ou RAMAZAN, s. m. (Religion turque) nom de la lune, pendant laquelle les Turcs font le carême avec un jeune aussi patient qu'austère. Ni la condition des personnes, ni la longueur des jours, ni la chaleur, ni la fatigue du travail, ne les dispensent de cette abstinence. Dans la marche des troupes, où il semble que l'exercice de la guerre bannit celui des institutions religieuses, les soldats turcs qui fatiguent beaucoup en passant les déserts de l'Arabie pétrée, jeunent avec autant de rigueur que les personnes les plus oisives : voici les détails que Tournefort donne du ramazan ou carême des Turcs ; car le nom du mois a passé à celui de leur carême.

Le carême, dit-il, a été établi pendant la lune de ramazan, parce que Mahomet publia que l'alcoran lui avait été envoyé du ciel dans ce temps-là. Le jeune qu'il ordonna est différent du nôtre, en ce qu'il est absolument défendu durant tout le cours de cette lune de manger, de boire, ni de mettre aucune chose dans la bouche, pas même de fumer, depuis que le soleil se leve, jusqu'à ce qu'il soit couché. En récompense, tant que la nuit dure, ils peuvent manger et boire, sans distinction de viande ni de boisson, si l'on en excepte le vin ; car ce serait un grand crime d'en goûter, et ce crime ne s'expiait autrefois qu'en jetant du plomb fondu dans la bouche des coupables ; on n'est pas si sévère aujourd'hui, mais on ne laisserait pas d'être puni corporellement. L'eau-de-vie n'est pas épargnée la nuit pendant ce temps de pénitence, encore moins le sorbet et le caffé. Il y en a même qui, sous prétexte de pénitence, se nourrissent alors plus délicieusement que tout le reste de l'année.

L'amour propre, qui est ingénieux par-tout, leur inspire de faire meilleure chère dans les temps destinés à la mortification : les confitures consolent l'estomac des dévots, quoiqu'elles ne soient ordinairement qu'au miel et au résiné. Les riches observent le carême aussi sévèrement que les pauvres, les soldats de même que les religieux, et le sultan comme un simple particulier. Chacun se repose pendant le jour, et l'on ne pense qu'à dormir, ou au-moins à éviter les exercices qui altèrent ; car c'est un grand supplice que de ne pouvoir pas boire de l'eau pendant les grandes chaleurs. Les gens de travail, les voyageurs, les campagnards souffrent beaucoup ; il est vrai qu'on leur pardonne de rompre le jeune, pourvu qu'ils tiennent compte des jours, et à condition d'en jeuner par la suite un pareil nombre, quand leurs affaires le leur permettront : tout bien considéré, le carême chez les Musulmants n'est qu'un dérangement de leur vie ordinaire.

Quand la lune de Caban, qui précède immédiatement celle de ramazan, est passée, on observe avec soin la nouvelle lune. Une infinité de gens de toutes sortes d'états, se tiennent sur les lieux élevés, et courent avertir qu'ils l'ont aperçue ; les uns agissent par dévotion, les autres pour obtenir quelque récompense. Dès le moment qu'on est assuré du fait, on le publie par toute la ville, et on commence à jeuner. Dans les endroits où il y a du canon, on en tire un coup au coucher du soleil. On allume une si grande quantité de lampes dans les mosquées, qu'elles ressemblent à des chapelles ardentes, et l'on prend soin de faire de grandes illuminations sur les minarets pendant la nuit.

Les muezins au retour de la lune, c'est-à-dire, à la fin du jour du premier jeune, annoncent à haute voix, qu'il est temps de prier et de manger. Les pauvres mahométants, qui ont alors le gosier fort sec, commencent à avaler de grandes potées d'eau, et donnent avidement sur les jattes de ris. Chacun se régale avec ses meilleures provisions, et comme s'ils appréhendaient de mourir de faim, ils vont chercher à manger dans les rues, après s'être bien rassasiés chez eux ; les uns courent au caffé, les autres au sorbet. Les plus charitables donnent à manger à tous ceux qui se présentent. On entend les pauvres crier dans les rues : je prie Dieu qu'il remplisse la bourse de ceux qui me donneront pour remplir mon ventre. Ceux qui croient raffiner sur les plaisirs, se fatiguent la nuit autant qu'ils peuvent, pour mieux reposer le jour, et pour laisser passer le temps du jeune sans en être incommodés. On fume donc pendant les ténèbres, après avoir bien mangé ; on joue des instruments ; on voit jouer les marionnettes à la faveur des lampes.

Tous ces divertissements durent jusqu'à ce que l'aurore éclaire assez, pour distinguer, comme ils disent, un fil blanc d'avec un fil noir ; alors on se repose, et l'on donne le nom de jeune à un sommeil tranquille, qui dure jusqu'à la nuit. Il n'y a que ceux que la nécessité oblige de travailler, qui vont à leur ouvrage ordinaire. Où est donc, selon eux, l'esprit de mortification qui doit purifier l'âme des musulmants ? Ceux qui aiment la vie déréglé, souhaiteraient que ce temps de pénitence durât la moitié de l'année, d'autant mieux qu'il est suivi du grand bairam, pendant lequel, par une alternative agréable, on dort toute la nuit, et l'on ne fait que se rejouir tant que le jour dure. (D.J.)