Imprimer
Catégorie parente: Physique particulière
Catégorie : Médecine
S. m. (Médecine) est un genre de lésion des fonctions animales. L'étymologie la plus vraisemblable de ce nom vient, selon plusieurs auteurs, du mot lira, qui signifie un fossé en ligne droite que l'on fait dans les champs, qui sert à diriger les sillons ; ainsi d'aberrare de lirâ, s'écarter du principal sillon, a été fait le mot delirus, appliqué par allusion à un homme qui s'écarte de la règle de la raison, parce que le délire n'est autre chose que l'égarement, l'erreur de l'esprit durant la veille, qui juge mal des choses connues de tout le monde.

L'ame est toujours dans le même état, elle n'est susceptible d'aucune altération ; ce n'est donc pas à elle à qui il faut attribuer cet égarement, cette erreur, ce défaut de jugement, qui constitue le délire, mais à la disposition des organes du corps, auquel il a plu au Créateur de l'unir ; cela est hors de doute.

En effet les idées, en vertu de l'union des deux substances, sont attachées aux changements qui se font sur la surface extérieure ou intérieure de la fibre médullaire du cerveau, aux impressions de mouvement qu'elle est susceptible de recevoir ; et selon que ces vibrations sont d'accord entr'elles ou ne le sont pas, l'âme qui est affectée d'une manière semblable ou dissemblable par les idées, les unit ou les sépare ; et après en avoir jugé, elle s'y attache plus ou moins fortement, selon que cette consonnance ou dissonnance est plus ou moins grande, à proportion de la longueur, de la grosseur, et de la tension de la fibre : Voyez AME, CERVEAU, SENSATION.

De ces trois qualités les deux premières éprouvent rarement quelque altération ; il y a même lieu de douter si cela arrive jamais. Elles ne sont différentes que respectivement aux différents sujets, dont les uns ont le tissu des fibres en général plus fort, plus roide ; les autres plus faible, plus lâche, avec des combinaisons presqu'infinies. Pour ce qui est de la tension, elle est susceptible d'augmentation ou de diminution dans cet état naturel et contre-naturel, c'est-à-dire lorsqu'il y a excès.

Tant que les fibres du cerveau, dit M. de Sauvages dans son livre des nouvelles classes de maladies, (1732) jouissent de l'harmonie que l'auteur de la nature a formée entr'elles, par une tension proportionnée, les idées et les jugements qui résultent du changement qu'elles éprouvent par les causes externes ou internes, sont sains et naturels, conformes à leurs objets ; mais dès que cet accord est dérangé, que les fibres deviennent trop tendues, trop élastiques, comme dans la phrénésie, la manie (voyez MANIE, PHRENESIE) dans lesquelles maladies toutes les fibres qui servent aux fonctions de l'âme, ont le même défaut : dans la mélancolie, la démonomanie, où il n'y en a que quelques-unes de viciées de la même manière (voyez DEMONOMANIE, MELANCOLIE), dans des cas au contraire où elles sont trop relâchées, comme dans la léthargie, la stupidité (voyez LETHARGIE, STUPIDITE) : alors les idées et les jugements, qui ne sont que la comparaison que l'esprit fait de ces idées, sont à proportion plus fortes ou plus faibles que l'impression des objets ; et comme ses opérations sont finies, les plus fortes occupant toute la faculté de penser, fixant toute son attention (voyez ATTENTION), il n'aperçoit pas les autres : de-là vient qu'il n'en saurait porter un jugement sain et naturel. Cet effet est commun à toutes les maladies qui viennent d'être citées, et à plusieurs autres à-peu-près semblables, dans lesquelles les fibres pechent par excès de tension, soit en général, soit quelques-unes en particulier ; elles constituent donc ces différentes espèces de délire, puisque dans toutes ces différentes affections il y a erreur de l'esprit dans la veille, il se présente des idées qui ne sont pas conformes à leurs objets.

On distingue deux sortes principales de délires ; savoir le délire universel, dans lequel toutes ou un très-grand nombre de fibres du cerveau sont viciées de la manière qui vient d'être dite ; et le délire particulier, dans lequel il n'y a que très-peu de fibres qui soient dérangées.

