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Catégorie parente: Science de Dieu
Catégorie : Superstition
(Histoire des Superstitions religieuses)

Saepiùs olim

Religio peperit scelerosa, atque impia facta.

Lucret. l. I. Ve 83.

" Depuis longtemps la religion superstitieuse a produit des actions impies et détestables ". La principale est certainement les sacrifices humains faits aux dieux pour leur plaire, ou pour les apaiser. L'histoire nous offre tant de faits contraires à la nature, qu'on serait tenté de les nier s'ils n'étaient prouvés par des autorités incontestables : la raison s'en étonne : l'humanité en frémit : mais comme après un mûr examen la critique n'oppose rien aux témoins qui les attestent, on est réduit à convenir en gémissant qu'il n'y a point d'action atroce que l'homme ne puisse commettre quand le cruel fanatisme arme sa main.

C'est lui qui dans Raba, sur les bords de l'Arnon

Guidait les descendants du malheureux Ammon,

Quand à Moloc leur dieu, des mères gémissantes,

Offraient de leurs enfants les entrailles fumantes.

Il dicta de Jephté le serment inhumain :

Dans le cœur de sa fille il conduisit sa main.

C'est lui qui de Calcas ouvrant le bouche impie,

Demanda par sa voix la mort d'Iphigénie.

France, dans tes forêts il habita longtemps ;

A l'affreux Teutâtes il offrit ton encens !

Tu n'as pas oublié ces sacrés homicides,

Qu'à tes indignes dieux présentaient des druides.

Dans Madrid, dans Lisbonne, il allume ces feux ;

Ces buchers solennels, où des Juifs malheureux

Sont tous les ans en pompe envoyés par des prêtres,

Pour n'avoir point quitté la foi de leurs ancêtres.

Henriade, chant 1.

Cette peinture poétique est tirée des annales de l'histoire qui nous apprennent que les autels des dieux furent autrefois souillés presque en tous lieux par le sang innocent des hommes. La certitude de cet usage est trop bien établie pour qu'on puisse en douter. En matière de faits, les raisonnements ne peuvent rien contre les autorités : les différentes sciences ont chacune leur façon de procéder à la recherche des vérités qui sont de leur ressort, et l'histoire, comme les autres, a ses démonstrations. Les témoignages unanimes d'auteurs graves, contemporains, désintéressés, dont on ne peut contester ni la lumière ni la bonne foi, constituent la certitude historique ; et ce serait une injustice d'exiger d'elles des preuves d'une espèce différente. Les auteurs dont les témoignages concourent à prouver cette immolation des victimes humaines, se présentent en foule. Ce sont Manethon, Sanchoniaton, Hérodote, Pausanias, Josephe, Philon, Diodore de Sicile, Denys d'Halicarnasse, Strabon, Cicéron, César, Tacite, Macrobe, Pline, Tite-Live, enfin la plupart des poètes grecs et latins.

De toutes ces dépositions jointes ensemble, il résulte que les Phéniciens, les Egyptiens, les Arabes, les Chananéens, les habitants de Tyr et de Carthage, les Perses, les Athéniens, les Lacédémoniens, les Ioniens, tous les Grecs du continent et des îles ; les Romains, les Scythes, les Albanais, les Germains, les anciens Bretons, les Espagnols, les Gaulois ; et pour passer dans le nouveau monde, les habitants du Méxique ont été également plongés dans cette affreuse superstition : on peut en dire ce que Pline disait autrefois de la magie, qu'elle avait parcouru toute la terre, et que ses habitants, tous inconnus qu'ils étaient les uns aux autres, et si différents d'ailleurs d'idées et de sentiments, se réunirent dans cette pratique malheureuse ; tant il est vrai qu'il n'y a presque point eu de peuples dans le monde dont la religion n'ait été inhumaine et sanglante !

Comment a-t-elle pu devenir meurtrière ? Rien n'était plus louable et plus naturel que les premiers sacrifices des payens ; ils n'offraient à leurs dieux que du laurier ou de l'herbe verte ; leurs libations consistaient dans de l'eau tirée d'une claire fontaine, et qu'on portait dans des vases d'argille. Dans la suite on employa pour les offrandes de la farine et des gâteaux qu'on paitrissait avec un peu de sel, et qu'on cuisait sous la cendre. Insensiblement on joignit à ces offrandes quelques fruits de la terre, le miel, l'huîle et le vin ; l'encens même n'était point encore venu des bords de l'Euphrate, ni le costus de l'extrémité de l'Inde, pour être brulés sur les autels ; mais quand l'usage des sacrifices sanglans eut succédé, l'effusion du sang des animaux occasionna l'immolation des victimes humaines.

