S. f. (terme de Chirurgie) tumeur contre nature produite par le déplacement de quelques-unes des parties molles qui sont contenues dans la capacité du bas-ventre.

La différence des hernies se tire des parties contenantes par où elles se font, et de la nature des parties contenues qui sont déplacées.

Par rapport aux endroits de la circonférence du bas-ventre par lesquels les parties s'échappent, lorsque la tumeur se manifeste à l'ombilic, soit que les parties ayant passé par cette ouverture, soit qu'elles se soient fait une issue à côté, on la nomme hernie ombilicale ou exomphale.

Les hernies qui paraissent dans le pli de l'aine, parce que les parties ont passé dans l'anneau de l'oblique externe, s'appellent bubonoceles, hernies inguinales, ou incomplete s. Si les parties qui forment la tumeur dans le pli de l'aine descendent aux hommes jusque dans le scrotum, et aux femmes jusque dans les grandes lèvres, l'hernie s'appelle complete et oschéocele. On donne le nom d'hernies crurales à celles qui paraissent au pli de la cuisse le long des vaisseaux cruraux, par le passage des parties sous le ligament de Fallope. Ces hernies sont plus communes aux femmes qu'aux hommes ; voyez-en la raison au mot BUBONOCELE.

Les tumeurs herniaires qui se manifestent au-dessous du pubis, proche les attaches des muscles triceps superieurs et pectineus, s'appellent hernies du trou ovalaire, parce que les parties ont passé par cette ouverture. M. de Garengeot donne des observations sur cette hernie et sur celle par le vagin, dans le premier volume des Mem. de l'Académie royale de Chirurgie.

Enfin les hernies qui sont situées à la région antérieure, ou à la région postérieure de l'abdomen depuis les fausses côtes jusqu'à l'ombilic, et depuis l'ombilic jusqu'aux of des îles, s'appellent en général hernies ventrales.

Par rapport aux parties qui forment les descentes, on leur donne différents noms. On appelle hernies de l'estomac celles où ce viscère passe par un écartement contre nature de la ligne blanche au-dessous du cartilage xiphoïde. On trouve dans le premier volume des Mém. de l'Acad. Royale de Chirurgie, une observation très-importante sur cette maladie, par M. de Garengeot.

Les exomphales formées par l'épiploon seul, se nomment épiplomphales ; celles qui sont formées par l'intestin se nomment entéromphales ; celles qui sont formées par l'intestin et l'épiploon, se nomment entéro-épiplomphales.

Les hernies inguinales formées par l'intestin seul, s'appellent entéroceles ; celles qui sont formées par l'épiploon, s'appellent épiploceles ; enfin celles qui sont formées par la vessie, se nomment hernies de vessie. M. Verdier a donné deux mémoires fort intéressants sur les hernies de vessie. Il les a réunis en une dissertation fort intéressante qu'on trouve dans le sécond tome des Mémoires de l'Académie royale de Chirurgie.

On distingue les hernies en celles qui se font par rupture, et en celles qui se font par l'extension et l'allongement du péritoine. Dans ce second cas, qui est sans contredit le plus ordinaire, et que quelques-uns craient le seul possible, le péritoine enveloppe les parties contenues dans la tumeur, et on appelle cette portion membraneuse, sac herniaire. Les hernies de vessie n'ont point ce sac, parce que la vessie est hors du péritoine.

On distingue encore les hernies en simples, en composées et en compliquées. La hernie simple est formée d'une seule partie, elle rentre aisément et totalement ; la hernie composée ne diffère de la simple, que parce qu'elle est formée de plusieurs parties. On appelle hernie compliquée celle qui est accompagnée de quelque accident particulier, ou de quelque maladie des parties voisines.

L'adhérence des parties sorties, leur étranglement par l'anneau ou par l'entrée du sac herniaire, leur inflammation et leur pourriture, sont les accidents qui peuvent accompagner les hernies.

Les abscès, le varicocele, le pneumatocele, le sarcocele, l'hydrocele aux hernies inguinales ; l'hydromphale, le pneumatomphale, le sarcomphale, le varicomphale aux hernies ombilicales, sont autant de maladies qui peuvent les compliquer.

