SECRÉTIONS, (Médecine) se dit proprement de l'action par laquelle un fluide est séparé d'un autre fluide, et plus particulièrement de la séparation des différentes liqueurs répandues dans le corps animal, de la masse commune de ces liqueurs, c'est-à-dire du sang. C'est cette importante fonction de l'économie animale que les anciens faisaient dépendre de la troisième coction, et que les scolastiques rapportent aux actions naturelles.

Cette fonction s'opère en général par les glandes ou par des réseaux de capillaires artériels ; et on appelle pour cette raison ces organes organes sécrétoires, couloirs, filtres. Voyez ces mots.

La secrétion diffère, suivant l'opinion vulgaire, de l'excrétion, en ce que la première ne fait que dépouiller, pour ainsi dire, la masse du sang de différentes humeurs qui y sont contenues, et que l'excrétion est l'évacuation plus ou moins prochaine de ces humeurs, ou l'action qui les porte au - dehors. Il est pourtant des auteurs qui ont confondu ces deux fonctions l'une avec l'autre, en quoi ils paraissent d'accord avec les anciens, qui n'avaient qu'un nom pour les deux ; car le verbe se trouve employé indifféremment dans Hippocrate et Galien pour excerno et secerno en même temps, et pour segregatio, secretio, separatio, excretio, pour l'excrétion et la secrétion tout ensemble : nous verrons même à la fin de cet article qu'il est des circonstances où l'action de l'une est si liée à celle de l'autre, où toutes les deux sont si rapprochées, qu'on ne saurait saisir l'instant qui fait le point de leur division.

La secrétion est commune aux végétaux et aux animaux ; mais c'est dans ceux-ci principalement que cette fonction offre le plus de phénomènes, en proportion d'une plus grande variété dans les merveilles et les résultats de l'organisation.

La nécessité des secrétions se déduit de l'exercice même de la vie ; cette succession continuelle de pertes et de réparations de substance qu'éprouvent tous les êtres vivants, en est la preuve la plus sensible. Le chyle étant un fluide hétérogène, relativement aux besoins de la nature, il est étonnant combien d'opérations plus ou moins combinées elle doit encore employer à la disposition des différents sucs utiles ou nuisibles à l'animal, après l'adoption de la lymphe nutritive, de cet extrait précieux qui est l'ouvrage de la digestion (Voyez DIGESTION) ; telle est, 1°. la distribution des humeurs aux secrétoires : 2°. leur élaboration ou préparation dans les organes ; préparation qui imprime à quelques-unes des qualités qu'elles n'auraient pas autrement, comme on le peut voir par la semence, qui est bien différente assurément dans les eunuques et dans ceux qui ne le sont pas : 3°. la filtration des humeurs aqueuses : 4°. la séparation des particules inutiles et nuisibles, dans laquelle il faut comprendre la répudiation, le secessus non-seulement des particules vieilles et usées des humeurs que les anciens appelaient de la deuxième coction, mais encore de quelques autres qui ont souffert dans le corps une altération qui équivaut à une séparation spontanée. Ce qu'Hippocrate parait avoir indiqué par ce passage du premier livre sur la diete : corrumpi ac minui, idem est quod secerni. C'est donc la somme de ces opérations distinctes plus ou moins entr'elles, qui constitue l'ouvrage des secrétions.

Mais cet ouvrage est-il restreint uniquement aux humeurs ? c'est sur quoi les auteurs ne se sont pas positivement expliqués ; c'est néanmoins une observation de tous les temps, que la plupart de nos excrétions sont chargées de particules terreuses ; pourquoi ces particules ne seraient-elles pas les excréments d'une terre plus pure, qui forme la base des parties solides, sécernée tout comme les humeurs, et ayant ses usages comme elles ? Voilà qui Ve paraitre un paradoxe bien étrange ; mais est-il en effet si dénué de vraisemblance pour ne pas mériter qu'on s'y arrête ? L'analyse chymique nous démontre d'abord l'existence de ces parties terreuses dans nos humeurs, indépendamment de la petite portion qu'il peut en entrer dans la composition des molécules ou agrégés du fluide. Cette même terre qui fournit à la coque des œufs dans les volatils, fournira peut-être encore à l'accroissement et à la régénération des os dans les animaux, au transport des matières plâtreuses sur les articulations des goutteux, à celles qu'un auteur moderne a observées dans les alvéoles des enfants, pour y servir à la matière des dents. Vid. l'éducat. médic. des enfants, par M. Brouzet.

En résumant ce que nous venons de dire, on trouve, 1°. que la nutrition est encore une branche de la secrétion ; 2°. que la spontanéité dans la séparation de quelques particules anciennement utiles, peut faire penser qu'un certain mouvement de fermentation fort indéfini, entre pour quelque chose dans l'ouvrage des secrétions ; 3°. que les parties solides même paraissent être soumises à la loi générale de la secrétion.

