S. f. (Histoire ecclésiastique) juridiction ecclésiastique érigée par le siege de Rome en Italie, en Espagne, en Portugal, aux Indes même, pour extirper les Juifs, les Maures, les infidèles, et les hérétiques.

Cette juridiction après avoir pris naissance vers l'an 1200, fut adoptée par le comte de Toulouse en 1229, et confiée aux dominicains par le pape Grégoire IX. en 1233. Innocent IV. étendit son empire en 1251 dans toute l'Italie, excepté à Naples. L'Espagne s'y vit entièrement soumise en 1448, sous le règne de Ferdinand et d'Isabelle. Le Portugal l'adopta sous Jean III. l'an 1557, conformément au modèle reçu par les Espagnols. Douze ans auparavant, en 1545, Paul III. avait formé la congrégation de ce tribunal sous le nom du saint office ; et Sixte V. confirma cette congrégation en 1588. Ainsi l'inquisition relevant toujours immédiatement de la cour de Rome, fut plantée malgré plusieurs contradictions dans un grand nombre d'états de la chrétienté.

Parcourons tous ces faits avec M. de Voltaire, et dans un plus grand détail, mais qui certainement n'ennuyera personne. Le tableau qu'il en a tracé est de main de maître, on ne saurait trop en multiplier les copies.

Ce fut dans les guerres contre les Albigeais, que vers l'an 1200 le pape Innocent III. érigea ce terrible tribunal qui juge les pensées des hommes ; et sans aucune considération pour les évêques, arbitres naturels dans les procès de doctrine, la cour de Rome en commit la décision à des dominicains et à des cordeliers.

Ces premiers inquisiteurs avaient le droit de citer tout hérétique, de l'excommunier, d'accorder des indulgences à tout prince qui exterminerait les condamnés, de reconcilier à l'Eglise, de taxer les pénitens, et de recevoir d'eux en argent une caution de leur repentir.

La bizarrerie des événements qui met tant de contradiction dans la politique humaine, fit que le plus violent ennemi des papes fut le protecteur le plus sévère de ce tribunal.

L'empereur Fréderic II. accusé par le pape tantôt d'être mahométan, tantôt d'être athée, crut se laver de ce reproche en prenant sous sa protection les inquisiteurs ; il donna même quatre édits à Pavie en 1244, par lesquels il mandait aux juges séculiers de livrer aux flammes ceux que les inquisiteurs condamneront comme hérétiques obstinés, et de laisser dans une prison perpétuelle ceux que l'inquisition déclarerait repentants. Fréderic II. malgré cette politique n'en fut pas moins persécuté, et les papes se servirent depuis contre les droits de l'empire des armes qu'il leur avait données.

En 1255 le pape Alexandre III. établit l'inquisition en France sous le roi S. Louis. Le gardien des Cordeliers de Paris, et le provincial des Dominicains étaient les grands inquisiteurs. Ils devaient par la bulle d'Alexandre III. consulter les évêques, mais ils n'en dépendaient pas. Cette étrange juridiction donnée à des hommes qui font vœu de renoncer au monde, indigna le clergé et les laïques au point que bien-tôt le soulevement de tous les esprits ne laissa à ces moines qu'un titre inutile.

En Italie les papes avaient plus de crédit, parce que tout désobéis qu'ils étaient dans Rome, tout éloignés qu'ils en furent longtemps, ils étaient toujours à la tête de la faction Guelphe, contre celle des Gibelins. Ils se servirent de cette inquisition contre les partisans de l'empire ; car en 1302 le pape Jean XXII. fit procéder par des moines inquisiteurs, contre Matthieu Viscomti, seigneur de Milan, dont le crime était d'être attaché à l'empereur Louis de Bavière. Le dévouement du vassal à son suzerain fut déclaré hérésie ; la maison d'Est, celle de Malatesta furent traitées de même, pour même cause ; et si le supplice ne suivit pas la sentence, c'est qu'il était plus aisé aux papes d'avoir des inquisiteurs que des armées.

Plus ce tribunal prenait de l'autorité, et plus les évêques qui se voyaient enlever un droit qui semblait leur appartenir, le reclamaient vivement ; cependant ils n'obtinrent des papes que d'être les assesseurs des moines.