Les causes des hernies viennent du relâchement et de l'affoiblissement des parties qui composent le bas-ventre, et de tout ce qui est capable de retrécir sa capacité.

La structure des parties contenantes, et le mouvement mécanique des muscles, peuvent être regardés comme des dispositions naturelles à la formation des hernies.

Le relâchement et l'affoiblissement des parties, sont occasionnés par l'usage habituel d'aliments gras et huileux, par une sérosité abondante, par l'hydropisie, par la grossesse, par la rétention d'urine, par les vents, etc.

Les fortes pressions faites sur le ventre par des corps étrangers, et même par un habit trop étroit, les chutes, les coups violents, les efforts et les secousses considérables, les toux et les cris continuels, les exercices du cheval et des instruments à vent, les respirations violentes et forcées, en retrécissant la capacité du bas-ventre, et en comprimant les parties qui y sont contenues, peuvent les obliger à s'échapper, soit tout-à-coup, soit petit-à-petit, par quelque endroit de la circonférence du bas-ventre, où elles trouvent moins de résistance.

On doit ajouter à ces causes les plaies du bas-ventre, principalement les pénétrantes : car le péritoine divisé ne se réunit que par récolement, et par conséquent les parties peuvent facilement s'échapper par l'endroit qui a été percé, et qui reste plus faible.

Les signes des hernies sont diagnostics et pronostics. Les diagnostics font connaître quelle est l'espèce de hernie. Les yeux suffisent pour en connaître la situation : il n'y a de difficulté qu'à juger si elles sont simples, ou composées, ou compliquées.

L'hernie simple forme une tumeur molle, sans inflammation ni changement de couleur à la peau, et qui disparait lorsque le malade est couché de manière que les muscles de l'abdomen sont dans le relâchement, ou lorsqu'on la comprime légérement, après avoir mis le malade dans une situation convenable. Si l'on applique le doigt sur l'ouverture qui donne passage aux parties, on sent leurs impulsions quand le malade tousse. Toutes ces circonstances désignent en général une hernie simple.

La tumeur formée par l'intestin est ronde, molle, égale, et rentre assez promptement en faisant un petit bruit.

La tumeur formée par l'épiploon n'est pas si ronde, ni si égale, ni si molle, et ne rentre que peu-à-peu sans faire de bruit.

La tumeur formée par une portion de la vessie déplacée, disparait toutes les fois que le malade a uriné, ou qu'on la comprime en l'élevant légérement, parce que l'urine contenue dans la portion déplacée tombe alors dans l'autre.

On conçoit facilement que les tumeurs herniaires composées, c'est-à-dire, formées de deux ou trois sortes de parties en même temps, doivent présenter les signes des différentes espèces d'hernie simple.

Lorsque les hernies sont compliquées d'adhérence seulement, ce qui les forme ne rentre pas du tout, ou ne rentre qu'en partie.

Lorsqu'elles sont compliquées d'étranglement, les parties sorties ne rentrent point ordinairement : l'inflammation y survient par l'augmentation de leur volume, qui ne se trouve plus en proportion avec le diamètre des parties qui donnent le passage, et qui par-là sont censées retrécies, quoiqu'elles ne le soient que relativement. Ce retrécissement occasionne la compression des parties contenues dans la tumeur, et empêche la circulation des liqueurs. Delà viennent successivement la tension, l'inflammation et la douleur de la tumeur et de tout le ventre ; le hoquet, le vomissement d'abord de ce qui est contenu dans l'estomac, et puis de matières chyleuses et d'excréments ; la fièvre, les agitations convulsives du corps, la concentration du pouls, le froid des extrémités, et enfin la mort si l'on n'y remédie.

