S. f. (Chimie) est l'état d'un corps qui brule avec flamme. Voyez FLAMME. (b)

INFLAMMATION, MALADIES INFLAMMATOIRES. (Médecine) Quoique ces deux noms paraissent au premier coup d'oeil synonymes, si l'on veut les analyser d'après l'observation, on pourra s'apercevoir qu'ils renferment des idées différentes. Toute maladie inflammatoire peut bien supposer l'inflammation, mais il me parait, et j'en donnerai les raisons plus bas, que toute inflammation ne doit pas être regardée comme maladie inflammatoire : ainsi je ferai de ces deux mots deux articles séparés, traitant d'abord de l'inflammation en général ou extérieure, et ensuite des maladies inflammatoires. Je donnerai donc d'abord 1°. l'histoire de la maladie, c'est-à-dire l'exposé de ce que les sens ou l'observation découvrent dans toute inflammation, ce qui est conséquemment très-certain et à l'abri de toute discussion. Je passerai ensuite à la théorie, ou à l'examen des causes moins évidentes, refusées aux témoignages de nos sens, partie féconde en dispute comme en erreur ; enfin j'exposerai la partie thérapeutique-pratique, qui comprendra les signes diagnostics et pronostics, et la curation proprement dite.

L'histoire. Symptomes. Inflammation est un mot générique employé pour désigner cette classe de maladie fort étendue et très-multipliée, dont le caractère est l'augmentation de chaleur dans une partie jointe à une douleur plus ou moins vive.

A ces symptômes seuls et constants, caractéristiques de toute inflammation, soit extérieure, soit interne, on peut ajouter la tumeur et la rougeur de la partie affectée, qui ne sont vraiment signes, et qu'on n'aperçoit que dans les inflammations extérieures, et qui vraisemblablement n'existent pas moins dans celles qui attaquent les parties internes ; lorsque les inflammations sont un peu considérables, et surtout lorsqu'elles sont dolorifiques à un certain point, la fièvre ne manque pas de survenir, et il faut remarquer qu'elle est plutôt compagne de la douleur, et proportionnée à sa vivacité, qu'à la grandeur de l'inflammation. Ainsi l'on en voit qui sont très-considérables sans la moindre émotion dans le pouls, tandis qu'une inflammation très-peu étendue, mais suivie de beaucoup de douleur, un panaris, par exemple, allumera une fièvre très-violente. Mais, quoique dans toutes les inflammations le mouvement du sang ne soit pas accéléré par tout le corps, on observe toujours que les artères de la partie enflammée battent plus vite et plus fort que dans l'état ordinaire ; et pour s'en assurer, l'on n'a qu'à presser un peu avec la main la partie enflammée ; le malade peut s'en convaincre lui-même en appuyant cette partie contre quelque corps dur : ce mouvement des artères augmenté, peut passer pour une fièvre locale. Il n'est rien moins que démontré que la circulation du sang soit plus rapide dans cette partie ; c'est un fait cependant unanimement reçu, et déduit très-peu conséquemment, de la rougeur et de la chaleur augmentées dans la partie ; il ne fallait que voir, et l'on a voulu raisonner. De ce raisonnement très-hypothétique, il suit encore une conséquence qui est tout au moins une hypothèse, c'est que la chaleur et la rougeur ne peuvent augmenter sans que la circulation soit accélérée, et que par conséquent elles sont un effet immédiat et nécessaire du mouvement du sang.

Si la fièvre qui survient à l'inflammation est forte, elle entraîne avec soi les symptômes ordinaires, la soif, les inquiétudes, maux de tête, délire, etc. et autres dérangements dans les différentes fonctions.

Variétés ou différences. On a distingué les inflammations en externes et en internes suivant qu'elles ont leur siege à l'extérieur, ou dans quelques parties intérieures du corps ; celles-ci à moins qu'elles ne soient produites par quelque cause externe, constituent les maladies inflammatoires ; elles sont toujours accompagnées d'une fièvre plus ou moins aiguë, nous en verrons plus bas les différentes espèces.

C'est aux inflammations extérieures que convient uniquement la fameuse division, en phlegmoneuses, et en érésipélateuses, auxquelles on a tenté infructueusement et fort mal-à-propos, de réduire toutes les espèces d'inflammations. La première classe comprend celles qui sont marquées par une tumeur dure, d'un rouge obscur, une douleur vive, ordinairement pulsative, une résistance assez forte, et surtout une circonscription très-sensible ; on les appelle inflammations phlegmoneuses, ou simplement phlegmon, qui signifie chez les Grecs, je brule, et qu'on employait du temps d'Hippocrate pour désigner une inflammation quelconque, mais qui fut restreint sous Erasistrate à l'inflammation particulière dont nous parlons ; les clous ou furoncles fournissent un exemple assez fréquent de cette inflammation.

Dans la seconde classe sont renfermées les inflammations qui ont pour caractère une chaleur très-vive, une rougeur tirant sur le jaune ou couleur de rose, une douleur vive et très-aiguè, une tumeur très-peu élevée, nullement circonscrite, ni rénitente, cédant au contraire très-facilement à la pression du doigt, mais se rétablissant aussi-tôt, et presque toujours accompagnée d'oedème. J'ai dit que cette distinction ne peut avoir lieu, qu'à l'extérieur ; les principaux signes qui établissent ces différences ne sont sensibles qu'à l'oeil, et au tact ; ainsi quand même ils existeraient réellement à l'intérieur, ils ne sauraient être saisis, mais en outre l'érésipele est une affection cutanée, dont le siege n'est que dans le tissu de la peau. On l'observe principalement aux pieds, aux mains, et au visage ; il y en a une espèce qui est fixe aux pieds, et qui en empêche les mouvements : on l'appelle érésipele scorbutique. Voyez ERESIPELE. Stahl, et après lui Nenter, Juncker, et autres éclectiques, admettent une troisième espèce d'inflammation, qu'ils appellent apostémateuse, dont le caractère principal est une grande tendance à la suppuration.

Il y a aussi une autre division de l'inflammation très-scolastique, mais peu usitée, en phlogose, inflammation proprement dite, et inflammation sistrophique ; ces différences ont été tirées du degré et de la violence des symptômes de l'inflammation.

Outre cette variété qu'on observe dans les symptômes qui constituent l'inflammation, il y a des différences qu'il est très-important de remarquer dans la manière dont elles se terminent. On compte ordinairement quatre terminaisons différentes, qui sont la résolution, la suppuration, l'induration, et la gangrene. La résolution a lieu lorsque l'inflammation se dissipe graduellement sans aucune altération sensible des vaisseaux ; on peut rapporter à la résolution la délitescence, qui n'en diffère que par le plus de promptitude. La suppuration se fait, lorsque le sang arrêté, et les vaisseaux obstrués sont changés en une humeur tenace, égale, blanchâtre, douce, qu'on appelle pus ; au lieu de la tumeur inflammatoire on trouve un abscès. L'inflammation se termine par l'induration, lorsqu'elle laisse après elle une tumeur dure, indolente, purement lymphatique, connue sous le nom de skirrhe ; et enfin la terminaison se fait par la gangrene : lorsque la partie enflammée meurt, les symptômes inflammatoires cessent tout à coup, on observe une couleur plombée, livide, noirâtre, un sentiment fort obscur, et une odeur cadavéreuse, desagréable. Le dernier degré de mortification ou de gangrene, s'appelle sphacele ; la suppuration et l'induration sont les terminaisons les plus ordinaires des inflammations phlegmoneuses, elles se résolvent cependant quelquefois, et se gangrenent aussi, mais moins souvent que les érésipeles, à qui ces deux terminaisons sont principalement affectées : il peut arriver, et j'ai même Ve un exemple, que l'érésipele se termine en oedème, c'est-à-dire qu'il laisse après lui une tumeur molle, insensible, cédant à l'impression du doigt, et en conservant l'empreinte ; j'ai Ve aussi beaucoup d'érésipeles s'ulcérer, cette terminaison n'est pas rare.

Causes évidentes. Les causes dont il est ici question, connues sous le nom de principes dans les écrits de nos auteurs minutieusement exacts, et rigoureux, sont celles qu'une observation constante nous a fait voir, produire, concourir à la production de l'inflammation ; les unes disposent le sang et les humeurs à cet état ; on les appelle proègumenes ; les autres survenant excitent et mettent en jeu cette disposition ; on les nomme procatartiques. Suivant cela, il n'est point de cause qui ne puisse contribuer à produire l'inflammation ; quelque erreur qui se soit commise dans l'usage de ce qu'on appelle dans les écoles, les six choses non-naturelles, peut donner occasion à cette maladie ; ainsi l'air froid ou chaud l'excite quelquefois ; ce même air peut aussi produire cet effet à raison des particules hétérogènes, dont il est quelquefois rempli, ou par une disposition inconnue. J'ai observé l'automne passée à Lyon, que presque toutes les personnes qui restaient à la campagne, étaient couvertes de furoncles. 2°. Le mouvement trop rapide, les exercices violents en sont une cause fréquente ; 3°. les erreurs dans le régime diététique y disposent beaucoup ; 4°. la suppression des excrétions, surtout sanguines, est très-souvent suivie d'inflammation ; 5°. on a Ve quelquefois survenir aux passions d'ames, surtout vives, comme la colere, des érésipeles ; 6°. enfin les veilles trop longtemps continuées, sont très-propres à jeter dans le sang la disposition inflammatoire. A ces causes on peut ajouter l'application topique de tout corps irritant, comme le feu, le froid vif, les caustiques, les blessures, fractures, luxations, compressions, distorsions, ligatures, les corps étrangers, et c. Les morsures ou piquures d'animaux venimeux, sont aussi des causes qu'on voit tous les jours produire l'inflammation. On observe que celles qui agissent en irritant, et surtout en arrêtant la transpiration, produisent assez communément les érésipeles ; les engelures dépendent principalement de cette cause ; celles qui sont rébelles et périodiques dépendent d'un dérangement, d'un vice particulier dans les voies biliaires et hémorrhoïdales ; les phlegmons situés pour l'ordinaire plus profondément dans le tissu cellulaire et les glandes, sont excités par des causes moins promptes, et le plus souvent internes : ils sont assez souvent dépuratoires, ou critiques.

L'inflammation attaque tous les âges, tous les sexes, tous les sujets, tous les tempéraments ; personne n'est à l'abri d'une maladie, dont les causes sont extérieures, si multipliées, et si obvies. Je crois pouvoir assurer en général, que les femmes y sont plus sujettes que les hommes ; que plus on approche de l'enfance, plus l'on en est susceptible. (Remarquez que je ne parle ici que de l'inflammation, et non des maladies inflammatoires, où l'on observe le contraire) ; ainsi les enfants y sont très-sujets. Ils sont impressionales à la moindre cause, et chez eux les inflammations suivant la pente naturelle des humeurs, se portent plus à la tête ; on observe aussi des aphtes, des légères inflammations derrière les oreilles, aux tonsilles, aux yeux, des inflammations exanthématiques sur la tête, au visage. Après eux viennent les adolescens, ensuite les jeunes gens, et chez eux les inflammations s'observent principalement au col et à la poitrine.

Après ceux-ci, les adultes plus disposés aux inflammations, et aux embarras des viscères situés dans les hypocondres ; enfin dans les vieillards elles sont très-rares, et attaquent plutôt les parties inférieures, comme les reins, et les articulations. Voyez Hippocrate, Aphor. liv. III.