Toute secrétion supposant un appareil, un travail de la part des organes secrétoires, et quelques humeurs, telles que la plupart des aqueuses, la graisse, et peut-être une portion des urines, étant le résultat d'une opération moins compliquée, il s'ensuit encore que le mot spécial de secrétion ne saurait convenir à la séparation proprement dite des fluides, et que les Physiologistes n'ont point assez distingué les modes variés de cette dépuration de la masse commune des liqueurs animales.

La secrétion pourrait donc être regardée plus particulièrement comme une action qui spécifie les différentes humeurs du corps, en les portant du sang aux différents secrétoires, et modifiant leur préparation à-travers ces organes.

La physiologie des anciens n'a pas été si bornée en fait de secrétions, qu'elle n'ait produit quelques opinions sur cette matière ; mais leurs connaissances sur la variété des humeurs, se réduisent dans leurs écrits à l'énumération des fluides qui sont le plus à la portée des sens. Les découvertes qu'on a faites depuis en Anatomie et en Physique, ont considérablement enflé ce dénombrement, qui n'en est peut-être pas plus utîle pour être plus fastueux.

Les principales de ces humeurs sont donc la bile, la salive, l'humeur pancréatique, la prétendue liqueur des esprits animaux, celle qui humecte l'oesophage, l'estomac, les intestins ; la synovie, la graisse, l'humeur du péricarde, l'humeur aqueuse de l'oeil, la vapeur ou la rosée qui humecte les ventricules du cerveau, la surface de la plèvre et du péritoine, les mucosités des différents sinus et cavités ; la liqueur prolifique dans le mâle, le lait, l'humeur des ovaires dans les femmes, etc. (toutes ces humeurs sont appelées récrémenticielles) l'humeur sébacée des glandes de Morgagni, celle des odoriferes de Tison, des lacunes de Graaf, l'humeur onctueuse des poils, celle des différents plis ou replis de la peau, le cerumen des oreilles, et quelques autres qui ne sont peut être que des suintements des humeurs contenues dans les cellules du tissu adipeux, dont l'odeur, la couleur et la consistance varient à raison de la chaleur et de la conformation des parties, de leur situation et de leurs usages ; enfin l'urine, la transpiration, les sueurs, etc. (Ces dernières sont les excrémenticielles). On pourrait encore former une classe d'humeurs mixtes, composée de celles qui étant recrémenticielles par leur essence, deviennent excrémenticielles par accident, telles que la salive, les larmes, quelques mucosités, etc. sur quoi il est à remarquer que l'exactitude physiologiste est encore en défaut ; mais du reste le caractère distinctif des excrémenticielles est de ne pouvoir refluer dans la masse du sang, sans nuire sensiblement au corps.

Il n'est pas douteux que la secrétion n'ait lieu dans le foetus comme dans l'adulte : l'humeur glaireuse qu'on trouve dans l'estomac, le meconium qu'on peut regarder avec Stahl comme l'amas de tous les fluides qui se filtrent dans le tube intestinal, depuis la bouche jusqu'au coecum, l'humeur de la vessie, et peut-être même une partie des eaux dans lesquelles nage le foetus, en sont des preuves authentiques. Les auteurs qui ont discuté avec beaucoup d'érudition les rapports de la secrétion dans l'adulte, avec celle qui a lieu dans le foetus, ne nous ont rien appris de particulier, si ce n'est que les humeurs sont plus douces dans celui-ci que dans l'adulte, et qu'il faut déduire cette différence de saveur du plus ou du moins de densité dans le système des vaisseaux. Il est encore bon d'observer que les différents degrés d'accroissement dans le foetus, les fonctions du thymus, et de quelques autres corps glanduleux, méritent une considération particulière dans cette partie de l'histoire des secrétions.

Nous disons plus haut que les glandes sont les principaux organes secrétoires ; ce serait donc dans la cavité des glandes, des conglomerées principalement, qu'il semble que devrait être le siege des secrétions.

Les conglobées, celles plus simples encore, qu'on appelle follicules, criptes, ne seront que comme des ateliers secrétoires subalternes, en comparaison des premières. Voyez GLANDES. Il en sera vraisemblablement de même des reseaux ou anastomoses capillaires artérielles.

