terme de Médecine, chasser avec effort, pousser hors les humeurs, etc.

EXPULSER, terme de Pratique, chasser avec une sorte de violence et par autorité de justice : expulser se dit surtout d'un propriétaire qui voulant occuper sa maison par lui-même, force un locataire à la lui céder avant l'expiration de son bail. Voyez EVINCER.

L'usage est communément à Paris, qu'au cas d'expulsion par le propriétaire ou par l'acquéreur, on accorde six mois de jouissance gratuite au locataire, comme en dédommagement des dépenses qu'il a faites pour s'arranger dans la maison qu'on lui ôte, et de celles qu'il doit faire ensuite pour s'arranger dans une autre ; ce qui fort souvent n'est pas susceptible de compensation.

Quoi qu'il en sait, la faculté que la loi donne en certains cas d'expulser un locataire avant le terme convenu, parait absolument contraire à l'essence de tous les baux : car enfin la destination, la nature, et la propriété d'un bail, c'est d'assurer de bonne-foi au locataire l'occupation actuelle d'une maison pour un temps limité, à la charge par lui de payer certaine somme toutes les années, mais avec égale obligation pour les contractants, de tenir et d'observer leurs conventions réciproques, l'un de faire jouir, et l'autre de payer, etc.

Quand je m'engage à donner ma maison pour six ans, je conserve il est vrai la propriété de cette maison, mais je vends en effet la jouissance des six années ; car le louage et la vente sont à-peu-près de même nature, suivant le droit romain ; ils ne diffèrent proprement que dans les termes ; et comme dit Justinien, ces deux contrats suivent les mêmes règles de droit : locatio et conductio proxima est emptioni et venditioni, iisdemque juris regulis consistit. Lib. III. instit. tit. xxv. Or quand une chose est vendue et livrée, on ne peut plus la revendiquer, l'acheteur est quitte en payant, et il n'y a plus à revenir : de-là dépendent la tranquillité des contractants et le bien général du commerce entre les hommes ; sans cela nulle décision, nulle certitude dans les affaires.

La faculté d'occuper par soi-même accordée au propriétaire malgré la promesse de faire jouir, portée dans le bail, est donc visiblement abusive et contraire au bien de la société. C'est ce qu'on nomme le privilège bourgeois ; c'est, à proprement parler, le privilège de donner une parole et de ne la pas tenir : pratique odieuse, par laquelle on accoutume les hommes à la fraude et à se jouer des stipulations et des termes. Outre que par-là on fait pancher la balance en faveur d'une partie au désavantage de l'autre ; puisque tandis qu'on accorde au propriétaire la faculté de reprendre sa maison, on refuse au locataire la liberté de résilier son bail.

Au surplus si cette prérogative est injuste, elle est en même temps illusoire ; puisque le propriétaire pouvant y renoncer par une clause particulière, les locataires qui sont instruits ne manquent point d'exiger la renonciation : ce qui anéantit dès lors le prétendu droit bourgeois ; droit qu'il n'est pas possible de conserver, à moins qu'on ne traite avec des gens peu au fait de ces usages, et qui soient induits en erreur par les notaires, lesquels au reste manquent essentiellement au ministère qui leur est confié, quand ils négligent de guider les particuliers dans la passation des baux et autres actes.

Un avocat célèbre m'a fait ici une difficulté. Le notaire, dit-il, doit être impartial pour les contractants : or il cesserait de l'être si, contre les vues et l'intérêt du propriétaire, il instruisait le preneur de toutes les précautions dont la loi lui permet l'usage pour affermir sa location. Tant pis pour lui s'il ignore ces précautions ; que ne s'instruit-il avant que de conclure ? que ne va-t-il consulter un avocat, qui seul est capable de le diriger ?

Il n'est pas difficîle de répondre à cette difficulté : on avoue bien que le notaire doit être impartial, c'est un principe des plus certains ; mais peut-on le croire impartial, quand il n'avertit pas un locataire de l'insuffisance d'un bail qui ne lui assure point un logement sur lequel il compte, et qui est souvent d'une extrême conséquence pour sa profession, sa fabrique, ou son commerce ? Peut-on le croire impartial, quand il cache les moyens de remédier à cet inconvénient, et qu'il n'exige pas les renonciations autorisées par la loi ? On veut que le moindre particulier, avant que d'aller chez un notaire, fasse une consultation d'avocat pour les affaires les plus simples : on veut donc que les citoyens passent la moitié de leur vie chez les gens de pratique. On sent que l'intérêt fait parler en cela contre l'évidence et la justice ; que sur la difficulté dont il s'agit, un notaire peut aussi-bien qu'un avocat donner des instructions suffisantes ; et l'on sent encore mieux qu'il le doit, en qualité d'officier public, chargé par état d'un ministère de confiance, qui suppose nécessairement un homme intègre et capable, lequel se doit également à tous ceux qui l'emploient, et dont la fonction est de donner aux actes l'authenticité, la forme et la perfection nécessaire pour les rendre valides.

