S. m. (Théologie) Les Gomaristes sont, parmi les Calvinistes, opposés aux Arminiens. Voyez ARMINIENS. Ils ont pris leur nom de Gomar, professeur dans l'université de Leyde, et ensuite dans celle de Groningue : on les appelle aussi contre-Remontrants, de leur opposition aux Arminiens, qu'on a appelé Remontrants.

On peut connaître la doctrine des Gomaristes par le seul exposé des sentiments des Remontrants, qu'on trouve à l'article ARMINIENS, la théologie des uns étant diamétralement opposée à celle des autres ; et on peut voir encore les cinq oppositions des Gomaristes contraires à celles des Arminiens. Epist. théol. et ecclésiastiq.

On peut prendre encore une idée fort nette de la doctrine des Gomaristes, au douzième livre de l'histoire des variations, où M. Bossuet la développe avec beaucoup d'étendue ; nous y renvoyons nos lecteurs. En général, on peut dire que les Gomaristes sont aux Arminiens ce que les Thomistes et les autres défenseurs de la grâce efficace et de la prédestination rigide, sont aux Molinistes et aux autres défenseurs des droits du libre arbitre et de la volonté de sauver tous les hommes : il n'y a sur ces matières que deux opinions opposées et contradictoires. Voyez GRACE.

Nous nous bornerons ici à dire un mot de l'histoire du Gomarisme et des troubles que les disputes des Remontrants et des contre-Remontrants ont causés en Hollande, parce que les faits de cette nature appartiennent à l'histoire de l'esprit humain.

Luther reprochant à l'Eglise romaine qu'elle était tombée dans le Pélagianisme, fit ce qu'on a toujours fait en pareilles matières, et se jeta dans l'extrémité opposée ; il établit sur les matières de la grâce et de la prédestination, une doctrine rigide et incompatible avec les droits du libre arbitre et la bonté de Dieu. Melanchton, esprit doux et modéré, l'engagea à se relâcher un peu de ses premières opinions, et depuis les théologiens de la confession d'Augsbourg marchèrent sur les traces de Mélanchton à cet égard : mais ces adoucissements déplurent à Calvin. Ce réformateur, et son disciple Théodore de Beze, soutinrent le prédestinatianisme le plus rigoureux, et ils y ajoutèrent la certitude du salut et l'inadmissibilité de la justice. Leur doctrine était reçue presque universellement en Hollande, lorsqu' Arminius professeur dans l'université de Leyde, se déclara contre les maximes enseignées par les églises du pays, et se forma bien-tôt un parti nombreux : il trouva un adversaire dans la personne de Gomar. Les disputes se multiplièrent et se répandirent bien-tôt dans les colléges des autres villes et ensuite dans les consistoires et dans les églises. La querelle était encore purement ecclésiastique, agitée seulement par les ministres de la religion, lorsque les états de Hollande et West-Frise voulurent s'en mêler ; ils ordonnèrent en 1608 une conférence publique à la Haye entre Gomar et Arminius, assistés l'un et l'autre des plus habiles gens de leur parti ; mais après avoir bien disputé, on se sépara sans convention et sans accommodement : sur cela on ordonna que les actes de la conférence seraient supprimés, et qu'on garderait le silence sur les matières contestées.

Cette première loi de silence ne rétablit point la paix. Après la mort d'Arminius arrivée en 1609, ses disciples dressèrent une requête qu'ils présentèrent aux états de Hollande en 1610, sous le nom de remontrance, qui renfermait en divers articles la doctrine de leur maître sur la grâce et la prédestination ; les Gomaristes de leur côté demandèrent à être entendus. Les états de Hollande et West-Frise ordonnèrent une seconde conférence à la Haye, qui n'eut pas plus de succès, et après laquelle on fit une seconde loi de silence, contre laquelle les Gomaristes se récrièrent fort, et qui ne fut pas plus observée que la première.

Cependant les Gomaristes demandaient avec instance un synode où ils pussent convaincre leurs adversaires touchant les dogmes contestés qu'on avait réduits à cinq propositions : les Arminiens firent ce qu'ils purent pour détourner le coup ; ils prévoyaient qu'ils seraient infailliblement condamnés, le plus grand nombre des ministres leur étant contraires.

C'était une chose singulière et qui fait connaître l'esprit du siècle, que de voir au milieu de tout cela le roi d'Angleterre Jacques I. écrivant de gros livres contre l'arminien Vorstius, successeur d'Arminius dans l'université de Leyde, se donnant les plus grands mouvements et par lui-même et par son ambassadeur auprès des Provinces-Unies, pour faire chasser de l'université un professeur pélagien.

