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Catégorie parente: Physique particulière
Catégorie : Chimie
S. m. (Entendement, Science de la Nature, Chimie, Métallurgie) Ce mot, selon Ménage, vient d'aciarium, dont les Italiens ont fait acciaro, et les Espagnols azero : mais aciarium, acciaro, et azero, viennent tous d'acies, dont Pline s'est servi pour le mot chalybs. Les Latins l'appelaient chalybs, parce que le premier acier qui ait été en réputation parmi eux venait, dit-on, d'Espagne, où il y avait un fleuve nommé chalybs, dont l'eau était la plus propre que l'on connut pour la bonne trempe de l'acier.

De tous les métaux l'acier est celui qui est susceptible de la plus grande dureté, quand il est bien trempé : c'est pourquoi l'on en fait beaucoup d'usage pour les outils et les instruments tranchants de toute espèce. Voyez TREMPER.

C'était une opinion généralement reçue jusqu'à ces derniers temps, que l'acier était un fer plus pur que le fer ordinaire ; que ce n'était que la substance même du fer affinée par le feu ; en un mot, que l'acier le plus fin et le plus exquis n'était que du fer porté à la plus grande pureté que l'art peut lui procurer. Ce sentiment est très-ancien : mais on jugera par ce qui suit s'il en est pour cela plus vrai.

On entend par un fer pur, ou par de l'acier, un métal dégagé des parties hétérogènes qui l'embarrassent et qui lui nuisent ; un métal plus plein des parties métalliques qui constituent son être, sous un même volume. Si telle était la seule différence de l'acier et du fer ; si l'acier n'était qu'un fer qui contint sous un même volume une plus grande quantité de parties métalliques, la définition précédente de l'acier serait exacte : il s'ensuivrait même de-là une méthode de convertir le fer en acier, qui serait fort simple ; car elle consisterait à le battre à grands coups sur l'enclume, et à resserrer ses parties. Mais si ce fer pur ou l'acier est moins dépouillé de parties étrangères, que les fers d'une autre espèce qui ne sont point de l'acier ; s'il a même besoin de parties hétérogènes pour le devenir ; et si le fer forgé a besoin d'en être dénué, il ne sera pas vrai que l'acier ne soit que du fer plus pur, du fer plus compact, et contenant sous un même volume plus de parties métalliques. Or je démontrerai par ce que je dirai sur la nature du fer et de l'acier, que l'acier naturel est dans un état moyen entre le fer de fonte et le fer forgé ; que lorsque l'on pousse le fer de fonte au feu (j'entens celui que la nature a destiné à devenir acier naturel), il devient acier avant que d'être fer forgé. Ce dernier état est la perfection de l'art, c'est-à-dire, du feu et du travail ; au-delà de cet état, il n'y a plus que de la destruction.

Si l'on veut donc définir exactement l'acier, il faut d'abord en distinguer deux espèces ; un acier naturel, et un acier factice ou artificiel. Qu'est-ce que l'acier naturel ? c'est celui où l'art n'a eu d'autre part que de détruire par le feu l'excès des parties salines et sulphureuses, et autres dont le fer de fonte est trop plein. J'ajoute et autres ; car qui est-ce qui peut s'assurer que les sels et les soufres soient les seuls éléments détruits dans la fusion ? La Chimie est loin de la perfection, si on la considère de ce côté, et je ne pense pas qu'elle ait encore des preuves équivalentes à une démonstration, qu'il n'y eut dans un corps, quel qu'il soit avant son analyse, d'autres éléments que ceux qu'elle en a tirés en l'analysant. L'acier artificiel est du fer à qui l'art a restitué, par le secours des matières étrangères, les mêmes parties dont il était trop dénué. Enfin si l'on désire une notion générale et qui convienne aux deux fers, il faut dire que l'acier est un fer dans lequel le mélange des parties métalliques, avec les parties salines sulphureuses et autres, a été amené à un point de précision qui constitue cette substance métallique qui nous est connue sous le nom d'acier. Ainsi l'acier consiste dans un certain rapport qu'ont entr'elles les parties précédentes qu'on nous donne pour ses éléments.

La nature nous présente le fer plus ou moins mêlangé de ces parties, mais presque toujours trop grossièrement mêlangé ; c'est-à-dire, presque jamais contenant les parties dont il est composé, dans le vrai rapport qui conviendrait pour nous en procurer les avantages que nous en devons retirer. C'est ici que l'art doit réformer la nature. Le fer de fonte ou la mine qui vient d'être fondue, est dure, cassante, intraitable ; la lime, les ciseaux, les marteaux, n'ont aucune prise sur elle. Quand on lui donne une forme déterminée dans un moule, il faut qu'elle la garde ; aussi ne l'employe-t-on qu'en bombes, boulets, poeles, contre-cœurs de cheminées. Voyez FORGE. La raison de sa dureté, de son aigreur, et de son cassant, c'est, dit-on, l'excès des parties sulphureuses et terrestres dont elle est trop pleine : si vous l'en dépouillez, elle deviendra ductile, molle, et susceptible de toutes sortes de formes, non par la fusion, mais sous le marteau. C'est donc à épurer le fer de ces matières étrangères que consistent les deux arts de faire l'acier naturel et l'acier artificiel.

Le seul agent que nous ayons et qui soit capable de séparer les parties métalliques des parties salines, sulphureuses et terrestres, c'est le feu. Le feu fait fondre et vitrifier les terrestres. Ces parties étant plus légères que les parties métalliques, surnagent le métal en fusion, et on les enlève sous le nom de crasses ou scories. Cependant le feu brule et détruit les soufres et les sels. On croirait d'abord que si l'on pouvait pousser au dernier point la destruction des parties terrestres, sulphureuses, et salines, la matière métallique qui resterait, serait absolument pure. Mais l'expérience ne confirme pas cette idée, et l'on éprouve que le feu ne peut séparer totalement les parties étrangères d'avec la matière métallique, sans l'appauvrir au point qu'elle n'est plus bonne à rien.

L'art se réduit donc à ne priver le fer de ses parties hétérogènes, qu'autant qu'il est nécessaire pour détruire le vice de l'excès, et pour n'y en laisser que ce qu'il lui en faut pour qu'il soit ou de l'acier ou du fer forgé, suivant les mines et leur qualité.

Pour cet effet on travaille, et la mine qui doit donner du fer et celle qui doit donner de l'acier, à peu près de la même manière, jusqu'à ce qu'elles soient l'une et l'autre en gueuse (voyez pour ces préparations bitumineuses l'article FORGE) ; on la paitrit sous des marteaux d'un poids énorme, et à force de la ronger et de la tourmenter plus ou moins suivant que l'expérience l'indique, on change la nature de la fonte ; et d'une matière dure, aigre, et cassante, on en fait une matière molle et flexible, qui est ou de l'acier ou du fer forgé, selon la mine.

La nature nous donne deux espèces de mines ; les unes, telles sont celles de France, contiennent un soufre peu adhérent qui s'exhale et s'échappe aisément dans les premières opérations du feu, ou qui peut-être n'y est pas en assez grande quantité, même avant la fusion ; d'où il arrive que la matière métallique qui en est facilement dépouillée, reste telle qu'elle doit être pour devenir un fer forgé : les autres mines, telles sont celles qui sont propres à donner de l'acier naturel, et qu'on appelle en Allemagne mines ou veines d'acier, contiennent un soufre fixe, qu'on ne détruit qu'avec beaucoup de peine. Il faudrait réitérer bien des fois sur elles, et avec une augmentation considérable de dépense, le travail qui amène les premières à l'état de fer forgé ; ce que l'on n'a garde de faire, car avant que d'acquérir cette dernière qualité de fer forgé, elles sont acier. L'acier naturel est donc, comme j'avais promis de le démontrer, un état moyen entre le fer de fonte et le fer forgé : l'acier est donc, s'il est permis de s'exprimer ainsi, sur le passage de l'un à l'autre.