Les travaux de Malpighi et de Ruysch, qui devaient d'abord fixer le sort des secrétions sur cet article, ont eu celui de la plupart des découvertes en ce genre, qui font époque en faveur de l'artiste et du siècle, sans rien produire à l'art, que quelques dissertations polémiques, qui sont malheureusement autant de titres revendiqués par les sectes ; ainsi il y a toujours des auteurs, comme les partisans de Malpighi, qui veulent qu'entre l'artère et la veine, il y ait des cavités dans lesquelles se filtrent les humeurs ; d'autres, tels que les sectateurs de Ruysch, qui soutiennent la continuité de l'artère avec la veine, sans interruption, de sorte que c'est dans les aires ou pelotons formés de capillaires artériels, qu'il faut chercher, suivant eux, les véritables organes des secrétions. Entre ces deux hommes célèbres, il s'en trouve d'autres, comme Bellini, qui placent les secrétions dans les rameaux collatéraux des derniers capillaires artériels, qui sont autant de petits troncs de ces rameaux, et l'on donne la relation du canal intestinal avec les vaisseaux lactés, pour le symbole de ce système ; Bergerus qui veut que ce soit dans les extrémités pulpeuses des artères ; enfin il est encore des modernes d'une grande réputation, qui d'après des observations réiterées, ont cru pouvoir établir les secrétions, les uns, dans un tissu cotonneux qu'ils ont aperçu dans les conduits secrétoires, les autres, à l'extrémité de ces conduits, c'est-à-dire au point de leur passage de l'état artériel sanguin, à celui de lymphatique artériel, etc.

Les différentes opinions que nous venons de rapporter, supposent qu'on a déjà prononcé sur une question très-importante, savoir si les matériaux de nos humeurs secrétoires, doivent être regardés comme autant d'élements de principes isolés, épars dans l'océan des humeurs ; ou s'ils y sont contenus sous la forme qui spécifie chaque fluide ; en un mot comme autant d'aggregés immédiats de fluides divers, qui n'ont besoin que du travail de la secrétion, pour former un tout spécial. Avant d'entrer en discussion sur cet article, il est bon de prévenir, et c'est ce que les physiologistes auraient dû faire, que la question ne porte que sur quelques humeurs recrémenticielles, comme la bile, la semence, etc. car il est hors de doute que les sels et les débris, ramenta, tant de nos solides que de nos fluides, qui sont les produits des mouvements de la vie, préexistaient réellement dans la masse des humeurs ; il s'agit donc uniquement de savoir si les matériaux de ces humeurs que nous avons nommées, sont contenus matériellement ou formellement, comme on dit, dans le sang. La question est, dit-on, jugée en faveur du dernier sentiment, en conséquence de quelques expériences, dont tout le monde connait celle de la ligature des artères rénales, voyez REIN, et de ce qui est observé dans quelques états de maladie, par exemple dans l'ictère ; mais dans cette expérience sur le rein, peut-on compter que les vaisseaux lymphatiques n'ont pas reporté quelques portions d'urine dans le sang ? l'humeur qui fait l'ictère, est-elle bien de la bîle ? et si par des embarras dans le foie, toutes les humeurs deviennent bilieuses, ou se changent en bile, n'en peut-on pas conclure qu'elles étaient propres à prendre toutes sortes de modifications ? Bianchi, histor. hepatis, rapporte que son ami, Jacques Cicognini, avait connu à Boulogne un homme qui avait le secret de faire de la bile, avec beaucoup d'huile, un acide, et une certaine espèce de cendre ; les mêmes matériaux ne se trouvent-ils pas dans presque toutes nos humeurs ? Nous ne déguiserons pas qu'il est fait mention dans Needham, de formato foetu, d'une lettre de Schneider à Deusingius, dans laquelle il est parlé d'un homme de la connaissance de Schneider, qui, en repandant d'une certaine poudre sur le sang, en tirait du lait, lequel avait toutes les apparences du lait ordinaire ; mais en admettant le fait comme vrai, il y aurait peut-être encore bien des arguments à faire sur la composition de cette poudre, ou sur la nature de ce lait ; et d'ailleurs, qui est-ce qui ignore que le lait est du vrai chyle, qui est porté avec le sang dans les mamelles et dans l'uterus, et qu'il est à peine altéré par la secrétion imparfaite qu'il éprouve dans ces organes ? Il faut convenir qu'on n'a pas assez insisté sur tous les faits contradictoires, pour qu'on ait pu porter sur cette matière aucun jugement décisif.

Comment se font les secrétions, et d'où vient qu'un fluide est constamment affecté, du moins dans l'état sain, à un organe plutôt qu'à un autre ; par exemple, la bîle au foie, et non pas aux reins, &c ? voilà ce qui a exercé les physiologistes de tous les âges, et qui est encore un problême dont, selon toutes les apparences, la solution manquera longtemps à l'art.

Les premiers dogmatiques dont la théorie naissante était religieusement circonscrite par l'observation, n'ont pu nous rien transmettre de bien recherché sur une matière aussi obscure.

