S. f. PUTRÉFIER, Ve neut. (Chimie) la putréfaction est le dernier degré de la fermentation, on la regarde presque généralement comme l'extrême dissolution des corps qui se corrompent. Stahl veut que ce soit le dernier état de division où les mixtes conservent leur combinaison, et approchent le plus d'être des individus. Stahl aurait sans doute expliqué cette idée dans une théorie particulière de la putréfaction qu'il avait promise, et qu'on ne peut que regretter.

Toutes les espèces de fermentation peuvent être comprises sous la putréfaction ; c'est ainsi que les anciens disaient que le vin est produit par la putréfaction du mout, et que le vinaigre est un mout putréfié. La putréfaction peut être définie, ainsi que la fermentation prise en général, un mouvement intestin qui étant imprimé aux corps par le jeu du fluide aqueux, dérange la mixtion de leurs parties salines, grasses et terrestres, qui les sépare, les atténue, les transpose et les combine ensuite de nouveau. La putréfaction embrasse tous les sujets de la fermentation spiritueuse et acéteuse, celles-ci tendent toujours à se terminer par la putréfaction ; l'art seul les fixe, et les empêche d'y parvenir. Les sujets immédiats de la putréfaction sont tous les corps qui renferment trop peu de substance saline pour être disposés aux autres espèces de fermentation, mais qui ont beaucoup de substance grasse, attenuée, et de terre muqueuse.

Dans les composés grossiers, tels que la paille, il entre un peu d'eau qui en fait mouvoir le sel, et qui en agite la substance grasse et attenuée que l'air enlève ensuite, et détache des parties terreuses ; une trop grande humidité affoiblit trop sans doute le peu de sel qui est dans ces composés, et l'empêche de réagir sur la partie grasse ; c'est par cette raison que des tas de paille qu'on entretient humides se réduisent presqu'entièrement en poussière dans quelques jours d'été.

La putréfaction détruit les saveurs et les odeurs, sépare entièrement l'humidité en desséchant les corps, en donnant à l'eau une place destinée, et en précipitant au fond la matière putréfiée sous la forme d'une terre noire et limoneuse qui renferme un principe gras. Les substances corrompues donnent la meilleure terre pour fertiliser les champs, sa légèreté fait qu'elle est d'autant mieux pénétrée des principes de la fécondité, et qu'elle ne les retient pas trop longtemps. Une autre cause qui rend le fumier si propre à la fécondité, c'est que, par la putréfaction, il acquiert une qualité saline qui le rend propre à altérer et à conserver l'humidité de l'air ; c'est là le principe qui rend plusieurs terres salines très-propres à fournir un excellent engrais.

A quelque point qu'on échauffe les concrets gras et huileux pour les faire putréfier, leur raréfaction n'est point du tout considérable à proportion, à-moins que la chaleur ne soit extrêmement fortifiée par la grande quantité de matière qu'on fait fermenter à-la-fais ; c'est pourquoi les substances qui se putréfient ne demandent pas les mêmes précautions que celles qui fermentent, et ne font point craindre la rupture des vaisseaux où elles sont renfermées, cependant les sujets de la fermentation même écumeuse ont peu de chaleur ; et ceux de la putréfaction sont susceptibles d'un grand degré de chaleur qu'ils entretiennent longtemps.

Le fumier s'échauffe davantage en hiver : phénomène que Stahl explique ingénieusement, parce que les molécules agitées alors du mouvement circulaire autour de leur axe qui constitue la chaleur, et qu'elles se communiquent successivement, sont frappées dans le temps où elles tournaient par l'impulsion rectiligne que le froid donne à l'éther, et cette impulsion rarement dirigée par les centres de ces molécules doit fortifier leur mouvement verticilaire, ou augmenter leur chaleur.

D'un autre côté, un air sec retarde extrêmement la putréfaction ; c'est ainsi que les fruits d'hiver étant mis sur de la paille se conservent plus long temps, parce que leur tissu est continuellement serré par l'air libre qui pénètre entre les interstices de la paille. Un temps humide et chaud est de tous les états de l'athmosphère le plus favorable à la putréfaction.

