S. m. (Médecine) on appelle de ce nom ceux d'entre les médecins modernes qui, après la découverte de la circulation du sang, et l'établissement de la philosophie de Descartes, ayant sécoué le joug de l'autorité, ont adopté la méthode des géomètres dans les recherches qu'ils ont faites sur tout ce qui a rapport à l'oeconomie animale, en tant qu'ils l'ont regardée comme une production de mouvements de différente espèce, soumis à toutes les lois de la mécanique, selon lesquelles se font toutes les opérations des corps dans la nature.

Dans cette idée, le corps animal, par conséquent le corps humain, est considéré comme une véritable machine ; c'est-à-dire, comme un corps composé, dont les parties sont d'une telle sorte de matière, de figure et de structure, que par leur connexion, elles sont susceptibles de produire des effets déterminés pour une fin préétablie.

Les Mécaniciens ont Ve dans cette machine animée, des soutiens ou appuis, dans les pieds qui servent à porter tout le corps ; des colonnes ou piliers, dans les jambes qui peuvent le soutenir dans une situation perpendiculaire ; des voutes, dans l'assemblage des os de la tête ; de la poitrine, des poutres, dans la position des côtes ; des coins, dans la figure des dents ; des leviers, dans l'usage des os longs ; des puissances appliquées à ces leviers, dans le jeu des muscles ; des poulies de renvoi, dans la destination des anneaux cartilagineux des grands angles des yeux ; des forces de pressoir, dans l'action de l'estomac sur les aliments ; le mécanisme des soufflets, dans celui de la respiration ; l'action d'un piston, dans celle du cœur ; l'effet des cribles, des filtres, dans la surface des vaisseaux, qui distribuent les fluides à-travers les orifices des vaisseaux plus petits et de genre différent, dont elles sont percées ; des réservoirs, dans la vessie urinaire, dans la vésicule du fiel ; enfin des canaux de différents calibres, dans les différents conduits qui contiennent des fluides, qui ont un cours ; ce qui particulièrement a fait regarder le corps animal, comme une véritable machine hydraulique, dont les effets sont produits, renouvellés, conservés par des forces semblables à celles du coin, du ressort, de l'équilibre, de la pompe, etc.

De ces considérations introduites dans la théorie de la Médécine, il s'ensuivit qu'elle parut avoir pris une face entièrement nouvelle, un langage absolument différent de celui qui avait été tenu jusqu'alors. Quelques idées chimiques se joignirent d'abord à ces nouveaux principes. Pour trouver une puissance motrice dans la machine construite, on eut recours à la matière subtile, à des ferments pour produire des expansions, des ébullitions, des effervescences dans les fluides, qui pussent être des causes d'impulsion, de mouvement progressif, propres à retenir, selon les lois mécaniques, hydrauliques, la circulation, le cours de la masse des humeurs distribuées dans leurs différents canaux.

Mais l'hypothèse de Descartes et de ses sectateurs sur le principe du mouvement circulatoire, ayant été combattue et détruite par Lower, cet auteur y en substitua une autre, qui fut adopté par Baglivi, et qui a eu beaucoup de partisans ; dans laquelle il établissait une réciprocation d'action systaltique et diastaltique entre les fibres élastiques de la substance du cœur, et celles des membranes du cerveau : mais comme dans une machine susceptible de résistances, de frottements entre les parties qui la composent, l'équilibre et le repos succéderaient nécessairement bientôt à un pareil principe de mouvement, et que d'ailleurs l'expérience anatomique a appris que le cœur peut continuer à avoir du mouvement indépendamment du cerveau, cette opinion de Lower a resté sans fondement : on a cru pouvoir y suppléer par l'influence du fluide nerveux attiré dans les fibres du cœur par l'action stimulante, irritante du seul volume du sang, en tant qu'il dilate, qu'il force les parois de cet organe musculeux.