On ne sait pas qui le premier osa conseiller cette barbarie ; que ce soit Saturne, comme on le trouve dans le fragment de Sanchoniaton ; que ce soit Lycaon, comme Pausanias semble l'insinuer, ou quelqu'autre enfin qu'on voudra, il est toujours sur que cette horrible idée fit fortune. Tantus fuit perturbatae mentis, et sedibus suis pulsae furor, ut sic dii placarentur, quemadmodum ne homines quidem saeviunt, dit à merveille S. Augustin, de civit. Dei, l. VI. c. Xe Telle était l'extravagance de ces insensés, qu'ils pensaient apaiser les dieux par des actes de cruauté, que les hommes même ne sauraient faire dans leurs plus grands emportements.

L'immolation des victimes humaines que quelques oracles vinrent à prescrire, faisait déjà partie des abominations que Moïse reproche aux Amorrhéens. On lit aussi dans le Lévitique, c. xx. que les Moabites sacrifiaient leurs enfants à leur dieu Moloch.

On ne peut douter que cette coutume sanguinaire ne fût établie chez les Tyriens et les Phéniciens. Les Juifs eux-mêmes l'avaient empruntée de leurs voisins : c'est un reproche que leur font les prophetes ; et les livres historiques de l'ancien Testament fournissent plus d'un fait de ce genre. C'est de la Phenicie que cet usage passa dans la Grèce, et de la Grèce les Pélages la portèrent en Italie.

On pratiquait à Rome ces affreux sacrifices dans des occasions extraordinaires, comme il parait par le témoignage de Pline, l. XXVIII. c. IIe Entre plusieurs exemples que l'histoire romaine en fournit, un des plus frappans arriva dans le cours de la seconde guerre punique. Rome consternée par la défaite de Cannes, regarda ce revers comme un signe manifeste de la colere des dieux, et ne crut pouvoir les apaiser que par un sacrifice humain. Après avoir consulté les livres sacrés, dit Tite-Live, l. XXII. c. lvij. on immola les victimes prescrites en pareil cas. Un gaulois et une gauloise, un grec et une grecque furent enterrés vifs dans une des places publiques destinée depuis longtemps à ce genre de sacrifices si contraires à la religion de Numa. Voici l'explication de ce fait singulier.

Les décemvirs ayant Ve dans les livres sibyllins que les Gaulois et les Grecs s'empareraient de la ville, urbem occupaturos, on imagina que pour détourner l'effet de cette prédiction, il fallait enterrer vifs dans la place publique un homme et une femme de chacune de ces deux nations, et leur faire prendre ainsi possession de la ville. Toute puérîle qu'était cette interprétation, un très-grand nombre d'exemples nous montre que les principes de l'art divinatoire admettaient ces sortes d'accommodements avec la destinée.

Tite-Live nomme ce barbare sacrifice sacrum minimè romanum ; cependant il se répéta souvent dans la suite. Pline, l. XXX. c. j. assure que l'usage d'immoler des victimes humaines au nom du public, subsista jusqu'à l'an 95 de Jesus-Christ, dans lequel il fut aboli par un sénatus-consulte de l'an 657 de Rome ; mais on a des preuves qu'il continua dans les sacrifices particuliers de quelques divinités, comme, par exemple, de Bellone. Les édits renouvellés en différents temps par les empereurs, ne purent mettre un frein à cette fureur superstitieuse ; et à l'égard de cette espèce de sacrifice humain prescrit en conséquence des vers sibyllins, Pline avoue qu'il subsistait toujours, et assure qu'on en avait Ve de son temps des exemples, etiam nostra aetas vidit.

Les sacrifices humains furent moins communs chez les Grecs ; cependant on en trouve l'usage établi dans quelques cantons ; et le sacrifice d'Iphigénie prouve qu'ils furent pratiqués dans les temps héroïques, où l'on se persuada que la fille d'Agamemnon déchargerait par sa mort, l'armée des Grecs des fautes qu'ils avaient commises.

Sed casta incestè, nubendi tempore in ipso,

Hostia concideret mactatu maesta parentis.

Lucret. l. I. Ve 99, 100.

" Cette chaste princesse tremblante au pied des autels y fut cruellement immolée dans la fleur de son âge par l'ordre de son propre père ".

Les habitants de Pella sacrifiaient alors un homme à Pélée ; et ceux de Ténuse, si l'on en croit Pausanias, offraient tous les ans en sacrifice une fille vierge au génie d'un des compagnons d'Ulysse qu'ils avaient lapidé.

On peut assurer, sur la parole de Théophraste, que les Arcadiens immolaient de son temps des victimes humaines, dans les fêtes nommées lycaea. Les victimes étaient presque toujours des enfants. Parmi les inscriptions rapportées de Grèce par M. l'abbé Fourmont, est le dessein d'un bas-relief trouvé en Arcadie, et qui a un rapport évident à ces sacrifices.