On observe aussi différents degrés de délire ; car quelquefois ce changement, cette altération qui se fait dans l'organe des sensations, c'est-à-dire le sensorium commune, par une cause interne, sont si peu considérables, qu'ils font une plus légère impression que ceux qui sont produits par les causes externes qui agissent sur les sens : dans ce cas les idées qui sont excitées par cette légère impression s'effacent aisément, et cedent à celles qui viennent par la perception des sens : c'est-là, en quelque façon, le premier degré de délire ; lorsque les malades croient apercevoir certain objet par la voie des sens, et qu'étant avertis par les assistants, ils voient aisément qu'ils se sont trompés.

Mais lorsque l'action de la cause interne sur l'organe des sensations est si forte, qu'elle égale et qu'elle surpasse même l'impression qui se fait par le moyen des sens, on ne peut pas persuader aux malades que la cause de ce qu'ils sentent n'est pas hors d'eux-mêmes, surtout s'ils ont eu autrefois de semblables idées à l'occasion des objets extérieurs : car alors ils se persuadent absolument que les mêmes causes externes les affectent, et ils se fâchent contre leurs amis qui osent nier des choses qui leur paraissent évidentes ; c'est qu'alors l'impression qui s'est faite par la cause interne, cachée dans l'organe des sensations, est si efficace qu'elle est supérieure à toute autre impression qui pourrait s'y faire. L'idée qui en résulte est toujours présente à l'esprit, et ne peut être corrigée par aucun raisonnement : cependant les organes eux-mêmes qui servent aux jugements sains, ne sont pas entièrement dénués de leurs facultés ; car s'il arrive quelque accident subit et imprévu qui attire une forte attention de la part du malade, cette nouvelle impression l'emporte sur la précédente ; ils paraissent pour le moment s'occuper de ce qui se passe réellement hors d'eux ; ils raisonnent juste en conséquence : mais la cause de cette dernière attention venant à cesser, celle qui dominait auparavant produit son effet, et ils retombent dans leurs fausses idées comme auparavant.

Tout ce qui se passe en nous, qu'on appelle jugement, dépend de l'intime faculté de penser, qui compare ses idées : ainsi un homme qui est dans le délire se persuade que les idées qui lui sont représentées à l'occasion de la cause interne qui les excite, sont vraies, parce qu'elles sont aussi vives et lui paraissent semblables à celles qu'excitaient autrefois en lui les objets externes.

Toutes les idées qui naissent en nous, représentent un objet agréable, ou desagréable, ou indifférent. On se détermine en conséquence à agir pour se procurer la continuation de ce sentiment agréable, ou pour éloigner celui qui déplait, ou on ne fait pas d'attention à ce qui est indifférent.

Ainsi lorsqu'il survient à ceux qui sont dans le délire quelques-unes des idées des deux premières espèces, qui sont propres à exciter de violentes affections de l'âme, ils s'agitent beaucoup, ils blessent les assistants qui veulent les contenir, ils renversent tous les obstacles qui se présentent, pour parvenir à se procurer les choses qu'ils désirent, ou à éloigner celles qu'ils craignent : telles sont les délires qu'Hippocrate appelle , dans lesquels ni les menaces, ni les dangers, ni la raison, ne peuvent retenir les malades qui en sont attaqués, ni les empêcher de nuire à eux-mêmes et aux autres. Il les compare à des bêtes sauvages, selon la signification du mot grec ci-dessus : mais lorsqu'ils ne sont occupés que d'idées qui n'ont rien de bien attrayant ni de déplaisant, il ne s'ensuit aucune agitation du corps, aucun mouvement violent, ils n'en sont cependant pas moins dans le délire ; tels que ceux dont Hippocrate dit dans son liv. I. des prédictions : " Les délires obscurs accompagnés de legers tremblements des membres, et dans lesquels les malades cherchent à palper quelque chose en tatonnant continuellement, sont très-phrénétiques ". Ainsi les Médecins se trompent quand ils ne croient pas dans le délire leurs malades, qu'ils ne sortent du lit, qu'ils ne s'agitent violemment, et ne fassent de grands cris. Ces délires obscurs sont de très-mauvais augure, et il est très-nécessaire de les connaître : car, comme dans toute sorte de délire il y a toujours une portion de la substance médullaire affectée, dans le cas dont il s'agit, il peut y avoir un très-grand danger, quoiqu'il ne paraisse pas de grands troubles.

