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Catégorie parente: Science de Dieu
Catégorie : Histoire ecclésiastique
S. m. pl. (Histoire ecclésiastique) secte très-ancienne parmi les Juifs, si l'on en croit quelques auteurs, et qui subsiste encore parmi les Juifs modernes en Pologne, en Russie, à Constantinople, au Caire, et dans plusieurs autres endroits du Levant. Ce qui les distingue des autres Juifs, quant à la religion, c'est leur attachement scrupuleux à la lettre de l'Ecriture, exclusivement aux allégories, traditions, interprétations humaines, etc.

Léon de Modene, rabbin de Venise, observe que de toutes les hérésies qui étaient chez les Juifs avant la destruction du temple, il n'est resté que celle de Caraim, nom dérivé de Miera, qui signifie le pur texte de l'Ecriture ; parce que les Caraïtes veulent qu'on s'en tienne au Pentateuque ; qu'on le garde à la lettre, sans égard pour les gloses et les interprétations des rabbins.

Aben Ezra et quelques autres, pour rendre les Caraïtes odieux, les qualifient de Saducéens, mais Léon de Modene se contente de les appeler Saducéens mitigés, parce qu'ils admettent l'immortalité de l'âme, la résurrection, les récompenses et les peines de la vie future, que rejetaient les anciens Saducéens, dont il doute même que les Caraïtes soient descendus. Voyez SADUCEENS.

M. Simon suppose avec plus de vraisemblance, que cette secte ne s'est formée que de l'opposition qu'ont apportées aux rêveries des Thalmudistes les Juifs les plus sensés, qui s'en tenant au texte de l'Ecriture pour réfuter les traditions mal-fondées de ces nouveaux docteurs, en reçurent le nom de Caraim, qui signifie en latin barbare, scripturarii, c'est-à-dire gens attachés au texte de l'Ecriture, et qu'on y ajouta le nom odieux de Saducéens, parce qu'à l'imitation de ceux-ci, ils rejetaient les traditions des docteurs.

Scaliger, Vossius, et M. Spanheim, par une erreur qui n'est pas pardonnable à des savants du premier ordre, ont mis les Caraïtes au même rang que les Sabéens, les Mages, les Manichéens, et même les Musulmants. Wolfgang, Fabricius, etc. disent que les Saducéens et les Esséniens furent appelés Caraïtes, par opposition aux Pharisiens, qui, comme l'on sait, étaient grands traditionaires. D'autres croient que ce sont les docteurs de la loi, legisperiti, dont il est si souvent parlé dans l'Ecriture ; mais toutes ces conjectures sont peu solides. Josephe ni Philon ne font aucune mention des Caraïtes ; cette secte est donc plus récente que ces deux auteurs, on la croit même postérieure à la collection de la seconde partie du Thalmud, connue sous le nom de Gemara : peut-être même ne commença-t-elle qu'après la compilation de la Mischna, vers le Ve ou VIe siècle ; d'autres en reculent l'origine jusqu'au VIIIe siècle.

Les Caraïtes de leur côté, intéressés à se donner le mérite de l'antiquité, font remonter la leur jusqu'au temps où les dix tribus furent emmenées captives par Salmanasar. Wolf, sur les mémoires du caraïte Mardochée, la fixe au temps du massacre des docteurs Juifs sous le règne d'Alexandre Jannée, environ cent ans avant Jesus Christ. On raconte qu'alors Simon fils de Schétach, frère de la reine, s'étant enfui en Egypte, y forgea ses prétendues traditions, qu'il débita à son retour à Jérusalem, interprétant la loi à sa fantaisie, et se vantant d'être le dépositaire des connaissances que Dieu avait communiquées de bouche à Moyse ; en sorte qu'il s'attira un grand nombre de disciples : mais il trouva des contradicteurs, qui soutinrent que tout ce que Dieu avait révélé à Moyse était écrit, et qu'il fallait s'en tenir-là. Cette division, ajoute-t-on, donna naissance à la secte des Rabbinistes ou Traditionaires, parmi lesquels brilla Hillel ; et des Caraïtes, dont Juda, fils de Tabbaï, fut un des chefs. Le même auteur met au nombre de ceux-ci, non-seulement les Saducéens, mais aussi les Scribes dont il est parlé dans l'Evangile. L'adresse et le crédit des Pharisiens affoiblirent le parti des Caraïtes ; Wolf dit qu'Anam le releva en partie dans le VIIIe siècle, et Rabbi Schalomon dans le IXe Il était très-nombreux dans le XIVe mais ils ont toujours été depuis en déclinant.

