S. m. (Médecine) Voyez à l'article CHARLATANERIE, la définition générale de ce mot. Nous en allons traiter ici selon l'acception particulière à la Médecine.

L'usage confond aujourd'hui dans notre langue, de même que dans la langue anglaise, l'empyrique et le charlatan.

C'est cette espèce d'hommes, qui sans avoir d'études et de principes, et sans avoir pris de degrés dans aucune université, exercent la Médecine et la Chirurgie, sous prétexte de secrets qu'ils possèdent, et qu'ils appliquent à tout.

Il faut bien distinguer ces gens-là des Médecins dont l'empyrisme est éclairé. La Médecine fondée sur de vraies expériences, est très-respectable ; celle du charlatan n'est digne que de mépris.

Les faux empyriques sont des protées qui prennent mille formes différentes. La plupart grossiers et mal-habiles, n'attrapent que la populace ; d'autres plus fins, s'attachent aux grands et les séduisent.

Depuis que les hommes vivent en société, il y a eu des charlatants et des dupes.

Nous croyons facilement ce que nous souhaitons. Le désir de vivre est une passion si naturelle et si forte, qu'il ne faut pas s'étonner que ceux qui dans la santé n'ont que peu ou point de foi dans l'habileté d'un empyrique à secrets, s'adressent cependant à ce faux médecin dans les maladies graves et sérieuses, de même que ceux qui se noient s'accrochent à la moindre petite branche. Ils se flattent d'en recevoir du secours, toutes les fois que les hommes habiles n'ont pas eu l'effronterie de leur en promettre un certain.

Hippocrate ne guérissait pas toujours, ni surement : il se trompait même quelquefois ; et l'aveu ingénu qu'il a fait de ses fautes, rend son nom aussi respectable que ses succès. Ceux au contraire qui ont hérité de leurs pères la médecine pratique, et à qui l'expérience est échue par succession, assurent toujours et avec serment qu'ils guériront le malade, Vous les reconnoitrez à ce propos de Plaute :

perfacîle id quidem est,

Sanum futurum ; meâ ego id promitto fide.

" Rien de plus aisé que de le tirer d'affaire, il guérira ; c'est moi qui vous en donne ma parole d'honneur ".

Quoique l'impudence et le babil soient d'une ressource infinie, il faut encore à la charlatanerie quelque disposition intérieure du malade qui en prépare le succès : mais l'espérance d'une prompte santé d'un côté, celle d'une bonne somme d'argent de l'autre, forment une liaison et une correspondance assurée.

Aussi la charlatanerie est-elle très-ancienne. Parcourez l'histoire médicinale des Egyptiens et des Hébreux, et vous n'y verrez que des imposteurs, qui profitant de la faiblesse et de la crédulité, se vantaient de guérir les maladies les plus invétérées par leurs amuletes, leurs charmes, leurs divinations et leurs spécifiques.

Les Grecs et les Romains furent à leur tour inondés de charlatants en tout genre. Aristophane a célébré un certain Eudamus qui vendait des anneaux contre la morsure des bêtes venimeuses.

On appelait , ou simplement agyrtae, du mot , assembler, ceux qui par leurs discours assemblaient le peuple autour d'eux ; circulatores, circuitores, circumforanei, ceux qui couraient le monde, et qui montaient sur le théâtre pour se procurer la vente de leurs remèdes ; cellularii medici, ceux qui se tenaient assis dans leurs boutiques en attendant la chalandise. C'était le métier d'un Chariton, de qui Galien a tiré quelques descriptions de médicaments : c'était celui d'un Clodius d'Ancone, qui était encore empoisonneur, et que Cicéron appelle pharmacopola circumforaneus. Quoique le mot pharmacopola s'appliquât chez les anciens à tous ceux en général qui vendaient des médicaments sans les avoir préparés, on le donnait néanmoins en particulier à ceux que nous désignons aujourd'hui par le titre de bateleur.

Nos bateleurs, nos Eudamus, nos Charitons, nos Clodius, ne différent point des anciens pour le caractère ; c'est le même génie qui les gouverne, le même esprit qui les domine, le même but auquel ils tendent ; celui de gagner de l'argent et de tromper le public, et toujours avec des sachets, des peaux divines, des calottes contre l'apoplexie, l'hémiplégie, l'épilepsie, etc.

Voici quelques traits des charlatants qui ont eu le plus de vogue en France sur la fin du dernier siècle.

Nous sommes redevables à M. Dionis de nous les avoir conservés ; la connaissance n'en est pas aussi indifférente à l'humanité qu'on pourrait l'imaginer du premier abord.

