(Médecine) voyez VEILLE.

INSOMNIE, fébrile, (Médecine) affection morbifique, qui dans le cours de la fièvre tient le malade éveillé, et suspend le sommeil dont il a besoin. Cette affection est l'opposé du coma fébrile, c'est-à-dire de l'envie continuelle de dormir, avec ou sans effet.

Il parait que l'insomnie fébrîle procede surtout des commencements d'une légère inflammation du cerveau, qui venant à s'augmenter, la fait dégénérer en coma, en délire, en convulsions, et en plusieurs autres accidents très-dangereux. Il importe donc de travailler à dissiper promptement l'inflammation commençante du cerveau, et à en arrêter les progrès.

On y parviendra par la saignée, les diluans, les atténuans, les relâchans, les remèdes propres à diminuer la force, la quantité des humeurs de la circulation, et à les détourner de la tête. On recommande à cet effet les boissons légères du petit lait, d'orge, d'avoine, de riz et autres semblables. On conseille les aliments, les médicaments farineux, un peu huileux, émolliens, humectants, adoucissants. Ils conviennent en effet, parce qu'ils humectent par leur lenteur farineuse ; ils adoucissent l'acrimonie par leurs parties huileuses, et ils nourrissent en même temps. Telles sont les décoctions d'orge et d'avoine ; telles sont celles des plantes laiteuses de chondrille, d'hieracium, de taraxacum, de scorzonere, de barbe de bouc, et de laitues potageres. Leur suc visqueux et laiteux, accompagné d'une légère vertu parégorique, dispose merveilleusement au sommeil. Telles sont encore les douces émulsions d'amandes, de semences froides, de graines de pavots blancs : voilà pourquoi toutes ces plantes se trouvaient à l'entrée du palais de Morphée. La nuit, dit-on, en ramassait les sucs et les graines, les semait et les répandait de toutes parts ;

Ante fores antri faecunda papavera florent,

Innumeraeque herbae, quarum de lacte soporem

Nox legit, et spargit per opacas humida terras.

Enfin, en cas de continuation d'insomnie, et lorsque tous les signes indiquent qu'on n'a plus à craindre l'inflammation du cerveau, on peut hardiment employer les anodins, les parégoriques, les calmants, en les donnant avec ordre et avec prudence, jusqu'au rétablissement du sommeil nécessaire.

En même temps qu'on pratiquera les remèdes qu'on vient d'indiquer, il est permis pour guérir les malades attaqués d'insomnie fébrile, de recourir à plusieurs des moyens inventés par le luxe, pour endormir les sybarites en santé.

Les moyens dont je parle, consistent à procurer un froid modéré, à humecter l'air de vapeurs aqueuses, à imaginer quelque murmure doux, égal, continuel et agréable aux sens. La lyre d'Orphée assoupit Cerbere, calma sa fureur, enchanta les puissances infernales, et leur arracha des larmes. Le dieu du sommeil avait établi sa demeure dans le pays des Cimmériens, et le seul bruit qu'on y entendait, était celui du fleuve Léthé, qui coulant sur de petits cailloux, faisait un murmure perpétuel pour inviter au repos.

Saxo tamen exit ab imo

Rivus aquae Lethes, per quem cum murmure labens

Invitat somnos crepitantibus unda lapillis.

Mais un secret important pour apaiser l'insomnie fébrile, secret pratiquable chez le pauvre comme chez le riche, c'est d'éloigner de la vue et des oreilles du malade tous les objets qui peuvent frapper ses sens, les émouvoir et les agiter. Pour y réussir immanquablement, imitez en partie le domicîle du fils de l'Erebe et de la Nuit ; Ovide l'a peint d'une main de maître, et je crois que son tableau fera plus d'impression sur l'esprit du lecteur, que les tristes ordonnances de la Médecine.

" Là, dit cet aimable poète, est une vaste caverne où les rayons du soleil ne pénétrèrent jamais. Toujours environnée de nuages obscurs, à peine y jouit-on de cette faible lumière, qui laisse douter s'il est jour ou s'il est nuit. Jamais les cocqs n'y annoncèrent le lever de l'aurore ; jamais les chiens, ni les oies qui veillent à la garde des maisons, ne troublèrent ce lieu par leurs cris importuns. Jamais on n'y entendit ni mugissements de bêtes féroces ou domestiques, ni querelle, ni son de voix humaine ; tel est le séjour de la Taciturnité. De crainte que la porte ne fasse du bruit en s'ouvrant ou en se refermant, l'antre reste toujours ouvert, et l'on n'y met point de garde. Au milieu du palais est un lit d'ébene, dont les rideaux sont noirs. C'est dans ce lit que repose le dieu du sommeil sur la plume et sur le duvet ". Lisez-vous même ici la description de l'original, sans avoir besoin de bouger de votre place, et vous trouverez que c'est un des beaux morceaux des Métamorphoses.

Hic nunquam radiis oriens, mediusve cadensque

Phaebus adire potest. Nebulae caligine mixtae

Exhalantur humo, dubiaeque crepuscula lucis.

Non vigil ales ibi cristati cantibus oris

Evocat Auroram. Nec voce silentia rumpunt

Sollicitive canes, canibusve sagacior anser ;

Non fera, non pecudes, non noti flamine rami

Humanaeve sonum reddunt convicia linguae ;

Muta quies habitat.

Janua quae verso stridorem cardine reddat,

Nulla domo tota, custos in limine nullus.

At medio torus est ebeno sublimis in atra,

Plumeus, atricolor, pullo velamine tectus,

Quò cubat ipse deus, membris languore solutis.

Metam. lib. XI.

Les pronostics qu'on peut tirer de l'insomnie fébrile, méritent d'être connus des praticiens. Cette affection morbifique précède quelquefois un saignement de nez favorable ; mais s'il est accompagné de sueurs froides, d'excrétions ou d'évacuations crues, sans soulagement du patient, c'est un mauvais augure. Si elle est jointe à de grandes douleurs de tête, à des vomissements érugineux, elle annonce le délire ou la mort, dit Hippocrate, lib. I. Prorrhét. 10. Le coma succédant à une insomnie fébrîle qui a été continuelle, est d'un dangereux présage, etc. (D.J.)