Si le changement qui se fait dans l'organe des sensations par la cause morbifique interne, donne lieu à ce qu'il naisse une idée d'un objet que l'on n'a jamais Ve et dont il ne s'est jamais fait aucune représentation à l'esprit, l'âme est toute occupée à le considérer, et elle en est troublée ; le malade parait comme frappé d'étonnement, ses yeux sont ouverts, sa bouche béante, et peu de temps après il est attaqué de convulsions d'autant plus violentes que l'objet de la crainte est plus grand : c'est ce qui arrive aux épileptiques qui sont affectés dans les paroxismes de différentes couleurs, de différentes odeurs, de différents gouts, etc. qu'ils ne peuvent rapporter à aucune sensation connue ; les simples songes représentent même quelquefois des choses que l'on n'a jamais ni vues ni imaginées. C'est sans-doute sur ce fondement qu'Hippocrate a dit dans les Coaques, " que dans les fièvres, les agitations de l'âme qui ont lieu, sans que le malade dise mot, quoiqu'il ne soit pas privé de la voix, sont pernicieuses ".

De tout ce qui vient d'être dit, il résulte qu'il y a bien des différents genres de délires, que l'on peut cependant réduire aux trois suivants : 1°. lorsqu'il s'excite par la cause interne cachée différentes idées simples seulement, qui sont plus ou moins vives, selon que l'impression est plus ou moins forte : 2°, lorsque de ces idées il suit un jugement, c'est un autre genre de délire : 3°. lorsque ces idées sont présentées à l'âme comme plus ou moins agréables ou desagréables, et sont accompagnées d'agitations du corps, de mouvements plus ou moins violents ; ce qui établit une troisième différence de délire.

Les suites de toutes ces sortes de délires sont différentes, selon que cette passion ou telle autre sera excitée. Les changements apparents du corps ne sont pas les mêmes pour les idées accompagnées de plaisir, et pour celles qui sont accompagnées de tristesse, de crainte. C'est ce qui a fait dire à Hippocrate dans ses aphorismes, que " les délires dans lesquels les malades semblent de bonne humeur, sont moins dangereux que ceux dans lesquels ils paraissent sérieux, fortement occupés ". Comme aussi dans les Coaques, il regarde comme très-funestes les délires dans lesquels les malades refusent ce qui leur est le plus nécessaire, comme les bouillons, la boisson, dans lesquels ils sont très-éveillés par la crainte des objets qu'ils se représentent.

Le délire est essentiel ou symptomatique, idiopatique ou sympathique. Voyez ces termes. Il est encore maniaque ou mélancholique, avec fièvre ou sans fièvre, habituel ou accidentel, aigu ou chronique.

Après avoir expliqué la nature du délire, et avoir exposé ses principales différences, d'après lesquelles on peut aisément se faire une idée de toutes les autres, il se présente à rechercher les causes du délire d'après les observations les plus exactes.

Dans le délire il s'excite des idées par la cause interne cachée, qui change la disposition du cerveau : ces idées sont semblables à celles qui sont naturellement excitées par l'impression des objets extérieurs : conséquemment il se réveille différentes passions dans l'âme ; ces passions sont suivies de différents mouvements du corps, par conséquent la cause du délire agit sur l'organe des sensations, duquel naissent sans division et sans interruption, tous les nerfs de toutes les parties du corps qui tendent aux muscles et aux organes des sens ; et comme les injections anatomiques nous ont appris que toute la substance médullaire du cerveau est vasculeuse, puisqu'elle est une suite de sa corticale que l'on démontre n'être qu'un composé de vaisseaux, et que les petits canaux qui composent celle-la contiennent et servent à distribuer le fluide le plus subtil du corps, ils peuvent donc être sujets aux mêmes vices qui peuvent affecter les gros vaisseaux remplis d'un fluide grossier. Ces canaux, tous déliés qu'ils sont, peuvent être obstrués, comprimés : par conséquent tout ce qui peut empêcher le cours libre des fluides dans leur cavité, peut produire le délire. On sait que dans tous les autres viscères, il faut que les liquides qui se meuvent dans les solides dont ces viscères sont composés, aient une vitesse déterminée, et que les fonctions de ces viscères sont troublées par un mouvement trop rapide ou trop ralenti. On peut dire la même chose du cerveau. Le délire survient à plusieurs dans les fièvres intermittentes, par la seule agitation des humeurs mues avec trop de vitesse pendant la violence de l'accès, et l'on voit ce délire cesser dès que le trop grand mouvement des humeurs diminue.