Le tempérament sanguin y est plus propre que le phlegmatique ; ceux qui ont un sang sec et épais, qu'on appelle inflammatoire, reçoivent très-facilement les impressions fâcheuses des causes éloignées. Le tempérament bilieux, mélancolique, le plus sensible de tous est aussi sujet à l'inflammation. Les personnes hémorrhoïdaires, bilieuses, hépatiques, semblent avoir une disposition particulière aux érésipeles périodiques, qui, par le défaut du traitement, deviennent très-opiniâtres.

La théorie. La théorie de l'inflammation n'est autre chose que la recherche ou l'examen des causes inconnues qui la produisent, ou plutôt qui la constituent. Il s'agit ici de cette cause, que les scolastiques appellent cause prochaine, continente, dont la présence entraîne nécessairement l'inflammation, et qui cessant d'exister, termine tout de suite l'inflammation. Cette cause, ce changement intérieur qu'éprouvent alors le sang et les vaisseaux, entièrement dérobé au témoignage des sens, est par là même fort incertain, très-obscur ; et c'est ce qui l'a rendu la source de beaucoup de discussions, de disputes, d'hypothèses, et en conséquence de beaucoup d'erreurs. Le raisonnement seul peut percer ce mystère ; aussi est-il bien difficîle de donner sur cette matière rien de certain, et c'est un grand point d'atteindre le vraisemblable ; pour s'en convaincre il n'y a qu'à jeter un coup d'oeil sur les différents sentiments qui ont partagé depuis très-longtemps les Médecins.

Les anciens pensaient que l'inflammation se formait par une fluxion rapide d'une humeur chaude et agitée, dans une partie, et surtout dans les vaisseaux destinés à renfermer les esprits. C'est ainsi qu'ils appelaient les artères, qu'ils ont cru jusqu'à Galien qui combat vivement cette erreur, entièrement vides de sang ; si c'était un sang pur et médiocrement épais, dit après Galien Paul d'Egine, l'inflammation était phlegmoneuse, le mélange du sang et de la bîle seule ainsi ramassée, occasionnait les dartres, etc.

On voit à-travers les fautes qu'entrainait nécessairement le défaut d'anatomie, l'ignorance de la circulation du sang, le mauvais état de la physique, etc. que les anciens faisaient consister l'inflammation dans l'arrêt et l'accumulation du sang, d'un sang agité dans les extrémités des artères. Ce sentiment a été renouvellé, après avoir été longtemps ridiculisé et mis en oubli, et on l'a donné comme nouveau, de même que bien d'autres opinions des anciens.

Pendant l'espace de dix-huit siècles que les Médecins ne juraient que par Galien et par Hippocrate, et ne savaient pas penser sans leur secours, on n'a rien innové dans la doctrine des anciens ; et cette théorie, la seule qu'il y eut, était généralement adoptée de tout le monde.

Lorsqu'au commencement du XVIe siècle la Chimie au sortir du berceau commença à fleurir et à dominer, elle éblouit alors loin d'éclairer ; tout le monde lui rendit les armes, et la face de la Médecine fut entièrement changée : les écoles ne retentirent plus que des noms imposans et mal définis de sel, de soufre, d'esprit, etc. On métamorphosa le corps humain en alembic ; le sang fut regardé comme un magasin de différents sels, de soufre, et autres principes chimiques ; on plaça dans toutes les parties et dans tous les couloirs, des ferments particuliers destinés à chaque secrétion ; en un mot, on pensa que les effervescences, fermentations, et autres phénomènes chimiques qu'on observe dans les laboratoires, devaient se remarquer aussi dans le corps humain. Il fut décidé que toutes les maladies devaient leur origine à des combinaisons contre nature des différents principes qui composent le sang ; ainsi Paracelse déduisit la fièvre de l'inflammation d'un principe nitro-sulfureux qui se formait dans le sang, lorsque des mucilages, des esprits salins et nitreux se mêlaient à un soufre impur et fétide, lorsque ce mélange était considérable et répandu dans tout le corps, fleurs qui resultaient de sa progémination, acéteuses, froides et mercurielles, ensuite grasses, inflammables et sulfureuses, produisaient successivement le froid et le chaud fébril. Ce mélange restreint et concentré dans une partie, et toujours entretenu par un abord continuel des mêmes matières, formait l'inflammation.

Un sang abondamment chargé de parties huileuses et sulfureuses, dit Wolfangus Wedelius, venant à s'arrêter dans les pores, causera l'inflammation, surtout érésipélateuse, parce que les parties salines sulfureuses venant à se dilater et à se raréfier, causeront une irritation qui déterminera les efforts de l'archée surveillant.

Willis tour-à-tour fameux anatomiste, grand médecin, excellent chimiste, et surtout si zelé fermentateur, qu'il souhaitait, peut être pas sans fondement, que les Médecins ressemblassent à des vinaigriers, plaça dans tous les couloirs, dans tous les viscères, des ferments particuliers ; il composa le sang humain de ses cinq principes universels, savoir d'esprit, de phlegmes, de sels, de soufre, et de terre, ou caput mortuum ; et comme s'il opérait dans son laboratoire, il procede ainsi à cette composition ; il enchaine les esprits dans les corpuscules grossiers et terreux ; par cette sage précaution, il prévient leur dissipation : d'ailleurs ces esprits retenus font de continuels efforts pour s'échapper ; ils mettent en mouvement, dilatent, subtilisent leurs liens, volatilisent les sels, dissolvent les soufres, les rendent miscibles à l'eau, brisent la terre, et enfin mêlent intimement ces principes entr'eux. De ce mélange il resulte un corps fluide auquel les soufres dissouts donnent une couleur rouge ; ce fluide ainsi formé, est le sang dont les parties sont toujours dans un mouvement intestin de fermentation, ou d'effervescence, dit Willis ; car il confond souvent ces deux mouvements que la chimie moderne a réellement distingués. Lorsque ce mouvement intestin semblable à la fermentation vineuse, est réduit à un juste milieu, il établit la santé : arrêté, diminué, ou augmenté par différentes causes, il est la source de différentes maladies ; si les parties salines et sulfureuses sont plus abondantes, ou plus développées dans une partie, elles embarrasseront le mouvement du sang, l'empêcheront de circuler ; d'où il resultera un choc plus grand et plus subit des parties différentes ; et de-là naitront avec l'inflammation tous les différents symptômes, la tumeur, la rougeur, la chaleur et la douleur, et la fièvre surviendra : si quelque principe, surtout actif, comme les esprits et le soufre, prend le dessus, il s'excitera une sorte d'effervescence, comme il arrive dans un tonneau de vin, lorsque quelque partie, surtout le tartre, prédomine ; cette effervescence ou la fièvre durera jusqu'à ce que le sang enflammé par le feu fébrîle ait deflagré.

Chirac, illustre professeur de Montpellier, homme né avec un génie hardi et créateur, doué de talents supérieurs, et renommé par les changements considérables qu'il a apportés dans la théorie et la pratique de la Médecine, pensait aussi que le sang était composé de sels, de soufre, de terre et d'eau ; que les sels qui entraient dans sa composition étaient de différente nature, les uns acides, et les autres alkalis ; ils entretenaient par leur choc mutuel un mouvement de fermentation, ou plutôt d'effervescence, nécessaire à la coction des humeurs et à leurs différentes secrétions ; si quelques causes augmentaient l'énergie de ces sels, leur choc devenait plus fort, la chaleur plus vive, la fermentation augmentait. Si cette cause avait lieu dans tout le corps, la fièvre était excitée ; si elle était restreinte à une partie, et surtout le sang étant déjà coagulé par les acides, ce n'était qu'une fièvre topique, ou inflammation.

Quelques sectateurs de la physique de Descartes ont trouvé la cause de l'inflammation dans cette matière subtîle éthérée qui, selon eux, est le premier et le seul moteur de toutes choses : en supposant auparavant le sang épaissi et arrêté dans quelques parties, la matière subtîle qui avant cet épaississement parcourait en liberté les pores du sang ouverts et disposés en droite ligne, ne saurait se mouvoir avec la même facilité dans les pores retrécis et tortueux d'un sang coagulé ; ainsi elle sera obligée de faire des efforts pour briser les liens, pour vaincre les obstacles qui s'opposent à son mouvement, pour expulser les matières hétérogènes qui bouchent les pores ; tous ces efforts, ces mouvements, seront nécessairement suivis de chaleur, de rougeur, de douleur, et en un mot il y aura inflammation.

On ne saurait nier que tous ces systèmes ne soient imaginés avec beaucoup d'esprit ; il est fâcheux qu'ils n'aient d'autre mérite, et qu'ils soient si éloignés de la vérité ; une réfutation sérieuse me parait superflue ; les nouvelles analyses du sang et des humeurs en ont banni tous ces principes, qui étaient redevables de leur existence à l'imagination bouillante et préoccupée de quelques chimistes ; la matière éthérée ne méritait pas un traitement plus favorable ; la saine Physique en a reconnu l'insuffisance et le défaut, et l'a condamnée, ainsi que les lois du mouvement de ce grand homme, à une inaction perpétuelle. Aussi toutes ces hypothèses, fruit de l'imagination, ne se sont soutenues que peu de temps en faveur de la nouveauté, et sont tombées dans l'oubli aussi-tôt qu'elles ont eu perdu ce faible avantage, opinionum commenta delet dies.

Les Mécaniciens ont succédé aux Chimistes ; ils se sont élevés sur les débris de la Chimie, dont ils ont renversé les opinions ; le corps humain changea dans leur main de nature ; il cessa d'être laboratoire, et fut transformé en un magasin de cordes, de leviers, poulies, et autres instruments de mécanique, dont le principal but devait être de concourir au mouvement des humeurs ; en un mot, le corps fut regardé comme une machine statico-hydraulique ; et on ne balança pas un moment à en expliquer toutes les fonctions par les voies aveugles et démontrées géométriquement de la mécanique inorganique ; mais il est arrivé très-souvent qu'on a fait une fausse application des principes les plus certains ; leur théorie de l'inflammation, et celle de la fièvre, qui est presque la même, est fondée sur ce principe, dont la vérité n'est rien moins que démontrée dans la fièvre, mais qui est assurée dans l'inflammation ; savoir que le cours du sang est gêné et presque nul dans les extrémités capillaires.

M. Deidier, ancien professeur en notre université, célèbre surtout par les ressources heureuses que lui fournissait une imagination vive dans les cas les plus désespérés, le premier qui ait fait jouer la machine dans le corps humain, regardait la stagnation du sang dans les petites artérioles comme cause suffisante de l'inflammation. Cela posé, disait-il, le sang qui continuellement poussé par le cœur, vient heurter contre ces obstructions, rebrousse chemin, passe plus vite par les vaisseaux collatéraux ; parce qu'une plus grande quantité doit passer dans un temps donné. Il arrive donc au cœur par un chemin plus court, par conséquent plus promptement, et en plus grande quantité ; d'où s'ensuit encore la fièvre générale, qu'il doit regarder dans son système comme compagne inséparable de l'inflammation. Cette explication n'est qu'un enchainement de principes faux et contraires aux lois du mouvement ; car, selon ces lais, un corps mu avec un certain degré de vitesse, rencontrant un corps de la même densité en repos, lui communique la moitié de sa vitesse ; donc le sang poussé par le cœur contre celui qui est arrêté, doit perdre de sa vitesse loin d'en acquérir une nouvelle ; loin donc de traverser plus vite les vaisseaux adjoints, donc il ne doit pas non plus arriver plus promptement au cœur ; car souvent le passage par les vaisseaux collatéraux n'abrège point le chemin ; d'ailleurs il doit y parvenir en moindre quantité, puisqu'une partie des extrémités capillaires lui refuse une issue ; il est démontré que la masse d'un fluide qui s'échappe d'un tube par différents orifices, est proportionnelle à leur nombre. Si dans une pompe de trois orifices égaux, on en bouche deux, le piston continuant de jouer avec la même force, la quantité du fluide qui sortira par le seul orifice sera sous-triple de celle qui s'échappait auparavant par les trois. Ainsi les petits vaisseaux s'étant bouchés par la supposition, la masse du sang qui sera transmise au cœur diminuera à proportion ; donc ces obstacles ne tendront qu'à diminuer la force et la vitesse des contractions du cœur, loin de les augmenter ; la gangrene et la syncope dans ces circonstances seraient plus à craindre que l'inflammation et la fièvre.