En attendant le synode, on tint une conférence à Delft, entre trois gomaristes et trois arminiens, qui se passa en explications réciproques et avec assez de modération. Ceci se passait en 1613 : au mois de Janvier de l'année suivante, les états de Hollande et West-Frise firent une nouvelle ordonnance dans laquelle on rappelle les esprits à l'instruction de l'apôtre S. Paul, non plus sapere quàm oportet, sed sapere ad sobrietatem ; on y défend d'enseigner au peuple les conséquences trop dures qui paraissent suivre des opinions rigides de quelques théologiens sur la grâce et la prédestination ; par ex. que quelques hommes ont été créés pour la damnation ; que Dieu leur impose la nécessité de pécher, et leur offre le salut sans vouloir qu'ils y arrivent : et quoique (disent les états) ces questions étant agitées dans les universités et dans les assemblées des ministres, ce que nous vous permettons encore, il en arrive que les sentiments se partagent ; ce qu'on a Ve dans tous les temps, même parmi les hommes savants et pieux, nous défendons de traiter ces matières difficiles en public, en chaire, ou autrement. Ils ordonnent en outre aux pasteurs de se conformer dans l'explication des divers points de la doctrine chrétienne, à l'Ecriture-sainte et à la foi des églises réformées, et enfin de suivre l'esprit de la charité chrétienne, et d'éviter de nouvelles discussions, suivant les premiers decrets portés par les états.

Cette troisième ordonnance fut encore mal reçue des Gomaristes, dont les opinions y étaient assez caractérisées et proscrites en même temps ; ils écrivirent contre le décret ; les Arminiens le défendirent, Grotius en fit l'apologie. Les historiens remarquent même que cette ordonnance de 1614 contribua à rendre plus fiers et moins accommodants les Arminiens qui s'étaient montrés jusque-là fort doux et fort pacifiques. Une nouvelle conférence tenue à Rotterdam au commencement de Novembre 1615, ne tranquillisa pas les esprits : de sorte qu'en 1617, les états de Hollande et West-Frise, que les Gomaristes accusaient toujours de vouloir apporter du changement dans la religion réformée, et de s'arroger mal-à-propos le droit de pourvoir aux choses de la religion, firent une déclaration dans laquelle ils avancent d'abord qu'il appartient au magistrat de se mêler des affaires ecclésiastiques. Ensuite, après avoir rapporté les cinq propositions de la remontrance de 1610, renfermant toute la doctrine des Arminiens sur la grâce et la prédestination, ils décident que ceux qui les tiennent et les enseignent ne peuvent être retranchés de la communion de l'Eglise, et déclarés hérétiques.

On peut voir ces cinq propositions à l'article ARMINIENS ; et celles des Gomaristes qui y sont opposées, dans la remontrance des premiers. Epist. théol. et ecclésiast.

Cette déclaration ne fit qu'animer encore davantage les Gomaristes ; ils la firent casser par l'autorité du prince Maurice et des états généraux : mais les états de Hollande, pour maintenir leur supériorité indépendante, cassèrent cette sentence et levèrent des troupes ; les troubles se multiplièrent ; on en vint aux mains dans plusieurs villes. Les états généraux, pour calmer le désordre, arrêtèrent au commencement de 1618, que le prince Maurice marcherait pour déposer les magistrats arminiens, dissiper les troupes qu'ils avaient levées, et chasser leurs ministres. Après avoir réussi dans cette entreprise dans les provinces de Gueldres, d'Over-Yssel et d'Utrecht, il fit arrêter le grand pensionnaire Barneveld, Hoogerbets et Grotius, les principaux soutiens du parti des Arminiens ; quelques jours après, il partit de la Haye, et parcourant les provinces de Hollande et West-Frise, il déposa dans toutes les villes les magistrats arminiens, bannit les principaux ministres et les théologiens de cette secte, et leur ôta même des églises pour les donner aux Gomaristes.

Ceux qui s'étaient opposés alors au dessein d'un synode national, étant ainsi abattus, on songea à le convoquer. Ce synode devait représenter toute l'église belgique ; mais on y invita aussi des docteurs et des ministres de toutes les églises réformées de l'Europe, et cela pour fermer la bouche aux Remontrants, qui prétendaient que si un synode provincial ne suffisait pas pour terminer les contestations, un synode national serait aussi insuffisant, et qu'il en fallait un écuménique. Au reste, on pouvait prévoir que le synode national ou écuménique ne serait pas favorable aux Arminiens ; les députés qu'on nomma dans des synodes particuliers ayant presque tous été pris parmi les Gomaristes ; ce qui engagea les Remontrants montrants à protester d'avance contre tout ce qui se ferait.

On avait choisi Dordrecht pour la célébration du synode ; l'ouverture s'en fit le 13 Novembre 1618.