Les ouvrages des Caraïtes sont peu connus en Europe, quoiqu'ils méritent mieux de l'être que ceux des Rabbins. On en a un manuscrit apporté de Constantinople, qui se conserve dans la bibliothèque des pères de l'Oratoire de Paris. Les savants les plus versés dans l'intelligence de l'hébreu, n'ont d'ailleurs Ve que très-peu de leurs écrits. Buxtorf n'en avait Ve aucun ; Selden n'en avait lu que deux ; Trigland assure qu'il en a recouvré assez pour en parler avec quelque certitude ; et il avance, apparemment d'après eux, que peu de temps après que les prophetes eurent cessé, les Juifs se partagèrent touchant les œuvres de surérogation ; les uns soutenant qu'elles étaient nécessaires, suivant la tradition des docteurs ; les autres les rejetant, parce qu'il n'en est pas fait mention dans la loi ; et ce dernier parti forma la secte des Caraïtes. Il ajoute qu'après la captivité de Babylone on rétablit l'observation de la loi et des pratiques qu'on en regardait comme des dépendances essentielles, selon les Pharisiens, qui en rapportaient l'institution à Moyse.

Léon de Modene observe que les Caraïtes modernes ont leurs synagogues et leurs cérémonies particulières, et qu'ils se regardent comme les seuls vrais observateurs de la loi ; donnant par mépris le nom de Rabbanim à ceux qui suivent les traditions des rabbins. Ceux-ci de leur côté haïssent mortellement les Caraïtes, avec lesquels ils ne veulent ni s'allier, ni même converser, et qu'ils appellent mamzerim, c'est-à-dire bâtards, parce que les Caraïtes n'observent point les usages des rabbins dans les mariages, les divorces, la purification légale des femmes, etc. aversion poussée si loin, que si un Caraïte voulait passer dans la secte des Rabbinistes, ceux-ci le refuseraient.

Il est cependant faux que les Caraïtes rejettent absolument toutes sortes de traditions ; ils n'en usent ainsi qu'à l'égard de celles qui ne leur paraissent pas bien fondées. Selden qui traite au long de leurs sentiments dans son livre intitulé Uxor hebraïca, dit qu'outre le texte de l'Ecriture, les Caraïtes reçoivent certaines interprétations qu'ils appellent héréditaires, et qui sont de véritables traditions. Leur théologie ne diffère de celle des autres Juifs, qu'en ce qu'elle est plus dégagée de vétilles et de superstitions ; car ils n'ajoutent aucune foi aux explications des cabalistes, ni aux sens allégoriques, souvent plus subtils que raisonnables. Ils rejettent aussi toutes les décisions du Thalmud qui ne sont pas conformes au texte de l'Ecriture, ou qui n'en suivent pas par des conséquences nécessaires et naturelles : en voici trois exemples. Le premier regarde les mizouzot ou parchemins que les Juifs rabbinistes attachent à toutes les portes par lesquelles ils ont coutume de passer. Le second concerne les Thephilim ou Philactères dont il est parlé dans le Nouveau testament. Le troisième est sur la défense faite aux Juifs de manger du lait avec de la viande. Les Rabbinistes prétendent que les deux premiers de ces articles sont formellement ordonnés par ces paroles du Deutéronome, ch. VIe Ve 8. Et ligabis ea quasi signum in manu tua, eruntque et movebuntur inter oculos tuos, scribesque ea in limine et in ostiis domus tuae. Aaron le caraïte, dans son commentaire sur ces paroles, répond qu'on ne doit point les prendre à la lettre ; que Dieu a seulement voulu faire connaître par-là que dans toutes les circonstances de la vie son peuple devait avoir devant les yeux la loi donnée à Moyse. Quant aux Thephilim, après y avoir donné une pareille interprétation, les Caraïtes appellent par raillerie les rabbins des ânes bridés de leurs fronteaux. Voyez FRONTEAU. S. Jérôme explique aussi ce passage dans un sens figuré. Sur le troisième article, que les rabbins croient expressément défendu par le Deutéronome, ch. XIVe Ve 21. Non coques hædum in lacte matris suae ; les Caraïtes répondent avec beaucoup de vraisemblance, qu'on doit l'expliquer par cet autre passage : Tu ne tueras point la mère quand elle aura des petits ou qu'elle sera pleine. A cela les rabbins n'opposent que la tradition et l'autorité de leurs docteurs ; motif insuffisant, selon les Caraïtes, pour admettre une infinité de pratiques dont on ne trouve rien dans le texte sacré.

