S. f. (Médecine) c'est une maladie épidémique, contagieuse, très-aiguè, causée par un venin subtil, répandu dans l'air, qui pénètre dans nos corps et y produit des bubons, des charbons, des exanthemes, et d'autres symptômes très-fâcheux.

C'est une fièvre aiguë, qui devient mortelle et enlève les malades dès le premier ou le second jour, si les forces vitales ne chassent promptement le venin par les bubons, les charbons, le pourpre et autres exanthèmes.

Causes. Ce point est des plus difficiles à traiter : tous les auteurs ont écrit sur cette matière, mais nous n'avons rien de certain sur cet article. On a donné un nombre infini de conjectures ; les uns ont insisté sur la coagulation ; les autres sur l'infection générale ou locale, qui agit sur les humeurs de notre corps. Mais ce qui est de plus singulier, c'est que tous sont obligés de reconnaître que la peste agit d'une façon fort différente sur ceux dans les pays desquels elle nait, que sur nous autres.

La peste nous vient de l'Asie, et depuis deux mille ans toutes les pestes qui ont paru en Europe y ont été transmises par la communication des Sarrasins, des Arabes, des Maures, ou des Turcs avec nous, et toutes les pestes n'ont pas eu chez nous d'autre source.

Les Turcs vont chercher la peste à la Meque, dans leurs caravanes et leurs pélerinages ; ils l'amènent aussi de l'Egypte avec les blés qui sont corrompus : et enfin, elle se conserve chez eux par leur bizarre façon de penser sur la prédestination : persuadés qu'ils ne peuvent échapper à l'ordre du Très-haut sur leur sort, ils ne prennent aucune précaution pour empêcher les progrès de la peste et pour s'en garantir, ainsi ils la communiquent à leurs voisins.

On reconnait quatre sortes de pestes. 1°. La peste à bubons, où il survient des bubons aux aisselles et aux aines, ou d'autres éruptions par tout le corps, comme les charbons.

2°. La suete des Anglais, sudor anglicus, dans laquelle le malade périt par des sueurs, le premier, le second, le troisième jour, sans bubon, ni charbon.

La troisième est sans bubon, ni charbon ; mais elle est accompagnée de dépôts gangreneux qui attaquent les pieds, les mains, et surtout les parties extérieures de la génération dans les hommes ; de sorte que ces membres se détachent d'eux-mêmes du corps de ces sortes de pestiférés. C'est la peste d'Athènes qui a été décrite par Hérodote, et ensuite par Lucrèce.

La quatrième espèce est la plus connue, elle s'appelle communément le mal de Siam ; elle vient de l'orient, et on voit mourir beaucoup de malades de cette peste à la Rochelle. Dans cette espèce, le sang se perd par les pores de la peau en manière de transpiration, et les malades périssent.

Ainsi la peste est une infection particulière, qui prend sa naissance dans les pays chauds, qui nous vient par les vaisseaux chargés de marchandises empestées en Turquie, en Egypte, où la peste est trois ou quatre mois l'année, à cause des débordements du Nil.

Les pestiférés, ou les ballots empestés débarqués dans nos ports, nous causent et nous attirent la peste ; telle que la dernière peste de Marseille, qui fut occasionnée par un vaisseau qu'on avait pris sur les Turcs, et que l'on avait amené à Marseille. Ou bien elle nous vient par la communication de l'Allemagne et de la Hongrie avec la Porte-ottomane ; c'est ainsi que les Allemands ont apporté la peste chez eux au retour des campagnes qu'ils avaient faites en Hongrie contre les Turcs.

De cette façon la peste nait et prend son origine dans les pays orientaux, et nous l'allons chercher chez eux. La peste agit sur nos humeurs, et nous ne savons pas comment.

Les causes sont internes et externes, prochaines et éloignées. Les internes sont le vice des parties, la corruption du sang et des autres humeurs. Les passions, le chagrin et la crainte de la part de l'âme ; le mauvais régime et l'abus des choses non-naturelles, soit de l'air, soit des aliments, soit le défaut d'exercice, contribuent beaucoup à attirer cette maladie. Les causes externes sont les vents du midi, ou le défaut de vent ; l'hiver trop doux ; les saisons inégales ; les froids violents et les chaleurs excessives ; l'air fort sec ou fort humide. Les maladies épidémiques avec bubons et phlegmons, sont des avant-coureurs de peste plus certains que des exhalaisons et des influences imaginaires.

La famine peut aussi être mise au nombre des causes ; parce que dans cette triste conjoncture, la même cause qui gâte les biens de la terre et qui amène la disette, doit produire la peste : d'ailleurs dans le temps de famine, on se trouve obligé de manger de toutes sortes d'aliments malsains, qui forment un mauvais sang, et les corps sont par conséquent plus disposés à la pourriture.

Quelques-uns attribuent la peste au tremblement de terre, parce qu'on a Ve souvent des maladies malignes et fâcheuses succéder à ces tremblements.

La cause véritable est la reception d'exhalaisons putrides dans l'air, qui viennent des pays chauds, et qui est aidée et fomentée par la disposition de nos corps. Leur mauvais effet se fait surtout sentir quand un vent chaud et humide souffle, ou bien quand elles sont elles-mêmes mêlées avec des vapeurs corrompues. C'est ainsi qu'arrive la peste en Egypte à la suite de l'inondation du Nil ; alors les eaux corrompues par une chaleur excessive, poussent des exhalaisons pestilentielles : les terres humectées et comme chargées de pourriture, sont très-malsaines.

C'est ainsi que les cadavres corrompus dans les grandes villes, pendant les sieges, ou dans les armées à la suite des batailles, infectent horriblement l'air ; les exhalaisons fétides et volatiles de ces cadavres produisent souvent des maladies malignes, mais elles ne produisent point la peste, sans un venin particulier qui est apporté des pays chauds, et qui mêlé avec elles leur donnent un caractère pestilentiel.