L'air favorise le progrès de toutes les espèces de fermentation, mais surtout la putréfaction ; il ne concourt même directement qu'à celle-ci, parce que s'il a un accès libre dans les liqueurs qui fermentent, il en enlève les parties sulphureuses, de même qu'il enlève celles des charbons dont l'union étroite avec la terre résiste à l'action du feu. Quelques-unes de ces parties sulphureuses qu'il met en mouvement se précipitent avec les feces, dans lesquelles la fermentation devient putride, et produit une véritable séparation des parties terrestres d'avec les huileuses, qui donne à celles-ci leur plus grande mobilité. Stahl croit que comme l'esprit ardent est le produit de la fermentation des substances végétales douces et qui tournent à l'acide, les autres substances qui tendent à la putréfaction, donnent un sel volatil, qui est une substance tenue fort mobîle et plus saline que l'esprit ardent. Cette analogie est confirmée, parce que la gelée de corne de cerf, lorsqu'on la laisse putréfier pendant quelques semaines avant que de se distiller, fournit beaucoup moins d'huile, et une plus grande quantité de sel volatil. La mixtion grasse des feces d'une liqueur qui fermente, principalement du vin, est particulièrement disposée à une combinaison plus intime de ses parties. Le feu est un instrument très-promt de ces combinaisons ; l'air l'opère successivement et lentement. On sait dans les cuisines que les décoctions des chairs sont naturellement salées d'un sel qui approche de la nature du sel commun. Il n'est point de substance animale dans laquelle le sel ammoniacal, dont la putréfaction produit un sel volatil, soit aussi développé que dans l'urine. Cela est prouvé par l'observation de Barchusen, qui n'a pu retirer du sel volatil par l'analyse d'autres excréments que de ceux des oiseaux ; ce qu'il explique fort bien, parce que dans les oiseaux l'urine se confond avec les gros excréments, et sort par la même issue. Le sel ammoniac dont nous parlons n'est autre que le sel microscomique de M. Marggraf, dans lequel il semble que le sel marin doit se changer dans toutes les matières, tant végétales qu'animales, qui sont sujettes à la putréfaction, et qui peuvent en cette qualité fournir du phosphore, suivant Kunkel.

Par les progrès du mouvement de fermentation, l'acide animal ou végétal se combine avec le principe huileux, et forme le sel urineux volatil. Si on a ôté à ce sel ce qu'il a d'urineux, dit Stahl, il parvient aisément à l'état du sel universel ou d'acide pur, mais il passe plus ordinairement par l'état comme moyen du sel nitreux. Voyez NITRE.

Tous les mixtes dans lesquels le feu produit un sel volatil urineux, donnent le même sel dans la fermentation putride ; si l'on en excepte la suie, qui démontre néanmoins la nécessité du concours du principe gras pour la génération de ce sel. Le sel volatil est le dernier produit que donne par l'action du feu toute partie d'un animal récente et saine, ou bien l'urine qu'on n'a point fait putréfier. Le sel volatil ne peut être retiré des autres substances sans addition ; ou bien il est le premier produit qu'on en retire grâce à la volatilité qui lui est propre, comme on voit dans la distillation des feces humides du mout, qu'on a laissé putréfier dans un vaisseau fermé lorsqu'on les distille.

Ainsi, suivant les principes de Stahl, il n'y a point d'alkali volatil formé par la nature, mais tous les sels de cette espèce se produisent par le feu ou par la putréfaction. Wallerius, dans sa minéralogie, tome I. p. 345 et 346, objecte que dans ce système il pourrait y avoir encore un sel volatil naturel, puisqu'il y a du feu sous la terre ; qu'il se fait une putréfaction à sa surface et dans son sein, et que la destruction et l'altération des corps sont aussi naturelles que leur formation.

On a cru longtemps qu'il existait un sel volatil tout formé, principalement dans les plantes antiscorbutiques ; mais Cartheuser, dans sa matière médicale, tome I. p. 288. et suiv. a réfuté ce sentiment, il a remarqué que la vapeur âcre et piquante que ces plantes exhalent n'est point du tout celle des esprits urineux, mais qu'elle ressemble à l'odeur acide et légèrement balsamique, que répand l'esprit de sucre lorsqu'il est récent. Il rapporte une expérience curieuse de M. Burghaut, qui, en mettant parties égales de suc de joubarbe et d'esprit de vin rectifié, obtient un coagulum ; de la comparaison duquel, avec l'offa de van Helmont, il concluait que la joubarbe renferme un sel très-volatil semblable au sel urineux. Mais M. Cartheuser prouve par plusieurs expériences que le suc de joubarbe renferme un sel acidulé plus ou moins volatil, un peu enveloppé d'une substance tenace, muqueuse et gommeuse ; il reconnait que le suc de joubarbe, mêlé avec l'esprit-de-vin, se coagule en une masse semblable à de la crême de lait, ou à de la pommade très-blanche, mais il assure que le mélange de ce suc avec une liqueur alkaline fixe, ou avec l'esprit de sel ammoniac, forme un coagulum semblable à quelques légères différences près ; les liqueurs acides ne produisent point dans ce suc de précipitation, ni d'altération singulière. M. Cartheuser ne dit rien de particulier sur la formation du coagulum de l'expérience de M. Burghaut, qui est un savon acide, puisqu'on ne peut admettre de qualité alkaline dans de l'esprit-de-vin ; et ce savon est très-remarquable par sa volatilité, qui l'emporte même, dit-on, sur celle du camphre.