Mais, pourrait-on objecter contre ce système, si l'état de la matière métallique, sans lequel elle est acier, est sur le passage de son premier état de mine à celui où elle serait fer forgé, il semble qu'on pourrait pousser la mine qui donne l'acier naturel, depuis son premier état, jusqu'à l'état de fer forgé ; et il ne parait pas qu'on obtienne du fer forgé et de l'acier de la même qualité de mine. La seule chose qu'on nous apprenne, c'est que si on y réussissait, on ferait sortir les matières d'un état où elles valent depuis 7, 8, 9, jusqu'à 15 et 16 sous la livre, pour les faire arriver, à grands frais, à un autre où elles ne vaudraient que 3 à 4 sous.

En un mot, on nous apprend bien qu'avec de la fonte, on fait ou du fer forgé ou de l'acier naturel, et cela en suivant à-peu-près le même procédé : mais on ne nous apprend point, si en réitérant ou variant le procédé, la mine qui donne de l'acier naturel, donnerait du fer forgé ; ce qui ne serait pourtant pas inutîle à la confirmation du système précédent sur la différence des deux mines de fer. Quoi qu'il en sait, il faut avouer qu'en chauffant et forgeant les fontes de Stirie, Carinthie, Tirol, Alsace, et de quelques autres lieux, on fait de l'acier ; et qu'en faisant les mêmes opérations sur les mines de France, d'Angleterre et d'ailleurs, on ne fait que du fer forgé.

Mais avant que d'entrer dans le détail des procédés par lesquels on parvient à convertir le fer de fonte en acier naturel, nous allons parler des manières différentes dont on s'est servi pour composer avec le fer forgé, de l'acier artificiel, tant chez les anciens que parmi les modernes.

M. Martin Lister pense qu'il y avait dans le procédé que les anciens suivaient pour convertir le fer en acier, quelque particularité qui nous est maintenant inconnue ; et il prononce avec trop de sévérité peut-être, que la manière dont on exécute aujourd'hui cette transformation chez la plupart des nations, est moins une méthode d'obtenir du véritable acier, que celle d'empoisonner le fer par des sels. Quoi qu'il en soit du sentiment de M. Lister, Aristote nous apprend, Meteor. liv. IV. c. VIe " Que le fer forgé, travaillé même, peut se liquéfier de rechef, et de rechef se durcir, et que c'est par la réitération de ce procédé, qu'on le conduit à l'état d'acier. Les scories du fer se précipitent, ajoute-t-il, dans la fusion ; elles restent au fond des fourneaux ; et les fers qui en sont débarrassés de cette manière, prennent le nom d'acier. Il ne faut pas pousser trop loin cet affinage ; parce que la matière qu'on traite ainsi, se détruit, et perd considérablement de son poids. Mais il n'en est pas moins vrai, que moins il reste d'impuretés, plus l'acier est parfait ".

Il y a beaucoup à désirer dans cette description d'Aristote, et il n'est pas facîle de la concilier avec les principes que nous avons posés ci-devant. Il est vrai que le fer même travaillé peut être remis en fusion, et qu'à chaque fois qu'il se purge, il perd de son poids. Mais fondez, purgez tant qu'il vous plaira de certains fers, vous n'en ferez jamais ainsi de l'acier. Cependant c'est avec du fer ainsi purgé, qu'on fait incontestablement le meilleur acier, continue M. Lister : il y a donc quelque circonstance essentielle omise dans le procédé d'Aristote.

Voici la manière dont Agricola dit qu'on fait avec le fer de l'acier artificiel ; et le Père Kircher assure que c'est celle qu'on suivait dans l'île d'Ilva, lieu fameux pour cette fabrication, depuis le temps des Romains jusqu'à son temps.

" Prenez, dit Agricola, du fer disposé à la fusion, cependant dur, et facîle à travailler sous le marteau ; car quoique le fer fait de mine vitriolique puisse toujours se fondre, cependant il est ou doux, ou cassant, ou aigre. Prenez un morceau de ce fer ; faites-le chauffer rouge ; coupez-le par parcelles ; mêlez-les avec la sorte de pierre qui se fond facilement. Placez dans une forge de Serrurier ou dans un fourneau, un creuset d'un pied et demi de diamètre et d'un pied de profondeur ; remplissez-le de bon charbon ; environnez-le de briques, qui forment autour du creuset une cavité qui puisse contenir le mélange de pierre fusible et de parcelles de fer coupé.

Lorsque le charbon contenu dans le creuset sera bien allumé, et le creuset rouge ; soufflez et jetez dedans peu-à-peu le mélange de pierre et de parcelles de fer.

Lorsque ce mélange sera en fusion, jetez dans le milieu trois ou quatre morceaux de fer ; poussez le feu pendant cinq ou six heures ; prenez un ringard ; remuez bien le mélange fondu, afin que les morceaux de fer que vous avez jetés dedans, s'empreignent fortement des particules de ce mélange : ces particules consumeront et diviseront les parties grossières des morceaux de fer auxquels elles s'attacheront ; et ce sera, s'il est permis de parler ainsi, une sorte de ferment qui les amollira.

Tirez alors un des morceaux de fer hors du feu ; portez-le sous un grand marteau ; faites-le tirer en barre et tourmenter ; et sans le faire chauffer plus qu'il ne l'est, plongez-le dans l'eau froide.

Quand vous l'aurez trempé, cassez-le ; considérez son grain, et voyez s'il est entièrement acier, ou s'il contient encore des parties ferrugineuses.

Cela fait, reduisez tous les morceaux de fer en barre ; soufflez de nouveau ; réchauffez le creuset et le mélange ; augmentez la quantité du mélange, et rafraichissez de cette manière ce que les premiers morceaux n'ont pas bu ; remettez-y ou de nouveaux morceaux de fer, si vous êtes content de la transformation des premiers, ou les mêmes ; s'ils vous paraissent ferrugineux ; et continuez comme nous avons dit ci-dessus ".

Voici ce que nous lisons dans Pline sur la manière de convertir le fer en acier : fornacum maxima differentia est ; in iis equidem nucleus ferri excoquitur ad indurandam aciem, alioque modo ad densandas incudes malleorumque rostra. Il semblerait par ce passage, que les anciens avaient une manière de faire au fourneau de l'acier avec le fer, et de durcir ou tremper leurs enclumes et autres outils. Cette observation est de M. Lister, qui ne me parait pas avoir regardé l'endroit de Pline assez attentivement. Pline parle de deux opérations qui n'ont rien de commun, la trempe et l'aciérie. Quant au nucleus ferri, au noyau de fer, il est à présumer que c'est une masse de fer affiné, qu'ils traitaient comme nous l'avons lu dans Aristote, dont la description dit quelque chose de plus que celle de Pline. Mais toutes les deux sont insuffisantes.

Pline ajoute dans le chapitre suivant : Ferrum accensum igni, nisi duretur rictibus, corrumpitur : et ailleurs, aquarum summa differentia est quibus immergitur ; ce qui rapproche un peu la manière de convertir le fer en acier du temps de Pline, de celle qui était en usage chez les Grecs, du temps d'Aristote.

Venons maintenant à celui des modernes, qui s'est le plus fait de réputation par ses recherches dans cette matière ; c'est M. de Reaumur, célèbre par un grand nombre d'ouvrages, ou imprimés séparément, ou répandus dans les Mémoires de l'Académie des Sciences ; mais surtout par celui où il expose la manière de convertir le fer forgé en acier. Son ouvrage parut en 1722 avec ce titre : l'Art de convertir le fer forgé en acier, et l'Art d'adoucir le fer fondu, ou de faire des ouvrages de fer fondu aussi finis que le fer forgé. Il est partagé en différents Mémoires, parce qu'effectivement il avait été lu à l'Académie sous cette forme, pendant le cours de trois ans.

