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Catégorie parente: Science de Dieu
Catégorie : Histoire ecclésiastique
(Histoire ecclésiastique) nom d'une secte qui s'établit en Bohème au commencement du XVe siècle, et qui y fut cruellement persécutée. Elle eut pour chef un prêtre qui s'appelait Jean, et qu'on nomma Picard, parce qu'il était de Picardie ; d'autres l'ont nommé Martin, et d'autres Loquis.

L'article que Bayle a donné de la secte des Picards ne lui fait pas honneur, et on ne peut assez s'étonner que ce génie si fin dans la critique des historiens de la Grèce et de Rome, se soit plu à adopter les contes ridicules, qu'il avait lus sur les malheureux Picards. Ajoutez que son article est sec et entièrement tiré de Varillas, hardi conteur de fables, qui a ici copié celles d'Enée Sylvius, lequel déclare avoir rapporté ce que d'autres ont dit, et avoir écrit bien des choses qu'on ne croyait point ; c'est son propre aveu ; aliorum, dit-il, dicta recenseo, et plura scribo quàm credo.

Lasitius rapporte que le prétendu Picard arriva en Bohème en 1418, du temps de Wenceslas, surnommé le fainéant et l'ivrogne ; qu'il y vint accompagné d'environ quarante autres, sans compter les femmes et les enfants ; que ces gens-là disaient qu'on les avait chassés de leur pays à cause de l'évangile. Le jésuite Balbinus dans son epitome rerum Bohemicarum, liv. II. dit la même chose, et n'impute aux Picards aucuns des crimes, ni aucune des extravagances qu'Enée Sylvius leur attribue.

Jean Schlecta, secrétaire de Ladislas roi de Bohème, rendant compte à Erasme des diverses sectes qui partageaient sa patrie, entre dans de plus grands détails sur celle des Picards. Ces gens-là, dit-il, ne parlent du pape, des cardinaux et des évêques, que comme de vrais antéchrists, ils ne croient rien ou fort peu des sacrements de l'Eglise. Ils prétendent qu'il n'y a rien de divin dans le sacrement de l'Eucharistie, affirmant qu'ils n'y trouvent que le pair. et le vin consacré, qui représentent la mort de Jésus-Christ, et ils soutiennent que ceux qui adorent le Sacrement sont des idolâtres, ce Sacrement n'ayant été institué que pour faire la commémoration de la mort du Sauveur, et non pour être porté de côté et d'autre, parce que Jésus-Christ qui est celui qu'il faut honorer du culte de latrie, est assis à la droite de Dieu le père. Ils traitent d'ineptie les suffrages des Saints, et les prières pour les morts, aussi-bien que la confession auriculaire, et la pénitence imposée par les Prêtres. Ils disent enfin que les vigiles et les jeunes sont le fard de l'hypocrisie ; que les fêtes de la vierge Marie, des apôtres, et des autres saints sont des inventions de gens aisifs. Ils célebrent pourtant les dimanches et les fêtes de Noë et de la Pentecôte. Epist. Erasm. Liv. XIV. Ce récit de Schlecta nous apprend manifestement que les Picards n'étaient autres que les Vaudais, et M. de Beausobre a démontré cette identité dans son histoire de la guerre des Hussites. Vous en trouverez l'extrait dans le dictionn. de M. de Chaufepié, qui a fait un excellent article des Picards. Voici en peu de mots le précis de ce qui les concerne.

Les Vaudais étaient en Bohème dès l'an 1178 ; des disciples de Valdo s'y réfugièrent, et furent fort bien reçus à Zatée et à Launitz, deux villes voisines situées sur la rivière d'Egre, et assez proche des frontières de Misnie, par où les Vaudais entrèrent vraisemblablement en Bohème ; une partie du peuple suivait alors le rit grec, pendant que la noblesse et les grands qui avaient commerce avec les Allemands leurs voisins, et qui se conforment ordinairement à la cour, suivaient pour la plupart le rit latin ; mais ce rit ayant été introduit par force, n'en était que plus désagréable au peuple. Les Vaudais ayant trouvé de l'humanité et de l'accueil dans les habitants de ces deux villes, leur firent connaître les superstitions que le temps avait introduites dans la religion chrétienne, et les affermirent dans l'aversion qu'ils avaient déjà pour l'église romaine.