M. Fizes, aussi fameux professeur en l'université de Montpellier, suit exactement l'opinion de Deidier ; il pense avec lui que la stagnation du sang suffit pour augmenter sa vitesse dans les vaisseaux voisins, et même par tout le corps ; il ajoute que les parties fibreuses du sang embarrassant l'embouchure des vaisseaux lymphatiques, la lymphe ne sera point séparée. Or cette secrétion qui, selon lui, arrête le cours du sang, n'ayant pas lieu, le sang ira d'autant plus vite, que sa vitesse dans les extrémités artérielles surpasse celle de la lymphe dans ses vaisseaux appropriés : citons les propres termes de l'auteur, pour ne pas paraitre les avoir obscurcis : hinc sanguinis celeritas in eâ proportione crescet quâ sanguinis per vasa minima projecti celeritas lymphae per ductus exiguos fluentis celeritatem superat ; ce qui donne encore la raison si recherchée de l'augmentation prétendue dans la vitesse du sang, soit dans la partie, soit dans tout le corps : c'est assurément prendre bien de la peine pour donner la raison d'un fait qui n'est rien moins qu'évident ; il me semble voir tous les Chimistes disputer, entasser des volumes, pour rendre raison d'une dent d'or supposée naturelle à un enfant qui était à la cour d'un duc de Toscane, tandis que le fait était faux ; ou les Physiciens se mettre à la torture pour expliquer les lampes éternelles de Descartes, dont on constata la fausseté. Cette lymphe qui reste dans le sang sert encore à expliquer la force des contractions du cœur, qu'on croit devoir être jointes à la vitesse pour faire la fièvre ; car par son moyen la masse du sang augmentera. D'où il suivrait que la fièvre sera proportionnée à la quantité de lymphe qui restera dans le sang ; et qu'ainsi une inflammation très-étendue (pour ne pas aller chercher d'autres exemples étrangers, aussi contraires à cette assertion) sera toujours suivie d'une fièvre considérable ; et une inflammation qui occupera peu d'espace, dans laquelle peu de vaisseaux lymphatiques seront embarrassés par ces prétendues parties fibreuses, ne sera jamais suivie de la fièvre : mais la fièvre aiguë qui survient aux panaris, et mille autres observations, font voir tout le faux et l'insuffisance de cette théorie.

Le grand Boerhaave et l'illustre Swieten, le commentateur de ses fameux et obscurs aphorismes, admettent aussi à-peu-près la même opinion ; ils y ajoutent un certain broyement du sang qui se fait dans les vaisseaux obstrués par la contraction de ces mêmes vaisseaux, et par l'impulsion du sang qui aborde continuellement avec la même vitesse, ou une plus grande ; du reste, c'est encore ici un sang qui Ve au cœur par des chemins plus courts, dont la masse est aussi augmentée. Il faut, disent-ils, ou que ce sang surabondant reste dans les vaisseaux libres, ou il doit en sortir avec plus de vitesse : l'un des deux est assurément indispensable ; l'observation et l'expérience que le commentateur a fait sur un chien, font voir qu'il n'y reste pas ; donc, concluent-ils, sa vitesse augmente. D'ailleurs la pléthore suffit, selon qu'ils l'exposent ailleurs, pour déterminer le cœur à des contractions plus violentes et plus réitérées. Quoique la fausseté de cette théorie qui est pourtant encore la plus reçue dans les écoles, appuyée du grand nom de Boerhaave, soit assez démontrée par ce que nous avons dit, je remarquerai que son broyement est purement imaginaire ; que sa pléthore loin de produire la fièvre, doit retarder les contractions du cœur ; aussi voyons-nous que le pouls des personnes pléthoriques est remarquable par sa lenteur : concluons aussi que suivant ces systèmes, une personne qui aura la moitié du corps gangrenée, par exemple, devra avoir une fièvre extrêmement aiguë, dont la force sera en raison composée de l'augmentation des humeurs et de la briéveté de leur chemin. Remarquons enfin, pour en déterminer la nouveauté, que cette stagnation d'un sang broyé et en mouvement de nos modernes, ne diffère pas beaucoup de la congestion d'un sang agité et bouillant que Galien avait établi.

Les éclectiques ou animistes, avec Stahl, ou plutôt Hippocrate leur chef, voyant ou croyant voir l'impossibilité de déduire tous les mouvements humains d'un pur mécanisme, ont recouru à une puissance hyper-mécanique, qu'ils en ont fait le premier auteur. Cette puissance ou faculté motrice est connue dans les ouvrages d'Hippocrate, Galien et autres illustres pères de la Médecine ancienne, sous les noms de nature, d'ame, de chaud inné, d'archée, de chaleur primordiale effective, etc. Tous ces noms étaient synonymes et indifféremment employés pour désigner l'âme, comme on peut le voir par une foule de passages d'Hippocrate, et comme Galien le dit expressément dans le livre intitulé, , où il s'exprime ainsi : , la nature et l'âme ne sont rien autre chose. Dans les maladies les anciens croyaient reconnaître son ouvrage bienfaisant, , dit Hippocrate, Epid. lib. VI. , et ils la regardaient dans l'état de santé comme un principe veillant à la conservation du corps, attirant ce qui lui paraissait bon, le retenant, assimilant ce qui pouvait contribuer à la nutrition de son domicile, et chassant ce qui ne pouvait que lui être nuisible. Galen. de differ. febr. lib. II. cap. XIe

Stahl a renouvellé, corrigé, châtié, ou pour mieux dire, habillé à la moderne le sentiment des anciens qu'on a Ve depuis se glorifier du beau nom de stahlianisme. L'appui d'un si grand maître a attiré beaucoup de sectateurs à cette opinion. On a cru voir l'âme ou la nature, bonne et prévoyante mère, opérer avec choix et succès, quoiqu'à l'aveugle, guérir obligeamment des maladies qu'elle ne connait pas, et manier avec intelligence des ressorts dont la structure et le mécanisme lui sont aussi cachés : qu'importe ? On a observé dans l'éternuement une quantité de muscles mis en jeu et mus d'une façon particulière très appropriée pour balayer et emporter les parties âcres qui irritaient la membrane pituitaire ; dans le vomissement, un mécanisme très-joliment imaginé pour dégager l'estomac surchargé, sans chercher, sans faire attention que ces effets auraient peut-être pu être exécutés avec moins d'efforts et moins de dépense de fluide nerveux. On a crié que ces opérations se faisaient le mieux qu'il fût possible dans la plus parfaite des machines, et conséquemment par la plus spirituelle et la plus bienfaisante des intelligences ; tous les viscères, tous les vaisseaux sont parsemés de nerfs, qui semblent être ses émissaires et ses espions qui l'avertissent des irritations, des dérangements qui demandent son action ; ils sont munis et entourés de fibres musculaires propres à exécuter les mouvements que l'âme juge nécessaires.

Cela posé, pour expliquer l'inflammation, les Stahliens supposent la stagnation du sang dans les vaisseaux capillaires ou dans les pores, comme parle Stahl ; l'âme dès-lors attentive à la conservation de sa précieuse machine, prévoyant le mal qui arriverait si le sang croupissait longtemps immobîle dans les vaisseaux, envoie une plus grande quantité de fluide nerveux dans les vaisseaux obstrués et circonvoisins pour emporter cette obstruction. Si l'inflammation est plus considérable, ou plutôt si la douleur plus vive la lui fait paraitre telle, et le danger plus pressant, l'âme en général instruite proportionnera le remède à la grandeur du péril ; voyant l'insuffisance du premier secours, augmentera par tout le corps (assez inutilement) le mouvement du cœur et des artères ; ce qui quelquefois résoudra l'inflammation ; d'autres fois la fera gangrener, si un médecin attentif ne sait pas modérer la fougue et l'ardeur de ce principe impétueux ; si le sort du combat est malheureux, que la maladie ait le dessus, c'est au défaut des forces, à la mauvaise disposition des organes que le peu de succès doit être attribué, et quelquefois aussi, remarque fort naïvement Nenter, fervent animiste, aux erreurs de l'âme, qui pouvant se tromper, et se trompant en effet très-souvent dans les choses morales, ne doit pas être censée infaillible dans celles qui concernent la conservation de la vie et de la santé.

Cette théorie, qui parait d'abord très-satisfaisante, et qui est surtout assez conforme à la pratique, a été mise dans un très-beau jour, et fort savamment exposée dans une très-belle et très-géométrique dissertation, que M. de Sauvages a fait soutenir il y a quelques années aux écoles de Médecine de Montpellier.

Quelles que soient cependant les autorités et les apparences de cette opinion, elle est fondée sur un principe dont la vérité ne parait pas incontestable : c'est l'âme, dit-on, qui est la cause efficiente de l'inflammation, parce qu'elle est le principe des mouvements vitaux ; quelques effets que les passions d'ame font sur le corps ont d'abord fait hasarder ce paradoxe, et l'on a cru qu'il était à-propos de ne pas laisser un si bel agent sans ouvrage, d'autant mieux que la matière seule a été jugée incapable de se mouvoir par elle-même. Il est vrai que si notre corps était une machine brute, inorganique, il faudrait nécessairement que quelqu'autre agent en dirigeât, soutint et augmentât les mouvements ; et les erreurs des Mécaniciens ne me paraissent partir d'autre principe que de ce qu'ils n'ont pas considéré les animaux comme des composés, vivants et organisés. Mais quand même on serait obligé d'admettre une faculté motrice qui agit et opérât dans le corps, elle devrait être censée différente de l'âme, et destinée à régler les mouvements vitaux, tandis que l'âme serait occupée à penser ou à veiller sur les fonctions animales. Ce qui donnerait occasion de penser ainsi, c'est en premier lieu le peu de connaissance qu'a l'âme de ce qui regarde la nature et ses opérations ; en second lieu, c'est que le corps se trouve quelquefois dans certaines situations où l'âme semble avoir abandonné les rènes de son empire ; tous les mouvements animaux sont abolis ; les demi-animaux, la respiration, par exemple, sont beaucoup affoiblis, et cependant alors les mouvements vitaux s'exécutent souvent avec assez de facilité : la même chose s'observe dans le sommeil, qui n'est qu'une légère image de cet état morbifique ; l'âme ne sent rien ; des causes souvent assez actives de douleur ne parviennent point jusqu'à elle, n'excitent aucun sentiment fâcheux : cependant alors les fonctions vitales s'exercent avec plus de force, ce semble, et d'uniformité.

