin parfumé, conditum vinum, vin qu'on aromatisait avec des parfums pour le rendre plus agréable ; il en est parlé dans le Cantiq. VIIIe 2.

Vin des libations, vinum libaminum, c'était du vin pur, choisi, qu'on versait sur les victimes dans les sacrifices au Seigneur.

Vin de componction, vinum compunctionis, désigne dans les Pseaumes, les châtiments de Dieu qui produisent l'amendement du pécheur.

Convivium vini, Ecclésiastes. xxxj. 42. marque un festin, un repas de solennité, où l'on n'épargne pas la dépense du vin.

Le vin de la condamnation, ainsi nommé dans Amos, peut s'entendre du vin assoupissant qu'on donnait aux criminels condamnés à mort.

Mais quant au vin dont parle Zacharie, iv. 17. vinum germinans mulières, c'est une expression métaphorique que je n'ai pas le bonheur d'entendre. (D.J.)