Le marquis Caretto, un de ces avanturiers hardis, d'un caractère libre et familier, qui se produisant eux-mêmes, protestent qu'ils ont dans leur art toute l'habileté qui manque aux autres, et qui sont crus sur leur parole, perça la foule, parvint jusqu'à l'oreille du prince, et en obtint la faveur et des pensions. Il avait un spécifique qu'il vendait deux louis la goutte ; le moyen qu'un remède si cher ne fût pas excellent ? Cet homme entreprit M. le maréchal de Luxembourg, l'empêcha d'être saigné dans une fausse pleurésie dont il mourut. Cet accident décria le charlatan, mais le grand capitaine était mort.

Deux capucins succédèrent à l'avanturier d'Italie ; ils firent publier qu'ils apportaient des pays étrangers des secrets inconnus aux autres hommes. Ils furent logés au Louvre ; on leur donna 1500 liv. par an. Tout Paris accourut vers eux, ils distribuèrent beaucoup de remèdes qui ne guérirent personne ; on les abandonna, et ils se jetèrent dans l'ordre de Clugni. L'un, qui se fit appeler l'abbé Rousseau, fut martyr de la charlatanerie, et aima mieux mourir que de se laisser saigner. L'autre, qui fut connu sous le nom de l'abbé Aignan, ne se réserva qu'un remède contre la petite vérole, mais ce remède était infaillible. Deux personnes de la première qualité s'en servirent : l'un était M. le duc de Roquelaure, qui en réchappa, parce que sa petite vérole se trouva d'une bonne qualité : l'autre, M. le prince d'Epinoi, qui en mourut.

En voici un pour les urines ; on l'appelait le médecin des bœufs. Il était établi à Seignelai, bourg du comté d'Auxerre : il prétendait connaître toutes sortes de maladies par l'inspection des urines ; charlatanerie facile, usée, et de tout pays. Il passa pendant quelque temps pour un oracle ; mais on l'instruisit mal, il se trompa tant de fois que les urines oublièrent le chemin de Seignelai.

Le père Guiton, cordelier, ayant lu dans un livre de Chimie la préparation de quelques médicaments, obtint de ses supérieurs la liberté de les vendre, et d'en garder le profit, à condition d'en fournir gratis à ceux du couvent qui en auraient besoin. M. le prince d'Isenghien et plusieurs autres personnes éprouvèrent ses remèdes, mais avec un si mauvais succès, que le nouveau chimiste en perdit son crédit.

Un apoticaire du comtat d'Avignon se mit sur les rangs avec une pastille, telle qu'il n'était point de maladie qui ne dû. céder à sa vertu. Ce remède merveilleux, qui n'était qu'un peu de sucre incorporé avec de l'arsenic, produisit les effets les plus funestes. Ce charlatan était si stupide, que prenant pour mille pastilles mille grains d'arsenic qu'il mêlait sans aucune précaution avec autant de sucre qu'il en fallait pour former les mille pastilles, la distribution de l'arsenic n'était point exacte ; en sorte qu'il y avait telle pastille chargée de très-peu d'arsenic, et telle autre de deux grains et plus de ce minéral.

Le frère Ange, capucin du couvent du faubourg S. Jacques, avait été garçon apoticaire ; toute sa science consistait dans la composition d'un sel végétal, et d'un syrop qu'il appelait mésentérique, et qu'il donnait à tout le monde, attribuant à ce syrop la propriété de purger avec choix les humeurs qu'il fallait évacuer. C'était, dit-on, un bon homme, qui le croyait de bonne foi. Madame la Dauphine, qui était indisposée, usa de son sel et de son syrop pendant quinze jours ; et n'en recevant aucun soulagement, le frère Ange fut congédié.

L'abbé de Belzé lui succéda à Versailles. C'était un prêtre normand qui s'avisa de se dire médecin ; il purgea madame la Dauphine vingt-deux fois en deux mois, et dans le-temps où il est imprudent de faire des remèdes aux femmes : la princesse s'en trouva fort mal, et mesdemoiselles Besola et Patrocle, deux de ses femmes-de-chambre, qui avaient aussi fait usage de la médecine de l'abbé, en contractèrent un dévoyement continuel, dont elles moururent l'une après l'autre.

Le sieur du Cerf vint ensuite avec une huîle de gayac qui rendait les gens immortels. Un des aumôniers de madame la Dauphine, au lieu de se mêler de son ministère, s'avisa de proposer le sieur du Cerf ; le charlatan vit la princesse, assura qu'il en avait guéri de plus malades qu'elle ; courut préparer son remède ; revint, et trouva la princesse morte : et cet homme, qui avait le secret de l'immortalité, mourut trois mois après.