Mais, demandera-t-on, cette nouvelle faculté motrice est-elle spirituelle, matérielle, ou tient-elle un milieu entre ces deux états ? Je réponds 1°. qu'ayant lieu aussi-bien dans les animaux et les végétaux que dans l'homme, elle ne saurait être spirituelle : je dis dans les végétaux, parce qu'on y observe le même mécanisme, quoique plus simple, que dans les animaux, et que je les regarde comme compris sous la classe des corps organisés, et ne différant que par nuances des animaux irraisonnables (l'homme doué d'une âme pensante et raisonneuse, faisant sa classe à part). Outre la circulation des humeurs, la nutrition, la génération, la végétation, etc. ne voit-on pas, pour choisir un exemple qui soit de mon sujet, dans quelques arbres survenir des tumeurs après des coups, après la piquure de certains insectes ? Pour ce qui regarde les animaux, personne ne doute qu'ils ne soient sujets à l'inflammation et autres maladies comme les hommes, et que chez eux ces maladies ne se guérissent de même.

2°. Tous ces efforts prétendus opérés par un principe aussi-bienfaisant qu'intelligent, et toujours dirigés à une bonne fin, sont trop constants et trop semblables pour n'être pas l'effet d'un mécanisme aveugle. Dans tous les temps, dans tous les pays, dans tous les sexes, les âges, dans tous les animaux, (je ne dis pas les végétaux, parce que cette partie de leur histoire, qui traite des maladies, ne m'est pas assez connue), ces efforts s'exécutent de la même manière ; ils consistent dans l'augmentation du mouvement vital, lorsque les obstacles irritants à vaincre sont dans le système vasculeux, lorsque les nerfs qui servent aux fonctions vitales sont irrités, ce qui arrive le plus souvent ; et le mouvement des muscles augmente contre ou sans la volonté de l'âme, et il survient des convulsions universelles ou particulières, lorsque l'irritation porte sur les autres nerfs, comme il arrive aux enfants et aux hystériques. Il est aussi simple et aussi nécessaire que ces efforts s'exécutent, et qu'à l'irritation survienne l'inflammation, qu'il est naturel que la pression d'un ressort dans une montre à répétition fasse sonner les heures. Si une faculté clairvoyante conduisait ces efforts, elle devrait les proportionner aux dangers, aux forces, au tempérament et à l'état de la maladie, les varier, les diversifier suivant les circonstances, et même les supprimer lorsqu'ils pourraient être nuisibles ou infructueux. Si l'on observait ces efforts ainsi dirigés, et conséquemment toujours suivis d'un heureux succès, qu'on les rapporte à l'âme ou à tout autre principe intelligent, rien de plus naturel ; mais voir toujours la même uniformité dans des cas absolument indifférents, voir des symptômes multipliés et dangereux, souvent la mort même succéder aux efforts de ce principe, appelé bienfaisant ; voir des convulsions violentes, quelquefois mortelles, excitées par une cause très-légère ; toutes les puissances du corps déchainées, la fièvre la plus aiguë animée pour détacher l'ongle du doigt dans un panaris ; voir au contraire ces efforts modérés et trop faibles dans une inflammation sourde du foie ; ne pouvoir pas prévenir la suppuration d'un viscère si nécessaire à la santé et à la vie ; voir enfin des inflammations légères en apparence, suivies bientôt de la mort de la partie ou de tout le corps, par le moyen de ces mouvements prétendus salutaires ; voir, dis-je, tous ces effets, et les attribuer à un principe aussi bienfaisant qu'intelligent, c'est, à ce qu'il me semble, raisonner bien peu conséquemment.

3°. Dans tout corps vivant et organisé, on observe une propriété singulière, plus particulièrement attachée aux parties musculeuses, que Glisson a le premier démontré dans les animaux, et appelée irritabilité, et qui est connue dans divers écrits sous les noms synonymes de sensibilité, mobilité et contractilité. Elle est telle, que lorsqu'on irrite ces parties, elles se contractent, se roidissent, se mettent en mouvement, et semblent vouloir se délivrer de la cause qui les irrite ; le sang abonde en plus grande quantité et plus vite au point où l'irritation s'est faite ; ce point-là devient plus rouge et plus saillant, et il s'y forme une inflammation plus ou moins considérable : on en voit quelques traces dans les végétaux ; quoiqu'elle y soit moins sensible, elle y est très-assurée. Cette propriété entièrement hors du ressort de l'âme, également présente, quoique dans un degré moins fort et moins durable dans les parties séparées du corps, que dans celles qui lui restent unies, est le principe moteur, la nature, l'archée, etc. elle suffit pour expliquer la fièvre, l'inflammation et les autres phénomènes de l'économie animale qu'on déduisait de l'âme ou nature. Voyez IRRITABILITE, SENSIBILITE, etc.

Toutes les expériences faites sur les parties contractées ou sensibles des animaux, démontrent que pour faire naître l'inflammation il ne faut qu'augmenter à un certain point la contractilité des petits vaisseaux artériels d'une partie sujette aux lois de la circulation et exposée à l'action des nerfs. L'irritation qui produit cet effet, est cette épine dont parle van Helmont, qui attire d'abord à un point le sang qui s'y accumule peu-à-peu tout-à-l'entour, qui s'arrête ensuite dans les petits vaisseaux qui y vont aboutir ; ce qui donne lieu aux symptômes inflammatoires. Cette théorie (si ce que nous venons d'avancer mérite ce nom) n'est qu'un exposé ou un corollaire de ce que les expériences offrent aux yeux les moins attentifs. Voyez IRRITABILITE et SENSIBILITE.

Appliquons à présent à cette cause déterminée quelques considérations ou propositions qui nous conduiront à l'examen des causes éloignées évidentes, et dont le développement terminera cette partie.

1°. On croit communément que la stagnation du sang est nécessairement la base de toute inflammation : cette assertion mérite quelqu'éclaircissement ; prise dans le sens qui se présente naturellement, elle est trop générale ; c'est-à-dire si l'on pense, comme c'est le sentiment unanimement reçu, que la stagnation du sang est un principe qui doit précéder et produire l'inflammation. Cette proposition ainsi donnée universellement est fausse. Il y a bien des inflammations excitées par le feu, les caustiques actifs, etc. qui suivent de trop près l'application de la cause, pour qu'on puisse supposer que le sang a dû s'arrêter avant que les symptômes parussent : cette supposition serait d'ailleurs gratuite et démontrée fausse, parce que ces causes suffisent pour augmenter l'irritabilité et exciter les symptômes inflammatoires. Il est bien vrai que dans ces inflammations cet arrêt du sang ne tarde pas à avoir lieu ; ainsi dans certains cas il est cause, dans d'autres il est l'effet de l'inflammation. La tumeur présente dans toute inflammation, quoiqu'inobservable dans celles qui sont internes, toujours constante malgré la syncope et la mort même, le siège de l'inflammation et les causes qui la produisent concourent à fournir des preuves incontestables de ce fait. Par stagnation, hérence, arrêt du sang, etc. je n'entends pas le repos absolu, mais seulement son mouvement retardé de façon qu'il aborde plus vite à la partie qu'il n'en revient.

2°. L'inflammation n'a lieu que dans les petits vaisseaux artériels, sanguins ou lymphatiques. La stagnation qui se ferait dans les gros troncs serait suivie de la syncope ou de la mort ; si par une ligature on intercepte dans un vaisseau artériel considérable le mouvement du sang, l'animal sur qui on fait l'expérience devient inquiet, s'agite et meurt dans les convulsions, et l'on n'aperçoit d'autre inflammation que celle des petits rameaux qui rampent dans les parois de l'artère liée, dans lesquels la ligature a gêné ou interrompu le cours des humeurs. La proposition qui annonce que le siège de l'inflammation n'est que dans les vaisseaux artériels, est fondée sur le peu de contractilité ou sensibilité des veines, sur leur disposition, qui est telle que le sang Ve toujours d'un endroit plus difficîle dans un plus large et plus aisé. Elle est cependant trop générale, à moins que sous le nom d'artères on ne veuille aussi comprendre les veines qui en font les fonctions, et dont les ramifications se multiplient en convergeant : la veine-porte est dans ce cas-là ; aussi je pense que c'est dans ses extrémités qu'est le siege de l'inflammation sourde du foie, si difficîle à connaître et à guérir. Nous avons ajouté que les vaisseaux susceptibles d'inflammation étaient sanguins ou lymphatiques ; en effet, le sang peut s'arrêter dans les premiers, ou s'égarer dans les lymphatiques qui naissent des vaisseaux sanguins ; ce qui produit l'inflammation par erreur de lieu de Boerhaave, le premier qui ait développé cette idée, qui ne lui appartient pas, que Chirac pourrait revendiquer avant lui, mais dont la découverte doit être, avec plus de raison, comme l'a déjà remarqué M. Fizes, attribuée au célèbre Vieussens, médecin de Montpellier, le plus grand des anatomistes français. Il expose fort clairement cette doctrine dans son traité intitulé : Novum systema vasorum. Il dit avoir Ve dans les intestins d'un homme mort d'une inflammation dans cette partie-là, les vaisseaux lymphatiques nouvellement découverts, tous remplis de sang, " qui par leur replis tortueux et leur entrelacement réitéré présentaient un spectacle étonnant et fort agréable ; et de cette observation il suit clairement, ajoute ce grand médecin, que le sang trop abondant ou raréfié peut quelquefois s'épancher dans les vaisseaux lymphatiques dilatés, s'y arrêter et produire une nouvelle inflammation dont je n'ai eu aucune idée claire avant d'avoir découvert l'origine, l'insertion et les distributions des vaisseaux secretoires du corps humain ". Boerhaave n'ignorait pas la vérité de ce fait, rapporté par Vieussens ; cependant sans lui en rendre de justes hommages, il donne cette idée comme lui appartenante. Les anciens avaient eu quelque idée de cette inflammation. Galien dit dans un endroit (Method. med. lib. X. cap. x.) que l'inflammation est quelquefois si violente, que non-seulement les petits vaisseaux sanguins sont engorgés, mais même les vastes espaces qui sont entre ces vaisseaux sont distendus par un sang chaud et abondant : on pourrait croire qu'il veut parler des petites ramifications lymphatiques qui sont dans le tissu cellulaire. On voit un exemple frappant et démonstratif de cette inflammation dans l'ophtalmie, où la cornée opaque arrosée dans l'état naturel des seuls lymphatiques transparents, parait alors n'être qu'un tissu de vaisseaux sanguins gonflés : l'inflammation des tendons, des os, des cartilages, etc. offre le même spectacle et la même preuve. Il y a d'ailleurs des observations qui démontrent que le sang peut se faire jour à travers les plus petits vaisseaux ; ainsi on a Ve des personnes dont la sueur était entremêlée de globules rouges ; on voit des crachats teints de sang, sans qu'on puisse soupçonner la rupture des petits vaisseaux ; les tuyaux excrétoires de la matrice à-travers lesquels il ne suinte ordinairement qu'une humeur ténue et limpide, laissent dans le temps de la menstruation passer du sang rouge en quantité ; si dans ces vaisseaux lymphatiques encore irritables, au lieu du sang, la lymphe, au transport de laquelle ils sont destinés, vient à s'arrêter, il se formera une inflammation blanche, que Boerhaave appelle du second genre, et qui est connue sous le nom d'oedème chaud ; cet auteur s'abandonnant à sa théorie, pense qu'il peut y avoir autant de genres d'inflammation, qu'il y a de genres décroissants de vaisseaux séreux ; mais il ne fait pas attention que l'obstruction ne suffit pas, il faut outre cela qu'elle ait lieu dans les vaisseaux irritables ; sans cela il se forme un skirrhe, ou un oedeme, et non une inflammation séreuse ; les expériences apprennent qu'on n'aperçoit aucune trace d'irritabilité dans les vaisseaux lymphatiques qui sont parvenus à une certaine petitesse. L'on peut conclure de ce que nous avons dit, que toutes les parties qui ont des vaisseaux sanguins ou lymphatiques du premier et second genre, sont sujettes à l'inflammation, et conséquemment il n'y a point de partie à l'abri de cette affection, puisque les admirables et malheureusement perdues injections de Ruysch, nous apprennent que toutes les parties ont des vaisseaux assez considérables ; il n'est pas jusqu'aux os qui ne puissent être susceptibles d'inflammation. Galien assure qu'ils peuvent s'enflammer même indépendamment des membranes qui les environnent ; les observations de Heyne (voyez son traité de l'inflammation des os) confirment cette assertion.