J'ai dit que les parties étranglées ne rentraient point ordinairement : la restriction de cette proposition est fondée sur plusieurs observations d'hernies, dont on a fait la réduction sans avoir détruit l'étranglement. Il vient alors de la portion du péritoine qui était entre les piliers de l'anneau, laquelle par son inflammation forme un bourrelet qui étrangle l'intestin, lors même qu'il a été replacé dans la capacité du bas-ventre. Dans ce cas, les accidents subsistent. Il faut faire tousser le malade, ou l'agiter de façon que l'hernie puisse reparaitre, afin d'en faire l'opération. Si l'on ne peut réussir à faire redescendre les parties, on doit faire une incision sur l'anneau, le dilater, ouvrir le sac herniaire, et débrider l'étranglement de l'intestin. On la fait avec succès ; c'est une opération hardie, mais elle n'est point téméraire. On trouvera des observations de ces cas dans la suite des volumes de l'académie royale de Chirurgie. Il y en a une dans le premier tome, communiquée par M. de la Peyronie, sur l'étranglement intérieur de l'intestin par une bride de l'épiploon.

Lorsque les hernies sont compliquées de la pourriture des parties sorties, tous les symptômes d'étranglement, dont on vient de parler, diminuent, le malade parait dans une espèce de calme, et l'impression du doigt faite sur la tumeur y reste comme dans de la pâte.

On reconnait que les hernies sont compliquées de différentes maladies dont on a parlé, aux signes de ces maladies joints à ceux de l'hernie simple ou composée.

Les signes pronostics des hernies se tirent de leur volume, de l'âge du malade, du temps que l'hernie a été à se former, des causes qui l'ont produite, du lieu qu'elle occupe, de sa simplicité, de sa composition et de sa complication.

La cure des hernies consiste dans la réduction des parties sorties, et à empêcher qu'elles ne sortent de nouveau. Il est assez facîle de réduire les hernies simples et composées. Voyez REDUCTION.

Dans les hernies compliquées, on doit agir différemment suivant la différence des complications. Lorsque l'hernie est compliquée de l'adhérence des parties, en certains points ; si ce qu'on n'a pu faire rentrer à cause de l'adhérence n'est point considérable, on fait porter au malade un brayer qui ait un enfoncement capable de contenir seulement les parties adhérentes, et dont les rebords puissent empêcher les autres parties de s'échapper ; voyez BRAYER. Mais quand ce qui reste au-dehors est fort considérable, on se contente de mettre un bandage suspensoire qui soutient les parties. Voyez SUSPENSOIRE.

Quant aux hernies compliquées d'étranglement et des accidents qui les suivent ; les saignées, les cataplasmes et les lavements anodyns et émolliens, les potions huileuses et la bonne situation dissipent quelquefois l'inflammation, et permettent la réduction des parties. Mais si ces remèdes sont inutiles ; si les accidents subsistent toujours, on fait une opération qui consiste à pincer la peau qui recouvre la tumeur ; le chirurgien fait prendre par un aide la portion qu'il pinçait avec les doigts de la main droite ; il prend un bistouri droit avec lequel il incise ce pli de peau. Il continue l'incision jusqu'à la partie inférieure de la tumeur, en coulant le dos du bistouri dans la cannelure d'une sonde qu'il a glissée auparavant sous la peau dans les cellules graisseuses. La peau ainsi incisée dans toute l'étendue de la tumeur, il s'agit d'ouvrir le sac herniaire (Voyez fig. 6. Pl. VI.) ; ce qui se fait aisément avec le bistouri, dont on porte le tranchant horizontalement, de crainte de blesser les parties contenues dans le sac. Pour faire cette section, on pince le sac latéralement à la partie inférieure de la tumeur, ou on le soulève avec une hérigne : quand le sac est ouvert à sa partie inférieure, on passe la branche boutonnée ou mousse d'une paire de ciseaux droits ou courbes, on coupe le sac jusqu'à l'anneau, et on met par-là les parties à découvert (Voyez fig. 4. Pl. V.) Il n'est pas difficîle de les réduire. On le fait souvent sans débrider l'anneau ; si l'on y est obligé, on passe le long des parties une sonde cannelée jusques dans le ventre, on la porte ensuite à droite et à gauche par de petits mouvements pour être assuré qu'elle ne pince aucune partie, et l'on coule dans sa cannelure un bistouri courbe tranchant sur la convexité ; c'est le meilleur instrument pour dilater l'anneau, voyez BISTOURI HERNIAIRE. Quelques praticiens ne se servent point de la sonde, mais d'un bistouri boutonné qu'on fait glisser le long du doigt indicateur gauche, dont l'extrémité est engagée à l'entrée de l'anneau. C'est un des moyens les plus assurés de dilater l'anneau, et de mettre les parties étranglées à l'abri du tranchant du bistouri. La présence de l'épiploon demande des attentions particulières, dont nous parlerons au mot LIGATURE.