Empédocle, plus philosophe que médecin, croyait que les sueurs et les larmes provenaient d'un sang atténué et fondu. Hippocrate reconnait un principe qui attire les humeurs vers chaque organe et les y prépare ; il regardait les glandes comme des éponges qui s'imbibent de ces humeurs ; suivant Platon, c'est un appétit dans chaque partie, qui lui donne la faculté d'attirer à soi ce qu'elle appette ; Aristote pense de même, en rectifiant néanmoins les idées grandes et inexactes de Platon. Voyez la physiologie de Fernel. Galien enfin est pour ses facultés : il parait que c'est à ce petit précis qu'on peut réduire les systèmes de la sage et sublime antiquité, et ce n'est peut-être pas un petit éloge pour la philosophie, que sa stérilité en ce genre ; mais certes, la physiologie des modernes nous en dédommage bien, par une fécondité qui n'a rien laissé à discuter de tous les points d'une matière aussi vaste ; on dirait qu'elle a mis à contribution toutes les branches des sciences, chacune d'elles lui ayant fourni à l'envi son tribut de système. La chimie lui a donné les ferments, les coagulants, les fondants, les assimilans, l'archée de van Helmont, système, pour le dire en passant, digne de l'enthousiasme d'un grand homme, dont la critique n'appartient pas à des génies froids, que le figuré d'une expression, ou la singularité d'un nom suffit le plus souvent pour indisposer ; la mécanique, les cribles de Descartes, renouvellés des pores d'Asclépiade, les attritions, la disposition particulière dans la figure de chaque couloir, &c La physique, l'électricité, l'attraction et l'adhésion newtonienne ; la géométrie, ses calculs, l'hydraulique, ses lois, ses expériences, etc.

Heureusement que la plupart de ces hypothèses, autrefois si bruyantes, ne sont guère plus admises par les esprits sages ; à la vérité il s'est trouvé de nos jours, des auteurs à qui on ne peut refuser cette qualité, qui ont tâché d'en évoquer quelques-unes, pour en bâtir de nouveaux systèmes, tel est celui de l'humeur analogue ; mais la préexistence supposée de cette humeur, qu'il faut admettre nécessairement dans cette nouvelle hypothèse, et les inconvénients qui en résultent pour une pareille analogie, en ont démontré le peu de solidité. M. Winslow a eu beau vouloir l'appuyer de ses observations, sur le tissu cotonneux des conduits secrétoires qu'il dit avoir trouvé imbus de bîle dans le foye, et d'urine dans les reins, chez des foetus les plus près du temps de la conception ; tout cela prouve seulement que les secrétions ont lieu dans les foetus, et c'est de quoi personne ne doute.

Les productions en ce genre, de quelques autres modernes, n'ont pas eu un meilleur succès ; les noms fameux d'Hoffman et de Boerhaave, n'ont pu sauver leurs systèmes, plus de gout, plus de justesse dans notre philosophie, nous ont enfin appris à les apprécier.

Stahl, le Platon de la médecine moderne, à qui nous devons en grande partie cette reforme, nous a donné d'autres idées sur les secrétions ; suivant lui, c'est l'âme, cet agent universel du corps, qui en est chargée, qui les dirige, qui a soin d'envoyer la salive à la bouche quand il le faut. Ces idées qu'on dit empruntées de van Helmont, prennent dans le génie de Stahl, une force, une profondeur dont on n'aurait pas cru avant lui, la théorie susceptible.

L'académie de Bordeaux ayant proposé, il y a quelques années, un prix sur le mécanisme des secrétions, trois illustres émules, (MM. Hamberger, Delamure, et de Haller,) fournirent chacun une belle dissertation sur cette matière. Celle de M. Hamberger, qui fut couronnée, explique ce mécanisme par les lois de l'adhésion, supposées établies entre les particules des fluides, et celles des solides qui composent le tissu des vaisseaux secrétoires ; l'auteur estime cette action par les rapports de la gravité spécifique des unes avec celle des autres, en sorte que le plus haut degré de l'adhérence est entre les parties du solide et du fluide, dont les gravités spécifiques se correspondent davantage ; il observe qu'il s'est convaincu par des expériences dont il donne les résultats, des différences ou rapports de ces gravités spécifiques ; mais nous observerons à notre tour, qu'il n'est peut-être point de systèmes, parmi ceux qu'on s'efforce d'appuyer de tout l'appareil des sciences, dans lequel on trouve un abus plus marqué, une plus mauvaise application de principes bons en soi ; pour s'en convaincre, il suffit d'un coup d'oeil sur les phénomènes de physique les plus simples. On peut voir les objections qui ont été faites au système de l'auteur, dans plusieurs ouvrages de M. Haller, et pour s'éviter la peine des recherches, dans le second volume de sa nouvelle physiologie.

A l'égard des expériences de M. Hamberger, sur les viscères et les fluides des animaux, M. Delamure, célèbre professeur de la faculté de Montpellier, en a fait de son côté, qu'on ne saurait concilier avec celles de M. Hamberger ; on peut consulter la table des produits que ce professeur en a donnée à la suite d'une thèse sur les secrétions, qu'il fit soutenir en 1749.