Sur la fin du treizième siècle en 1289. Venise avait déjà reçu l'inquisition, avec cette différence, que tandis qu'ailleurs elle était toute dépendante du pape, elle fut dans l'état de Venise toute soumise au sénat. Il prit la sage précaution d'empêcher que les amendes et les confiscations n'appartinssent aux inquisiteurs. Il espérait par ce moyen modérer leur zèle, en leur ôtant la tentation de s'enrichir par leurs jugements : mais comme l'envie de faire valoir les droits de son ministère, est chez les hommes une passion aussi forte que l'avarice, les entreprises des inquisiteurs obligèrent le sénat longtemps après, savoir au seizième siècle, d'ordonner que l'inquisition ne pourrait jamais faire de procédure sans l'assistance de trois sénateurs. Par ce règlement, et par plusieurs autres aussi politiques, l'autorité de ce tribunal fut anéantie à Venise, à force d'être éludée. Voyez Fra-Paolo sur cet article.

Un royaume où il semblait que l'inquisition dû. s'établir avec le plus de facilité et de pouvoir, est précisément celui où elle n'a jamais eu d'entrée, j'entends le royaume de Naples. Les souverains de cet état et ceux de Sicîle se croyaient en droit, par les concessions des papes, d'y jouir de la juridiction ecclésiastique. Le pontife romain et le roi se disputant toujours à qui nommerait les inquisiteurs, on n'en nomma point ; et les peuples profitèrent pour la première fois des querelles de leurs maîtres. Si finalement l'inquisition fut autorisée en Sicile, après l'avoir été en Espagne par Ferdinand et Isabelle en 1478, elle fut en Sicile, plus encore qu'en Castille, un privilège de la couronne, et non un tribunal romain ; car en Sicîle c'est le roi qui est pape.

Il y avait déjà longtemps qu'elle était reçue dans l'Aragon ; elle y languissait ainsi qu'en France, sans fonction, sans ordre, et presque oubliée.

Mais après la conquête de Grenade, ce tribunal déploya dans toute l'Espagne cette force et cette rigueur que jamais n'avaient eu les tribunaux ordinaires. Il faut que le génie des Espagnols eut alors quelque chose de plus impitoyable que celui des autres nations. On le voit par les cruautés réfléchies qu'ils commirent dans le nouveau monde : on le voit surtout ici par l'excès d'atrocité qu'ils portèrent dans l'exercice d'une juridiction où les Italiens ses inventeurs mettaient beaucoup de douceur. Les papes avaient érigé ces tribunaux par politique, et les inquisiteurs espagnols y ajoutèrent la barbarie la plus atroce.

Lorsque Mahomet II. eut subjugué la Grèce, lui et ses successeurs laissèrent les vaincus vivre en paix dans leur religion : et les Arabes maîtres de l'Espagne n'avaient jamais forcé les chrétiens regnicoles à recevoir le mahométisme. Mais après la prise de Grenade, le cardinal Ximenès voulut que tous les Maures fussent chrétiens, soit qu'il y fût porté par zèle, soit qu'il écoutât l'ambition de compter un nouveau peuple soumis à sa primatie.

C'était une entreprise directement contraire au traité par lequel les Maures s'étaient soumis, et il fallait du temps pour la faire réussir. Ximenès néanmoins voulut convertir les Maures aussi vite qu'on avait pris Grenade ; on les prêcha, on les persécuta, ils se soulevèrent ; on les soumit, et on les força de recevoir le baptême. Ximenès fit donner à cinquante mille d'entr'eux ce signe de religion à laquelle ils ne croyaient pas.

Les Juifs compris dans le traité fait avec les rois de Grenade, n'éprouvèrent pas plus d'indulgence que les Maures. Il y en avait beaucoup en Espagne. Ils étaient ce qu'ils sont par-tout ailleurs, les courtiers du commerce. Cette profession bien loin d'être turbulente, ne peut subsister que par un esprit pacifique. Il y a plus de vingt-huit mille Juifs autorisés par le pape en Italie : il y a près de 280 synagogues en Pologne. La seule ville d'Amsterdam possède environ quinze mille Hébreux, quoiqu'elle puisse assurément faire le commerce sans leur secours. Les Juifs ne paraissaient pas plus dangereux en Espagne, et les taxes qu'on pouvait leur imposer étaient des ressources assurées pour le gouvernement. Il est donc bien difficîle de pouvoir attribuer à une sage politique la persécution qu'ils essuyèrent.

L'inquisition procéda contr'eux, et contre les Musulmants. Combien de familles mahométanes et juives aimèrent mieux alors quitter l'Espagne que de soutenir la rigueur de ce tribunal ? Et combien Ferdinand et Isabelle perdirent-ils de sujets ? C'étaient certainement ceux de leur secte les moins à craindre, puisqu'ils préféraient la fuite à la révolte. Ce qui restait feignit d'être chrétien ; mais le grand inquisiteur Torquemada fit regarder à la reine Isabelle tous ces chrétiens déguisés comme des hommes dont il fallait confisquer les biens et proscrire la vie.