Carthage, colonie phénicienne, avait adopté l'usage de sacrifier des victimes humaines, et elle ne le conserva que trop longtemps. Platon, Sophocle et Diodore de Sicîle le déclarent en termes formels. N'aurait-il pas mieux valu pour les Carthaginois, dit Plutarque, de superstitione, avoir Critias ou Diagoras pour législateurs, que de faire à Saturne les sacrifices de leurs propres enfants, par lesquels ils prétendent l'honorer ? La superstition, continue-t-il, armait le père contre son fils, et lui mettait en main le couteau dont il devait l'égorger. Ceux qui étaient sans enfants, achetaient d'une mère pauvre la victime du sacrifice ; la mère de l'enfant qu'on immolait, devait soutenir la vue d'un si affreux spectacle sans verser de larmes ; si la douleur lui en arrachait, elle perdait le prix dont on était convenu, et l'enfant n'en était pas plus épargné. Pendant ce temps tout rétentissait du bruit des instruments et des tambours ; ils craignaient que les lamentations de ces fêtes ne fussent entendues.

Gélon, roi de Syracuse, après la défaite des Carthaginois en Sicile, ne leur accorda la paix qu'à condition qu'ils renonceraient à ces sacrifices odieux de leurs enfants. Voyez le recueil de M. Barbeyrac, art. 112. C'est-là sans doute le plus beau traité de paix dont l'histoire ait parlé. Chose admirable ! dit M. de Montesquieu. Après avoir défait trois cent mille carthaginois, il exigeait une condition qui n'était utîle qu'à eux, ou plutôt il stipulait pour le genre humain.

Remarquons cependant que cet article du traité ne pouvait regarder que les carthaginois établis dans l'ile, et maîtres de la partie occidentale du pays ; car les sacrifices humains subsistaient toujours à Carthage. Comme ils faisaient partie de la religion phénicienne, les lois romaines qui les proscrivirent longtemps après, ne purent les abolir entièrement. En vain Tibere fit périr dans les supplices les ministres inhumains de ces barbares cérémonies, Saturne continua d'avoir des adorateurs en Afrique ; et tant qu'il en eut, le sang des hommes coula secrètement sur ses autels.

Enfin les témoignages positifs de César, de Pline, de Tacite et de plusieurs autres écrivains exacts ne permettent pas de douter que les Germains et les Gaulois n'aient immolé des victimes humaines, non seulement dans des sacrifices publics, mais encore dans ceux qui s'offraient pour la guérison des particuliers. C'est inutilement que nous voudrions laver nos ancêtres d'un crime, dont trop de monuments s'accordent à les charger. La nécessité de ces sacrifices était un des dogmes établis par les Druides, fondés sur ce principe, qu'on ne pouvait satisfaire les dieux que par un échange, et que la vie d'un homme était le seul prix capable de racheter celle d'un autre. Dans les sacrifices publics, au défaut des malfaiteurs, on immolait des innocens ; dans les sacrifices particuliers on égorgeait souvent des hommes qui s'étaient dévoués volontairement à ce genre de mort.

Il est vrai que les payens ouvrirent enfin les yeux sur l'inhumanité de pareils sacrifices. Un oracle, dit Plutarque, ayant ordonné aux Lacédémoniens d'immoler une vierge, et le sort étant tombé sur une jeune fille nommée Hélene, un aigle enleva le couteau sacré, et le posa sur la tête d'une génisse qui fut sacrifiée à sa place.

Le même Plutarque rapporte que Pélopidas, chef des Thébains, ayant été averti en songe, la veille d'une bataille contre les Spartiates, d'immoler une vierge blonde aux manes des filles de Scedasus, qui avaient été violées et massacrées dans ce même lieu ; ce commandement lui parut cruel et barbare ; la plupart des officiers de l'armée en jugèrent de même, et soutinrent qu'une pareille oblation ne pouvait être agréable au père des dieux et des hommes, et que s'il y avait des intelligences qui prissent plaisir à l'effusion du sang humain, c'étaient des esprits malins qui ne méritaient aucun égard. Une jeune cavale rousse s'étant alors offerte à eux, le devin Théocrite décida que c'était-là l'hostie que les dieux demandaient. Elle fut immolée, et le sacrifice fut suivi d'une victoire complete.

En Egypte, Amasis ordonna qu'au lieu d'hommes on offrit seulement des figures humaines. Dans l'île de Chypre Diphilus substitua des sacrifices de bœufs aux sacrifices d'hommes.

Hercule étant en Italie, et entendant parler de l'oracle d'Apollon qui disait :




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