Toutes les autres théories qu'on pourrait encore citer, n'étant que des modifications ou des copies les unes des autres, et se trouvant d'ailleurs répandues dans des livres qui sont entre les mains de tout le monde, nous croyons pouvoir nous dispenser d'en parler, pour nous arrêter plus longtemps à un excellent ouvrage, qui a paru depuis peu d'années, sous le titre de Recherches anatomiques sur les glandes ; cet ouvrage est de M. de Bordeu, médecin de Paris et de Montpellier, qui jouit dans la capitale, comme praticien, d'une réputation très-étendue et très-méritée. La grandeur des vues que présente l'auteur, la beauté de ses principes, tracés d'après une philosophie peu commune, toujours éclairés de la connaissance pratique de l'anatomie, et des autres parties de l'art les plus essentielles, nous engagent à rappeler ici, sous la forme d'un extrait, ce qui nous a paru de plus frappant dans ce système, et de plus propre à complete r ce que nous avons à dire sur la matière des secrétions.

M. de Bordeu fait dépendre les secrétions et les excrétions des nerfs, du-moins dans le plus grand nombre des circonstances. Les nerfs ont été de tout temps un objet d'étonnement et de méditation pour un physiologiste ; ils sont la partie constituante, essentielle de l'animal proprement dit, au moyen du sentiment et du mouvement dont ils sont doués privativement aux autres parties : le sentiment ou la sensibilité est la faculté éminente et primitive, la vie par excellence du système nerveux. Le mouvement et quelques autres phénomènes, comme l'irritation à laquelle quelques modernes ont voulu substituer l'irritabilité, n'en sont que des effets secondaires. C'est ici l'âme sensitive des anciens et de Willis ; c'est elle qui en se répandant avec les nerfs dans les parties, les fait vivre de leur vie particulière, et c'est l'assemblage, le concours de ces petites vies qui produit la vie générale. Cette sensibilité est modifiée dans tous les organes dans des proportions graduées à l'infini ; dans certains, comme dans la plupart des glandes, elle répond très-peu aux irritations mécaniques, et dans certains autres elle s'y trouve concentrée dans un point qui peut passer pour mathématique, ou elle y est dans un degré de décroissement auquel l'industrie humaine ne saurait jamais proportionner la tenuité ou la finesse des agens. Ainsi il ne faudrait pas, de ce qu'une partie piquée, déchirée ou brulée dans un animal vivant ne produit aux sens que quelques mouvements sans douleur, en conclure que cette partie n'est point sensible ; voyez la thèse de M. François de Bordeu, de sensibilitate et contractilitate etc. Le grand Harvée qui avait fait sur les animaux un grand nombre d'expériences, avait reconnu cette vérité. Il dit expressément : quidquid enim contra irritamenta et molestia motibus suis diversis nititur, id sensu praeditum sit necesse est ; et peu après : quidquid enim sensus planè expers est, non videtur ullo modo irritari, aut ad motum actionesque aliquas edendas, excitari posse videtur. Exercitatio 57. pag. 259. et 260. Il est sur néanmoins que certaines parties paraissent n'avoir presque point de sentiment en comparaison des grands mouvements qu'elles exercent naturellement, ou qu'elles sont capables d'exercer : mais qu'en conclure, sinon que les effets sont dans ces cas plus grands que les causes ? Vous pourriez avec la pointe d'une épingle jeter un animal dans les convulsions. C'est aussi sur la considération très-réfléchie de ces variétés, que M. de Bordeu a donné dans une thèse, cette belle division des fonctions de l'individu, en celles qui se font avec un mouvement manifeste et un sentiment obscur, occulto, comme la circulation et la respiration, et en celles qui se font avec un mouvement obscur et un sentiment manifeste, telles que celles des sens, soit externes, soit internes.

Après cette digression que nous avons cru nécessaire pour l'intelligence du système de M. de Bordeu, nous allons passer tout de suite au mécanisme des secrétions et des excrétions.