Ces derniers retiennent cependant plusieurs superstitions des rabbins. Schupart, dans son livre de sectâ Karræorum, montre qu'ils ont les mêmes scrupules, et s'attachent aux mêmes minuties sur l'observation du sabbat, de la pâque, des fêtes, de l'expiation, et des tabernacles, etc. qu'ils observent aussi régulièrement les heures de la prière et les jours de jeune, qu'ils portent le zitzit ou morceaux de frange aux coins de leurs manteaux, et croient que tout péché peut être effacé par la pénitence ; au contraire des rabbins, qui soutiennent que certains péchés ne peuvent être effacés que par la mort. Les Caraïtes ne croient pas, comme les Traditionaires, qu'il doive y avoir du sang répandu dans la circoncision, ni que ce signe de leur loi doive être donné à l'enfant toujours le huitième jour après sa naissance, et même aux enfants morts ; mais qu'à ceux qui sont en danger on doit anticiper ce jour. Quant aux divorces, ils conviennent avec les autres Juifs, aussi-bien que dans la manière de tuer et de préparer les viandes permises : ils en diffèrent seulement sur les espèces d'impuretés et de pollutions légales.

Peringer dit que les Caraïtes de Lithuanie sont fort différents, et pour le langage et pour les mœurs, des Rabbinistes dont ce pays est plein ; qu'ils parlent la langue turque dans leurs écoles et leurs synagogues, à l'exemple des Tartares mahométants ; que leurs synagogues sont tournées du septentrion au midi, parce que, disent-ils, Salmanasar ayant transporté leurs pères dans des provinces situées au nord de Jérusalem, ceux-ci pour prier regardaient le côté où était située la Ville-sainte, c'est-à-dire le midi. Le même auteur ajoute qu'ils admettent tous les livres de l'ancien-Testament ; opinion opposée à celle du plus grand nombre de savants, qui prétendent que les Caraïtes ne reconnaissent pour canonique que le Pentateuque, et ne reconnaissent que trois prophetes, savoir, Moyse, Aaron, et Josué.

Caleb réduit à trois points toutes les différences qui se rencontrent entre les Caraïtes et les Rabbinistes ; savoir, que les premiers nient, 1°. que la loi orale ou la tradition viennent de Moyse, et rejettent la cabale. 2°. Ils abhorrent le Thalmud. 3°. Ils observent les fêtes comme le sabbat, etc. beaucoup plus rigoureusement que leurs adversaires, à quoi l'on peut ajouter qu'ils étendent presque à l'infini les degrés prohibés pour le mariage. Voyez CABALE, THALMUD, SABBAT, etc. Les Caraïtes ont encore ceci de particulier, que, selon l'ancienne coutume des Juifs, ils règlent leurs fêtes sur l'apparition de la lune, et blâment les Rabbinistes qui, dans leur calendrier, se servent des calculs astronomiques. Voyez RABBINISTES. (G)




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