Le délire peut donc être produit par toutes les causes de l'obstruction, de l'inflammation, par tout ce qui peut augmenter ou retarder le cours des fluides en général, et par conséquent ceux du cerveau ; plusieurs causes peuvent par conséquent donner lieu au délire : mais toutes celles dont il vient d'être fait mention, ont leur siège dans le cerveau. Cependant plusieurs autres causes qui n'y agissent pas immédiatement, mais qui affectent d'autres parties du corps, peuvent affecter la substance médullaire de l'organe des sensations, comme si c'était une cause physique préexistante dans le cerveau même, quoiqu'elle en soit bien éloignée. C'est-là une chose très-importante dans la pratique, et qui, comme on voit, mérite beaucoup d'attention.

Les anciens médecins avaient déjà observé dans les autres différentes parties du corps, les changements qui s'y faisaient, comme pouvant servir de signe du délire prochain. C'est ainsi qu'Hippocrate a dit dans ses pronostics, que " s'il y a un battement dans un des hypocondres, cela signifie ou une grande agitation, ou un délire. Les palpitations que l'on ressent dans le ventre, sont suivies de trouble dans l'esprit, etc. " Il est constant par l'histoire des plaies, des douleurs, des convulsions, de la manie, de l'épilepsie, de la mélancolie, etc. que l'organe des sensations peut être affecté par le vice de différentes parties du corps, même des plus éloignées.

On observe aussi particulièrement que le délire, comme symptôme de fièvre, est occasionné par la matière morbifique qui a son siège dans la région épigastrique, laquelle étant emportée par quelque moyen que ce puisse être, la fièvre cesse, quoiqu'on n'emploie aucun remède dont l'effet se fasse dans la tête même. Hippocrate avait dit à ce sujet, dans son livre des affections, que " quand la bîle émue se fixe dans les viscères qui sont près du diaphragme, elle cause la phrénésie ".

On sait combien influe sur le cerveau l'action de bien des remèdes, et celle des poisons sur l'estomac, lesquels étant emportés, le mal cesse. C'est la puissance d'une partie éloignée sur une autre, que Vanhelmont appelait assez à-propos action de subordination, actio regiminis. Cette correspondance se manifeste assez par ce qui se passe dans les parties où il y a concours d'un grand nombre de nerfs qui se distribuent à plusieurs autres parties, comme dans l'orifice supérieur de l'estomac, dont les irritations occasionnent des désordres dans tout l'organe des sensations ; la cause de l'irritation ôtée, le calme suit. La raison des effets ne se présente pas aisément ; mais il suffit que le fait soit bien observé, pour qu'on en puisse tirer des indications salutaires pour diriger les opérations dans la pratique. On peut voir ce qui regarde plus particulièrement les différentes causes de délire, dans les articles des différentes espèces de cette maladie, comme MANIE, MELANCHOLIE, PHRENESIE, etc. Ce qui vient d'être dit convient au délire proprement dit, que l'on observe dans la plupart des maladies aiguës, surtout dans les fièvres. C'est aussi de cette dernière espèce de délire, que les signes qui la font connaître vont être rapportés : " car, comme dit Hippocrate, celui qui par les affections présentes juge de celles qui peuvent survenir, est en état de conduire parfaitement le traitement d'une maladie ".

Comme le délire a différents degrés, et qu'il est accompagné de symptômes très-funestes, surtout quand il parvient à celui de sa plus grande violence par les fortes passions de l'âme qu'il fait naître, et par les mouvements et les agitations extraordinaires qui les accompagnent, il est très-important d'en connaître les moindres principes, pour pouvoir en prévenir l'accroissement et les suites : ce qui demande beaucoup d'application. Galien use à ce propos d'une comparaison qui est très-ingénieuse : il dit " que comme il n'y a que les habiles jardiniers qui connaissent les plantes, et les distinguent les unes des autres lorsqu'elles ne font que sortir de terre, pendant que tout le monde les connait quand elles sont dans leur force ; de même il n'y a que les habiles médecins qui aperçoivent les signes d'un délire prochain ou commençant, tandis que personne n'en méconnait les symptômes, lorsque le malade s'agite sans raison apparente, se jette hors du lit, devient furieux, etc. "