Nous commencerons, en suivant le plan de l'auteur, par l'excrétion, comme paraissant plus du ressort de l'Anatomie, et dont les auteurs n'ont parlé que très - succinctement. Tous les Physiologistes avaient cru et enseigné jusqu'ici que les organes secrétoires se vuidaient à proportion qu'ils étaient comprimés, c'est-à-dire que l'excrétion était l'effet de la compression. Il est vrai que quelques auteurs avaient parlé de l'irritation, mais d'une manière vague ; ils ne la regardaient même que comme une cause subsidiaire. Enfin M. de Bordeu démontre par des expériences et des dissections très-curieuses, que la plupart des glandes sont situées de manière à ne pouvoir être comprimées dans aucun cas par les parties environnantes ; on sent en effet quels inconvénients résulteraient de cette compression, dont l'endurcissement et le rappetissement des glandes seraient le moindre. La glande parotide, qu'on allegue comme l'exemple et la preuve la plus sensible de cette compression, est à l'abri de tous les agens à l'action desquels on veut qu'elle soit exposée. Une légère inspection anatomique des parties en dit plus que tous les raisonnements ; nous remarquerons seulement que l'espace entre l'angle de la mâchoire et l'éminence mastoïde dans lequel est logée une grande partie de la glande, augmente par l'abaissement de la mâchoire, ainsi qu'un célèbre anatomiste l'a démontré dans les mémoires de l'académie des Sciences, et qu'on peut l'éprouver sur soi-même ; à l'égard des muscles, il n'y a que le masseter qui mérite quelque attention, non point par rapport à la glande qui ne porte pas sur ce muscle autant qu'on pourrait le croire, mais par rapport au conduit de Stenon qui rampe dessus. Enfin la peau qu'on renforcera, si l'on veut, de quelques fibres du muscle peaucier, est toujours au même point de laxité dans les divers mouvements de la mâchoire. Les expériences qu'on a faites sur les cadavres pouvant ne pas paraitre suffisantes, en voici sur le vivant.

" Un homme avait sur la peau qui recouvre la parotide, une tumeur qui la tendait extrêmement, et qui comprimait certainement la glande ; cependant il avait la bouche seche du côté de la tumeur : pourquoi, si la compression favorisait l'excrétion ?

On pria un malade qui salivait d'appuyer sa tête sur sa main, après avoir placé son coude sur une table ; la main portait sur le corps de la parotide, et nous l'avions placé de façon que le conduit ne fût pas comprimé ; la salive, loin de sortir avec plus de force, était retenue ".

Parcourez les autres organes secrétoires l'un après l'autre, par-tout vous reconnoitrez l'impossibilité de cette action mécanique sur eux, il n'y a guère que les amygdales et quelqu'autres glandes simples qui soient dans le cas d'exception, c'est-à-dire qui demandent à être plus ou moins comprimées, toutes ces différences sont renfermées dans une division des excrétions en actives, en passives et en mixtes, imitée de Stahl.

Quelle est donc la cause de l'excrétion ? C'est la vie de l'organe, dont nous parlions plus haut, sa sensibilité par la présence des nerfs, son action propre que certaines circonstances augmentent, comme les irritations, les secousses et les dispositions des vaisseaux : " ces circonstances ou ces changements paraissent les uns mieux que les autres dans certains organes, mais ils sont nécessaires pour l'excrétion qui dépend principalement d'une espèce de convulsion, d'état spasmodique, que nous appellerons érection ". Par ce dernier terme métaphorique il faut entendre la disposition d'un organe qui s'apprête à faire l'érection, une sorte de boursoufflement singulier, ou un surcrait de force qui arrive à l'organe ; tel est le spasme des parties qui concourent à l'excrétion de la semence. Cette expression après tout ne doit pas paraitre si étrange ; n'a-t-on pas dit que les trompes de Fallope se roidissaient, s'érigeaient pour empoigner l'œuf au sortir des ovaires ? Kusner a Ve les papilles nerveuses de la langue s'ériger dans la gustation ; l'érection est donc la disposition préparatoire à l'excrétion d'une glande, c'est l'instant de son reveil ; les nerfs étant comme engourdis dans un organe relâché, ont besoin d'une nouvelle force qui les excite ; l'organe vit toujours sans-doute, mais il lui faut cette augmentation de vie pour le disposer à une fonction. " Ainsi un homme qui sort d'un profond sommeil a les yeux ouverts pendant un certain temps, et ne voit pas les objets distinctement, à-moins que les rayons de lumière n'aient excité, pour ainsi dire, et reveillé sa rétine. On peut aisément appliquer à l'oreille ce que nous disons de l'oeil.

On sent même que dans ce qui regarde le tact, l'organe est d'abord excité par la solidité en général, avant qu'il puisse distinguer tel ou tel objet.

Il y a dans chaque sensation particulière une espèce de sensation générale, qui est, pour ainsi parler, une base sur laquelle les autres sensations s'établissent ".

Les changements qui arrivent à la glande se communiquent encore au conduit secrétoire, il s'érige à son tour, de tortueux ou de flasque qu'il était, il devient un canal droit ou roide, il se redresse sur lui-même en s'épanouissant ou élargissant ses parois pour faciliter la sortie des humeurs ; il en est de même que des conduits lactiferes qui se redressent quelquefois d'eux-mêmes en lançant de petits jets de lait au moindre spasme procuré aux mamelles par quelques légers chatouillements, ou par un sentiment voluptueux.