Les causes qui produisent l'inflammation, peuvent se réduire à deux chefs principaux ; savoir à celles qui augmentent d'abord l'irritabilité dans la partie avant de produire la stagnation, et à celles dont l'effet primitif est cette stagnation qui détermine ensuite et excite l'augmentation de contractilité : ces deux causes peuvent agir ensemble et se compliquer.

On peut ranger à la première classe toutes les causes irritantes, le feu, les caustiques, les vesicatoires, le froid extrêmement âcre, les applications huileuses, rances, ou simplement emplastiques, qui agissent en arrêtant la transpiration, les frictions, l'écoulement ou le dépôt de quelque humeur qui ait une âcreté très-marquée, comme il arrive aux hydropiques, aux jambes desquels on observe des legeres inflammations excitées par la sérosité qui s'échappe, aux femmes qui ont des fleurs blanches d'un mauvais caractère, ou un flux gonorrhoïque virulent, tout l'intérieur du vagin est enflammé. L'érésipele scorbutique dépend aussi de la même cause : toutes ces inflammations paraissent participer davantage de l'érésipele que du phlegmon. Je crois que dans l'érésipele le sang est le plus souvent mêlé avec la matière de la transpiration, ou avec quelqu'autre humeur ténue, acre, et surtout bilieuse. Les érésipeles qui surviennent à des coleres effrénées dépendraient-elles d'un dérangement excité dans le foie ? Ce qu'il y a de bien certain, c'est que bien des érésipeles, et surtout ceux qui sont périodiques, méritent souvent d'être attribués à quelque changement opéré dans ce viscère ; c'est la pratique et l'observation qui ont donné naissance à cette idée. Les inflammations qui surviennent aux blessures, luxations, distorsions, et en un mot aux affections dolorifiques, doivent être aussi renfermées dans cette classe.

La seconde classe établie des causes qui excitent l'inflammation, comprend celles qui produisent d'abord l'hérence du sang ou l'obstruction des vaisseaux, et qui y disposent. Pour que le sang s'arrête ou coule plus difficilement dans les vaisseaux de quelque partie, il faut que sa masse augmente par-dessus la capacité des vaisseaux ; ce qui peut arriver, ou par l'augmentation absolue du sang, ou par la diminution de la capacité des vaisseaux, ou enfin par le concours de ces deux causes, l'inflammation n'ayant lieu que dans les petits vaisseaux, où à peine les globules sanguins peuvent passer à la suite l'un de l'autre, il est évident que si les globules sont trop fortement liés les uns aux autres pour pouvoir se desunir par l'action très-foible de ces petits vaisseaux, l'obstruction se formera : or ce vice pourra être produit par le froid, les venins coagulants, les spiritueux, absorbans, acides, austères, invisquans et agissants topiquement. Cette disposition sera engendrée et entretenue dans le corps par l'usage immodéré des liqueurs spiritueuses, aromatiques, vineuses, par les exercices violents, la pléthore, la suppression des excrétions sanguines, l'augmentation des séreuses ; la masse du sang augmentera encore, eu égard à la capacité de ces petits vaisseaux, si plusieurs globules poussés avec trop de rapidité se présentent en même temps à l'embouchure d'un vaisseau qui n'en peut admettre qu'un ; c'est le cas de la fièvre.

Parmi les causes qui peuvent diminuer la capacité des vaisseaux, se présente d'abord la compression, qui peut être excitée par des corps étrangers, des tentes, des tampons, par exemple, placés mal-à-propos dans les plaies par des chirurgiens inhabiles, par des ligatures trop serrées, par les parties dures de notre corps déplacées ou rompues, comme il arrive dans les fractures, luxations, par le poids du corps sur une partie ; ainsi il survient des inflammations au coxis, aux trochanters, aux épaules des personnes qui restent longtemps couchées sur le dos. La compression peut aussi être produite par un sang trop abondant et raréfié, distendant certains vaisseaux ; ceux qui sont voisins souffrent de cette distension ; leur capacité en est par-là diminuée : c'est ce qui a lieu dans les fièvres ardentes inflammatoires.

L'allongement des vaisseaux, leur distorsion peut, en changeant leur figure, en diminuer le diamètre ; on sait que de toutes les figures isopérimètres, le cylindre est, après la sphère, celle qui contient le plus de masse ; si cette figure change de capacité, elle diminue nécessairement : cette cause peut avoir lieu dans les luxations, distorsions de membres ; c'est elle qui, de concert avec la douleur violente, produit les inflammations qu'on observe chez les criminels qui ont souffert la torture.

Enfin la capacité peut être retrécie par la propre contractilité des vaisseaux ; leurs parois ont une force qui les fait tendre à se rapprocher de l'axe : cette force est toujours combattue et empêchée d'avoir son effet par le mouvement et la présence du sang ; si cette force augmente, ou que la force qui la contrebalance diminue, alors les parois approchées mutuellement accourciront le diamètre, et rendront le passage plus étroit. Toutes les causes qui rendent l'irritabilité plus forte, augmentent cette tendance : ces causes ont été détaillées plus haut ; c'est ce qui prouve encore que la stagnation du sang suit de près l'augmentation de l'irritabilité ; le mouvement et la quantité de sang qui retiennent en équilibre cette tendance venant à diminuer, elle aura aussitôt son effet ; c'est ce qui arrive dans les hémorrhagies, et c'est la cause la plus fréquente des inflammations qui surviennent aux blessures et aux opérations ; les vaisseaux coupés obéissant à cette force, se retirent, se cachent dans les chairs, et après que le mouvement et la quantité du sang ont été diminués par l'hémorrhagie, leurs parois s'appliquent mutuellement, le passage est presqu'entièrement bouché ; c'est ce qui fait que ces inflammations se terminent toujours par la suppuration.

Enfin, sans que le sang augmente en masse, ou que le vaisseau diminue en capacité, la proportion peut être dérangée et y avoir obstruction ; c'est lorsque le sang s'égare dans les vaisseaux lymphatiques ; il faut même pour cela que l'embouchure de ces vaisseaux soit dilatée ; la trop grande quantité de sang, son mouvement trop rapide, sa raréfaction produisent souvent cet effet. Il est assez ordinaire de voir les vaisseaux de la cornée engorgés de sang dans les personnes pléthoriques ; la chaleur, et surtout une chaleur humide en est la cause la plus fréquente ; rien n'est si propre à relâcher, affoiblir les vaisseaux et à y attirer le sang ; c'est ce qui fait que les ophtalmies sont si communes, et comme épidémiques dans les constitutions chaudes et humides sans vents (Hippocr. epidem. lib. III.) ; mais ces causes produisent encore plus surement cet effet si elles sont suivies des causes contraires ; c'est-à-dire si à la chaleur succede le froid ; à l'agitation des humeurs leur repos ; à la raréfaction du sang sa condensation, parce qu'alors le sang reste dans les vaisseaux où il était entré ; c'est la raison pourquoi il survient des inflammations aux personnes qui ayant extrêmement chaud, s'exposent au froid, ou boivent de l'eau extrêmement fraiche.

Telles sont les causes qui peuvent produire la stagnation inflammatoire du sang ; telle est leur différente façon d'agir : j'en passe beaucoup d'autres sous silence qui peuvent donner naissance à l'obstruction ; je ne parle ici que de celles qui peuvent l'occasionner promptement, et qui peuvent seules produire l'inflammation : car une obstruction qui se formerait peu-à-peu ne ferait aucune violence aux artères, qui prêteraient insensiblement sans souffrir aucune irritation, et sans entraîner conséquemment les symptômes inflammatoires.

Mais de quelque façon que soit amenée l'obstruction ; quelque cause que ce soit (pourvu qu'elle ait agi promptement) qui ait gêné, retardé, empêché le mouvement du sang dans des vaisseaux soumis aux lois de la circulation, ce sang, toujours poussé par l'abord continuel de celui qui suit, agira contre les parois des vaisseaux avec d'autant plus de force, que son action, selon l'axe, sera plus empêchée, son mouvement intestin, qui est continuellement bridé et retenu par le mouvement progressif, augmentera : double cause de l'irritation qu'il excitera dans ses vaisseaux ; l'irritabilité animée par-là ou par toute autre cause irritante étrangère, deviendra plus active ; les phénomènes qui en dépendent seront plus sensibles ; ainsi les contractions des artères étant plus fortes et plus réitérées, le sang abordera à la partie plus abondamment : effet nécessaire de l'action augmentée des vaisseaux : suite manifeste et constante de toute irritation. Mais 1°. le sang ne s'en allant pas en même proportion de la partie enflammée qu'il y aborde, il s'accumulera, distendra les vaisseaux, augmentera le volume de la partie, l'élevera au-dessus du niveau des autres, et produira la tumeur. 2°. La distraction des fibres nerveuses qui forment le tissu des vaisseaux, suivant leur distension trop forte, causera la douleur. 3°. La chaleur augmentera dans la même proportion que l'action réciproque des vaisseaux sur le sang, et du sang sur les vaisseaux ; elle sera d'autant plus forte, que le mouvement progressif sera plus gêné ; elle sera beaucoup aidée par le mouvement intestin, pour lors plus développé, et par un caractère particulier du sang. Voyez CHALEUR. 4°. La rougeur sera proportionnée à la quantité du sang arrêté, au nombre de vaisseaux lymphatiques engorgés, etc. Si un sang épais, abondant forme la matière de l'obstruction, la tumeur sera dure, la rougeur plus vive, la chaleur et la douleur moindres ; l'inflammation sera phlegmoneuse ; si c'est un sang au contraire fluxile, acre, détrempé de bîle ou de matière perspiratoire qui soit arrêté dans les vaisseaux entamés, unique siège de l'érésipele, la tumeur sera très-superficielle, molle, la rougeur très-douce, etc. l'inflammation sera un érésipele.

Si l'irritation est peu considérable, que la douleur ne soit pas trop forte, ces symptômes accompagneront seuls l'inflammation ; et le mouvement des artères indépendant de celui du sang, ne sera augmenté que dans la partie : cette irritation détermine-t-elle une plus grande quantité de fluide nerveux à la partie, ou ne fait-elle qu'augmenter les vibrations des nerfs ? Il n'y a que de la probabilité de côté et d'autre : un peu plus de connaissance du corps humain pourrait éclaircir la question ; mais c'est une question qui n'est pas de notre sujet, qui serait inutîle et vraisemblablement infructueuse ; ne mêlons point d'ailleurs à nos faits rien d'hypothétique. Par la même raison qu'une légère irritation n'augmente l'action que des nerfs de la partie, et n'excite qu'une fièvre locale, une irritation beaucoup plus vive doit par la communication des nerfs et leur sympathie connue et démontrée par les effets, augmenter le jeu et le mouvement de tous les organes vitaux, c'est-à-dire exciter une fièvre générale : aussi voyons-nous que la fièvre survient non pas aux inflammations les plus vastes, mais à celles qui sont les plus dolorifiques.