Mais dans ce système, qui est celui de Vieussens, et qui a été longtemps celui de l'école de Montpellier, la cause première de cette influence du fluide nerveux, quelque modification qu'on lui suppose, restant inconnue, et toutes les explications physiques et mécaniques que l'on en a données, paraissant insuffisantes, les Stahliens et tous les médecins autocratiques ont prétendu qu'elle devait être attribuée à une puissance intelligente, selon eux, la nature qui n'est pas différente de l'âme même, sans avoir égard à ce que le cœur séparé du corps est encore susceptible de mouvements contractiles, répétés ; mais comme ce prétendu principe moteur ne s'accorde point avec les faits, les observations, on en est venu à faire convenir Stahl même, que la recherche des causes du mouvement automatique dans le corps humain, est une recherche stérile, en même temps que l'on a avoué que les ressorts du mécanisme ne peuvent en fournir le principe, qu'il semble que l'on ne peut trouver qu'en le cherchant dans une cause physique, telle que l'irritabilité, cette qualité mobîle de la matière animée, sur laquelle on a des observations incontestables, et dont les principaux organes de la circulation paraissent particulièrement doués, de manière qu'il parait propre à concilier tous les phénomènes ; mais une qualité de cette nature supposerait toujours une première cause qui nous est inconnue. Voyez IRRITABILITE.

Cependant, dit Boerhaave (comment. in propr. instit. § 40.) si les différentes parties du corps animal ont réellement du rapport avec les instruments mécaniques, tels que ceux qui ont été mentionnés ci-devant, elles ne peuvent être mises en action, que selon les mêmes lois de mouvement, qui conviennent à ces instruments ; car toutes les forces des organes consistent dans leurs mouvements, et ces mouvements, par quelque cause qu'ils soient produits, ne peuvent se faire que selon les lois générales de la mécanique, quoique ces causes soient inconnues ; parce que ce n'est pas des causes dont il s'agit à cet égard, mais d'effets qui ne peuvent qu'être soumis à ces lais.

Combien ne se fait-il pas de mouvements dans la nature qui sont très-grands, très-multipliés, mais dont nous ignorons les causes ? cependant ces mouvements se font selon les lois communes à tout ce qui est matière. Quoiqu'on ne connaisse pas la cause du magnétisme, on ne laisse pas d'observer que ses effets s'opèrent d'une manière fixe et invariable, que l'on peut saisir, et qui étant bien connue, sert de règle dans l'application que l'on peut en faire pour multiplier les phénomènes, les expériences.

Il en est de même du corps humain ; il produit des effets dont les causes sont très-obscures : mais après tout, ces effets se réduisent à mettre en mouvement des fluides dans des vaisseaux qui reçoivent et distribuent, comme des pompes foulantes, à élever des poids par le moyen de corde mises en jeu, etc. ce qui ne fait que des opérations semblables à celles qui se font par des causes purement mécaniques ; ces opérations sont soumises aux mêmes lois du mouvement qui leur sont communes avec tous les corps.

Les éléments des fluides sont des molécules solides ; s'ils sont mis en mouvement, ce ne peut être que d'après les mêmes lois qui règlent les mouvements de tous les solides ; et l'action d'un fluide quelconque, considéré par rapport à sa masse, est la somme du mouvement de chacune des particules qui la forment.

Mais quoiqu'on ne puisse pas disconvenir que ces lois générales sont observées dans tous les mouvements de l'oeconomie animale, elles ne sont pas les seules qui en déterminent la règle. Les vaisseaux du corps humain ne sont pas des corps fermes, d'une résistance invincible, comme les canaux des machines inanimées : ceux-là sont composés de parties flexibles, élastiques, susceptibles d'allongement, d'extension, de raccourcissement, de contraction alternatives. Nos fluides ne sont pas un liquide pur, homogène, comme est censé l'être le fluide des machines hydrauliques ; ils sont composés d'un mélange d'eau, de sel, d'huîle et de terre, qui sont des parties susceptibles de s'attirer, de se repousser sensiblement entr'elles, selon les différents degrés d'affinité, de force, de cohésion dont elles sont douées les unes par rapport aux autres ; en sorte que comme les fluides du corps humain sont en conséquence assujettis à des lois qui leur sont propres, outre celles qui leur sont communes avec les fluides en général, dont ils s'éloignent à proportion de la différence qu'il y a entre l'eau et nos liqueurs ; de même nos vaisseaux sont soumis à d'autres lois qu'à celles qui conviennent à des canaux inflexibles, dans lesquels sont tenus des fluides incompressibles.