Ce levain ne peut s'étendre si loin qu'au moyen de l'air qui lui sert de véhicule ; car l'air une fois infecté de ces exhalaisons, les porte avec lui et les communique à beaucoup de corps qu'il pénètre : ce levain même reste caché pendant longtemps dans ces corps infectés, comme il est arrivé dans la dernière peste. C'est ainsi que l'on a Ve des personnes tomber roides mortes, et frappées subitement de peste à l'ouverture seule des ballots empestés, déchargés de vaisseaux venus de l'orient.

Cependant ces exhalaisons n'infectent pas toute la masse de l'atmosphère, elles se dispersent et se jettent de côté et d'autre, à-peu-près comme la fumée ; de-là vient que la peste ne saisit pas tous ceux qui sont dans le même air, qui est néanmoins le véhicule du levain pestilentiel. Il faut une disposition, c'est à proprement parler la cause déterminante et dispositive de la peste.

Cause dispositive. En effet, tous les corps ne sont pas susceptibles de ce venin, il n'affecte que ceux dont les fluides et les solides sont disposés à recevoir l'infection ; si le corps n'a point cette disposition, il résistera à la contagion : ainsi tout ce qui sera capable de garantir nos solides et nos fluides contre la pourriture lorsque la peste règne, doit passer pour un préservatif.

La disposition à la pourriture est une cause qui aide l'effet de la contagion. Or la pourriture est un mouvement intestin de nos humeurs qui tend à en détruire le mélange, la forme et le tissu qui changent de nature. D'ailleurs si le sang se ralentit, cela seul suffit pour contracter ce mouvement de putréfaction ; c'est ce qui arrive dans le chagrin et le vice des premières voies.

Ce venin de la peste agit fort différemment de celui qui agit dans la petite vérole, le pourpre, la fièvre maligne et la dyssenterie. Ce venin agit sur les humeurs et les coagule, comme il parait par les éruptions critiques.

Ce venin agit d'abord sur les nerfs, ce qui parait par les symptômes, tels que la douleur de tête, la faiblesse, les nausées, le frisson, le froid extérieur avec feu externe à l'intérieur, le sang alors trouvant de la résistance sur les parties externes, se jette sur les internes.

La cause prochaine de la peste est donc l'action du venin sur nos solides, le développement de la pourriture des humeurs et de ce venin, et enfin son action sur les nerfs. Ces actions produisent l'érétisme du genre nerveux ; c'est de-là que vient la pourriture. Telle est la nature du venin pestilentiel, sans cette disposition vénéneuse, les exhalaisons n'ont aucune action dans le corps, elles y restent longtemps cachées et comme assoupies, à la fin elles transpirent et se dissipent sans produire aucun ravage.

Cet érétisme est une roideur dans les fibres, et une contraction semblable à celle qui y est excitée par les passions de l'âme, par tous les irritants, tels que les aliments chauds, les aromates et tous les stimulants, ont coutume de produire. Cette roideur est augmentée par l'agacement des fibres que cause le venin ; celles-ci ébranlées contractent la maladie pestilentielle ; car l'exhalaison passant alors dans le sang et dans les humeurs, y fait éclater les différents symptômes de la pourriture.

Symptomes. Le malade est d'abord saisi d'un frisson suivi d'une ardeur d'entrailles ; souvent il n'est pas altéré, quoiqu'il sente une ardeur violente ; quelquefois la sueur est petite, et la soif extraordinaire. La fièvre est fort inégale, mais la langue est seche et noire ; l'urine est aussi fort différente, souvent elle n'est point changée ; elle est dans quelques-uns rouge et ardente, dans d'autres claire et crue, dans quelques autres elle est trouble, et elle varie souvent dans un même jour ; tantôt elle est comme dans l'état de santé, d'autres fois sanglante ; quelquefois le malade est assoupi et dans le délire, d'autres fois il est accablé d'une cruelle douleur de tête, accompagnée d'insomnie avec des yeux enflammés, et le cœur fort resserré ; souvent le pouls est fort, d'autres fois il est faible et fréquent ; tantôt égal, tantôt inégal, et dans certains malades il est intermittent ; le malade est dans des inquiétudes et dans des agitations continuelles ; on aperçoit dans les tendons des soubresauts et des mouvements convulsifs ; la vue est troublée, et le malade est tourmenté de tintements et de sifflements d'oreilles ; il y en a qui sont abattus au commencement de la maladie, d'autres conservent leurs forces jusqu'à la mort ; il y en a qui ont des dévoyements qui résistent à tout remède ; les déjections en sont quelquefois crues et fréquentes, elles sont comme de l'eau trouble ; dans certains malades on y trouve des vers ; d'autres ont des hémorrhagies par le nez et par la bouche, par les yeux, par les oreilles, par la verge, par la matrice ; d'autres suent le sang pur ; quelques-uns ont des vomissements continuels ; d'autres ont des nausées et des dégouts ; on voit dans la plupart des douleurs cardialgiques, le hoquet ; on en voit qui ont des taches de couleur pourprée, ou violettes ou noires, tantôt en petit nombre, tantôt en grande quantité, tantôt petites, tantôt grandes et presqu'exactement rondes ; tantôt sur une partie, tantôt sur une autre, souvent sur tout le corps ; il y en a beaucoup qui ont des bubons ou des charbons en différents endroits du corps. Ce sont-là des signes évidents et très-assurés de la peste, surtout lorsqu'ils sont accompagnés de la fièvre, ou qu'ils y surviennent.

Le diagnostic se tire des symptômes suivants :

1°. L'abattement des forces, le défaut de respiration, la faiblesse, l'intermittence et l'intercadence du pouls.

2°. Les symptômes du bas-ventre, les nausées, les vomissements, les cardialgies, les mouvements convulsifs.

Les aigreurs et la pourriture des bouillons et de tous les aliments.

3°. Les urines sont troubles, grasses, chargées d'huîle ramassée en flocons ; les sueurs sont colliquatives, aigres, grasses, et fétides.