Après la réduction des parties on met sur l'anneau une pelote de linge remplie de charpie fine ; on remplit la plaie de charpie, on la soutient avec des compresses, on fait une embrocation avec l'huîle rosat sur toutes les parties environnantes, et principalement sur le ventre, et on applique le bandage convenable. Le détail de ces sortes de choses est grand, et tous les auteurs de Chirurgie satisfont sur cette matière.

Ils ont moins bien traité ce qui regarde la cure des hernies avec gangrene. Lorsque l'hernie reste trop longtemps étranglée, les parties tombent en mortification. Mais quelque dangereux que paraisse l'accident de la gangrene dans les hernies, il y a des exemples, et même en assez grand nombre, de personnes qui en ont été guéries très-heureusement. La pratique des anciens était très-bornée sur ce point ; il parait que l'art a été en défaut à cet égard jusqu'au commencement de ce siècle : on attendait tout des ressources de la nature ; et il est vrai qu'il y a des circonstances si favorables, qu'on pourrait lui abandonner entièrement le soin de la cure, mais il y en a d'autres où cette confiance serait très-dangereuse. La gangrene de l'intestin exige quelquefois les procedés les plus délicats : la vie du malade peut dépendre du discernement du chirurgien dans le choix des différents moyens qui se sont multipliés par les progrès de l'art, et dont l'application, pour être heureuse, doit être faite avec autant d'intelligence que d'habileté.

Le malade peut être en différents cas qu'il est très-important de distinguer, parce qu'ils ont chacun leurs indications différentes. Le premier cas, c'est lorsque l'intestin n'est pincé que dans une petite surface. Ce cas ne demande du chirurgien que des attentions qui ne sortent point des règles connues. Les symptômes d'un tel étranglement n'étant pas à beaucoup près si graves ni si violents que dans l'hernie, où tout le diamètre de l'intestin est compris, il n'est pas étonnant que les personnes peu délicates, ou celles qu'une fausse honte retient, ne se déterminent pas à demander du secours dans le temps où il serait possible de prévenir la gangrene. Les malades ne souffrent ordinairement que quelques douleurs de colique, il survient des nausées et des vomissements ; mais le cours des matières n'étant pas pour l'ordinaire interrompu, ces symptômes peuvent paraitre ne pas mériter une grande attention. La négligence des secours nécessaires donne lieu à l'inflammation de la portion pincée de l'intestin, et elle tombe bientôt en pourriture. L'inflammation et la gangrene gagnent successivement le sac herniaire et les téguments qui le recouvrent : on voit enfin les matières stercorales se faire jour à-travers la peau, qui est gangrenée dans une étendue circonscrite plus ou moins grande, suivant que les matières qui sont sorties du canal intestinal se sont insinuées plus ou moins dans les cellules graisseuses ; ainsi l'on ne doit point juger du désordre intérieur par l'étendue de la pourriture au-dehors. Quoique ce soient les ravages qu'elle a faits extérieurement qui frappent le plus le vulgaire, ces apparences ne rendent pas le cas fort grave, et les secours de l'art se réduisent alors à emporter les lambeaux de toutes les parties atteintes de pourriture sans toucher aux parties saines circonvoisines : on procure ensuite, par l'usage des médicaments convenables, la suppuration qui doit détacher le reste des parties putréfiées ; on s'applique enfin à déterger l'ulcère, et il n'est pas difficîle d'en obtenir la parfaite consolidation.