Le dernier auteur qui a soutenu l'existence du sel alkali volatil tout formé dans certaines plantes, est M. Wallerius dans ses notes sur Hierne ; mais ses expériences sont niées par M. Vogel, inst. chim. n°. 605.

Nous avons supposé plus haut que le sel marin subit une véritable putréfaction ; elle est sensible dans l'expérience de Henckel, qui assure, intr. à la min. pag. 119, 120, qu'après avoir fait une décoction épaisse du kali geniculatum dans de l'eau, il en partit non-seulement une odeur semblable à celle des excréments humains, mais encore il s'y forma des vers. Ces deux phénomènes prouvent assez une putréfaction, et par conséquent une volatilisation, dont il y a lieu de conclure que la cause a été le sel marin qui est abondamment contenu dans la soude. On sera moins surpris de la putrescibilité du sel marin, si l'on fait attention à celle des eaux les plus pures, qui est démontrée par les expériences de M. Marggraf rapportées à l'article EAU. M. Marggraf a observé que dans la putréfaction de la meilleure eau de pluie (putréfaction sensible au bout d'un mois, et qui suppose que cette eau renferme des parties huileuses et mucilagineuses), il se produit une grande quantité de limon verdâtre semblable à celui qui couvre la surface de l'eau, lorsqu'on dit qu'elle fleurit. Les effets de cette putréfaction sont très-sensibles dans les lacs dont on rapporte qu'ils fleurissent et verdissent en été. Lorsque cette matière verdâtre est produite, les poissons sont malades, et meurent souvent ; et l'on remarque en même temps à la surface des eaux une matière huileuse qu'on voit aussi sur la mer, et qui exposée au soleil est luisante, et forme comme des vagues sur cette surface. Voyez l'hydrologie de Wallerius, pag. 61.

Le sel ammoniac des substances animales est decomposé et dégagé par la coction de ses substances ; on conçoit par-là comment les chairs déjà corrompues, et sur le point d'être dissoutes par la putréfaction, y tombent trois fois plus tard, si on vient à les cuire ; il n'est pas nécessaire de supposer que le miasme putride est forcé par la coction d'entrer dans une nouvelle mixtion ; ce miasme n'existe pas toujours, et son opération n'est pas aisée à concevoir.

On sait que le vin mis dans un vase infecté d'un peu d'autre vin corrompu, tombe très-vite dans l'état de putréfaction, sans qu'on puisse l'en empêcher, et sans passer par l'état moyen de vinaigre. Pour rendre raison de ce phénomène, Stahl a recours à une analogie très-particulière de mobilité qui fait que les particules du ferment putride s'attachent uniquement à celles qui leur ressemblent, et qui trouvent une égale résistance dans la figure des corpuscules qu'elles doivent rencontrer ; on voit que tout cela est fort obscur.

De ce que nous avons dit sur la putrescibilité du sel marin, on explique aisément pourquoi le sel marin en petite dose hâte manifestement et augmente la corruption, comme M. Pringle l'a observé d'après Beccher ; on sait que le sel marin arrête la putréfaction, lorsqu'on l'emploie dans une plus grande proportion, quoique sa vertu antiseptique soit beaucoup moindre que celle des autres sels, comme M. Pringle l'a remarqué ; mais alors il agit par un effet différent qui est de durcir la chair.