M. de Reaumur, après avoir reconnu que l'acier ne diffère du fer forgé, qu'en ce qu'il a plus de soufre et de sel, en conclut : 1°. que la fonte qui ne diffère aussi du fer forgé, que par ce même endroit, peut être de l'acier : 2°. que changer le fer forgé en acier, c'est lui donner de nouveaux soufres et de nouveaux sels.

Après un grand nombre d'essais, M. de Reaumur s'est déterminé, pour les matières sulphureuses, au charbon pur et à la suie de cheminée ; et pour les matières salines, au sel marin seul, le tout mêlé avec de la cendre pour intermède. Il faut que ces matières soient à une certaine dose entr'elles, et la quantité de leur mélange dans un certain rapport avec la quantité de fer à convertir ; il faut même avoir égard à sa qualité.

Si la composition qui doit changer le fer en acier est trop forte ; si le feu a été trop long, le fer sera trop acier ; trop de parties sulphureuses et salines introduites entre les métalliques, les écarteront trop les unes des autres, et en empêcheront la liaison au point que le tout ne soutiendra pas le marteau. M. de Reaumur a donné d'excellents préceptes pour prévenir cet inconvénient ; et ceux qu'il prescrit pour faire usage de l'acier, quand par malheur il est devenu trop acier par sa méthode, ne sont pas moins bons. Il avait trop de soufres et de sels, il ne s'agit que de lui en ôter. Pour cet effet il ne faut que l'envelopper de matières alkalines, avides de soufres et de sels. Celles qui lui ont paru les plus propres, sont la chaux d'os et la craie ; ces matières avec certaine durée de feu, remettent le mauvais acier, l'acier trop acier, au point qu'il faut pour être bon. On voit, qu'en s'y prenant ainsi, on pourrait ramener l'acier à être entièrement fer, et l'arrêter dans tel degré moyen qu'on voudrait. L'art de M. de Reaumur, dit très-ingénieusement M. de Fontenelle dans l'Histoire de l'Académie, semble se jouer de ce métal. Voilà pour le fer forgé converti en acier. Voyez, quant à l'art d'adoucir le fer fondu, ou de faire des ouvrages de fer fondu aussi finis que du fer de forge, les articles FER et FONTE. Nous rapporterons seulement ici un de ces faits singuliers que fournit le hasard, mais que le raisonnement et les réflexions mettent à profit : M. de Reaumur adoucissait un marteau de porte cochère assez orné ; quand il le retira du fourneau, il le trouva extrêmement diminué de poids ; et en effet, ses deux grosses branches, de massives qu'elles devaient être, étaient devenues creuses, en conservant leur forme ; il s'y était fait au bas un petit trou par où s'était écoulé le métal qui était fondu au-dedans, et pour ainsi dire, sous une croute extérieure. Voyez les inductions fines que M. de Reaumur a tirées de ce phénomène : tout tourne à profit entre les mains d'un habîle homme ; il s'instruit par les accidents, et le public s'enrichit par ses succès.

Voici une autre description de la manière de convertir le fer en acier, tirée de Geoffroy, Mat. med. tome I. pag. 495. " Si le fer est excellent, on le fond dans un fourneau ; et lorsqu'il est fondu, on y jette de temps en temps un mélange fait de parties égales de sel de tartre, de sel alkali, de limaille de plomb, de raclure de corne de bœuf, remuant de temps en temps ; on obtient ainsi une masse qu'on bat à coups de marteau, et qu'on met en barre.

Si le fer ne peut supporter une nouvelle fusion, on fait une autre opération : on prend des verges de fer de la grosseur du doigt ; on les place dans un vaisseau de terre fait exprès, alternativement, lit sur lit, avec un mélange fait de parties égales de suie, de poudre de charbon, de râpure de corne de bœuf ou de poil de vache. Quand le vaisseau est rempli, on le couvre ; on l'enduit exactement de lut, et on le place dans un fourneau de reverbere. Alors on allume le feu, et on l'augmente par degré, jusqu'à ce que le vaisseau soit ardent ; sept ou huit heures après, on retire les verges de fer changées en acier, ce que l'on connait en les rompant. S'il y parait des pailles métalliques brillantes, très-petites et très-serrées, c'est un très-bon acier : si elles sont peu serrées, mais parsemées de grands pores, il est moins bon : quelquefois les paillettes qui sont à l'extérieur sont serrées, et celles qui sont à l'intérieur ne le sont pas ; ce qui marque que l'acier n'a pas été suffisamment calciné. Alors il faut remettre lit sur lit, et calciner de nouveau ". Il faut substituer dans cette description le mot de lames, à celui de paillettes, parce que celui-ci se prend toujours en mauvaise part, et que tout acier pailleux est défectueux.

Voilà pour l'artificiel : voici maintenant pour l'acier naturel. Avant que d'entrer dans la description du travail de l'acier naturel, il est à propos d'avertir qu'on ne saurait discerner à l'oeil, par aucun signe extérieur, une mine de fer, d'avec une mine d'acier. Elles se ressemblent toutes, ou pour mieux dire, elles sont toutes si prodigieusement variées, que l'on a pu jusqu'à présent assigner aucun caractère qui soit particulier à l'une ou à l'autre. Ce n'est qu'à la première fonte qu'on peut commencer à conjecturer ; et ce n'est qu'après avoir poussé un essai à son plus grand point de perfection, que l'on s'assure de la bonté ou de la médiocrité de la mine.

La nature a tellement destiné certaines mines, plutôt que d'autres, à être acier, que dans quelques manufactures de France, où l'on fait de l'acier naturel, on trouve dans la même fonte un assemblage des deux mines bien marqué ; elles se tiennent séparées dans le même bloc. Il y en a d'autres où l'acier surnage le fer dans la fonte. Cette espèce donne même de l'acier excellent et à très-bon compte : mais on en tire peu. Voici un fait arrivé dans une mine d'Alsace, et qui prouvera que plus les mines tendent à être acier, ou acier plus pur, moins elles ont de dispositions à se mêler avec celles qui sont destinées à être fer forgé, ou acier moins pur. Le Mineur ayant trouvé un filon qui par ses caractères extérieurs lui parut d'une qualité différente de l'arbre de la mine ; il en présenta au Fondeur, qui de son chef en mit fondre avec la mine ordinaire ; mais quand il vint à percer son fourneau, les deux mines sortirent ensemble, sans se mêler ; la meilleure portée par la moins bonne ; d'où il s'ensuit que plus une mine est voisine de la qualité de l'acier, plus elle est légère.

Lorsqu'on a trouvé une mine de fer, et qu'on s'est assuré par les épreuves, qu'elle est propre à être convertie en acier naturel ; la première opération est de fondre cette mine. La seule différence qu'il y a dans cette fonte des aciéries, est celle des forges où l'on travaille le fer ; c'est que dans les forges on coule le fer en gueuse (Voyez FORGE), et que dans les aciéries on le coule en plaques minces, et cela afin de pouvoir le briser plus facilement. Chaque pays, et presque chaque forge et chaque aciérie, a ses constructions de fourneaux, ses positions différentes de soufflets, ses fondants particuliers, ses charbons, ses bois ; mais ces variétés de manœuvres ne changent rien au fond des procédés.

Dans les aciéries de Dalécarlie, on fait rougir la première fonte ; on la forge, et on la fond une seconde fais. On fait la même chose à Quvarnbaka : mais ici on jette sur cette fonte des cendres mêlées de vitriol et d'alun. En Alsace et ailleurs, on supprime la seconde fonte. A Saltzbourg où l'on fait d'excellent acier, on le chauffe jusqu'au rouge blanc ; on met du sel marin dans de l'eau froide, et on l'y trempe. En Carinthie, en Stirie, on ne tient pas le fer rouge, et au lieu de sel, c'est de l'argîle que l'on détrempe dans l'eau. Ailleurs, on frappe le fer rouge longtemps avant que de le tremper ; en sorte que quand on le plonge dans l'eau, il est d'un rouge éteint.