Qui est-ce qui a fait autant de bruit, qui est-ce qui a été plus à la mode que le médecin de Chaudrais ? Chaudrais est un petit hameau composé de cinq ou six maisons, auprès de Mantes ; là il se trouva un paysan d'assez bon sens, qui conseillait aux autres de se servir tantôt d'une herbe, tantôt d'une racine ; ils l'honorèrent du titre de médecin. Sa réputation se répandit dans sa province, et vola jusqu'à Paris, d'où les malades accoururent en foule à Chaudrais. On fut obligé d'y faire bâtir des maisons pour les y loger ; ceux qui n'avaient que des maladies legeres, guérissaient par l'usage de ses plantes pulvérisées ou racines desséchées : les autres s'en revenaient comme ils y étaient allés. Le torrent de malades dura cependant trois à quatre années.

C'est un phénomène singulier que l'attrait que la cour a pour les charlatants ; c'est-là qu'ils tendent tous. Le sieur Bouret y débarqua avec des pilules merveilleuses dans les coliques inflammatoires ; mais, malheureusement pour la fortune de celui-ci, il fut attaqué lui-même, tout en débarquant, de cette maladie, que son remède augmenta tellement qu'il en mourut en quatre jours.

Voilà l'abrégé historique des plus fameux charlatants. Ce furent, comme on voit, un marquis étranger, des moines, des prêtres, des abbés, des paysans, tous gens d'autant plus assurés du succès, que leur condition était plus étrangère à la Médecine.

La charlatanerie médicinale n'est ni moins commune ni moins accréditée en Angleterre ; il est vrai qu'elle ne se montre guère que sur les places publiques, où elle sait bien étaler à son avantage la manie du patriotisme. Tout charlatan est le premier patriote de la nation, et le premier médecin du monde Il guérit toutes les maladies, quelles qu'elles soient, avec ces spécifiques, et la bénédiction de Dieu ; c'est toujours une des conditions de l'affiche.

Je me souviens, dit M. Addisson, d'avoir Ve à Hammersmith un de ces patriotes, qui disait un jour à son auditoire : " Je dois ma naissance et mon éducation à cet endroit, je l'aime tendrement ; et en reconnaissance des bienfaits que j'y ai reçus, je fais présent d'un écu à tous ceux qui voudront l'accepter ". Chacun s'attendait, la bouche béante, à recevoir la pièce de cinq schelins ; M. le docteur met la main dans un long sac, en tire une poignée de petits paquets, et dit à l'assemblée : Messieurs, " je les vends d'ordinaire cinq schelins six sous, mais en faveur des habitants de cet endroit, que j'aime tendrement, j'en rabattrai cinq schelins ". On accepte son offre généreuse ; ses paquets sont enlevés, les assistants ayant répondu les uns pour les autres qu'il n'y avait point d'étrangers parmi eux, et qu'ils étaient tous ou natifs, ou du moins habitants d'Hammersmith.

Comme rien n'est plus propre pour en imposer au vulgaire, que d'étonner son imagination et entretenir sa surprise, les charlatants des îles britanniques se font annoncer sous le titre de docteurs nouvellement arrivés de leurs voyages, dans lesquels ils ont exercé la Médecine et la Chirurgie par terre et par mer, en Europe et en Amérique, où ils ont appris des secrets surprenans, et d'où ils apportent des drogues d'une valeur inestimable pour toutes les maladies qui peuvent se présenter.

Les uns suspendent à leurs portes des monstres marins farcis de paille, des os monstrueux d'animaux, etc. ceux-ci instruisent le public qu'ils ont eu des accidents extraordinaires à leur naissance, et qu'il leur est arrivé des desastres surprenans pendant leur vie ; ceux-là donnent avis qu'ils guérissent la cataracte mieux que personne, ayant eu le malheur de perdre un oeil dans telle bataille, au service de la patrie.

Chaque nation a ses charlatants ; et il parait que par-tout ces hommes mettent autant de soin à étudier le faible des autres hommes, que les véritables Médecins à connaître la nature des remèdes et des maladies. Et en quelque lieu du monde qu'on sait, il n'y en a presque pas un qu'on ne puisse reconnaître au passage de Plaute que nous avons cité plus haut, et congédier avec la recette suivante. Elle est d'un seigneur Anglais ; il était dans son lit cruellement tourmenté de la goutte, lorsqu'on lui annonça un charlatan qui avait un remède sur contre ce mal. Le lord demanda si le docteur était venu en carrosse, ou à pied : à pied, lui répondit le domestique. " Eh bien, répliqua le malade, Ve dire à ce fripon de s'en retourner : car s'il avait le remède dont il se vante, il roulerait en carrosse à six chevaux ; et je le serais allé chercher, moi, et lui offrir la moitié de mon bien pour être délivré de mon mal ".

Cet article est l'extrait d'un excellent mémoire de M. le Chevalier DE JAUCOURT, que les bornes de cet ouvrage nous forcent à regret d'abréger.