C'est l'importance de cette connaissance des signes du délire, qui les a fait observer si soigneusement à Hippocrate tels que nous allons en rapporter quelques-uns. Il dit dans ses pronostics, que " c'est un signe de délire ou de douleur de quelque partie de l'abdomen, de se tenir couché sur le ventre, pour celui qui n'est pas accoutumé de se coucher dans cette attitude en santé ". Il dit aussi dans le même livre, que " le malade qui grince des dents, n'ayant pas eu cette habitude depuis son enfance, est menacé de délire et de mort prochaine ". On y lit encore, que " la respiration longue et profonde signifie aussi le délire ; lorsqu'il y a battement dans les flancs, et que les yeux paraissent agités, on doit s'attendre au délire ". La douleur aiguë de l'oreille dans une fièvre violente, la langue rude et seche, la langue tremblante, le visage enflammé, le regard féroce, le vomissement des matières bilieuses, poracées, les urines rougeâtres, claires, et quelquefois blanches, ce qui est bien plus mauvais, sont tous des signes d'une disposition au délire. Mais ce qu'Hippocrate regarde comme le plus sur indice d'un délire prochain, c'est que le malade s'occupe des choses auxquelles il n'était pas en coutume de penser, ou même contraires : c'est à ce signe général que se rapportent les signes particuliers suivants, comme une réponse brusque de la part d'un homme ordinairement modéré, une indécence de la part d'une femme modeste, et autres choses semblables. Galien avait éprouvé sur soi-même, que de regarder ses mains, de paraitre vouloir ramasser des flocons, de chasser aux mouches, sont des signes de délire ; s'en étant aperçu par les assistants qu'il entendait le remarquer, il demanda du secours pour prévenir la phrénésie dont il se sentait menacé. Le délire obscur que l'on prendrait presque pour une léthargie, se distingue par un pouls dur, quoique très-languissant. On trouve dans Hippocrate beaucoup d'autres signes diagnostics du délire. On se borne à ceux qui viennent d'être rapportés, pour passer aux pronostics. Extrait de Van. Swieten, comment. aph. Boerh.

Les délires qui ne subsistent pas continuellement et donnent quelque relâche, sont les moins mauvais, surtout ceux qui ne durent pas longtemps, et qui ne sont accompagnés d'aucun mauvais signe : ils occasionnent plus de crainte que de danger ; comme dans les fièvres intermittentes où ils paraissent dans la violence de l'accès, et se terminent avec elle, pourvu que les forces du malade suffisent à supporter la violence du mal.

Cependant aucun délire n'est regardé comme un signe de sécurité dans les maladies, ni comme un signe de mort certaine par lui seul ; non plus qu'on ne doit pas fonder une espérance assurée sur la seule liberté de l'esprit.

Quelquefois pendant que subsistent les symptômes les plus violents, s'il survient un délire subit, c'est un signe d'une hémorrhagie ou d'une crise, selon Hippocrate dans les Coaques. L'urine fort chargée, qui donne beaucoup de sédiment, annonce la fin du délire, dans le VI. livre des épid. Une bonne sueur, si elle se fait abondamment et avec chaleur à la tête, le reste du corps suant aussi, termine le délire ; cela arrive encore quelquefois par une hémorrhagie, par les hémorrhoïdes, par de violentes douleurs, qui surviennent aux aines, aux cuisses, aux jambes, aux pieds, aux mains : ce qui se fait alors par un transport de la matière morbifique des parties plus essentielles à la vie, dans celles qui ne le sont pas.

C'est aussi un très-bon signe lorsque le sommeil calme le délire (Hipp. sect. II. aphor. 2.) pourvu que le sommeil soit tranquille : c'est le contraire s'il est agité ; c'est un signe mortel, aphor. 1. sect. II. Il faut aussi distinguer le sommeil des maladies soporeuses qui dénotent mal, quand elles succedent au délire. Lorsqu'il est accompagné de faiblesse, il est mortel, parce qu'il acheve d'épuiser le peu de force qui reste.

Si la perte de la voix qui survient dans la fièvre par convulsion, dégénere en délire obscur silentieux, c'est très-mauvais signe : le tremblement dans le délire violent procede de la convulsion, et la mort la suit.