Dans presque toutes les aciéries, on jette des crasses ou scories sur la fonte, pendant qu'elle est en fusion ; on a soin de l'en tenir couverte, pour empêcher qu'elle ne se brule. En Suède, c'est du sable de rivière. En Carinthie, Tirol et Stirie, on emploie au même usage des pierres à fusil pulvérisées. En Stirie, on ne fond que quarante à cinquante livres pesant de fer à la fois ; ailleurs, on fond jusqu'à cent et cent vingt-cinq livres à la fais. Ici l'orifice de la tuyere est en demi-cercle ; ailleurs il est oval. On regarde dans un endroit la chaux comme un mauvais fondant ; ce fondant réussit bien en Alsace. Les fontes de Saltzbourg sont épaisses dans la fusion ; dans d'autres endroits on ne peut les avoir trop limpides et trop coulantes. Là, on agite la fonte, et on fait bien ; ici, on fait bien de la laisser tranquille. Quelques-uns ne veulent couler que sur des lits de sable de rivière fin et pur, et ils prétendent que l'acier en vaudra mieux ; en Alsace, on se contente d'un sable tiré de la terre, et l'acier n'en vaut peut-être pas moins.

Il faut attribuer toutes ces différences presqu'autant au préjugé et à l'entêtement des ouvriers, qu'à la nature des mines.

Après avoir instruit le lecteur de toutes ces petites différences, qui s'observent dans la fonte de l'acier naturel, afin qu'il puisse les essayer toutes, et s'en tenir à ce qui lui paraitra le mieux, relativement à la nature de la mine qu'il aura à employer ; nous allons reprendre ce travail, tel qu'il se fait à Dambach à sept lieues de Strasbourg, et le suivre jusqu'à la fin.

A mi-côté d'une des montagnes de Vosges, on ouvrit une mine de fer qui avait tous les caractères d'une mine abondante et riche. Elle rendait en 1737 par la fusion cinquante sur cent ; les filons en étaient larges de quatre à cinq pieds, et on leur trouvait jusqu'à vingt à trente taises de profondeur. Ils couraient dans des entre-deux de rochers extrêmement écartés ; ils jetaient de tous côtés des branches aussi grosses que le tronc, et que l'on suivait par des galeries. La mine était couleur d'ardoise, composée d'un grain ferrugineux très-fin ; enveloppée d'une terre grasse, qui, dissoute dans l'eau, prenait une assez belle couleur d'un brun violet. Quoiqu'on la pulverisât, la pierre d'aimant ne paraissait point y faire la moindre impression ; l'aiguille aimantée n'en ressentait point non plus à son approche : mais lorsqu'on l'avait fait rôtir, et qu'on avait dépouillé la terre grasse de son humidité visqueuse, l'aimant commençait à s'y attacher.

Il est étonnant que les corps les plus compacts, comme l'or et l'argent, mis entre le fer et l'aimant, n'arrêtent en aucune façon l'action magnétique, et qu'elle soit suspendue par la seule terre grasse qui enveloppe la mine.

On tirait cette mine en la cassant avec des coins, comme on fend les rochers, et on la voiturait dans un fourneau à fondre. Là on la coulait sur un lit de sable fin, qui lui donnait la forme d'une planche de cinq à six pieds de long sur un pied ou un pied et demi de largeur, et deux ou trois doigts d'épaisseur. Longtemps avant que de couler, on remuait souvent avec des ringards, afin de mêler les deux espèces de mines qui seraient restées séparées, même en fusion, sans cette précaution. Il eut été peut-être mieux de ne les point mêler du tout, et de ne faire couler que la partie supérieure, qui contenait l'acier le plus pur. C'est aux entrepreneurs à le tenter.

Après cette fonte, qui est la même que celle du fer, et qu'on verra à l'art. FORGE, dans le dernier détail ; on transportait les planches de fonte ou les gâteaux, dans une autre usine, qu'on appelle proprement aciérie. C'est là que la fonte recevait sa première qualité d'acier.

Pour parvenir à cette opération, on cassait les plaques, ou gueuses froides, en morceaux de vingt-cinq à trente livres pesant ; on faisait rougir quelques-uns de ces morceaux, et on les portait sous le marteau qui les divisait en fragments de la grosseur du poing. On posait ces derniers morceaux sur le bord d'un creuset qu'on remplissait de charbon de hêtre : lorsque le feu était vif, on y jetait ces fragments les uns après les autres, comme si on eut voulu les fondre.

C'est ici une des opérations les plus délicates de l'art. Le degré de feu doit être ménagé de façon que ces morceaux de fonte se tiennent simplement mous pendant un temps très-notable. On a soin alors de les rassembler au milieu du foyer avec des ringards, afin qu'en se touchant, ils se prennent et soudent les uns aux autres.

Pendant ce temps les matières étrangères se fondent, et on leur procure l'écoulement par un trou fait au bas du creuset. Pour les morceaux réunis et soudés les uns aux autres, on en forme une masse qu'on appelle loupe. Le Forgeron soulève la loupe de temps en temps avec son ringard pour la mettre au-dessus de la sphère du vent, et l'empêcher de tomber au fond du creuset. En la soulevant, il donne encore moyen au charbon de remplir le fond du creuset, et de servir d'appui à la loupe élevée. Cette loupe reste cinq à six heures dans le feu, tant à se former qu'à se cuire. Quand on la retire du feu, on remarque que c'est une masse de fer toute boursouflée, spongieuse, pleine de charbons et de matière vitrifiée. On la porte toute rouge sous le martinet, par le moyen duquel on la coupe en quatre grosses parts, chacune comme la tête d'un enfant. Si on casse une de ces loupes à froid, son intérieur présente des lames assez larges et très-brillantes, comme on en voit au bon fer forgé.

On rapporte une des quatre parts de la loupe au même feu, on la pose sur les charbons, on la recouvre d'autres charbons ; elle est placée un peu au-dessus de la tuyere. On la fait rougir fortement pendant trois ou quatre heures. On la porte ensuite sous le martinet ; on la bat, et on lui donne une forme carrée. On la remet encore au feu assujettie dans une tenaille qui sert à la gouverner, et à l'empêcher de prendre dans le creuset, des places qui ne lui conviendraient pas. Après une demi-heure elle est toute pénétrée de feu. On la pousse jusqu'au rouge-blanc ; on la retire, on la roule dans le sable, on lui donne quelques coups de marteau à main, puis on la porte sous le martinet. On forge toute la partie qui est hors de la tenaille ; on lui donne une forme carrée de deux pouces de diamètre, sur trois ou quatre de long ; et on la reprend, par ce bout forgé, avec les mêmes tenailles pour faire une semblable opération sur la partie qui était enfermée dans les tenailles. Cette manœuvre se réitère trois ou quatre fais, jusqu'à ce que le Forgeron sente que sa matière se forge aisément, sans se fendre ni casser. Toute cette opération demande encore une grande expérience de main et d'oeil pour ménager le fer en le forgeant, et juger, à la couleur, du degré de chaleur qu'il doit avoir pour être forgé.

Après toutes ces opérations, on le forge fortement sous le martinet. Il est en état de n'être plus ménagé : on l'allonge en une barre de deux pieds et demi ou trois pieds, qu'on coupe encore en deux parties, et qu'on remet ensemble au même feu, saisies chacune dans une tenaille différente ; on les pousse jusqu'au rouge-blanc, et on les allonge encore en barres plus longues et plus menues, qu'on jette aussi-tôt dans l'eau pour les tremper.