4°. Les bubons aux aines, aux aisselles des parotides, des charbons dans différentes parties, des lanières noires ou violettes, ou bleues ; la force du venin est indiquée par ces symptômes.

5°. La gangrene seche et la mollesse des membres après la mort, et avant la mort les déjections de sang par les selles, les urines, les excrétions de sang par les selles et par la sueur.

6°. Enfin, la généralité et l'universalité de l'épidémie, la mortalité nombreuse et par trop répandue, la violence et le nombre infini des accidents, la mort imprévue qui saisit les malades, le premier, le second ou le troisième jour, et souvent presque aussi-tôt qu'ils sont attaqués, sont des signes évidents et diagnostics de la peste, si on les compare avec tous ceux que nous avons rapportés plus haut, et avec les causes que nous avons détaillées.

Prognostic. Il est d'autant plus fâcheux que personne n'a encore donné ni la cause, ni le remède de ce terrible mal, bien que nous ayons nombre de traités des plus complets sur la cause et la façon de le traiter. En effet, c'est de tous les maux le plus cruel. Tout frémit au seul nom de cette maladie ; cet effroi n'est que trop bien fondé ; plus funeste mille fois que la guerre, elle fait périr plus de monde que le fer et le feu. Ce n'est qu'avec horreur qu'on se représente les affreux ravages qu'elle cause ; elle moissonne des familles entières ; elle n'épargne ni âge, ni sexe ; on voit périr également les vieillards, les hommes faits, les adultes, les enfants dans le berceau ; ceux mêmes qui sont cachés dans les entrailles de leur mère, quoiqu'ils paraissent à l'abri de ses coups, subissent le même sort ; elle est même plus pernicieuse pour les femmes grosses ; et si l'enfant vient à naître, c'est moins pour vivre que pour mourir ; l'air empesté lui devient fatal ; il l'est même davantage pour ceux qui sont d'un tempérament fort et vigoureux ; la peste détruit le commerce entre les citoyens, la communication entre les parents ; elle rompt les liens les plus forts de la parenté et de la société ; parmi tant de calamités, les hommes sont continuellement prêts à tomber dans le désespoir.

Cependant la peste n'est pas toujours si dangereuse que l'on se l'imagine communément ; l'essentiel est de ne point s'effrayer en temps de peste ; la mort épargne ceux qui la méprisent, et poursuit ceux qui en ont peur ; tous les habitants de Marseille ne périrent point de la peste, et la frayeur en fit périr davantage que la contagion. La peste ne fait pas de plus grands ravages parmi les Turcs et les autres peuples d'orient qui y sont accoutumés, que les maladies épidémiques chez nous, quoiqu'ils ne prennent que peu ou point de précautions, et cela parce qu'ils n'ont point peut. D'ailleurs, ceux qui assistent les malades ne se trouvant point incommodés, il parait qu'elle n'attaque que ceux qui y sont disposés.

Traitement de la peste. On peut considérer la peste comme menaçante et prête à saisir le malade, ou comme déjà venue et ayant infecté le malade. Dans le premier cas, il faut s'en garantir, s'il est possible ; et dans le second, il faut la combattre pour la dissiper, et arrêter ses progrès. Ainsi les remèdes sont prophilactiques et détournent le mal prochain, ou ils sont thérapeutiques et proprement curatifs, en guérissant le mal lorsqu'il est présent.

Cure préservative. On peut se préserver de la peste, en s'éloignant de la cause de la peste, ou en se munissant contre elle ; ce qui regarde en partie le public ou le magistrat, et en partie les particuliers.

Le magistrat doit avoir soin de faire nettoyer ou transporter toutes les immondices et les matières puantes et corrompues, qui ne font que fomenter le venin pestilentiel et le retenir caché ; de faire nettoyer et ôter les fumiers, les boues et les ordures des rues et des places publiques ; de faire enterrer les morts hors des églises, dans des endroits éloignés, de les faire couvrir de chaux, de défendre toutes les assemblées, soit dans les places, soit dans les maisons ; d'ordonner des feux, de faire tirer le canon et la mousqueterie, pour éloigner par ce moyen l'infection, et pour corriger l'air par l'odeur de la poudre, d'interdire le commerce avec les villes où le mal règne, ou qui sont suspectes ; de défendre absolument l'entrée ou l'usage des mauvais aliments : enfin, d'abord que la peste commence à se manifester, de faire séparer au plutôt les malades d'avec ceux qui se portent bien.

Les préservatifs des particuliers se réduisent à la diete, aux remèdes chirurgicaux et pharmaceutiques ; la diete règle l'usage de l'air et des passions de l'âme, qui sont les deux points importants dans cette maladie. On évite l'air empesté par la fuite, ou bien on le corrige par des fumigations, des parfums, avec des odeurs, en les approchant souvent du nez, pour corriger l'air à mesure qu'on respire ; la plupart ne se fiant à aucun remède contre un mal si cruel et si subit, recommandent la fuite comme l'unique préservatif par ces deux vers.

Haec tria tabificam tollunt adverbia pestem ;

Mox, longè, tardè, cede, recede, redi.

Le contentement de l'esprit empêche l'effet de la crainte ; Thalès de Crète passe pour avoir chassé une peste qui faisait d'horribles ravages à Lacédémone, en procurant de la joie aux habitants. Le médecin est inutîle à ceux qui peuvent prendre ces précautions ; mais il est nécessaire à ceux qui ne peuvent prendre la fuite, et sont obligés de rester au milieu des pestiférés. Nous ne saurions donner ici tous les remèdes préservatifs contre la peste ; il faudrait recourir à une foule d'auteurs qui ont écrit sur cette matière.

M. Geoffroi a fait une thèse en 1721, où il propose ce problème ; savoir si l'eau est un excellent préservatif en temps de peste. Cette thèse se trouve traduite en français dans un livre intitulé, les vertus médicinales de l'eau commune.