La liberté du cours des matières stercorales par la continuité du canal intestinal, pendant que l'intestin est étranglé, est un signe manifeste qu'il ne l'est que dans une portion de son diamètre : on en juge par la facilité avec laquelle le malade Ve à la selle. Il est bon d'observer que ces déjections pourraient être supprimées sans qu'on put en conclure que tout le diamètre de l'intestin est étranglé ; de même, le vomissement des matières stercorales qui a toujours passé pour un autre signe caractéristique de l'étranglement de tout le diamètre de l'intestin, ne doit pas passer pour absolument décisif, puisqu'on l'a observé dans des hernies où l'intestin n'était que pincé.

Dans l'opération par laquelle on emporte les lambeaux gangréneux, il ne faut pas dilater l'anneau. Ce serait mettre obstacle aux heureuses dispositions de la nature ; et l'on s'abuserait fort, en croyant remplir un précepte de Chirurgie dans la dilatation de l'anneau, lorsque l'intestin gangréné a contracté des adhérences, comme cela est presque toujours, et même nécessairement dans le cas dont il s'agit. La dilatation n'est recommandée en général dans l'opération de l'hernie que pour faciliter la réduction des parties étranglées. Dans l'hernie avec pourriture et adhérence, il n'y a point de réduction à faire, et il n'y a plus d'étranglement. La crevasse de l'intestin et la liberté de l'excrétion des matières fécales qui en est l'effet, ont fait cesser tous les accidents qui dépendaient de l'étranglement. La dilatation de l'anneau n'est plus indiquée, et elle peut devenir nuisible ; l'incision peut détruire imprudemment un point d'adhérence essentiel, et donner lieu à l'épanchement des matières stercorales dans la cavité du ventre : il peut au moins en résulter une moindre résistance à l'écoulement des matières par la plaie, et par conséquent une plus grande difficulté au rétablissement de leur passage par la voie naturelle ; ce qui est peu favorable à la guérison radicale.

L'expérience a montré que rien ne la favorise plus que l'usage des lavements, et même quelquefois celui des purgatifs minoratifs, lorsqu'il y a de l'embarras dans les glandes du canal intestinal. Il faut en procurer le dégorgement de bonne heure, afin d'éviter les déchirements qu'il produirait, lorsqu'il est trop tardif, sur la plaie dont la consolidation est commencée, ou a déjà fait quelques progrès. On peut voir à ce sujet les observations sur la cure des hernies avec gangrene, dans le troisième tome des mémoires de l'académie royale de Chirurgie.

Le second cas est celui où l'intestin est pincé dans tout son diamètre. La disposition de l'intestin réglera la conduite que le chirurgien doit tenir dans ce cas épineux. Si l'intestin était libre et sans adhérence, ce qui doit être extraordinairement rare dans le cas supposé, il faudrait se comporter comme on le ferait si l'on avait été obligé de retrancher une portion plus ou moins longue de l'intestin gangréné, formant une anse libre dans le sac herniaire. Ce point de pratique sera discuté dans un instant. Mais si des adhérences de l'intestin mettent le chirurgien dans l'impossibilité d'en rapprocher les orifices d'une façon qui puisse faire espérer une réunion exemte de tout risque ; si la nature, aidée des secours de l'art, ne parait pas disposée à faire reprendre librement et avec facilité le cours aux matières par les voies ordinaires, il faudra nécessairement, si l'on veut mettre la vie du malade en sûreté, procurer un nouvel anus par la portion de l'intestin qui répond à l'estomac. Plusieurs faits judicieusement observés, montrent les avantages de ce précepte, et le danger de la conduite contraire.