Ces peuples conservèrent l'exercice public du rit grec, jusques vers le milieu du xive siècle, que l'empereur Charles IV et l'archevêque Ernest l'interdirent à la sollicitation des papes, et à la poursuite des moines. Le rit latin ayant été établi par-tout, les peuples s'assemblèrent dans les bois, dans les solitudes et dans les châteaux de quelques gentilshommes qui les protégeaient. Mais quand les troubles s'élevèrent en Bohéme, et que la nation leva l'étendart contre le pape, ces Picards, ces Vaudais cachés, commencèrent à se montrer ; il s'en mêla quelques-uns parmi les Taborites ; d'autres qui se virent en assez grand nombre dans une île que forme la rivière de Launitz assez près de Neuhaus, dans le district de Bechin, prirent les armes et furent défaits par Ziska.

On peut réduire à trois chefs, les preuves qui justifient que ces Picards étaient Vaudais : 1°. le principal prêtre qu'on leur donne : 2°. les dogmes qu'on leur attribue : 3°. les crimes, les folies, et les hérésies qu'on leur impute : tout quadre avec les Vaudais.

I. Théobalde dit que leur principal prêtre s'appelait Martin de Moravet. Laurents de Byzin, chancelier de la nouvelle Prague sous Wenceslas, qui a écrit un journal de la guerre des Hussites, diarium de bello Hussitico, raconte qu'au commencement de 1420, quelques prêtres Taborites débitèrent de nouvelles explications des prophéties, et annoncèrent un avénement prochain du fils de Dieu pour détruire ses ennemis, et pour purifier l'église. " Le principal auteur de cette doctrine, dit Laurents de Byzin, était un jeune prêtre de Moravie, fort bel esprit et d'une prodigieuse mémoire ; il se nommait Martin, et fut surnommé Loquis, parce qu'il prêchait avec une hardiesse étonnante ses propres pensées, et non celles des saints docteurs. Ses principaux associés furent Jean Oilczin, le bachelier Markold, le fameux Coranda, et autres prêtres Taborites. " Martin de Moravet ou de Moravie, surnommé Loquis, le principal prêtre des Picards, est donc un prêtre Taborite, un collègue du fameux Wenceslas Coranda, qui fit tant de bruit dans ce parti, et qui avant et depuis la mort de Ziska, fut à la tête des affaires. De-là s'ensuit qu'au fond les Picards sont des Taborites, et que les accusations d'incestes et de nudités qui leur ont été intentées, sont de pures calomnies, puisque tout le monde convient que les Taborites n'en furent jamais coupables.

Martin de Moravie fut pris avec un autre prêtre, et envoyé à Conrard, archevêque de Prague, qui, après les avoir gardés dans un cachot pendant plusieurs mois, les fit jeter tous deux dans un tonneau de poix ardente. Quel était leur crime ? c'était d'avoir soutenu jusqu'à la mort, et sans avoir jamais voulu se rétracter, que le corps de Jesus-Christ n'est qu'au ciel, et qu'il ne faut point se mettre à genoux devant la créature, c'est-à-dire devant le pain de l'Eucharistie. Voilà un prêtre picard qui a tout l'air vaudais.

II. Les dogmes des Picards et des Vaudais sont les mêmes ; nous l'avons déjà Ve par le détail que Schlecta fait des opinions des Picards de Bohème. Ils soutenaient qu'il ne faut point adorer l'Eucharistie, parce que le corps de Jesus-Christ n'y est point, le seigneur ayant été élevé au ciel en corps et en âme ; que le pain et le vin de l'Eucharistie demeurent toujours du pain et du vin, etc. Ce sont-là des doctrines vaudaises et purement vaudaises.

Les accusations mêmes sont des usages vaudais déguisés en dogmes ; par exemple, les Vaudais ne reconnaissaient point de sainteté attachée aux autels, et n'en faisaient point une condition du service divin. Si cela est, disaient leurs adversaires, vous feriez donc dans les temples ce que les maris et les femmes font dans les maisons ? La conséquence fut transformée en dogme. Les Picards, dit-on, ont commerce avec leurs femmes dans les lieux sacrés, ce sont donc des misérables qu'il faut exterminer.

Les prêtres vaudais étaient mariés, et ils soutenaient que leurs mariages étaient légitimes. Quoi ! disaient leurs ennemis, un prêtre sortant du lit de sa femme approchera des autels ? Autre conséquence convertie en dogme.

Les Vaudais n'adoraient point le sacrement, et ne fléchissaient point le genou dans les églises à la vue du pain sacré. Autre conséquence. Il n'est pas nécessaire d'adorer Dieu.