Cure thérapeutique. Les remèdes qui sont indiqués pour guérir la peste lorsqu'elle est présente, sont internes ou externes. Nous allons détailler les plus vantés ; ensuite nous parlerons de quelques compositions, ou de quelques secrets et spécifiques, que l'on estime beaucoup.

Les remèdes internes ont reçu dans les auteurs le nom d'antidote, ou d'alexipharmaque ; mais où est le véritable alexipharmaque ? il est encore inconnu et caché, ou plutôt enveloppé de profondes ténèbres ; il y a cependant beaucoup de remèdes, tant simples que composés, qui portent ce nom.

Les remèdes simples sont, les racines d'angélique, d'aunée, d'impératoire, de carline, de contrayerva, de viperine, de saxifrage, de dompte-venin, de zédoaire ; les écorces et les bois, la canelle, le cassia lignea, le santal, le bois de baume, le bois d'aloès ; les feuilles de buis, de scordium, de dictame de Crète, de mélisse, de chardon béni, de mille-feuilles ; les fleurs de souci, de roses, de romarin, de millepertuis. Les fruits ; les citrons, les oranges, les limons, les figues, les noix, les baies de genièvre, les cubebes, le cardamome, le cloux de gérofle, la noix muscade, le macis, les sucs et les gommes ; le camphre, la myrrhe, le styrax, le baume de Judée ; les parties des animaux, les chairs de vipere, l'ivoire, les cornes de licorne, de rhinoceros et de cerf ; les sels volatils, leur fiel ; les fragments précieux ; les perles, la pierre de bézoard, la pierre de porc-épic ; les terres ; le bol d'Arménie, la terre sigillée, le soufre blanc et l'antimoine.

Les remèdes internes composés sont ; la thériaque d'Andromaque, la thériaque céleste, le mithridate de Damocrate, le diascordium de Fracastor, les confections d'alkermès et d'hyacinthe, l'orviétan, les eaux thériacales, le vinaigre thériacal, les teintures et les elixirs alexipharmaques.

Il y en a mille autres auxquels on a donné des noms pompeux ; mais on sait par plusieurs raisons et par une infinité d'observations, que tous ces remèdes au lieu de faire du bien, trompent ceux qui s'y fient, nuisent souvent, et prêtent de nouvelles forces au venin pestilentiel. Voyez ALEXIPHARMAQUE.

Les alexipharmaques externes sont ceux, qui appliqués extérieurement, passent pour être propres à détruire le venin, ou à l'éloigner de nos corps ; il y en a d'artificiels qui sont purement superstitieux ; ils sont chargés de caractères, de figures, de signes de mois ; ce sont des productions de l'ignorance et de la superstition, qui doivent être rejetées par tout homme de bon sens. Il y en a qui sont de vrais poisons, comme l'arsenic, le réalgal, l'orpiment, les crapaux, les araignées ; si ces choses ne font point de mal, elles sont au-moins inutiles, comme l'expérience l'a fait voir souvent.

A quoi donc, dira-t-on, faut-il recourir ? De tous les remèdes, suivant la thèse de M. Geoffroi, il n'y en a point de meilleur et de plus sur que l'eau en boisson ; c'est elle seule qui peut ramollir les fibres nerveuses, quand elles sont trop roides et trop crispées, détruire l'éréthisme des solides, délayer les humeurs trop épaisses, atténuer celles qui sont trop grossières, adoucir leur âcreté, empêcher leur corruption, modérer ou même totalement arrêter la violence du venin pestilentiel, lorsqu'il est une fois glissé dans nos corps, d'ailleurs on n'a pas sujet d'en appréhender le moindre mal ; c'est ce que le savant auteur déjà cité, démontre en détail, et d'une manière qui me parait sans réplique.

La peste peut se regarder comme une espèce de fièvre, et être traitée de même ; dès-lors on combinera les indications de la fièvre avec celles de la contagion ; et d'ailleurs si on lit les auteurs qui ont écrit après avoir traité des pestiférés, tels qu'Hildanus Caldera, Heredia, et Thonerus ; on verra que les cordiaux trop chauds ont fait périr plusieurs personnes. Les cordiaux sont donc dangereux et ne sont pas l'unique ni le vrai remède et antidote de la peste, non plus que des autres maladies, où il y a un grand abattement.

Celse dit que les maladies pestilentielles demandent une attention particulière ; puisque dans ces cas la diete, les clystères et la purgation, ne sont d'aucune utilité ; mais la saignée est très-salutaire, lorsque les forces le permettent, surtout lorsque la maladie est accompagnée de douleurs de fièvre violente.

Rivière, et après lui de grands praticiens, recommandent la saignée faite à petite dose : ce remède est fort contredit par le grand nombre des praticiens ; et d'ailleurs il a eu souvent de mauvais succès ; on a Ve des malades périr dans la saignée. Cependant on peut dire que la saignée indiquée par une roideur, une force, et une grandeur dans le pouls, par une chaleur et une soif extraordinaire, et par les autres signes inflammatoires, sera faite très-sagement ; et alors pour en éviter les inconvéniens, qui sont d'augmenter l'abattement, on aurait soin de la modérer, d'en arrêter ou empêcher les mauvais effets. On saignera peu à la fais, et on réiterera la saignée tout au plus une fois ; on la soutiendra par des cordiaux.

Les praticiens célèbres conseillent la purgation ; ce qui est encore fort contesté : d'abord il répugne de purger dans l'abattement et dans la faiblesse ; d'ailleurs les bubons et les charbons marquent que le venin cherche à sortir, et le public pense que les saignées et les purgatifs les font rentrer. Nous observerons seulement sans décider ces questions, que la pourriture des premiers voies, aide les progrès de la peste ; et qu'ainsi les purgatifs en la nettoyant feront un grand bien, et préviendront les ravages qu'elle attire ; ils emporteront les aigreurs des premières voies, et par-là la pestilence fera moins d'effet.