Le notaire en faisant un bail doit donc assurer autant qu'il est possible, l'exécution de toutes les clauses qui intéressent les parties ; il doit les interroger pour démêler leurs intentions, leur expliquer toute l'étendue de leurs engagements ; et en un mot puisque la promesse de faire jouir, faite par le propriétaire, ne suffit pas pour l'obliger, s'il ne renonce expressément au privilège qu'il a de ne la pas tenir, il est de la religion du notaire d'insérer cette renonciation dans tous les baux, jusqu'à ce qu'une législation plus éclairée abroge tout à fait la prérogative bourgeoise, et donne à un bail quelconque toute la force qu'il doit avoir par sa destination, en suivant l'intention des parties contractantes.

Au surplus notre jurisprudence parait encore plus déraisonnable, en ce qu'elle attribue à l'acquéreur d'une maison le droit d'expulser un locataire malgré la renonciation du vendeur au droit bourgeois : car enfin sur quoi fondé peut-on accorder l'expulsion dans ce dernier cas ? L'acquéreur supposé ne peut pas avoir plus de droit que n'en avait le premier maître ; l'un ne peut avoir acquis que ce que l'autre a pu vendre : or l'ancien propriétaire ayant cedé la jouissance de sa maison pour un nombre d'années, ayant même renoncé, comme on le suppose, au droit d'occuper par lui-même et d'expulser son locataire pour quelque cause que ce puisse être, cette jouissance ne lui appartient plus ; et il n'en saurait disposer en faveur d'un autre. Ainsi lié par ses engagements et par ses renonciations, il ne peut plus vendre sa maison sans une réserve bien formelle en faveur du locataire ; réserve essentielle et tacite, qui, quand elle ne serait pas énoncée dans le contrat de vente, ne perd rien pour cela de sa force, attendu que suivant les termes employés dans plusieurs baux, et suivant l'esprit dans lequel ils sont tous faits, le fonds et la superficie de la maison deviennent l'hypothèque du locataire. En un mot, l'ancien propriétaire ne peut vendre de sa maison que ce qui lui appartient, que ce qu'il n'a pas encore vendu, je veux dire la propriété ; il la peut vendre véritablement cette propriété, mais avec toutes les servitudes, avec toutes les charges qui y sont attachées, et auxquelles il est assujetti lui-même : telle est entr'autres la promesse de faire jouir, stipulée par un bail antérieur, et fortifiée des renonciations usitées en pareil cas ; promesse par conséquent qui n'oblige pas moins l'acquéreur que le propriétaire lui-même.

Au surplus, si l'usage que nous suivons facilite la vente et l'achat des maisons dans les villes, comme quelques-uns me l'ont objecté bien légèrement, quelle gêne et quelle inquiétude ne jete-t-il pas dans toutes les locations, lesquelles au reste sont infiniment plus communes, et dès-là beaucoup plus intéressantes. D'ailleurs, si le privilège bourgeois était une fois aboli, on n'y penserait plus au bout de quelques années, et les maisons se vendraient comme auparavant, comme on vend tous les jours les maisons de campagne et les terres, sans qu'il y ait jamais eu de privilège contre le droit des locataires.

De tout cela il résulte que le prince législateur étant proprement le père de la patrie, tous les sujets étant réputés entr'eux comme les enfants d'une même famille, le chef leur doit à tous une égale protection : qu'ainsi toute loi qui favorise le petit nombre des citoyens au grand dommage de la société, doit être censée loi injuste et nuisible au corps national ; loi qui par conséquent demande une prompte réforme. Telle est la prérogative dont il s'agit, et dont il est aisé de voir l'injustice et l'inconséquence.

Au reste il n'est pas dit un mot du privilège bourgeois dans la coutume de Paris. La pratique ordinaire que nous suivons sur cela, vient originairement des Romains, dont la gloire plus durable que leur empire, a longtemps maintenu des usages que la sagesse et la douceur du Christianisme doivent, ce me semble, abolir.