Dans le troisième cas, l'intestin forme une anse libre dans l'anneau : s'il est attaqué de gangrene, sans apparence qu'il puisse se revivifier par la chaleur naturelle après sa réduction dans le ventre, il serait dangereux de l'y replacer. Le malade périrait par l'épanchement des matières stercorales dans la cavité de l'abdomen, il faut donc couper la portion gangrénée de l'intestin. Voici quelle était la pratique autorisée dans un cas pareil : on liait la portion intestinale qui répond à l'anus ; et en assujettissant dans la plaie avec le plus grand soin le bout de l'intestin qui répond à l'estomac, on procurait dans cet endroit un anus nouveau, que les auteurs ont nommé anus artificiel, c'est-à-dire une issue permanente pour la décharge continuelle des excréments. Des observations plus récentes, dont la première a été fournie par M. de la Peyronie en 1723, nous ont appris qu'en retenant les deux bouts de l'intestin dans la plaie, on pouvait obtenir leur réunion, et guérir le malade par le rétablissement de la route naturelle des matières fécales. Malheureusement les guérisons qui se sont faites ainsi, et qu'on a regardées comme une merveille de l'art, n'ont point été durables. Les malades tourmentés après leur guerison par des coliques qu'excitaient les matières retenues par le rétrécissement du canal à l'endroit de la cicatrice, sont morts par la crevasse de l'intestin, qui a permis l'épanchement des matières dans la capacité du bas-ventre, en sorte que la cure par l'anus artificiel aurait été beaucoup plus sure, et l'on peut dire qu'elle est certaine ; et que par l'autre procédé, la mort est presque nécessairement déterminée par les circonstances désavantageuses qui accompagnent une cure brillante et trompeuse.

L'art peut cependant venir utilement au secours de la nature dans ce cas. Il y a une méthode de réunir sur le champ les deux bouts de l'intestin libre, dont on a retranché la partie gangrénée, et sans qu'il reste exposé au danger de se retrécir, comme dans la réunion qu'on n'obtient qu'à la longue par le resserrement de la cicatrice extérieure. Nous devons cette méthode à l'industrie de M. Ramdohr, chirurgien du duc de Brunswick. Après avoir amputé environ la longueur de deux pieds du canal intestinal, avec une portion du mésentère, gangrénée dans une hernie ; il engagea la portion supérieure de l'intestin dans l'inférieure ; et il les maintint ainsi par un point d'aiguille auprès de l'anneau. Les excréments cessèrent dès lors de passer par la playe, et prirent leur cours ordinaire par l'anus. La personne guérit en très-peu de temps : cette méthode excellente parait susceptible de quelque perfection : elle ne convient que dans le cas où l'intestin est libre et sans aucune adhérence, mais il y a des précautions à prendre pour en assurer le succès, et quoique l'auteur ne les ait point prises et qu'il ait parfaitement réussi, il parait raisonnable et nécessaire de les proposer.

Il est important que ce soit la portion supérieure de l'intestin qui soit insinuée dans l'inférieure : cette attention doit décider de la réussite de l'opération ; or il n'est pas toujours facîle de distinguer d'abord, et dans tous les cas, quelle est précisément la portion de l'intestin qui répond à l'estomac, et quelle est celle qui conduit à l'anus. Cette difficulté n'est point un motif pour rejeter une opération dont la première tentative a été si heureuse, et qui nous promet d'autres succès. Il est à propos de retenir d'abord les deux bouts de l'intestin dans la playe, et de ne proceder à leur réunion qu'après avoir laissé passer quelques heures. Pendant ce temps, on fera prendre de l'huîle d'amandes douces au malade, et on fomentera l'intestin avec du vin chaud, afin de conserver sa chaleur et l'élasticité naturelle. Ce délai parait absolument nécessaire, non-seulement pour connaître sans risque de se méprendre quelle est précisément la partie supérieure de l'intestin, mais encore pour la sûreté de la réunion ; parce qu'il prouve le dégorgement des matières que l'étranglement a retenues dans le canal intestinal, depuis l'estomac jusqu'à l'ouverture de l'intestin. Il est bien plus avantageux que ce dégorgement se fasse par la playe, que d'exposer la partie réunie par l'insertion des deux bouts de l'intestin à donner passage à ces matières, et à leur laisser parcourir toute la route qui doit les conduire à l'anus. Quoique M. Ramdohr ne parle pas de la ligature des artères méséraïques, dont les ramifications se distribuaient à la portion de l'intestin qu'il a coupé, comme l'hémorrhagie pourrait avoir lieu dans d'autres cas, au moins par les vaisseaux de la partie saine, dans laquelle on fait la section qui doit retrancher le boyau pourri, il est de la prudence de faire un double nœud sur la portion du mésentère, qui formera le pli par lequel les portions de l'intestin doivent être retenues et fixées dans la situation convenable.