Mais l'effet des purgatifs étant d'abattre les forces, d'augmenter les douleurs cardialgiques, de détourner les humeurs de la circonférence au centre, que n'en doit-on pas attendre pour la rentrée des bubons, des charbons, et des exanthèmes ; ces derniers demandent l'administration des cordiaux, et l'indication des purgatifs les contre-indique : c'est au médecin sage à concilier les indications et les contre-indications dans cette fâcheuse perplexité.

Les purgatifs seront l'émétique ordinaire, l'essence émétique, les potions purgatives ordinaires. Voyez PURGATIF et POTION.

Les cordiaux seront simples ou composés : les simples sont tous ceux que nous avons détaillés ci-dessus : les composés sont les confections alexitaires, les teintures, tels que la teinture d'or mêlée dans six onces d'eau de scorsonere, le syrop de contrayerva, les pilules anti-pestilentielles, les sudorifiques antipestilentiels, les décoctions sudorifiques alexitaires. Voyez tous ces articles.

Potion cordiale contre la peste. Prenez des eaux thériacale simple, de sureau, de scabieuse, de chacune deux onces ; de confection d'alkermès, un gros ; de fiel de porc préparé, un demi-gros ; de l'essence émétique et du lilium de Paracelse, de chaque trente gouttes ; de syrop de contrayerva, trois onces.

Cette potion se donnera par cuillerée à chaque demi-heure ; on retranchera l'émétique dans les potions réitérées.

Autre potion cordiale. Prenez des eaux de chardon béni, d'angélique, de mélisse simple, et thériaque composée de chaque une once et demie ; de teinture d'or et d'élixir de propriété, de chaque un scrupule ; de syrop d'oeillet, une once et demie : faites une potion que l'on réitérera selon le besoin.

Le régime doit être humectant, doux, et légèrement cordial et acide ; on peut ordonner pour boisson la limonade avec le syrop de contrayerva, ou un autre pareil. Voyez SYROP DE CONTRA-YERVA.

Narcotiques. Nous ne pouvons nous dispenser ici de faire une observation sur les narcotiques préparés avec l'opium ou le pavot blanc ; ils sont contraires par eux-mêmes à la cause générale de la peste, qui est la coagulation du sang ; cependant il est des cas où ils peuvent être indiqués ; alors on doit en user avec toute la sagesse possible. Voyez OPIUM et NARCOTIQUES.

Cela dépend de l'inspection d'un habîle médecin, de même que tout le traitement de la peste.

On doit conclure de tout ce qui a été dit sur la peste, que cette maladie nous est totalement inconnue quant à ses causes et son traitement ; que la seule expérience ne nous a que trop instruit de ses funestes effets.

PESTE, s. f. (Histoire ancienne et moderne)

Voilà ce mal qui répand par-tout la terreur,

Mal que le ciel en sa fureur

Inventa pour punir les crimes de la terre.

Je ne peindrai pas les rigueurs de ces climats, où cette cruelle fille de la déesse Némésis, descend sur les villes infortunées. Cette grande destructrice est née des bois empoisonnés de l'Ethiopie, des matières impures du grand Caire, et des champs empuantis par des armées de sauterelles, entassées et putréfiées en nombre innombrable. Les animaux échappent à sa terrible rage, tandis que l'homme seul lui sert de proie. Elle attire un nuage de mort sur sa coupable demeure, que des vents tempérés et bienfaisants ont abandonnée. Tout alors n'est que désastre. La Sagesse majestueuse détourne son oeil vigilant ; l'épée et la balance tombent des mains de la Justice sans fonctions ; le commerce ne porte plus ses secours utiles ; l'herbe croit dans les rues dépeuplées ; les demeures des hommes se changent en des lieux pires que les déserts sauvages ; personne ne se montre, si ce n'est quelque malheureux frappé de phrénésie qui brise ses liens, et qui s'échappe de la maison fatale, séjour funeste de l'horreur. La porte qui n'est pas encore infectée, n'ose tourner sur ses gonds, elle craint la société, les amis, les parents, les enfants mêmes de la maison. L'amour éteint par le malheur, oublie le tendre lien et le doux engagement du cœur sensible ; le firmament et l'air qui animent tout, sont infectés des traits de la mort ; chacun en est frappé à son tour, sans recevoir ni soins ni derniers adieux, et sans que personne ordonne son triste cercueil : ainsi le noir désespoir étend son aîle funèbre sur les villes terrassées, tandis que pour achever la scène de désolation, les gardes inexorables dispersés tout-autour, refusent toute retraite, et donnent une mort plus douce au malheureux qui la fuit.

Les annales de l'histoire font mention de deux pestes à jamais mémorables, et qui ravagèrent le monde, l'une 431 ans avant Jesus-Christ, et l'autre dans le xiv. siècle de l'ère chrétienne. Thucydide, Diodore de Sicile, et Plutarque, vous instruiront fort au long de la première, qui parcourut une vaste étendue de pays, et dépeupla la Grèce sur son passage, sous le règne d'Artaxerxès Longue-main ; cette peste commença en Ethiopie, d'où elle descendit en Lybie, en Egypte, en Judée, en Phénicie, en Syrie, dans tout l'empire de Perse, et fondit ensuite dans l'Attique : et particulièrement sur Athènes. Thucydide qui en fut attaqué lui-même, en a décrit expressément les circonstances et les symptômes, afin, dit-il, qu'une relation exacte de cette affreuse maladie, puisse servir d'instruction à la postérité, si un pareil malheur arrivait une seconde fais.