Il faut donc croire que l'irritation, les secousses, contribuent à augmenter dans l'organe cette vie qui les rend propres à l'excrétion. Un corps solide appliqué sur la langue, mâché ou roulé dans la bouche, produira sans-doute par les mêmes moyens l'écoulement de la salive ; dans la luxation de la mâchoire il en coulera beaucoup encore ; mais dans tout cela on ne voit pas la moindre trace de compression ; c'est toujours à l'activité de l'organe, à sa sensibilité qu'il faut s'en tenir comme à la cause première ou dominante ; et on ne voit pas comment le célèbre M. de Haller a pu reconnaître dans quelques-uns de ces moyens subsidiaires de quoi infirmer des principes aussi solidement établis.

Ce que nous venons de rapporter de l'excrétion a dû prévenir sur ce que nous avons à dire touchant le mécanisme de la secrétion. Cette fonction est encore l'ouvrage des nerfs, ou, pour mieux dire, de la sensibilité ; on a même sur cette opinion l'assertion de quelques auteurs d'un grand nom. La quantité des nerfs qui se distribuent à tout le corps glanduleux a surpris les Physiologistes et les Anatomistes. L'exclusion qu'on veut donner à la thyroïde et au thymus, formerait-elle une si forte présomption contre ce système ? On avoue, et c'est toujours beaucoup, que quelques nerfs se répandent sur la thyroïde ; on peut donc croire, jusqu'à ce qu'on ait démontré le contraire, qu'il s'en échappe quelques filets imperceptibles dans la substance de la glande, qui suffisent pour la vie et l'action de l'organe ; car après tout, cette glande vit comme les autres. Au surplus, a-t-on bien examiné s'il ne rampe pas encore quelques fibrilles nerveuses dans le tissu même des vaisseaux ? Cette dernière raison, nous pourrions l'alléguer à l'égard du thymus ; cette masse glanduleuse, independamment de son artère, reçoit des rameaux de la mammaire interne et de l'intercostale supérieure, elle est appuyée sur les gros vaisseaux de la poitrine ; voilà qui pourrait suffire dans le foetus ; mais d'ailleurs c'est un organe de la classe des passifs, il se flétrit et s'exténue tous les jours, et la nature semble se refuser à sa nourriture dans l'adulte.

Cette mobilité, cette action de la part de chaque organe se manifestent aisément par l'histoire des maladies qui servent à merveille à découvrir ce que l'état de santé ne fait point apercevoir par l'habitude des différentes façons d'être que les parties prennent entr'elles dans l'état de santé ; les modifications qu'elles impriment au pouls dans tous les temps d'irritation ou de crise les rendent enfin de la dernière évidence. Voyez POULS.

C'est donc toujours une érection, un apprêt de la part de la glande dans la secrétion comme dans l'excrétion ; les nerfs reveillés, irrités la redressent, et par l'orgasme qu'ils occasionnent à ses vaisseaux, en font comme un centre particulier qui attire à lui une plus grande quantité d'humeurs. Tel est l'effet d'une ventouse. Si cet état d'irritation ou de spasme était poussé trop loin, il diminuerait les secrétions en rétrecissant les vaisseaux, comme cela arrive dans plusieurs cas. En argumentant de ce raptus des humeurs vers un organe actuellement en fonction, on voit qu'on ne saurait concevoir le séjour des humeurs dans la plupart des glandes, tel que se le représentent les Physiologistes ; et l'on est porté à croire que la secrétion et l'excrétion doivent, dans beaucoup de circonstances, n'être qu'une seule et même fonction. Il n'y a qu'à jeter les yeux sur la parotide qui ne fournit jamais plus de salive que lorsqu'elle est plus agacée ou irritée. On a Ve mouiller de cette salive jusqu'à trois serviettes dans un repas. On ne saurait supposer que ces excrétions excessives ne soient que les résultats de plusieurs secrétions accumulées. Il est tout simple, par ce que nous avons dit, que tout organe irrité fait corps à part, qu'il se satisfait, pour ainsi parler, aux dépens des autres ; il y aborde une plus grande quantité de sang qu'à l'ordinaire, donc la secrétion en doit être augmentée ; ce sont comme plusieurs secrétions et excrétions ajoutées coup-sur-coup les unes aux autres dans le même organe. C'est encore ici le cas de se servir de la division en actives et en passives ; dans la secrétion active l'organe rejette autant d'humeur qu'il en reçoit ; dans la passive cette humeur s'accumule dans le follicule, et attend pour en sortir des circonstances qui mettent l'organe en jeu.