On peut déduire de tout ce que nous avons dit, pourquoi les inflammations de la peau, des parties membraneuses, sont si dolorifiques et si vives ; pourquoi au contraire celles qui ont leur siège dans le parenchime des viscères, sont assez lentes et suivies d'une pesanteur plutôt que d'une douleur ; pourquoi l'inflammation du foie, qui dépend de l'obstruction des extrémités de la veine porte, est si lourde et si opiniâtre ; pourquoi les enfants, les femmes sont plus sujets à l'inflammation, &c.

Déduisons enfin de notre théorie, pour terminer cette partie, les différentes issues de l'inflammation. Nous en avons compté six : la résolution, la suppuration, la gangrene, l'induration, la terminaison en oedème, et l'exulcération.

1. La résolution se fait lorsque les phénomènes inflammatoires disparaissent sans qu'on observe le moindre dérangement, le plus léger vice dans la partie enflammée ; le sang alors suit ses routes accoutumées, et les vaisseaux restent dans leur entier. Lorsque l'inflammation n'a son siège que dans les extrémités artérielles sanguines, rien n'est plus simple ; la seule cessation des causes qui avaient déterminé l'inflammation suffit à cet effet ; si c'est une ligature, une compression, un corps étranger, un caustique, etc. ces causes cessant d'agir, l'inflammation se résout, pourvu que l'obstruction ne soit pas trop forte. L'oscillation modérée des vaisseaux rend le sang plus fluide, et son mouvement intestin plus développé par la stagnation, concourt aussi admirablement à sa fluxilité ; ainsi l'inflammation peut être mise dans la classe des maladies qui se guérissent par elles-mêmes. L'impétuosité modérée des humeurs, une certaine souplesse dans les vaisseaux, la qualité d'un sang ni trop épais ni trop acre, mais suffisamment détrempé par la sérosité, favorisent beaucoup la résolution. On voit par-là pourquoi cette terminaison est plus familière aux érésipeles. Si le sang est arrêté dans les vaisseaux, il faut, pour la résolution, ou qu'il rétrograde, ou qu'il passe des artères lymphatiques dans les veines correspondantes ; le mouvement des artères suffit pour faire rétrograder le sang arrêté, ou pour le diviser et le rendre capable de passer par les petits vaisseaux, comme le prouve une observation très-curieuse de Leuwenhoek. Ce physicien observateur examinait avec le microscope dans une chauve-souris à demi-morte de froid et d'inanition, cette membrane fine et délicate qui fait les fonctions d'aîle dans cet animal, il n'aperçut d'abord aucun mouvement ; mais cinq à six heures après que la chauve-souris eut été ranimée par la chaleur, il vit avec le microscope dans une artère quelques globules de sang arrêté, qui par les oscillations de cette artère, allaient et revenaient, rétrogradaient et ensuite avançaient dans ces vaisseaux, jusqu'à ce que suffisamment atténués, ils pussent en sortir. Si l'obstruction n'a lieu que dans le commencement des vaisseaux lymphatiques, alors la résolution pourra se faire par rétrogradation ; mais si le sang trop engagé dans les vaisseaux lymphatiques ne peut revenir dans les sanguins, alors il est transmis de ces artères dans les veines ; et pour qu'il puisse les trouver, il est assez inutîle de recourir à la prétendue composition et décomposition d'un globule rouge en six globules séreux ; le sang peut être atténué par les contractions successives des artères, comme dans l'observation de Leuwenhoek, suffisamment pour pouvoir enfiler les plus petits vaisseaux : bien des observations prouvent en effet que le sang peut traverser, en conservant sa masse et sa couleur, tous les différents ordres des vaisseaux lymphatiques et séreux. Haller dit avoir Ve sortir par intervalles de l'hypocondre droit d'une personne, une assez grande quantité de sang sans la moindre blessure. (Oper. practic. pagin. 584.) Moor raconte qu'une fille âgée de 22 ans, bien réglée, eut une hémorrhagie très-considérable par les joues et les bras, sans qu'on put observer la plus légère solution de continuité. (Praefat. de medicin. instaur.) M. de Lamure, célèbre professeur de Montpellier, m'a rapporté avoir Ve le canal thorachique tellement gorgé de sang, qu'il en imposait pour un vaisseau sanguin. Enfin, sans aller entasser d'autres faits aussi concluans, le chien cruellement et fort à-propos fouetté par M. Astruc, présente un exemple incontestable d'une semblable résolution.

Si par une passion d'ame vive, ou quelqu'autre cause subite, ou même par l'application de quelques répercussifs trop énergiques, ou appliqués à contretemps, la tumeur inflammatoire disparait tout-à-coup ; c'est le cas de la délitescence. Elle se fait par la retrogradation du sang inflammatoire dans les vaisseaux plus considérables, d'où il se jette souvent sur quelqu'autre partie ; ce transport, ce changement s'appellent , métastase.

2°. Lorsque l'obstruction est trop forte, que la résolution ne peut avoir lieu, on observe dans la partie enflammée un battement très-vif et très sensible, une douleur aiguë et beaucoup de dureté ; bien-tôt après la tumeur s'amollit, la douleur cesse, et il n'y a plus aucun battement ; une ouverture naturelle ou pratiquée par l'art, donne issue à une liqueur blanchâtre, épaisse, égale et sans caractère d'âcreté, lorsque le pus mérite d'être appelé légitime et sincère. On croit communément que cette liqueur résulte du mélange des débris des vaisseaux déchirés et rompus avec le sang, et qu'elle est l'effet de l'action mechanique des parties environnantes. C'est un sentiment que M. Fizes a soutenu et présenté sous le jour le plus favorable dans un très savant et utîle traité sur la suppuration ; mais qu'il me soit permis, malgré une autorité si pondérante, de faire observer, 1°. que le mélange des petits filaments vasculeux est assez gratuitement supposé et très-peu nécessaire pour la formation du pus. L'on voit très-souvent des suppurations abondantes, sans qu'on puisse même soupçonner que la destruction des vaisseaux y ait la moindre part. J'ai Ve dans la poitrine d'un homme mort à la suite d'une pleurésie, plus de douze livres de pus qui remplissait toute la capacité droite de la poitrine, et qui était placé entre la plèvre et les muscles intercostaux ; on ne voyait dans ces parties que quelques légers déchirements. Il peut bien se faire que dans ces grandes suppurations, qui dessechent le corps, le tissu cellulaire réduit à son premier état muqueux, contribue en quelque chose à la formation du pus ; du moins alors il est détruit. 2°. Je pense avec Stahl que le mouvement oscillatoire des vaisseaux environnans ne suffit pas pour la suppuration, et qu'il ne sert qu'à modérer le mouvement intestin du sang ; il est très-certain que la sanguification, la nature du sang, et bien d'autres phénomènes de l'économie animale, le prouvent ; il est certain, dis-je, que le sang est continuellement agité par un mouvement intestin de putréfaction, qui dans l'animal vivant est retardé et prévenu par les excrétions, par l'abord du chyle, par le mouvement progressif, et par l'action des vaisseaux ; dès que le sang est hors du corps, ces causes n'ayant plus lieu, ce mouvement augmente, et le sang se pourrit ; lorsqu'il est arrêté dans quelque partie, la même chose arrive ; si dans les parties enflammées, le mouvement oscillatoire ne persistait pas, la putréfaction aurait son effet total ; mais étant retenu en partie, et contrebalancé par le mouvement des vaisseaux, son action se réduit à dissoudre et détruire le tissu mucilagineux du sang, ou à le réduire en pus.

3°. Il est facîle par ce que nous venons de dire, d'apercevoir comment et quand la gangrene terminera l'inflammation ; savoir, lorsque l'obstruction sera très-considérable, l'engorgement fort grand, alors les artères distendues au-delà de leur ton cesseront de battre ; le mouvement progressif du sang et l'action des vaisseaux totalement suspendue, la vie cessera dans la partie ; elle ne consiste, de même que celle de tout le corps, que dans la continuité de ces mouvements. La fermentation putride déjà fort développée dans le sang altéré qui fait la base de cette inflammation, n'ayant plus de frein qui la modere, ne tardera pas à avoir son effet, la putréfaction totale aura lieu ; la partie qui est alors gangrenée devient plombée, brune, livide, noirâtre, perd tout sentiment, et exhale une odeur putride, cadavéreuse ; c'est alors le sphacele, dernier degré de mortification.

La partie gangrenée est pour l'ordinaire couverte de petites ampoules, cloches, , qui sont formées par l'épiderme qui se souleve, et qui renferme une sérosité âcre séparée du sang et de l'air, produit ou plutôt dégagé par la fermentation putride. Il parait encore par-là fort inutîle d'aller encore recourir à un déchirement, à une rupture des vaisseaux obstrués. On voit enfin que l'impétuosité des humeurs vers la partie enflammée, leur âcreté, la grandeur de l'obstruction, doivent concourir beaucoup à faire dégénérer l'inflammation en gangrene.

4°. L'induration est une terminaison familière aux inflammations qui attaquent les glandes conglobées ou lymphatiques, parce qu'alors il y a double obstruction ; savoir celle du sang et celle de la lymphe, s'il n'y a que l'obstruction sanguine de résolue, et que la lymphe reste accumulée dans ses vaisseaux, elle y formera une tumeur dure, indolente, skirrheuse.

5°. Il peut arriver surtout dans les érésipeles qui sont formées par l'arrêt du sang, et de beaucoup de sérosité dans les vaisseaux cutanés, sanguins et lymphatiques, que le sang soit dissipé seul ; la tumeur sereuse persistera, elle sera molle, insensible, etc. c'est le cas des érésipeles qui se terminent en oedème.

6°. L'exulcération aura lieu principalement dans les inflammations qui ont leur siège dans des vaisseaux tendres et délicats, exposés au frottement, à l'impression du froid ; la moindre cause déchire ces petits vaisseaux, le froid les fait gercer avant que le pus soit formé. On peut en avoir des exemples assez fréquents dans cette espèce d'inflammation érésipélateuse, connue sous le nom de mules, engelures.

Partie thérapeutique. Le diagnostic. Il ne suffit pas de connaître l'inflammation, il faut en distinguer les différentes espèces, et il est aussi très-important d'être instruit des causes qui l'ont produite ; c'est sur ces trois points principalement que doit rouler le diagnostic. L'histoire de l'inflammation exposée au commencement de cet article, répand un grand jour sur cette partie ; nous savons en effet que la douleur et la chaleur fixées à une partie, sont des signes qu'il suffit d'apercevoir pour être assuré que la partie à laquelle on les rapporte est enflammée. Si cette partie est intérieure, la fièvre plus ou moins aiguë survient, et l'on observe un dérangement dans les fonctions propres à cette partie ; si l'inflammation est externe, à la douleur et à la chaleur, on voit se joindre pour confirmer le diagnostic, la rougeur et la tumeur de la partie enflammée. 2°. Il n'y a pas plus de difficulté pour distinguer une inflammation phlegmoneuse d'avec celle qui est érésipélateuse ; qu'on se rappelle les signes que nous avons détaillés plus haut, propres à l'une ou à l'autre de ces inflammations, et qui les différencient aussi de celles qui ne participent ni de l'une ni de l'autre. 3°. Le diagnostic des causes exige plus de recherches et un examen plus grand, et il est plus nécessaire qu'on ne pense pour la curation. Il faut dans cette partie que le malade et les assistants aident le médecin ; c'est le cas de dire avec Hippocrate : . " Il ne suffit pas que le médecin fasse exactement ce qui convient, il faut que le malade, les assistants et les choses extérieures y concourent ". Aphor. 1. lib. I.