Quoi qu'il en sait, les instituteurs de ce privilège, tant ceux qui l'ont introduit dans le droit romain, que ceux qui, éblouis par ce grand nom, l'ont ensuite adopté parmi nous ; tous, dis-je, ont été des gens distingués, des gens en place, des gens en un mot qui possédaient des maisons ; lesquels entrainés par le mouvement imperceptible de l'intérêt, ont écouté avec complaisance les allégations du propriétaire qui leur étaient favorables, et qui en conséquence leur ont paru décisives : au lieu qu'à peine ont-ils prêté l'oreille aux représentations du locataire, qui tendaient à restraindre leurs prérogatives, et qu'ils ont rejetées presque sans examen. De sorte que ces rédacteurs, éclairés sans-doute et bien intentionnés, mais séduits pour lors par un intérêt mal-entendu, ont déposé dans ces moments le caractère d'impartialité, si nécessaire dans la formation des lois : c'est ainsi qu'ils ont établi sur la matière présente des règles qui répugnent à l'équité naturelle, et qu'un législateur philosophe et désintéressé, un Socrate, un Solon, n'aurait jamais admises.

J'ai voulu savoir s'il y avait dans les pays voisins un privilège bourgeois pareil au nôtre, j'ai su qu'il n'existait dans aucun des endroits dont j'ai eu des instructions ; seulement en Prusse, l'usage est favorable à l'acquéreur, mais nullement à l'ancien propriétaire. En Angleterre et dans le comtat Venaissin, l'usage est absolument contraire au nôtre ; et la réponse que j'en ai eue de vive voix et par écrit, porte qu'un bail engage également le propriétaire, l'acquéreur, les administrateurs, et autres ayant cause, à laisser jouir les locataires jusqu'au terme convenu ; pourvu que ceux-ci de leur côté observent toutes les clauses du bail : jurisprudence raisonnable et décisive, qui prévient à coup sur bien des embarras et des procès.

Au surplus, j'ai insinué ci-devant que les propriétaires n'avaient dans le privilège bourgeois qu'un intérêt mal-entendu ; nouvelle proposition que je veux démontrer sensiblement : il suffit d'observer pour cela que si cette prérogative était abrogée, et que les locataires fussent pour toujours délivrés des sollicitudes et des pertes qui en sont les suites ordinaires, ils donneraient volontiers un cinquantième en sus des loyers actuels. Dans cette supposition qui n'est point gratuite, ce serait une augmentation de trente livres par année sur une maison de quinze cent livres de loyer, ce serait soixante francs d'augmentation sur une maison de trois mille livres ; ce qui ferait en cinquante ans cinq cent écus sur l'une, et mille écus sur l'autre : or peut-on évaluer l'avantage du privilège dont il s'agit, et dont l'usage est même assez rare par les raisons qu'on a vues ; peut-on, dis-je, évaluer cet avantage à des sommes si considérables, indépendamment des pertes que le propriétaire essuie de son côté par les embarras et les frais de procédure, dédommagement des locataires, etc. ?

Sur cela, c'est aux bons esprits à décider si l'usage du privilège bourgeois n'est pas véritablement dommageable à toutes les parties intéressées, et par conséquent, comme on l'a dit, à toute la société.

Mais je soutiens de plus, que quand il y aurait du désavantage pour quelques propriétaires dans la suppression de ce privilège, ce ne serait pas une raison suffisante pour arrêter les dispensateurs de nos lois ; parce qu'outre que la plus grande partie des sujets y est visiblement lésée, cette partie est en même temps la plus faible, et cependant la plus laborieuse et la plus utile. C'est elle qui porte presque seule la masse entière des travaux nécessaires pour l'entretien de la société, et c'est conséquemment la partie qu'il faut le plus ménager, pour l'intérêt même des propriétaires : vérité que notre jurisprudence reconnait bien dans certains cas ; par exemple, lorsqu'elle permet au locataire de retroceder un bail, malgré la clause qui l'assujettit à demander pour cela le consentement du maître. C'est que les juges instruits par l'expérience et par le raisonnement, ont senti que l'intérêt même du propriétaire exigeait cette tolérance, le plus souvent nécessaire pour la sûreté des loyers.

Les anciens législateurs qui ont admis la prérogative bourgeoise, ne comprenaient pas sans-doute que l'utilité commune des citoyens devait être le fondement de leurs lais, et devait l'emporter par conséquent sur quelques intérêts particuliers. Ils ne considéraient pas non plus qu'au même temps qu'ils étaient propriétaires, plusieurs de leurs proches et de leurs amis étaient au contraire dans le cas de la location, que plusieurs de leurs descendants y seraient infailliblement dans la suite, et qu'ils travaillaient sans y penser contre leur patrie et contre leur postérité. Article de M. FAIGUET.