Nous voici enfin arrivés à la principale difficulté, qui consiste à savoir pourquoi la même glande sépare constamment la même humeur. Cette explication se déduit du même principe, c'est-à-dire de la sensibilité, mais de la sensibilité spécifique dans chaque organe ; cette sensibilité spécifique opère une espèce de choix. " Les parties propres à exciter telle sensation passeront, et les autres seront rejetées ; chaque glande, chaque orifice aura, pour ainsi dire, son goût particulier ; tout ce qu'il y aura d'étranger sera rejeté pour l'ordinaire.

La tension que les chatouillements et les petites irritations proportionnées au ton du nerf procureront sera la secrétion ; le sphincter de chaque orifice dirigé par des nerfs, pour ainsi parler, attentifs et insensibles à tout ce qui ne les regarde point, ne laissera passer que ce qui aura donné de bonnes preuves ; tout sera arrêté, le bon sera pris, et le mauvais sera renvoyé ailleurs ".

Ce gout, cet appétit des organes était connu des anciens, comme nous l'avons déjà observé ; cette théorie est également adoptée par un illustre écrivain dans son essai physique sur l'économie animale. En effet, chaque partie a son sentiment, son goût qui lui est propre, de même que ses aversions : l'émétique, qui ne se fait presque pas sentir sur les yeux, cause des sensations très-desagréables, des irritations extraordinaires à l'estomac, qui s'efforce sans perte de temps à le rejeter, tandis qu'il retient, il attire, il souhaite, pour ainsi dire, des aliments et même des médicaments analogues à sa sensibilité : l'huile, que les yeux ne peuvent supporter, ne fait rien sur l'estomac ; le chyle est comme sucé par les vaisseaux lactés, de sorte que son passage dans ces vaisseaux est une véritable image de la secrétion, et peut-être est-ce réellement là une secrétion. Qu'on n'exige pas autrement de nous une analyse de cette sensibilité, de ce goût dans les organes, nous croyons que c'est une chose inexplicable, et nous nous défions avec un ancien (Dioclès), de ceux qui prétendent tout expliquer ; les phénomènes sont vrais, et cela nous suffit.

Les glandes, avons-nous dit, agissent pour faire leur excrétion, mais il est des temps où elles n'agissent point, leur action est comme périodique. Quelques organes attendent encore pour devenir secrétoires, c'est-à-dire pour travailler à la secrétion, des temps marqués par la nature.

Les secrétions et les excrétions peuvent être plus ou moins augmentées ou diminuées par l'effet des passions ; il n'y a qu'à voir ce qui se passe chez les mélancoliqués. Elles sont suspendues par le sommeil, par l'action de l'opium, etc. On en suspend certaines en agissant sur les nerfs des parties éloignées de celles dont on veut diminuer l'action ; mais c'est surtout par la fièvre que ces fonctions sont arrêtées : il est même des maladies terribles produites par ce dérangement : de sorte que rétablir ou renouveller ces fonctions, c'est-là proprement que consiste l'art de guérir. Il arrive encore des anomalies, des bizarreries même dans les secrétions, comme par exemple, le passage de l'urine dans les glandes de l'estomac et de la bouche ; il est vraisemblable que ces états contre nature sont causés par le goût perverti des organes, par une indisposition singulière de leurs nerfs.

Les excrétions ne sont pas un objet moins intéressant pour le praticien, toute maladie pouvant être regardée comme consistant dans un effort des organes qui travaillent à une excrétion. Les excrétions peuvent être critiques ou non critiques, abondantes ou en très-petite quantité ; mais c'est principalement la qualité des matières qui mérite le plus d'attention par rapport aux pronostics.

L'effet des médicaments est encore du ressort de la secrétion et de l'excrétion, il est toujours subordonné au sentiment et à la mobilité des organes dont ces médicaments augmentent ou diminuent le ton et le jeu ; c'est d'après ces circonstances qu'un même remède peut devenir évacuant ou astringent, etc. la salivation par le mercure dépend des mêmes causes ; les glandes salivaires sont par leur état, leur disposition, plus irritées, plus agitées que les autres, c'est pourquoi le mercure qui est si divisible, se porte plus vers elles ; mais elles le cedent à un organe dont l'activité, l'irritation l'emportent ; ainsi en purgeant beaucoup un malade, les médecins suppriment la salivation. Par-là on pourrait encore rendre raison de la vertu des spécifiques, pourvu toutefois que sans recourir à des insinuations de particules, à des affinités, et à mille autres fictions de cette espèce, on considère qu'il est des organes qui ont un plus grand département les uns que les autres, un influx plus général, une action plus étendue et qui en intéresse un grand nombre d'autres. Tel est, par exemple, l'estomac, avec le mouvement duquel la marche, le temps, l'ordre des secrétions ont un rapport manifeste ; et certes il est plus clair que le jour, que les forces épigastriques sont fort employées dans les différentes secrétions. Cet article est de M. FOUQUET, docteur en l'université de Médecine de Montpellier, et médecin dans la même ville.