Le même auteur a observé que les sels alkali-volatils, quoiqu'ils soient produits par la putréfaction, ont le pouvoir de la retarder de même que les alkalis fixes. Il faut remarquer que ceux-ci étant ajoutés en grande quantité à des matières qui fermentent, en arrêtent la fermentation, sans doute parce qu'ils en absorbent l'acide, mais en même temps en altèrent la nature, au point que ces matières ne sont plus susceptibles d'une autre fermentation que de la putride. Voyez Boerhaave, chym. pag. 116. M. Pringle a très-bien fait connaître par ses expériences (traité sur les substances septiques et antiseptiques, pag. 222 et suivantes), que les substances putrides animales ont la vertu d'exciter une fermentation vineuse dans les végétaux ; on concevra aisément ce phénomène, si l'on considère que la différence du mouvement de fermentation d'avec celui de putréfaction, n'est que dans la nature du sujet même ; c'est ainsi, dit Stahl, que la même opération de la distillation ne retire point une eau pénétrante et spiritueuse d'un bois verd, ainsi que des aromates.

M. Pringle, ibid. pag. 291, n'explique pas heureusement la vertu septique de la craie et des substances testacées, lorsqu'il l'attribue à ce qu'elles absorbent l'acide des corps animaux ; car si cela était, les corps alkalis et la chaux devraient être bien plus septiques ; mais la vraie raison en est la même qui fait que le vin et le vinaigre concentrés se corrompent fort vite, si on les édulcore avec de la craie. L'addition de cette terre maigre accélere la putréfaction en décomposant la mixtion saline, dont elle fortifie trop le principe terreux. Voyez Stahl, specimen becherianum, p. 228.

Rien n'est sans doute plus important que les applications que M. Pringle fait de ses expériences à la pratique de la Médecine ; mais M. Bordeu, dans ses thèses sur les eaux minérales d'Aquittaine, thèse 31, a objecté contre l'application qu'il en fait à la gangrene, par exemple, que le sphacele se fait par un travail particulier de la nature qui ne ressemble point du tout à la putréfaction cadavéreuse ; car, dit-il, la foetidité de la gangrene n'appartient pas plus à la putréfaction que celle de la matière foecale. Cependant on peut dire en faveur de M. Pringle, que Schvencke, après avoir observé que par les acides combinés avec du sel commun et des amers, on préserve en Allemagne, pendant plus d'un an, de la corruption les chairs des bêtes fauves, ajoute qu'il s'est servi des mêmes remèdes avec le plus grand succès dans une gangrene spontanée au pied, qui survint à un sexagenaire. Hemotologiae p. 132.

PUTREFACTION des parties du corps humain vivant. Voyez GANGRENE.

La putréfaction des morts a été regardée comme le signe infaillible de leur état ; mais ce signe très-dangereux pour les survivants ne serait admissible qu'autant qu'on n'aurait pas d'autres signes très-certains de la mort. On les a indiqués ailleurs. La putréfaction parfaite qui se manifesterait en quelque partie, ne mettrait pas infailliblement à l'abri du danger affreux de donner la sépulture aux vivants. On voit tous les jours des personnes survivre à la perte de quelque membre dont la pourriture s'était emparée. Ainsi la pourriture pourrait attaquer de même un sujet dans l'état équivoque qui fait douter si une personne est morte ou vivante, c'est-à-dire, dans la situation où sans avoir perdu la vie, elle ne se manifeste néanmoins par aucune marque extérieure sensible aux personnes qui ne sont pas profondément instruites sur ce cas. C'est donc un précepte très-dangereux que de dire vaguement, que la putréfaction est le signe infaillible de la mort, et qu'on peut donner la sépulture à ceux en qui la putréfaction se manifeste.

Il aurait fallu distinguer du moins la pourriture qui attaque un corps vivant de celle qui s'empare d'un mort ; car chacune a des caractères distinctifs qui lui sont propres. 1°. La gangrene seche n'a pas lieu sur un corps mort, parce qu'il n'y a ni la chaleur, ni l'action des vaisseaux par laquelle les sucs peuvent être durcis, et devenir avec les solides une masse homogène qui forme la croute solide qu'on nomme escare. La putréfaction propre aux morts est toujours une gangrene humide, et au contraire de ce qui se passe en pareille maladie sur les vivants, il n'y a sur les morts ni tension, ni rougeur inflammatoire qui trace une ligne de séparation entre le mort et le vif : l'épiderme se ride, la peau est d'abord pâle, elle devient d'une couleur blanche, grisâtre ; elle prend après des nuances plus foncées ; elle devient d'un bleu qui tire sur le verd, et ensuite d'un bleu noirâtre qu'on aperçoit à-travers la peau, qui prend elle-même enfin cette dernière couleur. Ces observations seraient bien importantes dans l'opinion que la pourriture est le signe infaillible de la mort, et elles n'ont point été faites par ceux qui se sont fait une sorte de réputation, en se déclarant les apôtres de cette fausse doctrine. (Y)