Jusques là ce n'est encore que de l'acier brut, bon pour des instruments grossiers, comme bêches, socs de charrues, pioches, etc. Dans cet état il a le grain gros, et est encore mêlé de fer. On porte ces barres d'acier brut dans une autre usine, qu'on appelle affinerie. Quand elles y sont arrivées, on les casse en morceaux de la longueur de cinq à six pouces ; on remplit alors le creuset de charbon de terre jusqu'un peu au-dessus de la tuyere, observant de ne la pas boucher. On tape le charbon pour le presser et en faire un lit solide sur lequel on arrange ces derniers morceaux en forme de grillage, posés les uns sur les autres par leurs extrémités, sans que les côtés se touchent ; on en met jusqu'à quatre ou cinq rangs en hauteur, ce qui forme un prisme, qu'on voit en A, Planche de l'acier ; puis on environne le tout de charbon de terre pilé et mouillé, ce qui forme une croute ou calotte autour de ce petit édifice. Cette croute dure autant que le reste de l'opération, parce qu'on a soin de l'entretenir et de la renouveller à mesure que le feu la détruit. Son usage est de concentrer la chaleur, et de donner un feu de reverbere. Après trois ou quatre heures, les morceaux sont suffisamment chauds ; on les porte les uns après les autres sous le martinet, où on les allonge en lames plates, que l'on trempe aussi-tôt qu'elles sortent de dessous le martinet. On observe cependant d'en tirer deux plus fortes et plus épaisses que les autres, auxquelles on donne une légère courbure, et que l'on ne trempe point. Le grain de ces lames est un peu plus fin que celui de l'acier brut.

Ces lames sont encore brisées en morceaux de toutes longueurs ; il n'y a que les deux fortes qui restent comme elles sont. On rassemble tous les autres fragments ; on les rejoint bout à bout et plat contre plat, et on les enchâsse entre les deux longues lames non trempées. Le tout est saisi dans des tenailles, comme on voit fig. B. même Planche, et porté à un feu de charbon de terre comme le précédent. On pousse cette matière à grand feu ; et quand on juge qu'elle y a demeuré assez longtemps, on la porte sous le martinet. On ne lui fait supporter d'abord que des coups legers, qui sont précédés de quelques coups de marteau à main. Il n'est alors question que de rapprocher les fragments les uns des autres, et de les souder. On reporte cette pince au feu, on la pousse encore au rouge-blanc, on la reporte sous le martinet ; on la frappe un peu plus fort que la première fois ; on allonge les parties des fragments qui saillent hors de la pince ; on leur fait prendre par le bout la figure d'un prisme carré. (Voyez la fig. C, même Planche.) On retire cette masse avec des pinces ; on la saisit avec une tenaille par le prisme carré, et l'on fait souffrir au reste le même travail : c'est ainsi que l'on s'y prend pour faire du tout une longue barre que l'on replie encore une fois sur elle-même pour la souder de rechef ; du nouveau prisme qui en provient, on forme des barres d'un pouce ou d'un demi-pouce d'équarrissage, que l'on trempe et qui sont converties en acier parfait. La perfection de l'acier dépend, en grande partie, de la dernière opération. Le fer, ou plutôt l'étoffe faite de petits fragments, veut être tenue dans un feu violent, arrosée souvent d'argîle pulvérisée, pour l'empêcher de bruler, et mise fréquemment sous le marteau, et du marteau au feu. On voit (même Planche, fig. D.) le prisme tiré en barres pour la dernière fois par le moyen du martinet.

Voilà la fabrication de l'acier naturel dans son plus grand détail. Nous n'avons omis que les choses que le discours ne peut rendre, et que l'expérience seule apprend. De ces choses, voici les principales.

Il faut 1°. savoir gouverner le feu ; tenir les loupes entre la fusion et la non fusion. 2°. Conduire avec ménagement le vent des soufflets ; le forcer et le ralentir à propos. 3°. Manier comme il convient la matière sous le martinet, sans quoi elle sera mise en pièces. Ajoutez à cela une infinité d'autres notions, comme celles de la trempe, de l'épaisseur des barres, des chaudes, de la couleur de la matière en feu, etc.

Après toutes ces opérations, on ne conçoit pas comment l'acier peut être à si bon marché : mais il faut savoir qu'elles se font avec une vitesse extrême, et que le travail est infiniment abrégé pour les hommes, par les machines qu'ils emploient. L'eau et le feu les soulagent à tout moment ; le feu qui amollit la matière, l'eau qui meut le martinet qui la bat. Les ouvriers n'ont presque que la peine de diriger ces agens : c'en est encore bien assez.

Il y a d'autres manières de fabriquer l'acier naturel, dont nous allons faire mention le plus brievement qu'il nous sera possible. Proche d'Hedmore, dans la Dalécarlie, on trouve une très-belle aciérie. La veine est noire, peu compacte et formée de grains ferrugineux. On la réduit aisément en poudre sous les doigts ; elle est lourde et donne un fer tenace et fibreux. Après la première fonte, on la remet dans une autre usine après l'avoir brisée en morceaux. On trouve dans cette usine une forge à-peu-près comme celle des Ouvriers en fer, mais plus grande. Son foyer est un creuset de quatorze doigts de diamètre sur un peu plus de hauteur. Les parois et le fond de ce creuset sont revêtus de lames de fer. Il y a à la partie antérieure une ouverture oblongue pour retirer les scories. Quant à la tuyere, elle est à une telle distance du fond, que la lame de fer sur laquelle elle est posée, quoiqu'un peu inclinée, ne rencontrerait pas, en la prolongeant, l'extrémité des lames qui revêtent le fond. Depuis la lèvre inférieure de la tuyere jusqu'au fond, il y a une hauteur de six doigts et demi. Les deux canaux des soufflets se réunissent dans la tuyere qui est de cuivre. Il est nécessaire, pour réussir, que toutes ces pièces soient bien ajustées. On fait trois ou quatre cuites par jour.

Chaque matin, lorsqu'on commence l'ouvrage, on jette dans le creuset des scories, du charbon et de la poudre de charbon pêle-mêle, puis on met dessus la fonte en morceaux ; on la recouvre de charbon. On tient les morceaux dans le feu jusqu'à ce qu'ils soient d'un rouge-blanc, ce qu'on appelle blanc de lune. Quand ils sont bien pénétrés de feu, on les porte en masse sous le marteau, et cette masse se divise là en parties de trois ou quatre livres chacune. Si le fer est ténace quand il est rouge, et fragîle quand il est froid, on en bat davantage la masse avant que de la diviser. Si elle se met en gros fragments, on reporte ces fragments sur l'enclume pour être soudivisés.

Cela fait, on prend ces morceaux et on les range dans la forge autour du creuset. On en jette d'abord quelques-uns dans le creuset ; on les y enfonce et ensevelit sous le charbon, puis on ralentit le vent, et on les laisse fondre. Pendant ce temps on sonde avec un fer pointu, et l'on examine si la matière, prête à entrer en fusion, ne se répand point sur les coins, et hors de la sphère du vent. Si on trouve des morceaux écartés, on les met sous le vent ; et quand tout est fondu, pour entretenir la fusion, on force le vent. La fusion est à son point lorsque les étincelles des scories et de la matière s'échappent avec vivacité à-travers les charbons, et lorsque la flamme, qui était d'abord d'un rouge-noir, devient blanche quand les scories sont enlevées.

Quand le fer a été assez longtemps en fonte, et qu'il est nettoyé de ses crasses, la chaleur se ralentit, et la masse se prend : alors on y ajoute les autres morceaux rangés autour du creuset ; ils se fondent comme les précédents. On emplit ainsi le creuset dans l'intervalle de quatre heures : les morceaux de fer ont été jetés pendant ces quatre heures à quatre reprises différentes. Quand la masse a souffert suffisamment le feu, on y fiche un fer pointu, on la laisse prendre, et on l'enlève hors du creuset. On la porte sous le marteau, on en diminue le volume en la paitrissant, puis avec un coin de fer on la partage en trois, ou quatre, ou cinq.