Ce Torquemada dominicain, devenu cardinal, donna au tribunal de l'inquisition espagnole, cette forme juridique qu'elle conserve encore aujourd'hui, et qui est opposée à toutes les lois humaines. Il fit pendant quatorze ans le procès à plus de 80 mille hommes, et en fit bruler cinq ou six mille avec l'appareil des plus augustes fêtes.

Tout ce qu'on nous rapporte des peuples qui ont sacrifié des hommes à la divinité, n'approche pas de ces exécutions accompagnées de cérémonies religieuses. Les Espagnols n'en conçurent pas d'abord assez d'horreur, parce que c'étaient leurs anciens ennemis, et des Juifs qu'on sacrifiait ; mais bien-tôt eux-mêmes devinrent victimes : car lorsque les dogmes de Luther éclatèrent, le peu de citoyens qui fut soupçonné de les admettre, fut immolé ; la forme des procédures devint un moyen infaillible de perdre qui on voulait.

Voici quelle est cette forme : on ne confronte point les accusés aux délateurs, et il n'y a point de délateur qui ne soit écouté : un criminel flétri par la justice, un enfant, une courtisanne, sont des accusateurs graves. Le fils peut déposer contre son père, la femme contre son époux, le frère contre son frère : enfin l'accusé est obligé d'être lui-même son propre délateur, de deviner, et d'avouer le délit qu'on lui suppose et que souvent il ignore. Cette procédure inouie jusqu'alors, et maintenue jusqu'à ce jour, fit trembler l'Espagne. La défiance s'empara de tous les esprits ; il n'y eut plus d'amis, plus de société ; le frère craignit son frère, le père son fils, l'épouse son époux : c'est de-là que le silence est devenu le caractère d'une nation née avec toute la vivacité que donne un climat chaud et fertîle ; les plus adroits s'empressèrent d'être les archers de l'inquisition, sous le nom de ses familiers, aimant mieux être satellites que de s'exposer aux supplices.

Il faut encore attribuer à l'établissement de ce tribunal cette profonde ignorance de la saine philosophie, où l'Espagne demeure toujours plongée, tandis que l'Allemagne, le Nord, l'Angleterre, la France, la Hollande, et l'Italie même ont découvert tant de vérités, et ont élargi la sphère de nos connaissances. Descartes philosophait librement dans sa retraite en Hollande, dans le temps que le grand Galilée à l'âge de 80 ans, gémissait dans les prisons de l'inquisition, pour avoir découvert le mouvement de la terre. Jamais la nature humaine n'est si avilie que quand l'ignorance est armée du pouvoir ; mais ces tristes effets de l'inquisition sont peu de chose en comparaison de ces sacrifices publics qu'on nomme auto-da-fé, actes de foi, et des horreurs qui les précèdent.

C'est un prêtre en surplis ; c'est un moine voué à la charité et à la douceur, qui fait dans de vastes et profonds cachots appliquer des hommes aux tortures les plus cruelles. C'est ensuite un théâtre dressé dans une place publique, où l'on conduit au bucher tous les condamnés, à la suite d'une procession de moines et de confrairies. On chante, on dit la messe, et on tue des hommes. Un asiatique qui arriverait à Madrid le jour d'une telle exécution, ne saurait si c'est une réjouissance, une fête religieuse, un sacrifice, ou une boucherie ; et c'est tout cela ensemble. Les rais, dont ailleurs la seule présence suffit pour donner grâce à un criminel, assistent à ce spectacle, sur un siege moins élevé que celui de l'inquisiteur, et voient expirer leurs sujets dans les flammes. On reprochait à Montézuma d'immoler des captifs à ses dieux ; qu'aurait-il dit s'il avait Ve un auto-da fé ?

Ces exécutions sont aujourd'hui plus rares qu'autrefois ; mais la raison qui perce avec tant de peine quand le fanatisme est sur le trone, n'a pu les abolir encore.

L'inquisition ne fut introduite dans le Portugal que vers l'an 1557, et même quand ce pays n'était point soumis aux Espagnols, elle essuya d'abord toutes les contradictions que son seul nom devrait produire : mais enfin elle s'établit, et sa jurisprudence fut la même à Lisbonne qu'à Madrid. Le grand inquisiteur est nommé par le roi, et confirmé par le pape. Les tribunaux particuliers de cet office qu'il nomme saint, sont soumis en Espagne et en Portugal, au tribunal de la capitale. L'inquisition eut dans ces deux états la même sévérité et la même attention à signaler sa puissance.