" Premièrement, dit cet historien (liv. II. de la guerre du Péloponnèse), cette année fut exempte de toute autre maladie, et lorsqu'il en arrivait quelqu'une, elle dégénérait en celle-ci ; à ceux qui se portaient bien, elle prenait subitement par un grand mal de tête, avec des yeux rouges et enflammés, la langue et le gosier sanglans, une haleine infecte, une respiration difficîle suivie d'éternuements et d'une voix rauque. De-là descendant dans la poitrine, elle excitait une toux violente : quand elle attaquait l'estomac, elle le faisait soulever, et causait des vomissements de toute sorte de bîle avec beaucoup de fatigue. La plupart des malades avaient un hoquet suivi de convulsions qui s'apaisaient aux uns pendant la maladie, aux autres longtemps après. Le corps rougeâtre et livide était couvert de pustules, et ne paraissait pas fort chaud au toucher, mais brulait tellement au-dedans qu'on ne pouvait souffrir aucune couverture, si bien qu'il fallait demeurer nud. On prenait un plaisir infini à se plonger dans l'eau froide, et plusieurs qu'on n'avait pas eu soin de garder, se précipitèrent dans des puits, pressés d'une soif qu'on ne pouvait éteindre, soit qu'on but peu ou beaucoup.

Ces symptômes étaient suivis de veilles et d'agitations continuelles, sans que le corps s'affoiblit, tant que la maladie était dans sa force ; la plupart mouraient au septième ou au neuvième jour de l'ardeur qui les brulait, sans que leurs forces fussent beaucoup diminuées. Si l'on passait ce terme, la maladie descendait dans le bas-ventre, et ulcérant les intestins, causait une diarrhée immodérée qui faisait mourir les malades d'épuisement ; car la maladie attaquait successivement toutes les parties du corps, commençant par la tête, et se portant si on échappait, aux extrémités. Le mal se jetait tantôt sur les bourses, tantôt sur les doigts des pieds et des mains ; plusieurs n'en guérirent qu'en perdant l'usage de ces parties, et quelques-uns même celui de la vue : quelquefois revenant en santé, on perdait la mémoire jusqu'à se méconnaître soi-même et ses amis.

La maladie donc, ajoute-t-il peu après, laissant à part beaucoup d'accidents extraordinaires, différents dans les différents sujets, était en général accompagnée des symptômes dont nous venons de faire l'histoire. Quelques-uns périrent faute de secours, et d'autres quoiqu'on en eut beaucoup de soin ; on ne trouva point de remède qui put les soulager, car ce qui faisait du bien aux uns nuisait aux autres ; enfin la contagion gagnait ceux qui assistaient les malades, et c'est ce qui produisit le plus grand désastre ".

Hippocrate qui s'y dévoua noblement, a fait de son côté une courte description de cette peste en médecin, et Lucrèce en grand poète. Artaxerxès avait invité Hippocrate de venir dans ses états, traiter ceux qui étaient attaqués de cette cruelle maladie. Ce prince y joignit les offres les plus avantageuses, ne mettant du côté de l'intérêt aucune borne à ses récompenses, et du côté de l'honneur promettant de l'égaler à ce qu'il y avait de personnes les plus considérables à sa cour ; mais tout l'éclat de l'or et des dignités ne fit pas la moindre impression sur l'âme d'Hippocrate. Sa réponse fut qu'il était sans besoins et sans désirs, qu'il devait ses soins à ses concitoyens, et qu'il ne devait rien aux barbares ennemis déclarés des Grecs.

En effet, dès qu'il fut mandé à Athènes il s'y rendit, et ne sortit point de la ville que la peste ne fût cessée. Il se consacra tout entier au service des malades, et pour se multiplier en quelque sorte, il envoya plusieurs de ses élèves dans tout le pays, après les avoir instruits de la manière dont ils devaient traiter les pestiférés. Un zèle si généreux pénétra les Athéniens de la reconnaissance la plus vive. Ils ordonnèrent par un decret public, qu'Hippocrate serait initié aux grands mystères, de la même manière que l'avait été Hercule, le fils de Jupiter ; qu'on lui donnerait une couronne d'or de la valeur de mille statères et que le decret qui la lui accordait serait lu à haute voix par un héraut dans les jeux publics, à la grande fête des panathénées ; qu'il aurait en outre le droit de bourgeoisie, et serait nourri dans le Prytanée pendant toute sa vie, s'il le voulait aux dépens de l'état ; enfin que les enfants de ceux de Cos, dont la ville avait porté un si grand homme, pourraient être nourris et élevés à Athènes comme s'ils y étaient nés.

Il ne manqua à la gloire d'Hippocrate que d'avoir eu la satisfaction de compter Périclès parmi les malades auxquels il sauva la vie. Ce grand capitaine, le premier homme de l'état, dont la sagesse et l'habileté avaient soutenu le poids des affaires de la république pendant quarante ans, après avoir perdu tous ses parents de la peste, en mourut lui-même entre les bras d'Hyppocrate, et malgré tous les secours de son art.

Mais quelque cruelle qu'ait été la peste dont nous venons de parler, elle le fut encore moins par sa violence et par son étendue, que celle qui ravagea le monde vers l'an 1346 de Jesus-Christ. La description qu'en font les historiens contemporains au défaut d'observateurs médecins qui nous manquent ici, ne se peut lire sans frémir. La contagion fut générale dans tout notre hémisphère. Elle commença au royaume de Cathay, partie septentrionale de la Chine, par une vapeur de feu, dit-on, horriblement puante, qui infecta l'air, et consuma avec une promptitude incroyable deux cent lieues de pays ; elle parcourut le reste de l'Asie, passa en Grèce, de-là en Afrique, et finalement en Europe, qu'elle saccagea jusqu'à l'extrémité du nord. Ici elle emporta la vingtième, là elle détruisit la quinzième partie des habitants ; ailleurs ce fut la huitième partie, comme en France, ailleurs même, comme en Angleterre, le tiers ou le quart des habitants ; j'en parle ainsi d'après le temoignage des écrivains des deux nations.

La dernière peste qu'on ait vue en Europe, est celle de Marseille en 1720 et 1721. Elle enleva dans cette seule ville environ cinquante mille personnes ; la mémoire en est encore récente.