Ainsi, il est des phénomènes dans le corps humain dont on ne peut point rendre raison par les seuls principes mécaniques, hydrauliques ou hydraustatiques : ainsi, il n'est pas étonnant que l'événement n'ait pas répondu à l'attente de ceux qui croyaient pouvoir regarder toutes les opérations de l'oeconomie animale, au moins à l'égard des fonctions vitales, comme les simples effets d'une machine hydraulique ; parce que le corps humain est une machine d'un genre bien différent, en tant qu'elle est susceptible de mouvements accidentels, dépendants de la volonté, et que le principe de ces mouvements, ainsi que la plupart de ceux que l'on observe dans l'oeconomie animale, parait n'avoir rien de commun avec celui des mouvements que l'on observe dans les machines inanimées.

Donc, quoique le corps humain ait plusieurs rapports qui lui sont communs avec les autres corps, dans la nature, il ne s'ensuit pas moins qu'il faut distinguer ce qu'il a de propre et de relatif à des lois particulières, qu'on ne peut saisir que d'après l'observation des phénomènes de l'oeconomie animale, dans l'état de santé et dans celui de maladie ; en sorte qu'on ne peut user de trop de précaution pour faire une juste application des principes de la simple mécanique, à la physique du corps humain, pour éviter de tomber dans les erreurs où sont tombés la plupart des médecins mécaniciens de ce siècle, qui ayant voulu ne considérer l'homme que comme un être corporel, relativement à sa qualité d'animal, ont cru très-mal-à-propos trouver l'exemple du véritable mouvement perpétuel dans la disposition physique et mécanique de ses parties, comme dans la colombe de Roger Bacon ; d'où ils croyaient pouvoir déduire la cause et les effets de tous leurs mouvements, de toutes leurs actions.

Mais, comme on y trouve un assemblage de causes, plutôt qu'une cause unique, leur concours ne nous permet pas d'apprécier séparément leurs produits ; toutes se contrebalancent et se combattent les unes les autres ; elles déguisent réciproquement la part qu'elles ont aux différentes actions : c'est ce qui rend si difficîle de connaître, d'apprécier, d'estimer les poids et mesures de la nature, et de les exprimer par des nombres.

Cependant, dit l'illustre M. de Senac, dans sa préface de son traité du cœur, dont nous extrairons ici quelques réflexions sur l'abus de l'application de la mécanique à la théorie de la Médecine, tout a été soumis au calcul ; la manie de calculer est devenue parmi la plupart des médecins éclairés de ce siècle, une maladie épidémique : la raison et les égarements sont des remèdes inutiles. On a calculé la quantité du sang, le nombre des vaisseaux capillaires, leurs diamètres, leur capacité, la force du cœur et de la circulation, l'écoulement de la bile, le jet de l'urine ; on a poussé l'extravagance si loin en ce genre, qu'on a entrepris de fixer les doses des remèdes par les ordonnées d'une courbe, dont les divers segments représentent la durée de la vie humaine ; c'est ainsi qu'on ne peut éviter de donner dans le ridicule, lorsqu'on veut traiter avec un esprit géométrique, des matières qui n'en sont pas susceptibles ; c'est ainsi que les uns élèvent la force du cœur jusqu'à celle d'un poids de trois millions de livres, tandis que d'autres la réduisent à la force d'un poids de huit onces.

Croirait-on, continue notre auteur, que des physiciens célèbres, tels que Borelli et Keill, que des physiciens guidés par les principes d'une science qui porte avec elle la lumière et la certitude, aient Ve dans ces principes des conséquences si opposées ? Ce ne sont pas en général les calculs qui sont faux, ils ne pechent que parce qu'ils ne sont appuyés que sur de fausses suppositions.

Ces écrivains, par leurs erreurs, ont préparé à leurs critiques une victoire facile. Michelotti et Jurin ont méprisé la géométrie de Borelli, si estimable néanmoins dans la plus grande partie de son traité de motu animalium, celle de Morland et de Keill : d'autres ont censuré ces critiques si éclairés sur les fautes des autres, et si aveugles sur leurs propres défauts. Voilà donc la géométrie armée contre la géométrie, sans qu'on puisse faire retomber sur cette science la honte de ces dissensions, qui ne regarde que les physiciens qui ont abusé, comme on abuse de la raison, sans qu'on puisse jamais en conclure qu'il faut la rejeter et n'en plus faire usage.

L'application de la Géométrie est plus difficîle que la géométrie même : peut-être que dans mille ans on pourra en appliquer les principes aux phénomènes de la nature ; encore même y en a-t-il dont on peut assurer qu'ils s'y refuseront toujours.