Nous ne donnerons pas ici un détail suivi de ce qui s'y passa ; nous dirons seulement que les Arminiens y furent condamnés unanimement ; leurs opinions y furent déclarées contraires à l'Ecriture et à la doctrine des premiers réformateurs. On ajouta à cette condamnation une censure personnelle contre les Arminiens cités au synode ; ils avaient été retenus dans la ville par les états généraux, après avoir présenté inutilement plusieurs requêtes pour être renvoyés chez eux. Cette sentence fut dressée au nom du synode et des députés des états généraux ; elle déclarait les Arminiens détenus à Dordrecht atteints et convaincus d'avoir corrompu la religion et déchiré l'unité de l'Eglise ; et pour ces causes, elle leur interdisait toute charge ecclésiastique, les déposait de leurs vocations, et les jugeait indignes des fonctions académiques. Elle portait que tout le monde serait tenu de renoncer publiquement aux cinq propositions des Arminiens ; que les noms de Remontrants et contre-Remontrants seraient abolis et oubliés. Les peines portées par cette sentence sont toutes ecclésiastiques : mais il ne tint pas aux Gomaristes, qu'elles ne fussent et civiles et plus sévères.

Ils avaient fait les plus grands efforts pour faire condamner les Arminiens comme ennemis de la patrie et perturbateurs du repos public ; mais les théologiens étrangers refusèrent absolument d'approuver la sentence du synode en ce point ; de sorte qu'on fut obligé de la réformer ; et même quelque correction qu'on y eut faite, plusieurs ne voulurent point entrer dans ce qui regardait la sentence personnelle des Arminiens : mais les états généraux satisfirent en cela l'animosité des Gomaristes des Provinces-Unies ; car après avoir donné un édit le 2 Juillet de la même année, pour approuver et faire exécuter les decrets de la sentence du synode, on proscrivit les Arminiens ; on bannit les uns, on emprisonna les autres, et on confisqua les biens de plusieurs.

Le supplice du célèbre Barnevelt, grand pensionnaire de Hollande, suivit de près la fin du synode, et le prince d'Orange fit porter contre lui une sentence de mort, dans laquelle, parmi d'autres griefs en matière civile, on l'accusait d'avoir conseillé la tolérance de l'Arminianisme, d'avoir troublé la religion et contristé l'Eglise de Dieu. Tout le monde sait que cet homme célèbre fut le martyr des lois et de la liberté de son pays, plutôt que des opinions des Arminiens, quoiqu'il les adoptât.

Le prince d'Orange Maurice, qui visait à la souveraineté des Pays-Bas, et qui était traversé dans ses desseins par les magistrats des villes et les états particuliers des provinces, et surtout de celles de Hollande et West-Frise, à la tête desquels se trouvaient Barnevelt et Grotius, se servit du prétexte des querelles de religion pour abattre ces républicains, et pensa opprimer tout à fait la liberté de la Hollande, sous l'apparence d'en extirper l'Arminianisme.

En 1623, une conjuration contre le prince d'Orange, dans laquelle entrèrent plusieurs Arminiens, fut une nouvelle occasion de les persécuter, que les Gomaristes ne laissèrent pas échapper ; on les appela dans les prêches des traitres et des parricides. Il était assez naturel de penser que Guillaume Barnevelt, chef de cette conspiration, et fils puiné du grand pensionnaire, était animé par le désir de vanger la mort de son père ; mais on ne manqua pas de représenter la conspiration comme l'ouvrage de toute la secte, et la persécution fut très-vive.

Après la mort de Maurice, arrivée en 1625, les Arminiens tentèrent inutilement leur rétablissement en Hollande, sous le prince Frédéric Henri son frère ; ils se réfugièrent en divers pays de l'Europe où on leur offrait des asiles.

Mais la tolérance civîle et même ecclésiastique s'établissant peu-à-peu en Hollande, à la suite des principes de la réforme, sous le stathoudérat de Guillaume II. fils du prince Henri, on leur permit d'avoir des églises dans quelques villes des Provinces-Unies ; celle d'Amsterdam a eu de grands hommes à sa tête ; le savant le Clerc, de Limborch, et beaucoup d'habiles gens y ont été ministres.

Les Gomaristes sont toujours dans la religion réformée le parti dominant, et les Arminiens y font secte, au-moins pour la police extérieure de la religion. On professe encore ouvertement les dogmes rigides des premiers réformateurs ; les formules de foi expriment par-tout cette même doctrine, et on est obligé de s'y conformer pour parvenir aux emplois ecclésiastiques : il en est de même en Angleterre, où les épiscopaux tiennent les opinions de Calvin sur les matières de la grâce et de la prédestination. Cependant une grande partie des ministres, dans la réforme, s'est rapprochée des sentiments des Arminiens, ramenée à ces opinions par la Philosophie et surtout par la Morale, qui s'en accommodent beaucoup mieux : on les accuse même de donner dans les sentiments des Sociniens sur plusieurs articles considérables de la doctrine chrétienne. Quoi qu'il en sait, l'Arminianisme ne cause plus aujourd'hui aucun trouble en Hollande ; la tolérance civîle a réparé les maux qu'avait faits la persécution. Les magistrats hollandais ont enfin compris que pour le bien de la paix, ils devaient s'abstenir de se mêler dans ces disputes ; permettre aux théologiens de parler et d'écrire à leur aise ; les laisser conférer s'ils en avaient envie, et décider, si cela leur plaisait ; et surtout ne persécuter personne. (G)