Toutes nos connaissances sur cette horrible maladie se bornent à savoir qu'elle se répand par contagion ; qu'elle est la plus aiguë des maladies inflammatoires ; qu'elle est accompagnée de symptômes très-différents et très-variés ; qu'elle se termine par des tumeurs vers les parties glanduleuses qui dégénèrent en abscès ; que cette crise est d'autant plus salutaire qu'elle est prompte ; que ce mal a ses temps de décroissement et de diminution, et qu'alors les secours de l'art sont d'une grande utilité ; que la contagion s'adoucit et se détruit par de grands froids ; qu'en conséquence elle est plus rare et fait moins de ravages dans les pays septentrionaux que dans les pays méridionaux ; qu'elle marche quelquefois seule, mais qu'elle a plus communément pour compagnes deux autres fléaux non-moins redoutables, la guerre et la famine ; et dans ce cas si elle n'attaque pas les hommes, les bestiaux en sont la victime : voilà les faits dont l'histoire ne fournit que trop de tristes monuments.

Il semble que le meilleur moyen de se garantir de la peste, serait de fuir de bonne heure les lieux où elle règne. Si cela n'est pas possible, il faut tâcher de se séquestrer dans un domicîle convenable, bien aéré, y éviter, autant qu'on peut, toute communication au-dehors ; vivre sans frayeur, user d'acides, en particuliers de citrons, se gargariser de vinaigre, s'en laver le corps, les hardes, etc. purifier l'air des appartements par la vapeur du bois et des baies de genièvre, user d'aliments opposés à la pourriture, et pour boisson de vins blancs acidules par préférence aux autres.

Ce ne sont pas les livres qui manquent sur la peste, le nombre en est si considérable, que la collection des auteurs qui en ont fait des traités exprès, formerait une petite bibliothèque. La seule peste de Marseille a produit plus de deux cent volumes qui sont dejà tombés dans l'oubli ; en un mot de tant d'ouvrages sur cette horrible maladie, à peine en peut-on compter une douzaine qui méritent d'être recherchés.

Celui de Mindererus, de pestilentia, Aug. Vindel. 1608, in-8°. n'est pas méprisable. Il faut lui joindre Méad (Richard) a short discourse concerning pestilential contagion, Lond. 1720. in-8°. Hodge, de peste. Muratori (Ludov. Anton.) del governo medico e politico delle peste, in Brescia 1721, in-8°. et le traité suivant qui est fort rare. Vander Mye, de morbis et symptomatibus popularibus Bredanis, tempore obsidionis hujus urbis grassantibus, Antuerp. 1627. in-4°. mais j'oubliais que je ne me suis proposé dans cet article que de traiter de la peste en historien ; ainsi, voyez PESTE, Médec. (Le chevalier de JAUCOURT )

PESTE D'ORIENT, du VI. siècle, (Histoire de la Méd.) cette affreuse peste a été décrite par Evagre et par Procope. Voici le précis de leurs descriptions ; je commence par celle d'Evagre.

Selon cet historien ecclésiastique, la peste dont il s'agit arriva l'an de J. C. 543, et fit pendant cinquante deux ans un horrible ravage presque dans toute l'étendue de la terre ; elle commença deux ans après que la ville d'Antioche eut été prise par les Perses, et parut en quelque chose semblable à la peste d'Athènes qui a été décrite par Thucydide, et en d'autres choses fort différente.

Elle tomba d'abord sur l'Ethiopie, et de-là se répandit successivement sur presque toutes les parties de l'univers. Quelques villes en furent si cruellement affligées, qu'elles perdirent tous leurs habitants. Il y avait des personnes qu'elle attaquait par la tête, par le visage, par les yeux qui paraissaient extrêmement enflammés ; puis descendant à la gorge, elle les emportait impitoyablement ; d'autres avaient des dévoiements ; d'autres des abscès dans l'aine ; d'autres des fièvres dont ils mouraient, le second ou le troisième jour ; d'autres tombaient en délire avant que de périr ; d'autres en périssant, avaient tout le corps couvert de pustules et de charbons. Quelques-uns ayant été attaqués une ou deux fois de ce fléau, et y ayant résisté, y succombaient la troisième fais.

Il y avait différentes manières et fort difficiles à comprendre, de contracter cette maladie. Plusieurs moururent pour être seulement entrés dans des maisons infectées ; d'autres pour avoir légèrement touché des malades, et d'autres sans aucune communication, prenaient le mal dans les campagnes et les places publiques. Quelques-uns s'en préservèrent en fuyant des villes pestiférées, et ne laissèrent pas de communiquer la peste. Quelques autres demeurèrent au milieu des malades, sans crainte et sans y trouver la mort, et même sans accident. Evagre rapporte qu'il étudiait la grammaire, lorsque cette peste commença, qu'il en fut attaqué ; mais qu'il perdit dans la suite sa femme, quelques-uns de ses enfants, de ses parents et de ses esclaves.

Procope nous donne la description de cette maladie, avec autant d'art que d'exactitude, et aussi-bien que s'il avait été médecin de profession. Selon lui, ce fléau consuma presque tout le genre humain. Il n'affligea pas une seule partie de la terre, et ce ne fut pas dans une saison particulière de l'année, mais dans toutes indistinctement. Elle n'épargna, ni condition, ni âge, ni sexe, quoiqu'il y ait une si grande diversité dans les tempéraments et dans les dispositions. La différente situation des lieux, la diete, les complexions, les mœurs, rien ne put sauver les malades.

Elle commença parmi les Egyptiens de Peluse, se répandit à Alexandrie, dans le reste de l'Egypte, et dans ces parties de la Palestine, qui confinent à l'Egypte ; ensuite avançant toujours avec une marche réglée ; elle parcourut le monde, comme si elle eut eu pour but de travailler successivement à tout ravager. La terre-ferme, les iles, les cavernes, les sommets des montagnes, tous les lieux où il y avait des hommes en furent infectés. Des côtés de la mer, elle s'étendit sur les terres, et quand elle sautait par-dessus un pays, on n'avait pas longtemps sujet de s'en féliciter, elle retournait ensuite sur ses pas ; dès la seconde année vers le milieu du printemps, elle se fit jour à Constantinople, ou Procope demeurait alors.