Il nous reste à parler d'un quatrième cas d'hernie avec gangrene, où l'intestin forme une anse qui est adhérente tombée en pourriture, et qui est à la circonférence interne de l'anneau. Ces adhérences rendent impossible l'insinuation de la partie supérieure de l'intestin dans l'inférieure ; et ce cas parait d'abord ne présenter d'autre ressource que l'établissement d'un anus nouveau dans le pli de l'aine : des observations essentielles ont montré les ressources de la nature et de l'art dans un cas aussi critique. La principale a été communiquée à l'académie royale de chirurgie par M. Pipelet l'ainé. Il fit l'opération de l'hernie crurale en 1740 à une femme, à qui il trouva l'intestin gangréné, l'épiploon, le sac herniaire dans une disposition gangréneuse, et toutes ces parties tellement confondues par des adhérences intestines, qu'il n'aurait été ni possible, ni prudent de le détruire. On se contenta de débrider l'arcade crurale, pour mettre les parties à l'aise, et faire cesser l'étranglement. On soutint les forces chancelantes de la malade par des cordiaux : le onzième jour, la portion d'intestin se sépara, elle avait cinq pouces de longueur. Depuis ce moment, les matières stercorales, qui avaient coulé en partie par l'ouverture de l'intestin, et plus encore par le rectum, cessèrent tout-à-coup de passer par cette dernière voie, et prirent absolument leur route par la playe. Il fallait la panser cinq ou six fois en vingt-quatre heures. La playe se détergea ; et au bout de quatre mois, ses parois furent rapprochées au point de ne laisser qu'une ouverture large comme l'extrémité du petit doigt. M. Pipelet crut qu'après un si long espace de temps, les matières fécales continueraient de sortir par ce nouvel anus : il n'espérait ni ne prévoyait rien de plus avantageux pour la malade, lorsque les choses changèrent subitement de face, et d'une manière inopinée. Cette femme qu'on avait tenue à un régime assez sevère, mangea indiscrettement des aliments qui lui donnèrent la colique et la fièvre ; M. Pipelet ayant jugé à propos de la purger avec un verre d'eau de casse et deux onces de manne, fut le témoin d'un événement aussi singulier qu'avantageux. Les matières fécales reprirent dès ce jour leur route vers le rectum, et ne sortirent plus que par les voies naturelles, en sorte que la playe fut parfaitement cicatrisée en douze ou quinze jours : cette femme vit encore, et jouit depuis dix ans d'une bonne santé ; elle a soixante et quinze ans.

Le succès inesperé que M. Pipelet a eu dans cette cure, il l'a dû à la disposition favorable des adhérences que les parties saines de l'intestin avaient contractées entr'elles dans l'intérieur du ventre vis-à-vis de l'arcade. Cette disposition était même annoncée par une circonstance particulière, c'est que les matières fécales n'ont passé entièrement par la playe qu'après la séparation de la portion d'intestin gangréné ; et elle ne s'est faite que le onzième jour de l'opération. Avant ce temps, la plus grande partie des matières avait pris sa route vers le rectum. Il est facîle de concevoir comment un cas aussi grave que l'est communément la gangrene d'une assez grande portion d'intestin étranglée dans une hernie, peut devenir aussi simple que si l'intestin n'avait été que pincé dans une petite portion de son diamètre. Si les deux portions saines de l'intestin contractent dans leur adossement au-dessus de l'anneau une adhérence mutuelle ; il est clair qu'après la séparation de l'anse pendante au-dehors, ces portions réunies formeront un canal continu, qui ne sera ouvert que dans la partie antérieure : et si les bords de cette ouverture sont adhérents de chaque côté à la circonférence de l'anneau, celui-ci, en se resserrant, en fera nécessairement la réunion parfaite. Ces cas se présentent quelquefois pour le bonheur des malades. (Y)