Le point principal consiste à déterminer si les causes sont internes ou extérieures locales ; on peut, et par le témoignage et en interrogeant le malade, savoir si l'inflammation est dû. à l'action du feu, du froid, d'un caustique, à une luxation, fracture, compression, etc. Si aucune de ces causes ou autre extérieure quelconque n'a précédé, il y a tout lieu d'assurer que c'est une cause interne, un vice du sang qui a déterminé l'inflammation ; l'on peut en outre s'instruire quel est le vice du sang, des humeurs, qui mérite d'être accusé ; si c'est la raréfaction, l'épaississement, ou la trop grande quantité de sang par les signes propres à ces différents états. Voyez RAREFACTION, EPAISSISSEMENT, PLETHORE. Si l'inflammation survient à la fin d'une fièvre putride, maligne, pestilentielle, etc. et surtout si elle est accompagnée d'une diminution dans les symptômes, elle est censée critique. Ces inflammations ordinairement phlegmoneuses, ont leur siège dans les glandes parotides ou inguinales, d'où leur est venu le nom de parotides ou bubons ; ce n'est pas qu'il n'en survienne dans d'autres parties, j'en ai Ve plusieurs fais. Quant aux érésipeles, on juge qu'ils doivent être attribués à un sang bilieux, ou à quelque dérangement dans le foie, lorsqu'ils viennent surtout au visage sans cause évidente, qu'ils sont périodiques et très-opiniâtres.

Le pronostic. Les jugements qu'on peut porter sur les suites de l'inflammation sont extrêmement différents ; le siège, la grandeur, les causes, l'espèce d'inflammation, la vivacité des symptômes, des accidents, les terminaisons, et mille circonstances, en font varier le pronostic à l'infini ; c'est ce qui fait que les généralités dans ces cas-ci sont souvent si fautives, et presque toujours inutiles ; ce qui me donne occasion de faire observer 1°. que ceux qui ont voulu donner un pronostic générique pour toute inflammation, et qui ont dit que c'était une maladie aiguë, par conséquent toujours dangereuse, et qui ont fait sonner bien haut qu'elle attaquait le principe vital, etc. n'ont donné que des mots vides de sens et pleins de faussetés ; car il est très-certain qu'il y a des inflammations sans danger tout comme il y en a avec danger ; et bien plus il y en a qui loin d'apporter aucune incommodité, sont souvent très-salutaires.

2°. Quand je dirai que telle ou telle inflammation est plus ou moins dangereuse que telle ou telle autre, je prie qu'on ne prenne pas cela à la lettre, de façon qu'on regarde la proposition comme rigoureusement vraie, et à l'abri de toute exception ; je ne parle que de ce qui arrive ordinairement, et je regarderais même comme un grand point de rencontrer juste le plus souvent. Il faut pour réaliser une pareille assertion, un concours de circonstances, qu'il est bien rare, pour ne pas dire impossible, de rassembler : il faut placer deux inflammations, dont on compare le pronostic dans des cas absolument semblables ; si l'on veut par exemple, décider sur deux inflammations, dont l'une est à la tête et l'autre aux extrémités, supposer le même degré d'inflammation, la même cause, la même constitution de sang, le même tempérament, le même sujet, le même siège, le même engorgement, etc. et quand on aura réuni toutes ces circonstances, il faudra, pour ne pas courir le risque de se tromper, dire qu'ordinairement l'inflammation à la tête est plus dangereuse que celle qui est aux extrémités ; et cela arrivera effectivement le plus souvent. Il est assez reçu qu'une inflammation intérieure est pleine de danger, tandis que celle qui est externe, n'a pour l'ordinaire aucune suite fâcheuse ; cependant un panaris, un charbon, seront suivis d'une mort prompte, tandis qu'une pleurésie se terminera heureusement. Autre exemple, la résolution est communément regardée comme la terminaison la plus favorable ; cependant elle serait nuisible dans toutes les inflammations critiques, dans celles qui dépendent d'un virus ; et enfin, je crois que dans toutes celles qui ont quelque cause intérieure, la suppuration est préférable. On voit par-là que ces signes généraux qui regardent le pronostic, et surtout le pronostic comparé, dont tous les traités de Médecine regorgent, et moyennant lesquels on prétend s'afficher praticien consommé, ne sont souvent que des corollaires théoriques, qui ne mènent pas à grand'chose. Le véritable pronostic ne peut bien se saisir qu'au lit du malade ; les circonstances et les accidents qu'on observe, etc. le décident. Je vais néanmoins, pour me conformer aux usages reçus, et suivre l'ordre proposé, donner là-dessus quelques généralités peu rigoureuses, et dont je ne garantis pas l'utilité dans la pratique.

1°. Les inflammations qui attaquent quelque partie considérable interne, quelque viscère, sont plus dangereuses que celles qui ont leur siège extérieur ; parmi celles-ci, celles qui occupent la tête ou le col, comme les érésipeles qui l'entourent en forme de collier, que les Grecs appellent , sont plus à craindre que celles qui sont aux pieds, aux mains, etc. Leur siège dans les parties tendineuses, aponévrotiques, glanduleuses, nerveuses, dans les membranes tendues, extrêmement sensibles, les rend plus fâcheuses que celles qui sont dans les cas opposés.

2°. Les inflammations formées et entretenues par quelque vice général du sang, sont plus difficiles à guérir, et plus dangereuses que celles qui ne supposent qu'un dérangement local dans la partie affectée ; et parmi les causes extérieures, il y en a qui agissent plus violemment, comme le feu, les caustiques actifs, fractures, etc. et qui augmentent par-là le péril de l'inflammation.

3°. La grandeur de l'inflammation contribue rarement à la rendre plus fâcheuse ; c'est surtout la vivacité de la douleur et la violence des accidents qui la suivent, qui peuvent rendre le danger plus ou moins pressant, comme la fièvre, les veilles, convulsions, délire, etc.

4°. On croit communément que l'inflammation érésipélateuse est plus dangereuse que le phlegmon, parce, dit-on, que le sang est plus âcre, la douleur plus vive, la gangrene plus prochaine, etc.

5°. La constitution du sujet, le tempérament, l'âge, etc. peuvent aussi faire varier le pronostic ; chez les personnes cacochymes, les scorbutiques, hydropiques, etc. les inflammations se résolvent rarement ; elles dégénèrent en suppuration de mauvais caractère, ou en gangrene, de même que dans les tempéraments phlegmatiques et les vieillards. Dans les jeunes gens d'un tempérament vif et sanguin, chez les personnes extrêmement sensibles, les accidents sont toujours plus graves ; la terminaison est bien-tôt décidée en bien ou en mal.

6°. De toutes les terminaisons, la résolution est ordinairement la plus heureuse, la seule qui soit vraiment et entièrement curative ; les autres terminaisons sont des maladies où la mort succede à l'inflammation. Il est des cas particuliers où la suppuration est plus avantageuse ; et quoique la gangrene soit l'état de mort, la terminaison la plus fâcheuse, il est des cas au-moins à l'extérieur, où elle est plus à souhaiter qu'à craindre ; c'est lorsque les accidents qui surviennent à l'inflammation sont extrêmement violents, le corps est prêt à succomber aux efforts trop actifs et trop longtemps soutenus d'une fièvre opiniâtre ; alors la mort d'une partie est nécessaire pour sauver la vie de tout le corps.

La partie du pronostic la plus certaine et la plus utîle dans la pratique, est celle qui comprend les signes qui présagent la terminaison de l'inflammation. On doit s'attendre à la résolution lorsque les symptômes de l'inflammation sont modérés, que la douleur est légère, ou plutôt n'est qu'une simple démangeaison, lorsqu'on commence à voir une diminution graduée et insensible dans le volume et la dureté de la tumeur, et qu'on observe une humidité sur la partie enflammée. 2°. La suppuration s'annonce par l'augmentation des symptômes, par le caractère de la douleur, qu'on appelle pulsative, par la figure de la tumeur, qui finit en une pointe extrêmement dure, et dans laquelle le battement est plus sensible. Cette terminaison est plus fréquente et plus avantageuse dans les phlegmons que dans les érésipeles, où la suppuration est fort rare, et presque toujours d'un mauvais caractère. 3°. Les inflammations qui tendent à l'induration occupent toujours des parties glanduleuses ; elles sont phlegmoneuses ; la douleur, le volume, la chaleur, diminuent sensiblement, et cependant la dureté, la résistance deviennent plus marquées ; cette gradation s'observe jusqu'à-ce que l'inflammation soit transformée en skirrhe ; cette terminaison est plus incommode que dangereuse. 4°. Lorsque l'inflammation est érésipélateuse, qu'elle occupe un espace assez considérable, que la tumeur qui l'accompagne est fort élevée, molle, facîle à recevoir l'impression du doigt, et lente à se rétablir, on peut, comme je l'ai observé, s'attendre qu'à l'inflammation surviendra un oedème. 5°. On doit craindre l'exulcération dans les parties qui sont faibles, délicates, comme au bout des mammelles, au vagin, aux yeux, dans celles qui sont exposées à l'air froid, et surtout quand c'est à cette cause que l'inflammation doit être attribuée, comme on l'observe dans les engelures. 6°. Les signes qui présagent la terminaison en gangrene, sont une augmentation considérable des symptômes, une tension excessive, une douleur extrêmement vive, mais sans battement ; et lorsqu'elle est déjà commencée, la peau se flétrit, devient plombée, et la douleur cesse presqu'entiérement.

La curation. Nous pouvons appliquer ici avec encore plus de raison, ce que nous avons dit du pronostic de l'inflammation ; c'est qu'il est bien difficile, j'ose même dire dangereux, de donner des méthodes thérapeutiques générales ; ainsi ne pouvant entrer dans un détail circonstancié de tous les cas particuliers, ni suivre toutes les indications qui pourraient se présenter, nous nous contenterons d'exposer quelques considérations pratiques sur l'usage des remèdes qu'on a coutume d'employer dans le traitement des inflammations extérieures ; telles sont la saignée, les émolliens anodins, narcotiques, résolutifs, suppuratifs, antigangréneux. Il nous suffira de faire observer qu'on ne doit pas négliger les secours intérieurs ; lorsque la cause qui a produit l'inflammation est interne, il faut approprier les remèdes à la cause ; dans l'épaississement insister sur les apéritifs, incisifs salins, sudorifiques, etc. dans la raréfaction, faire principalement usage des boissons abondantes, acides ou nitreuses ; dans les érésipeles du visage périodiques, avoir recours aux émétiques, aux antibilieux, hépatiques, fondants, aux eaux minérales, acidules, aux martiaux, et surtout à l'aloès combiné avec le tartre vitriolé ; il est inutîle d'avertir qu'il faut, autant qu'on le peut, faire cesser l'action des causes évidentes connues, remettre une luxation, rappeler des excrétions supprimées, etc.