Ajoutez à cela les autres dogmes attribués aux Picards par Schlecta. Ils n'invoquaient point les saints ; ils ne priaient point pour les morts ; ils n'admettaient point la confession auriculaire, etc. Si ce ne sont pas-là des vaudais, ce sont des gens qui leur ressemblent parfaitement, et qui peuvent bien leur être associés.

III. Les crimes, les folies et les hérésies qu'on leur attribue, persuadent encore que les pauvres Picards exterminés en Bohème étaient de véritables vaudais ; c'est ce dont on trouvera les preuves détaillées dans l'ouvrage de M. de Beausobre : nous y renvoyons le lecteur.

Nous remarquerons seulement que la nudité qu'on leur impute est une pure fausseté, et que les Picards n'ont jamais été adamites. On n'apporte que deux preuves dans l'Histoire, de la nudité picarde : la première est le témoignage du prêtre Taborite, et du docteur Gitzinus ; ils n'accusent pourtant pas les Picards d'une nudité pratique, mais seulement d'enseigner que les habits n'étaient point nécessaires, et que si ce n'était le froid, on pourrait aussi bien aller nud que vêtu. Ce n'est donc sur ces deux témoins qu'une erreur spéculative qui ne conclut rien pour la pratique, encore moins pour ces ridicules opinions, que la nudité est un privilège de la liberté ou de l'innocence.

La seconde preuve qu'on donne de la nudité des Picards, est tirée de ce qu'on fit le rapport à Ziska que ceux qui s'étaient fortifiés dans une île y allaient tout nuds, et commettaient sans honte toutes sortes d'infamies : cette preuve n'est qu'un conte absurde qu'on inventa contre des malheureux qu'on voulait sacrifier ; et ce qui réfute pleinement la fausseté de ce bruit, c'est qu'entre tant de picards que Ziska saisit dans cette ile, et qu'il fit périr, on ne voit pas dans l'Histoire qu'un seul ait été trouvé nud. De plus, comment se persuader que la noblesse de Moravie, qui protégeait les picards de son pays, ait pu soutenir des fanatiques qui donnaient dans l'excès ridicule de se faire une religion de la nudité ? Enfin, comment imaginer que d'infâmes voluptueux souffrent constamment les plus cruels supplices, et qu'ils embrassent volontairement une mort cruelle qui les Ve priver de tous les plaisirs après lesquels ils couraient ? Ajoutez à toutes ces preuves le témoignage du jésuite Balbinus, qui ne doit pas être suspecté de favoriser ces hérétiques ; et néanmoins il convient que c'est à tort qu'on a accusé les Picards à cet égard, et il reproche à Théobald d'avoir donné mal-à-propos aux Adamites le nom de Picards. Balbin. Epitome rer. Bohem. lib. IV. pag. 449. Voici ce que les Théologiens catholiques les plus modérés pensent des Picards : ils disent que ce fut une secte d'hérétiques qui s'élevèrent en Bohème dans le XVe siècle, et qui prirent ce nom de leur chef appelé Picard, natif des Pays-bas.

Que ce fanatique se fit suivre d'un assez grand nombre d'hommes et de femmes qu'il prétendait, disait-il, rétablir dans le premier état d'innocence ou Adam avait été créé ; c'est pourquoi il prenait aussi le titre de nouvel Adam.

Que sous ce prétexte il établit comme un dogme parmi ses sectateurs, la jouissance des femmes, ajoutant que la liberté des enfants de Dieu consistait dans cet usage, et que tous ceux qui n'étaient pas de leur secte étaient esclaves. Mais quoiqu'il autorisât la communauté des femmes, ses disciples ne pouvaient cependant en jouir sans sa permission, qu'il accordait aisément, en disant à celui qui lui présentait une femme avec laquelle il désirait avoir commerce : Va, fais croitre, multiplie et remplis la terre. Il permettait aussi à cette populace ignorante d'aller toute nue, imitant en ce point comme en l'autre les anciens Adamites. Voyez ADAMITES.

Les Picards avaient établi leur résidence dans une île de la rivière de Lansnecz, à quatorze lieues de Tabor, place forte, où Ziska, général des Hussites, avait son quartier principal. Ce guerrier instruit des abominations des Picards, marcha contr'eux, s'empara de leur ile, et les fit tous périr par le fer ou par le feu, à l'exception de deux qu'il épargna, pour s'instruire de leur Doctrine. Dubrav. liv. VI. Sponde ad. ann. chr. 1420.




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