En Espagne, après le décès de Charles-quint, elle osa faire le procès à l'ancien confesseur de cet empereur, à Constantin Ponce, qui périt dans un cachot, et dont l'effigie fut ensuite brulée dans un auto-da fé.

En Portugal Jean de Bragance ayant arraché son pays à la domination espagnole, voulut aussi le délivrer de l'inquisition : mais il ne put réussir qu'à priver les inquisiteurs des confiscations ; ils le déclarèrent excommunié après sa mort ; il fallut que la reine sa veuve les engageât à donner au cadavre une absolution aussi ridicule qu'elle était honteuse : par cette absolution on le déclarait coupable.

Quand les Espagnols passèrent en Amérique, ils portèrent l'inquisition avec eux. Les Portugais l'introduisirent aux Indes occidentales, immédiatement après qu'elle fut autorisée à Lisbonne.

On sait l'histoire de l'inquisition de Goa. Si cette juridiction opprime ailleurs le droit naturel, elle était dans Goa contraire à la politique. Les Portugais n'allaient aux Indes que pour y négocier. Le commerce et l'inquisition sont incompatibles. Si elle était reçue dans Londres et dans Amsterdam, ces villes seraient désertes et misérables : en effet quand Philippe II. la voulut introduire dans les provinces de Flandres, l'interruption du commerce fut une des principales causes de la révolution.

La France et l'Allemagne ont été heureusement préservées de ce fléau ; elles ont essuyé des guerres horribles de religion, mais enfin les guerres finissent, et l'inquisition une fois établie semble devoir être éternelle.

Cependant le roi de Portugal a finalement secoué son joug en suivant l'exemple de Venise ; il a sagement ordonné, pour anéantir toute puissance de l'inquisition dans ses états, 1°. que le procureur général accusateur communiquerait à l'accusé les articles de l'accusation, et le nom des témoins : 2°. que l'accusé aurait la liberté de choisir un avocat, et de conférer avec lui : 3°. il a de plus défendu d'exécuter aucune sentence de l'inquisition qu'elle n'eut été confirmée par son conseil. Ainsi les projets de Jean de Bragance ont été exécutés un siècle après par un de ses successeurs.

Sans-doute qu'on a imputé à un tribunal, si justement détesté, des excès d'horreurs qu'il n'a pas toujours commis : mais c'est être mal-adroit que de s'élever contre l'inquisition par des faits douteux, et plus encore, de chercher dans le mensonge de quoi la rendre odieuse ; il suffit d'en connaître l'esprit.

Bénissons le jour où l'on a eu le bonheur d'abolir dans ce royaume une juridiction si contraire à l'indépendance de nos rais, au bien de leurs sujets, aux libertés de l'église gallicane, en un mot à toute sage police. L'inquisition est un tribunal qu'il faut rejeter dans tous les gouvernements. Dans la monarchie, il ne peut faire que des hypocrites, des délateurs et des traitres. Dans les républiques, il ne peut former que de malhonnêtes gens. Dans l'état despotique, il est destructeur comme lui. Il n'a servi qu'à faire perdre au pape un des plus beaux fleurons de sa couronne, les Provinces-unies ; et à bruler ailleurs, aussi cruellement qu'inutilement, un grand nombre de malheureux.

Ce tribunal inique, inventé pour extirper l'hérésie, est précisément ce qui éloigne le plus tous les protestants de l'Eglise romaine ; il est pour eux un objet d'horreur. Ils aimeraient mieux mourir mille fois que de s'y soumettre, et les chemises ensoufrées du saint office sont l'étendard contre lequel on les verra toujours réunis. De-là vient que leurs habiles écrivains proposent cette question : " Si les puissances protestantes ne pourraient pas se liguer avec justice pour détruire à jamais une juridiction cruelle sous laquelle gémit le Christianisme depuis si longtemps ".

Sans prétendre résoudre ce problême, il est permis d'avancer, avec l'auteur de l'esprit des lais, que si quelqu'un dans la postérité ose dire qu'au dix-huitième siècle tous les peuples de l'Europe étaient policés, on citera l'inquisition pour prouver qu'ils étaient en grande partie des barbares ; et l'idée que l'on en prendra sera telle qu'elle flétrira ce siècle, et portera la haine sur les nations qui adoptaient encore cet établissement odieux. (D.J.)