Il est bon de savoir que si la tuyere est mal placée, et le vent inégal, ou qu'il survienne quelqu'accident, il ne se forme point de scories, le fer brule, les lames du fond du creuset ne résistent pas, etc. et qu'il n'y a de remède à cela que de jeter sur la fonte une pelletée ou deux de sable de rivière.

On remet au feu les quatre parties coupées : on commence par en faire chauffer deux, dont l'une est pourtant plus près du vent que l'autre. Lorsque la première est suffisamment rouge, on la met en barre sur l'enclume ; pendant ce travail on tient la seconde sous le vent, et on l'étend de même quand elle est assez rouge. On en fait autant aux deux restantes. On leur donne à toutes une forme carrée, d'un doigt et un quart d'épaisseur, et de quatre à cinq pieds de long. On appelle cet acier acier de forge, ou de fonte. On le forge à coups pressés, et on le jette dans une eau courante : quand il y est éteint on l'en retire, et on le remet en morceaux.

On porte ces morceaux dans une autre usine, où l'on trouve une autre forge qui diffère de la première en ce que la tuyere est plus grande ; et qu'au lieu d'être sémi-circulaire elle est ovale : qu'il n'y a de sa forme ou lèvre jusqu'au bas du creuset, que deux à trois doigts de profondeur, et que le creuset a dix à onze pouces de large, sur quatorze à seize de longueur. Les morceaux d'acier sont rangés là par lits dans le foyer de la forge. Ces lits sont en forme de grillage, et les morceaux ne se touchent qu'en deux endroits. On couvre cette espèce de pyramide de charbon choisi, on y met le feu, et on souffle. Le grillage est sous le vent. Après une demi-heure ou trois quarts d'heure de feu, les morceaux d'acier sont d'un rouge de lune : alors on arrête le vent, et on les retire l'un après l'autre, en commençant par ceux d'en-haut : on les porte sous le martinet pour être forgés et mis en barre. Deux ouvriers, dont l'un tient le morceau par un bout et l'autre par l'autre, le font aller et venir dans sa longueur sous le martinet : l'enclume est entre deux. C'est ainsi qu'ils mettent tous les fragments ou morceaux pris sur la pîle ou pyramide et portés sous le martinet, en lames qu'ils jettent à mesure dans une eau courante et froide. Les deux derniers morceaux de la pile, ceux qui la soutenaient, et qui sont plus grands que les autres, servent à l'usage suivant : on casse toutes les lames, et on en fait une étoffe entre ces deux gros morceaux qui n'ont point été trempés. On prend le tout dans des pinces, on remet cette espèce d'étoffe au feu, et on l'y laisse jusqu'à ce qu'elle soit d'un rouge blanc. Cette masse rouge blanche se roule sur de l'argîle sec et pulvérisé ; ce qui l'aide à se souder. On la remet au feu, on l'en retire ; on la frappe de quelques coups avec un marteau à main, pour en faire tomber les scories, et aider les lames à prendre. Quand la soudure est assez poussée, on porte la masse sous le martinet, on l'étend et on la met en barres. Ces barres ont neuf à dix pieds de long, et sont d'un acier égal, sinon préférable à celui de Carinthie et de Stirie.

Il faut se servir dans toutes ces opérations de charbon de hêtre et de chêne, ou de pin et de bouleau. Les charbons récens et secs sont les meilleurs. Il en faut bien séparer la terre et les pierres. La ouille ou le charbon de terre est très-bon.

Il faut trois leviers aux soufflets pour élever leurs feuilles, et non un ou deux comme aux soufflets de forges, car on a besoin ici d'un plus grand feu.

Quant à ce qui concerne la diminution du fer, il a perdu presque la moitié de son poids avant que d'être en acier : de vingt-six livres de fer crud, on n'en retire que treize d'acier, quelquefois quatorze, si l'ouvrier est très-habile. En général, la diminution est de vingt-quatre livres sur soixante ou soixante-quatre ; dans le premier feu : le restant perd encore huit livres au second.

Il faut ménager le feu avec soin : le fer trop chauffé se brule ; pas assez, il ne donne point d'acier.

Pour obtenir un acier pur et exempt de scories, il faut fondre trois fois ; et sur la fin de la troisième fonte, jeter dessus une petite partie de fer crud frisé, et mêlé avec du charbon, mais plus de charbon que de fer.

Pour fabriquer un cent pesant d'acier, ou selon la façon de compter des Suédais, pour huit grandes tonnes, il faut trente tonnes de charbon.

La manufacture d'acier de Quvarnbaka est établie depuis le temps de Gustave Adolphe. Il y a deux fourneaux : ils sont si grands qu'un homme y peut tenir de toute sa hauteur : ni les murs ni le fond ne sont point revêtus de lames de fer ; c'est une pierre qui approche du talc qui les garantit. On jette chaque fois dans le feu dix grandes livres de fer. Le fer s'y cuit bien, et comme dans les forges. Il en faut souvent tirer les scories, afin que la masse fonde seche. Lorsque le fer est en fonte, on jette dessus des cendres mêlées de vitriol et d'alun. On estime que cette mixtion ajoute à la qualité.

Quand le fer est fondu, il est porté et divisé sous un marteau, et les fragments mis en barres ; les barres partagées en moindres parties, sont mises à chauffer, disposées en grillages ; chaudes, on les étend de nouveau ; et l'on réitère cette manœuvre jusqu'à ce qu'on ait un bon acier.

L'acier en barril de Suède est fait avec celui dont nous venons de donner la fabrication : on se contente après son premier recuit de le mettre en barres et de le tremper. L'acier pour les épées, qui est celui dont la qualité est exactement au-dessus de l'acier en barril, est mis quatre fois en lames, autant de fois chauffé au grillage, et mis autant de fois sous le marteau. L'acier excellent, ou celui qui est au-dessus du précédent, est façonné et trempé huit fais.

On met des marques à l'acier pour distinguer de quel genre il est : mais les habiles ouvriers ne se trompent pas au grain.

On fait chaque semaine quatorze cens pesans d'acier en barril, douze cens d'acier à épées, et huit cens d'acier à ressorts. Le cent pesant est de huit grandes barres de Suède, ou de cent soixante petites livres du même pays.

Pour le cent pesant du meilleur acier, de l'acier à ressorts, il faut treize grandes livres et demie de fer crud, et vingt-six tonnes de charbon : dix grandes livres de fer crud, et 24 tonnes de charbon pour l'acier à épées ; et la même quantité de fer crud et neuf tonnes de charbon pour l'acier en barril.

Lorsque la mine de fer est mise pour la première fois en fusion dans les fourneaux à fondre et destinés au fer forgé, on lui voit quelquefois surnager de petites masses ou morceaux d'acier qui ne vont point dans les angles, et qui ne se précipitent point au fond, mais qui tiennent le milieu du bain. Leur superficie extérieure est inégale et informe ; celle qui est enfoncée dans la matière fluide est ronde : c'est du véritable acier qui ne se mêlera avec le reste que par la violence du vent. Ces masses donnent depuis six jusqu'à dix et quinze livres d'acier. Les ouvriers Suédais qui ont soin de recueillir cet acier qu'ils estiment, disent que le reste de la fonte n'y perd ni n'y gagne.

Dans la Dalecarlie on tire encore d'une mine marécageuse un fer, qu'on transforme de la manière suivante en un acier qu'on emploie aux ouvrages qui n'ont pas besoin d'être retrempés : on tient ce fer au-dessus d'une flamme vive jusqu'à ce qu'il fonde et qu'il coule au fond du creuset : quand il est bien liquide, on redouble le feu ; on retire ensuite les charbons, et on le laisse refroidir : on met cette matière froide en morceaux ; on prend les parties du centre, et l'on rejette celles qui sont à la circonférence : on les remet plusieurs fois au feu. On commence par un feu qui ne soit pas de fonte : quand cela arrive, on arrête le vent, et on donne le temps à la matière fondue de s'épaissir. On jette dessus des scories ; on la remet en fusion, et l'on en sépare l'acier. Toute cette manœuvre mériterait bien un plus long détail : mais outre qu'il nous manque, il allongerait trop cet article. Si le fer de marais ne se fond pas, et qu'il reste gras et épais, on le retourne, et on l'expose au feu de l'autre face.