1°. La saignée. Le plus sur, le plus incontestable, et peut-être le seul effet de la saignée, est de desemplir les vaisseaux, de diminuer la quantité de sang ; cet effet est suivi d'un relâchement dans le système vasculeux, et d'une diminution très-marquée dans la force des organes vitaux. De ces principes connus et constatés par une observation journalière, on peut déduire les cas d'inflammation où la saignée convient. Toutes les fois que la quantité ou le mouvement du sang sont trop augmentés, que l'irritabilité est trop animée, que la douleur, la chaleur, la fièvre et les autres accidents pressent un peu trop vivement ; dans d'autres cas elle sera tout au moins inutile, quelquefois dangereuse ; au reste quand je dis que la saignée peut être dangereuse, je ne parle pas d'une ou deux saignées, qui de la manière dont on les fait en quelques lieux, ne sont le plus souvent qu'indifférentes ; mais de ces saignées copieuses et multipliées à l'excès, qui sont aujourd'hui et ici fort à la mode. Boerhaave regarde la saignée comme extrêmement avantageuse dans l'inflammation par erreur de lieu. Quant à moi, il me parait qu'à l'exception de quelque cas très-rare, il n'y a pas de plus mauvais remède ; mais voici comment Boerhaave raisonne, (observez qu'il raisonne, et qui pis est, théoriquement à sa coutume) : le sang qui est arrêté dans les lymphatiques doit, pour que la résolution ait lieu, rétrograder ; or cette rétrogradation étant empêchée par l'abord continuel du sang poussé par les forces de la circulation, moins il y aura de sang, moins il sera poussé avec force contre ces petits vaisseaux, et plus facilement se fera la rétrogradation du sang engagé : raisonnement très-lumineux, qui le conduit à ordonner dans ces cas-là, des grandes évacuations de sang, des relâchants et des frictions, légères sans-doute ; evacuatione magnâ sanguinis arteriosi, venosique per sanguinis missionem ; 2. laxatione fibrarum ; 3. frictione artificiali. Qu'il me soit permis d'opposer à l'autorité du grand Boerhaave, 1°. que les grandes évacuations de sang, pour me servir de ses termes, relâchent et affoiblissent les vaisseaux, et que cependant pour que la rétrogradation ait lieu, il faut des oscillations un peu fortes de la part de ces vaisseaux délicats. 2°. Que rien ne contribue plus à diminuer ces oscillations, à former et augmenter l'obstruction par l'erreur de lieu, que la faiblesse et le relâchement des vaisseaux, comme il est forcé de l'avouer lui-même, aph. 118. 3°. Que dans les cas même où cette obstruction aurait été produite par le mouvement augmenté du sang, la saignée abondante serait pernicieuse, précisément parce qu'elle diminuerait ce mouvement ; les causes qui font naître l'obstruction par erreur de lieu, ajoute ce grave auteur dans le même aphorisme, ne la rendent jamais plus opiniâtre que lorsqu'elles sont suivies des causes opposées. 4°. Remarquons enfin pratiquement que les ophtalmies, qui offrent un exemple de cette espèce d'inflammation, sont très souvent augmentées par les saignées, qu'on se garde bien de les traiter par les émolliens relâchans, etc. que les remèdes qui sont les plus appropriés dans ces cas, sont les roborants, résolutifs un peu forts, les répercussifs, tels que l'eau-rose, l'eau de fenouil, l'alun, etc. les relâchants n'y conviennent pas mieux ; et les frictions qu'il conseille aussi pourraient être d'un grand secours si on les faisait fortes ; dura (frictio), ligat, stringit ; elles resserrent, produisent un effet contraire à ses saignées ; une friction faible tombe dans l'inconvénient des relâchans, mollis solvit. Hippocr. de medic. offic.

Les émolliens narcotiques. 2°. Il en est des émolliens relâchans, etc. comme de la saignée, ils conviennent dans les mêmes cas ; leur principal effet est de détendre, d'humecter, d'affoiblir, d'efféminer, pour parler avec Hippocrate, les solides, d'en diminuer l'irritabilité ; vertu que possèdent éminemment et d'une façon singulière les narcotiques pris intérieurement, ou simplement appliqués à l'extérieur ; tous ces remèdes sont évidemment indiqués lorsque la douleur est extrêmement aiguë, la tension très-considérable, la contractilité excessive ; mais il est surprenant de voir appliquer ces remèdes, surtout les émolliens, dans presque toutes les inflammations, malgré le peu de succès, ou même les inconvénients qu'on voit en résulter si souvent. Les narcotiques sont plus dangereux, ils exigent aussi beaucoup plus de circonspection et de prudence dans leur administration ; ils calment tout de suite les douleurs les plus vives, émoussent et assoupissent pour ainsi dire, la sensibilité, diminuent le mouvement des artères, qui en est une suite et par conséquent la vie de la partie ; aussi n'est-il pas rare de voir des inflammations terminées en gangrene par l'usage hors de propos de ces médicaments. Ce que nous venons de dire peut aussi s'appliquer à quelques préparations du plomb, dont l'effet est merveilleux dans les mêmes cas où ces remèdes conviennent ; mais si on les applique indifféremment à toutes les inflammations, à la manière des charlatants ou des enthousiastes, ils produisent souvent de très-pernicieux effets. J'ai Ve par exemple, une ophtalmie très-légère augmenter considérablement par l'application de la liqueur de Saturne ; le malade courait risque de perdre l'oeil si l'on n'avait ôté bien-tôt cet excellent topique. Je ne saurais cependant croire que ce remède agisse en répercussif, comme on le pense communément, fondé sur ses succès heureux dans les inflammations érésipélateuses : je me suis convaincu du contraire dans la guérison d'une gale que j'opérai par ce seul remède ; je vis avec étonnement que par l'application de la liqueur de Saturne, les pustules, loin de rentrer, sortirent plus abondamment, et se multiplièrent beaucoup ; après quelques jours d'éruption, elles séchèrent.

Les résolutifs. Je n'entends pas ici pas résolutifs cette foule de médicaments de différente espèce, quoique compris sous le même nom et la même classe qui, soit en ramollissant, soit en stimulant, soit en calmant les douleurs, peuvent concourir à la résolution d'une inflammation. Je n'appelle de ce nom que ceux qui passent pour avoir la vertu de diviser le sang épaissi, engagé, et de le faire passer par les extrémités des petits vaisseaux, et qui dans le vrai ne font que resserrer, agacer, et stimuler les vaisseaux. Leur prétendue action sur le sang n'est rien moins que suffisamment prouvée ; il n'y a que le mercure, et peut-être le plomb, dans qui cette propriété soit réelle ou du moins constatée d'une manière satisfaisante, ainsi c'est en agissant simplement sur les vaisseaux que les remèdes dont il est ici question concourent à la résolution ; cette terminaison étant principalement operée par les oscillations des vaisseaux et le mouvement intestin du sang ; on voit par-là que les résolutifs seront très-appropriés dans les cas où les symptômes de l'inflammation ne sont pas violents, où il faudra augmenter le ton des vaisseaux relâchés, ranimer le mouvement des humeurs engourdies. Dans les érésipeles oedémateux, par exemple, leur principal usage est sur la fin des inflammations, pour aider une résolution qui s'opère lentement ; et il faut pour les employer en sûreté, que la résolution commence à se faire, ou plutôt qu'elle soit à-demi faite. La précipitation à cet égard est toujours nuisible ; si l'inflammation était trop considérable, la tumeur dure, l'obstruction trop forte, leur application ne pourrait qu'être très-pernicieuse. Il en est de même à plus forte raison des répercussifs, qui ne diffèrent des résolutifs que par le degré d'adstriction plus fort ; ils fortifient, resserrent, et crispent davantage les vaisseaux. Appliqués à contre-temps, ils font plus surement dégénérer l'inflammation en gangrene ; ils doivent être bannis de l'usage dans toutes les inflammations qui dépendent de quelque cause interne ; ils risqueraient d'occasionner quelque transport ou métastase dangereuse ; mais dans les inflammations occasionnées par quelque cause extérieure, ils produisent de très-bons effets, si on les applique de bonne heure ; le retardement pourrait avoir des inconvénients fâcheux ; dans les brulures, l'esprit-de-vin, un des forts répercussifs appliqué dès le commencement, est regardé comme spécifique. Ils ont la propriété singulière et très-remarquable de prévenir les inflammations qu'on a sujet de craindre à la suite d'une chute, d'une luxation, d'une foulure, etc. On se trouve très-bien de plonger tout de suite, après quelqu'un de ces accidents, la partie affectée dans de l'eau bien froide, ou de l'esprit-de-vin. En général ces remèdes réussiront mieux dans les inflammations érésipélateuses, que dans les phlegmons ; mais leur succès dépend toujours de la promptitude de l'application.

Suppuratifs. Il y a différents remèdes connus sous le nom de suppuratifs, maturatifs ; parce qu'accidentellement et dans quelques cas particuliers, ils ont accéléré ou favorisé la suppuration ; mais à proprement parler, il n'y a point de vrai suppuratif ; la suppuration est une véritable coction, ouvrage de la nature, c'est-à-dire, du mouvement du sang et de l'action des vaisseaux. Ainsi tout remède, eu égard aux conditions où se trouveraient le sang et les vaisseaux, peut devenir suppuratif et cesser de l'être. On observe cependant que l'application de certains médicaments est assez constamment suivie de cet effet ; mais il parait que c'est plutôt à la forme du remède qu'au remède lui-même, qu'il doit être attribué. C'est lorsque ces remèdes sont disposés en forme d'onguents, cataplasmes, emplâtres, et par-là rendus très-propres à intercepter la transpiration, accélérer en conséquence le mouvement intestin, et augmenter l'engorgement qu'ils peuvent faire tourner à la suppuration une inflammation qui sans cela peut-être se résoudrait. Ainsi ces remèdes conviendront dans les inflammations critiques, pestilentielles, dans celles qui sont produites et entretenues par un virus ou quelqu'autre cause interne ; ils sont plus appropriés aux phlegmons, surtout dans le temps qu'ils s'élèvent en pointe, et que les douleurs et les battements y aboutissent, et y sont plus sensibles ; signes d'une suppuration prochaine.

Les anti-gangreneux. On a donné le nom d'anti-gangreneux, ou anti-septiques, à des médicaments qu'on a cru capables de prévenir la gangrene, de la guérir, ou d'en arrêter les progrès. Ces remèdes ne sont que des résolutifs très-énergiques, dont l'effet se réduit à relever avec plus ou moins d'activité le ton, et augmenter le mouvement des vaisseaux. Presque toutes les inflammations qui dégénèrent en gangrene tendent à cette terminaison à cause de l'excessive irritabilité, de la roideur et de la tension trop considérable des vaisseaux qui les empêchent de réagir et de modérer le mouvement intestin du sang : ainsi l'idée d'employer les stimulants anti-gangreneux, dans la vue de prévenir la gangrene, est une idée purement théorique, et qui n'est d'accord avec la pratique que dans quelques cas particuliers très-rares d'inflammation, où le mouvement du sang ralenti joint à un trop grand relâchement, à une espèce d'insensibilité, fait craindre la gangrene. Si elle est déjà commencée, que la partie soit un peu ramollie, la sensibilité émoussée, et les vaisseaux flétris et relâchés ; on peut en sûreté les ranimer par les spiritueux roborants anti-septiques ; le plus sur, ou pour mieux dire, le seul secours propre à prévenir la gangrene, qui est aussi très-propre à en arrêter les progrès, consiste dans les scarifications.