Mais, de toutes les sciences physiques auxquelles on a prétendu appliquer la Géométrie, il parait qu'il n'y en a pas où elle puisse moins pénétrer que dans la Médecine. Avec le secours de la Géométrie, les médecins seront sans doute des physiciens plus exacts ; c'est-à-dire, que l'esprit géométrique qu'ils prendront dans la Géométrie, leur sera plus utîle que la Géométrie même ; ils éviteront des fautes grossières, dans lesquelles ils tomberaient sans ce secours : en quoi ce jugement peut parfaitement se concilier avec celui d'Hippocrate, dans sa lettre à son fils Thessalus, où il lui recommande l'étude de la Géométrie, comme d'une science qui sert non-seulement à rendre l'esprit juste, mais de plus à l'éclairer et à le rendre propre à discerner tout ce qu'il importe de savoir dans la Médecine.

Il n'en est pas moins vrai de dire que les médecins qui, en traitant de leur art, ne parlent que de mécanique, et hérissent leurs ouvrages de calculs, ne font le plus souvent qu'en imposer aux ignorants, qui regardent les figures et les calculs, auxquels ils ne comprennent rien, comme le sceau de la vérité, qui est ordinairement si éloignée des ouvrages dans lesquels ils croient qu'elle est manifestée. Ces auteurs profonds se parent d'une science étrangère à leur art ; &, sans le soupçonner, ils s'exposent au mépris des vrais géomètres. N'est-ce pas un contraste frappant que la hardiesse avec laquelle les médecins calculent, et la retenue avec laquelle les plus grands géomètres parlent des opérations des corps animés ?

Suivant M. d'Alembert, dans son admirable ouvrage sur l'hydrodynamique, le mécanisme du corps humain, la vitesse du sang, son action sur les vaisseaux, se refusent à la théorie ; on ne connait ni le jeu des nerfs, ni l'élasticité des vaisseaux, ni leur capacité variable dans les différents individus, ainsi que la consistance, la ténacité du sang et les degrés de chaleur dans les différents organes.

Quand chacune de ces choses serait connue, ajoute cet auteur célèbre, la grande multitude des éléments qui entreraient dans une pareille théorie, nous conduirait vraisemblablement à des calculs impraticables ; c'est un des cas les plus composés d'un problème, dont le plus simple est fort difficîle à résoudre.

Lorsque les effets de la nature sont trop compliqués pour pouvoir être soumis à nos calculs, l'expérience est le seul guide qui nous reste ; nous ne pouvons nous appuyer que sur des inductions tirées d'un nombre de faits. Il n'appartient qu'à des physiciens aisifs de s'imaginer qu'à force d'algèbre et d'hypothèses, ils viendront à bout de dévoiler les ressorts du corps humain.

De telles raisons d'un si grand poids, n'excusent pas cependant l'ignorance de ceux qui, sans le secours de la Géométrie, croient pouvoir pénétrer dans le mécanisme du corps humain ; tous leurs pas seront marqués par des erreurs grossières ; ils ne sauraient apprécier les objets les plus simples ; tout ce qui aura quelque rapport avec la solidité, l'étendue des surfaces, l'équilibre, les forces mouvantes, le cours des liqueurs, sera un écueil pour eux : si la géométrie ne nous ouvre pas les secrets de la nature dans les corps animés, elle est un préservatif nécessaire ; c'est un flambeau qui, en éclairant nos pas, nous empêche de faire des chutes honteuses, qui en occasionneraient bien d'autres. Les erreurs sont plus fécondes que la vérité ; elles entraînent toujours avec elles une longue suite d'égarements.

On ne peut donc décrire que l'abus des mathématiques dans la médecine, et non pas les mathématiques elles-mêmes ; parce que ce serait proscrire les ouvrages de ce siècle les plus savants, et qui en général répandent le plus de lumière sur la théorie de l'art : tels sont ceux des Bellini, Borelli, Malpighi, Michelotti, Valsalva, Baglivi, Lancisi, Pitcarn, Keill, Jurin, Bianchi, Freind, Boerhaave, Sauvage, Lamure, Hamberger, Halles, Haller, etc.

Voyez les dissertations de Michelotti, Strom, Boerhaave sur l'article du raisonnement mécanique dans la théorie de la médecine. Voyez MEDECINE, ÉCONOMIE ANIMALE, NATURE, etc.