Dans le Dauphiné, près de l'Allévard et de la montagne de Vanche, il y a des mines de fer. Le fer crud qui en vient est porté dans un feu qu'on appelle l'affinerie. Le vent des soufflets donne sur la masse, qui se fond par ce moyen peu-à-peu. Le foyer du creuset est garni de lames de fer ; il est très-profond. On laisse ici le bain tranquille jusqu'à ce que le creuset soit plein ; alors on arrête le vent, et on débouche le trou ; la fonte coule dans des moules où elle se met en petites masses. On enlève de la surface de ces masses, des scories qui cachent le fer. On porte le reste sous le marteau, et on le met en barres. On porte ces barres dans un feu voisin qu'on appelle chaufferie : là, on les pousse jusqu'au blanc. On les roule dans le sable pour tempérer la chaleur, et on les forge pour les durcir et convertir en acier. Mais il faut observer qu'entre ces deux opérations, après l'avoir poussé jusqu'au rouge blanc, on le trempe.

A Saltzbourg, on choisit les meilleures veines : ce sont les brunes et jaunes. On calcine ; on fond ; on met en masses, qui pesent jusqu'à quatre cens dans la première fonte. On tient la matière en fusion pendant douze heures ; on retire les crasses ; on remue ; on laisse figer ; on met en morceaux ; on plonge dans l'eau chaque morceau encore chaud : on le remet au feu ; on l'y laisse pendant six heures qu'on pousse le feu avec la dernière violence : on ôte les scories ; on refend et l'on trempe. Ces opérations réitérées donnent à l'acier une grande dureté : cependant on y revient une troisième fois ; on remet les morceaux au feu pendant six heures ; on les forme en barres que l'on trempe. Ces barres plus épaisses que les premières sont remises en morceaux, et forgées en petites barres carrées d'un demi-doigt d'équarrissage. A chaque fois qu'on les trempe on a soin qu'elles soient chaudes jusqu'au blanc, et l'on met du sel marin dans l'eau pour rendre la fraicheur plus vive. Cet acier est extremement estimé. On en fait des paquets qui pesent vingt-cinq livres. Cet acier s'appelle bisson.

De quatre cens pesant de fer crud, on tire environ deux cens livres et demie de bisson : le reste s'en Ve en scories, crasses et fumées. On y emploie moitié charbons mous, moitié charbons durs. On en consomme à recuire six sacs. Trais hommes peuvent faire quinze à seize cens de cet acier par semaine. L'acier qui porte le nom de Stirie, se fait en Carinthie suivant cette méthode.

Il y a dans la Carinthie, la Stirie et le Tirol, des forges de fer et d'acier. Leurs fourneaux sont construits comme en Saxe ; la tuyere entre assez avant dans le creuset. Ils fondent quatre cens et demi à chaque fonte. On tient la matière en fusion pendant trois ou quatre heures : pendant ce temps on ne cesse de l'agiter avec des ringards ; et à chaque renouvellement de matière, on jette dessus de la pierre à fusil calcinée et pulvérisée. On dit que cette poudre aide les scories à se détacher. Lorsque la matière a été en fusion pendant quatre heures, on retire les scories : on en laisse cependant quelques-unes qu'on a reconnues pour une matière ferrugineuse. On enlève cette matière en lames ; on la forge en barres, et l'on a du fer forgé. Quant au reste de la matière en fusion, on le retire. On le porte sous le marteau, on le partage en quatre parties qu'on jette dans l'eau froide. On refond de nouveau comme auparavant : on réitère ces opérations trois ou quatre fais, selon la nature de la matière. Quand on est assuré qu'elle est convertie en bon acier, on l'étend sous le marteau en barres de la longueur de trois pieds. On la trempe à chaque barre dans une eau où l'on a fait dissoudre de l'argîle ; puis on en fait des tonneaux de deux cens et demi pesant.

De quatre cens et demi de fer, on retire un demi cent de fer pur, le reste est acier. Trais hommes font un millier par semaine.

On suit presque cette méthode de faire l'acier en Champagne, dans le Nivernais, la Franche-Comté, le Dauphiné, le Limosin, le Périgord, et même la Normandie.

Enfin à Fordinberg et autres lieux, dans le Roussillon et le pays de Foix, on fond la mine de fer dans un fourneau ; on lui laisse prendre la forme d'un creuset ou d'un pain rond par-dessous, et plat dessus, qu'on appelle un masset. Cette masse tirée du feu se divise en cinq ou six parties qu'on remet au feu, et qu'on allonge ensuite en barres. Un côté de ces barres est quelquefois fer, et l'autre acier.

Il suit de tout ce qui précède, qu'il ne faut point supposer que les étrangers aient des méthodes de convertir le fer en acier dont ils fassent des secrets : que le seul moyen de faire d'excellent acier naturel, c'est d'avoir une mine que la nature ait formée pour cela, et que quant à la manière d'obtenir de l'autre mine un acier artificiel, si celle de M. de Reaumur n'est pas la vraie, elle reste encore à trouver.

L'acier mis sur un petit feu de charbon, prend différentes couleurs. Une lame prend d'abord du blanc ; 2°. un jaune leger comme un nuage ; 3°. ce jaune augmente jusqu'à la couleur d'or ; 4°. la couleur d'or disparait, et le pourpre lui succede ; 5°. le pourpre se cache comme dans un nuage, et se change en violet ; 6°. le violet se change en un bleu élevé ; 7°. le bleu se dissipe et s'éclaircit ; 8°. les restes de toutes ces couleurs se dissipent, et font place à la couleur d'eau. On prétend que pour que ces couleurs soient bien sensibles, il faut que l'acier mis sur les charbons ait été bien poli, et graissé d'huîle ou de suif.

Nos meilleurs aciers se tirent d'Allemagne et d'Angleterre. Celui d'Angleterre est le plus estimé, par sa finesse de grain et sa netteté : on lui trouve rarement des veines et des pailles. L'acier est pailleux quand il a été mal soudé ; les pailles paraissent en écailles à sa surface : les veines sont de simples traces longitudinales. L'acier d'Allemagne au contraire est veineux, pailleux, cendreux, et piqué de nuances pâles qu'on aperçoit quand il est émoulu et poli. Les cendrures sont de petites veines tortueuses : mais les piqûres sont de petits trous vides que les particules d'acier laissent entr'elles quand leur tissu n'est pas assez compact.

Les pailles et les veines rendent l'ouvrage malpropre, et le tranchant des instruments inégal, faible, mou. Les cendrures et les piqûres le mettent en scie.

Pour distinguer le bon acier du mauvais, prenez le morceau que vous destinez à l'ouvrage dans des tenailles, mettez-le dans un feu de terre ou de charbon, selon le pays ; faites-le chauffer doucement, comme si vous vous proposiez de le souder : prenez garde de le surchauffer ; il vaut mieux lui donner deux chaudes qu'une ; l'acier surchauffé se pique, et le tranchant qu'on en fait est en scie, et par conséquent rude à la coupe ; ne surchauffez donc pas. Quand votre acier sera suffisamment chaud, portez-le sur l'enclume ; prenez un marteau proportionné au morceau d'acier que vous éprouvez ; un marteau trop gros écrasera, et empêchera de souder : trop petit, il ne fera souder qu'à la surface, et laissera le cœur intact ; le grain sera donc inégal : frappez doucement votre morceau d'acier, jusqu'à ce qu'il ait perdu la couleur de cerise ; remettez-le au feu : faites-le rougir un peu plus que cerise ; plongez-le dans l'eau fraiche ; laissez-le refroidir ; émoulez-le et le polissez ; essayez-le ensuite et le considérez : s'il a des pailles, des cendrures, des veines, des piqûres, vous les apercevrez. Il arrivera quelquefois qu'un, deux, trois, ou même tous les côtés du morceau éprouvé seront parfaits : s'il n'y en a qu'un de bon, faites-en le tranchant de votre ouvrage ; par ce moyen les imperfections de l'acier se trouveront au dos de la pièce : mais il y a des pièces à deux tranchans. L'acier ne saurait alors être trop bon ni trop scrupuleusement choisi : il faut qu'il soit pur et net par ses quatre faces et au cœur.