Plusieurs personnes attaquées du mal, croyaient voir des apparitions d'esprits, en toutes sortes de formes humaines ; d'autres s'imaginaient que les hommes qu'ils rencontraient les frappaient en quelque partie de leur corps ; d'autres croyaient dans leurs visions entendre une voix qui leur criait, qu'ils étaient marqués dans le livre des morts ; d'autres se réfugiaient dans les Eglises où ils périssaient. Plusieurs, sans aucun symptôme précurseur de maladie, étaient pris subitement d'une sorte de fièvre, qui n'annonçait par le pouls aucun danger ; cependant ils étaient emportés par un bubon qui se formait, tantôt plutôt, tantôt plus tard, ou à l'aine ou à l'aisselle, ou sous l'oreille, ou en d'autres parties du corps.

On remarqua dans cette maladie une grande diversité de symptômes. Les uns tombaient dans un assoupissement profond, d'autres étaient agités d'une phrénésie violente, quelques-uns demandaient à manger, et quelqu'autres dégoutés de toute nourriture, mouraient d'inanition. Dans certain temps, ni médecin ni garde, ni fossoyeur ne gagnait la maladie auprès des malades et des morts ; ils continuaient à jouir d'une santé parfaite, quoiqu'ils soignassent et ensevelissent des personnes infectées ; d'autres au contraire gagnaient la maladie sans savoir comment, et en mouraient incontinent. Plusieurs sans être altérés de soif, se jetaient dans l'eau douce ou dans la mer. Quelques-uns sans avoir eu d'assoupissement ou d'attaque de phrénésie, avaient des bubons gangrenés, et expiraient dans les douleurs ; d'autres finissaient leurs jours par un vomissement de sang.

Quelques médecins conjecturant que le venin de la maladie consistait dans les ulcères pestilentiels, ouvrirent ces ulcères dans les corps morts, et y trouvèrent un charbon énorme. Ceux dont le corps était taché de petits boutons noirs de la grosseur d'une lentille, ne vivaient pas un jour. Quelques-uns entièrement abandonnés des médecins, se rétablissaient contre toute attente ; d'autres de la guérison desquels ils se croyaient surs, périssaient soudainement. Le bain fit du bien à quelques-uns, il nuisit à d'autres ; ceux-ci moururent par les remèdes, et ceux-là échappèrent sans en avoir usé. En un mot, il n'était pas possible de trouver aucune méthode pour conserver la vie des hommes, soit en prévenant le mal, soit en le domptant, n'y ayant aucune cause apparente à laquelle on put attribuer la maladie ou sa guérison.

Les femmes enceintes qui en étaient frappées mouraient, les unes en faisant de fausses couches ; et d'autres délivrées heureusement, périssaient également avec leurs enfants ; on vit peu d'exemples du contraire. Les malades dont les ulcères ouverts coulaient abondamment, réchappaient pour l'ordinaire, la violence du charbon étant adoucie par l'écoulement ; mais ceux dont les ulcères restaient dans le même état qu'ils avaient paru d'abord, périssaient presque toujours. Quelques-uns eurent les cuisses desséchées, sans que les ulcères eussent flué ; d'autres échappèrent de la maladie avec la langue mutilée, et ne purent pendant le reste de leur vie articuler que des sons confus.

Cette peste dura quatre mois à Constantinople, d'abord avec assez de bénignité ; mais ensuite avec tant de fureur, que le nombre des morts monta jusqu'à dix mille personnes en un jour. Au commencement, on les ensevelissait soigneusement, mais à la fin tout tomba dans la dernière confusion : les domestiques n'avaient pas de maîtres, et les personnes riches n'avaient point de domestiques pour les servir. Dans cette ville affligée, on ne voyait que maisons vides, et que magasins et boutiques qu'on n'ouvrait plus, tout commerce pour la subsistance même était anéanti.

L'empereur chargea Théodore, l'un de ses référendaires, de tirer du trésor l'argent nécessaire pour en distribuer à ceux qui étaient dans le besoin, mais ce n'était là qu'une faible ressource. Procope ajoute que plusieurs malheureux, frappés d'épouvante, quittèrent leur mauvaise vie, tandis que d'autres retournèrent à leurs dérèglements aussi-tôt que le danger fut passé.

Il résulte de tout ce détail, que quoique cette peste ait duré cinquante-deux ans, en changeant souvent de symptômes, suivant les pays, cependant la description d'Evagre diffère en peu de choses essentielles de celle de Procope.... mais comme l'histoire de Procope était connue de tout le monde, Evagre eut tort d'avancer que cette maladie n'avait pas été décrite avant lui. On ne peut pas douter que sa description et celle de Procope ne regardent la même peste, laquelle au rapport d'Agathias, commença la cinquième année (il faudrait lire la quinzième année de Justinien). Procope l'a décrite telle qu'elle parut à Constantinople la seconde année, et Evagre en parle conformément à ce qu'elle était plusieurs années après ; c'est cette différence de temps et de lieux, qui sont apparemment les principales causes de la différence qui se trouve quelquefois dans les descriptions de ces deux historiens.

Evagre, par exemple, rapporte une circonstance très-surprenante, qu'on ne lit point dans Procope ; savoir, qu'aucune personne native des villes attaquées, quelqu'éloignée qu'elle fut du lieu où était la maladie, n'échappait pourtant à sa fureur ; ces mots aucune personne pris à la rigueur de la lettre, détruisent toute croyance ; mais si l'on interprete son récit par un très-grand nombre de personnes, il ne sera point suspect de fausseté pour ceux qui n'ignorent pas des exemples semblables que rapportent les historiens dans des temps plus modernes, au sujet de la sueur anglaise, genre de peste qui vint à éclore dans la principauté de Galles en 1483, ravagea l'Angleterre, se répandit en Allemagne, reparut à Londres en 1551 pour la cinquième fais, attaqua quantité de naturels anglais dans les pays étrangers, et épargna presque tous les étrangers établis en Angleterre. Voyez SUEUR ANGLOISE. (D.J.)