Les fréquents changements de la tranquillité à l'agitation sont pernicieux : le délire accompagné de défaut de mémoire, d'affaissement, de stupidité, est un signe de mort évident, parce qu'il indique un relâchement de toutes les fibres du cerveau qui ont perdu leur ressort ; effet toujours funeste après la chaleur contre nature, qui avait fait naître le délire : si le froid ou la roideur des membres s'y joint, la perte du malade est inévitable ; comme aussi dans le cas où ayant les yeux ouverts il n'y voit rien ; dans celui où les yeux se ferment à la lumière, répandent des larmes involontairement, sont inégalement entr'ouverts, sont rouges ou teints de sang.

Les palpitations, le hoquet, la langue rude, seche, sans soif, la perte de la voix, l'inquiétude, les sueurs froides de la tête, du cou, des épaules, les moiteurs par tout le corps, les urines aqueuses, blanches, claires, les déjections blanchâtres, abondantes, sans calmer le délire, les abcès dont la matière rentre dans l'intérieur, et les éruptions cutanées qui disparaissent, les douleurs dans les membres qui cessent bien-tôt, la difficulté de respirer, le pouls petit et languissant, et l'horreur pour les aliments et la boisson : tous ces accidents sont très-funestes, chacun pris séparément, toujours d'après notre grand maître Hippocrate ; à plus forte raison, si plusieurs et la plupart sont réunis avec le délire.

Les trois derniers surtout sont d'un grand poids dans quelque maladie que ce soit pour annoncer une fin prochaine, et les signes opposés à ceux-là sont aussi importants pour dissiper la crainte du danger. Extrait de Prosper Alpin, de praesag. vita et morte.

Tel est l'abrégé des signes pronostics qui peuvent trouver place ici pour servir à juger des événements dans l'affection dont il s'agit, qui est extrémement variée par sa nature et ses symptômes : il reste à dire quelque chose de la curation.

On ne peut guère donner de méthode universelle de traitement, dans une affection dont les causes sont si différentes ; mais les remèdes doivent être variés à proportion : car dans les inflammations du cerveau auxquelles donne lieu un sang épaissi qui s'arrête dans ses vaisseaux, et cause le délire, il faut en employer de bien différents de ceux qui doivent être employés dans le cas du délire qui provient d'un épuisement à la suite d'une longue fièvre. Mais Ve que le délire considéré comme symptôme de fièvre, est presque toujours déterminé par une trop grande vélocité dans le mouvement circulatoire du sang ; il s'ensuit que tout ce qui peut contribuer à diminuer la masse des humeurs, à en détourner l'effort vers quelqu'autre partie plus résistante, à corriger ou à diminuer l'irritation, à délayer et atténuer les humeurs et à en calmer l'agitation, convient très-bien dans ce cas.

La saignée au pied plus ou moins répétée, le rétablissement ou l'accélération du flux hémorrhoïdal, menstruel, par le moyen des relâchants ; les lavements, les vomitifs ; les purgatifs placés à propos, selon les différents besoins, la diete, satisfont à la première indication.

Les bains de pieds, l'application des sangsues aux temples, des vesicatoires à la nuque, entre les deux épaules, aux mollets des bras, des jambes ; celles des fomentations émollientes, sur la tête, sur le ventre, à la plante des pieds ; les frictions des extrémités, peuvent servir à remplir la seconde indication.

Pour les autres on peut employer les décoctions farineuses, légères, savonneuses ; les boissons adoucissantes, rafraichissantes, acidules ; les tisanes, les aposèmes antiphlogistiques, desobstruans ; les calmants, les anodyns légers, placés dans les commencements du délire, et après les évacuans ; dans la suite les narcotiques prudemment administrés, les ténèbres, le repos.

Avec ces différents moyens on peut parvenir à détruire la cause du mal ; cependant souvent l'effet reste après elle ; les violentes impressions faites sur l'organe des sensations ne s'effacent pas tout de suite.

Il faut quelquefois avoir recours aux expédiens extraordinaires et singuliers, comme les instruments de musique, le chant, la danse, les bruits éclatants, les bruits réglés, la lumière, etc. pour substituer de nouvelles idées plus fortes, mais plus conformes à leur objet, à celles qui constituent le délire, en opposant toujours des affections contraires à celles qui sont dominantes. Voyez la curation du délire dans Van-Swieten dont on a extrait la plus grande partie de cet article. (d)

DELIRE l'osier. Voyez OSIER.