L'acier d'Allemagne vient en barrils d'environ deux pieds de haut, et du poids de cent cinquante livres. Il était autrefois très-bon : mais il a dégénéré.

L'étoffe de Pont vient en barres de différentes grosseurs : c'est le meilleur acier pour les gros instruments, comme ciseaux, forces, serpes, haches, etc. pour aciérer les enclumes, les bigornes, etc.

L'acier de Hongrie est à-peu-près de la même qualité que l'étoffe de Pont, et on peut l'employer aux mêmes usages.

L'acier de rive se fait aux environs de Lyon, et n'est pas mauvais : mais il veut être choisi par un connaisseur, et n'est propre qu'à de gros tranchants ; encore lui préfère-t-on l'étoffe de Pont, et l'on a raison. C'est cependant le seul qu'on emploie à Saint-Etienne et à Thiers.

L'acier de Nevers est très-inférieur à l'acier de rive : il n'est bon pour aucun tranchant : on n'en peut faire que des socs de charrue.

Mais le bon acier est propre à toutes sortes d'ouvrages entre les mains d'un ouvrier qui sait l'employer. On fait tout ce qu'on veut avec l'acier d'Angleterre. Il est étonnant qu'en France, ajoute l'artiste de qui je tiens les jugements qui précèdent sur la qualité des aciers (c'est M. Foucou, ci-devant coutelier), on ne soit pas encore parvenu à faire de bon acier, quoique ce royaume soit le plus riche en fer et en habiles ouvriers. J'ai bien de la peine à croire que ce ne soit pas plutôt défaut d'intelligence dans ceux qui conduisent ces manufactures, que défaut dans les matières et mines qu'ils ont à travailler. Il sort du royaume près de trois millions par an pour l'acier qui y entre. Cet objet est assez considérable pour qu'on y fit plus d'attention, qu'on éprouvât nos fers avec plus de soin, et qu'on tâchât enfin d'en obtenir ou de l'acier naturel, ou de l'acier artificiel, qui nous dispensât de nous en fournir auprès de l'étranger. Mais pour réussir dans cet examen, des chimistes, surtout en petit, des contemplatifs systématiques ne suffisent pas : il faut des ouvriers, et des gens pourvus d'un grand nombre de connaissances expérimentales sur les mines avant que de les mettre en fer, et sur l'emploi du fer au sortir des forges. Il faut des hommes de forges intelligens qui aient opéré, mais qui n'aient pas opéré comme des automates, et qui aient eu pendant vingt à trente ans le marteau à la main. Mais on ne fait pas assez de cas de ces hommes pour les employer : cependant ils sont rares, et ce sont peut-être les seuls dont on puisse attendre quelque découverte solide.

Outre les aciers dont nous avons fait mention, il y a encore les aciers de Piémont, de Clamecy, l'acier de Carme, qui vient de Kernant en Allemagne ; on l'appelle aussi acier à la double marque ; il est assez bon. L'acier à la rose, ainsi nommé d'une tache qu'on voit au cœur quand on le casse. L'acier de grain de Motte, de Mondragon, qui vient d'Espagne ; il est en masses ou pains plats de dix-huit pouces de diamètre, sur deux, trois, quatre, cinq d'épaisseur. Il ne faut pas oublier l'acier de Damas, si vanté par les sabres qu'on en faisait : mais il est inutîle de s'étendre sur ces aciers, dont l'usage est moins ordinaire ici.

On a trouvé depuis quelques années une manière particulière d'aimanter l'acier : voyez là-dessus l'article AIMANT ; voyez aussi l'article FER sur les propriétés médicinales de l'acier. Nous les renvoyons à cet article, parce que ces propriétés leur sont communes ; et l'on croit que pour l'usage de la Médecine le fer vaut mieux que l'acier. Voyez Geoffroy, Mat. med. pag. 500.

Nous finirons cet article acier par le problème proposé aux physiciens et aux chimistes sur quelques effets qui naissent de la propriété qu'a l'acier de produire des étincelles, en le frappant contre un caillou, et résolu par M. de Reaumur. On s'était aperçu au microscope que les étincelles qui sortent de ce choc sont autant de petits globes sphériques. Cette observation a donné lieu à M. Kemp de Kerrwik de demander, 1°. laquelle des deux substances, ou du caillou ou de l'acier, est employée à la production des petits globes ; 2°. de quelle manière cela se fait ou doit faire ; 3°. pourquoi, si l'on emploie le fer au lieu d'acier, n'y a-t-il presque plus d'étincelles scorifiées.

M. de Reaumur commence la solution de ces questions par quelques maximes si sages, que nous ne pouvons mieux faire que de les rapporter ici. Ces questions ayant été inutilement proposées à la Société royale de Londres plus d'un an avant que de parvenir à M. de Reaumur, il dit qu'on aurait souvent tort d'en croire des questions plus difficiles parce que de très-habiles gens à qui on les a proposées n'en ont pas donné la solution ; qu'il faudrait être bien sur auparavant qu'ils l'ont cherchée, et que quelqu'un qui est parvenu à se faire connaître par son travail, n'aurait qu'à renoncer à tout ouvrage suivi, s'il avait la facilité de se livrer à tous les éclaircissements qui lui seraient demandés.

M. de Reaumur laisse à d'autres à expliquer comment le choc de l'acier contre le caillou produit des étincelles brillantes ; et il répond aux autres questions, que le fer et l'acier sont pénétrés d'une matière inflammable à laquelle ils doivent leur ductilité ; matière qu'ils n'ont pas plutôt perdue, qu'ils deviennent friables, et qu'ils sont réduits en scories ; qu'il ne faut qu'un instant pour allumer la matière inflammable des grains de fer et d'acier très-petits, peut-être moins, ou aussi peu de temps que pour allumer des grains de sciures de bois ; que si la matière inflammable d'un petit grain d'acier est allumée subitement, si elle est toute allumée presqu'à la fais, cela suffit pour mettre le grain en fusion ; que les petits grains d'acier détachés par le caillou sont aussi embrasés soudainement ; que le caillou lui-même aide peut-être par la matière sulphureuse qu'il fournit dans l'instant du choc à celle qui est propre au grain d'acier ; que ce grain d'acier rendu liquide s'arrondit pendant sa chute ; qu'il devient une boule, mais creuse, friable, spongieuse, parce que sa matière huileuse et inflammable a été brulée et brule avec éruption ; que ce temps suffit pour bruler celle d'un grain qui est dans l'air libre : enfin que l'acier plus dur que le fer, imbibé d'une plus grande quantité de matière inflammable et mieux distribué, doit donner plus d'étincelles. On peut voir dans le Mémoire même de M. de Reaumur, Recueil de l'Académie des Sciences, année 1736. les preuves des suppositions sur lesquelles la solution que nous venons de rapporter est appuyée : ces preuves y sont exposées avec toute la clarté, l'ordre, et l'étendue qu'elles méritent, depuis la page 391 jusqu'à 403.

ACIER tiré, terme d'Horlogerie. Voyez FIL DE PIGNON.