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Catégorie parente: Science de Dieu
Catégorie : Theologie
S. f. (Théologie) du grec , action de grâces ; sacrement de la loi nouvelle, ainsi nommé parce que Jesus-Christ, en l'instituant dans la dernière cène, prit du pain, et rendant grâce à son père, benit ce pain, le rompit, le distribua à ses apôtres, en leur disant, ceci est mon corps ; et que c'est le principal moyen par lequel les Chrétiens rendent grâce à Dieu, par Jesus-Christ.

On l'appelle aussi cène du Seigneur, parce qu'il fut institué dans la dernière cène ; communion, parce que c'est le lien d'unité du corps de Jesus-Christ et de l'Eglise ; Saint Sacrement, et parmi les Grecs, les Saints mystères par excellence, parce que c'est le principal des signes des choses sacrées établi par Jésus-Christ ; viatique, parce qu'il est particulièrement nécessaire pour fortifier les fidèles dans le passage de cette vie à l'autre. Les Grecs l'appellent synaxe ou eulogie, parce que c'est le lien de l'assemblée du peuple, et la source des bénédictions de Dieu sur les Chrétiens. Voyez COMMUNION, SACREMENT, MYSTERE, VIATIQUE, etc.

Les Théologiens catholiques définissent l'eucharistie, un sacrement de la loi nouvelle, qui, sous les espèces ou apparences du pain et du vin, contient réellement, véritablement, et substantiellement le corps et le sang de Notre-Seigneur Jesus-Christ, pour être la nourriture spirituelle de nos âmes, en y entretenant la vie de la grâce. Ils la considèrent aussi comme un sacrifice proprement dit, dans lequel Jesus-Christ est offert à Dieu son père par le ministère des prêtres, et renouvellé, d'une manière non sanglante, le sacrifice sanglant qu'il fit de sa vie sur l'arbre de la croix, pour la rédemption du genre humain. Par ce sacrifice de la nouvelle loi, les mérites de la mort et passion de Jesus-Christ sont appliqués aux fidèles ; et on l'offre dans l'Eglise catholique ; pour les vivants et pour les morts. Voyez SACREMENT et SACRIFICE.

La matière de ce sacrement est le pain de froment et le vin ; la discipline de l'église latine est de consacrer avec du pain azyme ou sans levain : celle de l'église grecque est de se servir de pain levé ; l'un et l'autre est indifférent pour la validité du sacrement. C'est un précepte de tradition ecclésiastique, de mêler un peu d'eau dans le vin ; la pratique en est constante parmi les Grecs et les Latins ; et elle est confirmée par S. Cyprien et par les autres pères. Ce mélange figure l'union des fidèles avec Jesus-Christ.

La forme de ce sacrement sont ces paroles de Jesus-Christ, pour le pain, ceci est mon corps ; pour le vin, ceci est le calice de mon sang, ou c'est mon sang ; paroles que le prêtre prononce, non pas en son propre nom, mais au nom de Jesus-Christ ; et par la vertu desquelles le pain et le vin sont transsubstantiés, ou changés au corps et au sang de Jesus-Christ. Voyez TRANSUBSTANTIATION.

Les évêques et les prêtres ont toujours été les seuls ministres ou consécrateurs de l'eucharistie ; mais anciennement les diacres la distribuaient aux fidèles ; et ils pourraient encore aujourd'hui la dispenser, par ordre de l'évêque.

Depuis l'institution de l'eucharistie, les Chrétiens ont, de tout temps, célébré ce mystère dans leurs assemblées religieuses, dans lesquelles les évêques ou les prêtres bénissaient du pain et du vin, et le distribuaient aux assistants, comme étant devenu par la consécration le vrai corps et le vrai sang de J. C. De-là le respect qu'ils ont eu pour l'eucharistie, et l'adoration qu'ils lui ont rendue, comme on peut s'en convaincre par les prières qui, dans toutes les lithurgies, suivent les paroles de la consécration, et qui sont autant d'actes ou de témoignages d'adoration, et de monuments de la foi des peuples. Les cathécumenes et les pénitens n'assistaient point à la consécration de l'eucharistie, et ne participaient point à sa réception. Jusqu'au douzième siècle, les fidèles la recevaient sous les deux espèces du pain et du vin, tant dans l'église latine que dans l'église grecque. Cette dernière a retenu son ancien usage ; mais l'église latine a adopté celui de n'administrer l'eucharistie aux simples fidèles, que sous l'espèce du pain. Le retranchement de la coupe, ou de l'espèce du vin, a occasionné les guerres les plus sanglantes en Bohème dans le quinzième siècle, et l'on en agita le rétablissement au concîle de Trente ; mais enfin la discipline présente de l'église, à cet égard, a prévalu. Voyez HUSSITES et TABORITES.

La présence réelle de Jesus-Christ dans l'eucharistie, a été premièrement attaquée dans le neuvième siècle, par Jean Scot, dit Erigène ou l'Hibernais, qui avait été précepteur de Charles le Chauve. Cet écrivain, que les Protestants ont voulu faire passer pour un grand génie, n'était qu'un scolastique très-obscur dans ses expressions, et dont l'ouvrage sur l'eucharistie, connu à peine de trois ou quatre de ses contemporains, serait demeuré dans un éternel oubli, si les Calvinistes ne l'en eussent tiré, pour se prévaloir de son autorité ; mais au fond, elle n'est pas en elle-même d'un grand poids ; et le style embrouillé de cet auteur ne décide pas une controverse si importante.

Bérenger, archidiacre d'Angers, excita un peu plus de rumeur dans le onzième siècle. Il nia ouvertement la présence réelle et la transubstantiation : On tint, tant en France qu'en Italie, divers conciles où il fut cité ; il y comparut, fut convaincu d'erreurs ; il les retracta et y retomba ; enfin, après différentes variations, il mourut catholique en 1083, si l'on en croit Clavius, l'auteur de la chronique de S. Martin, Hildebert du Mans, et Baltride évêque de Dol, auteurs contemporains de Bérenger. Voyez BERENGARIENS.

Dans le seizième siècle, les Protestants ont attaqué l'eucharistie ; mais tous ne s'y sont pas pris de la même manière. Luther et ses sectateurs, en reconnaissant la présence réelle de Jesus-Christ dans l'eucharistie, ont rejeté la transubstantiation, soutenant que la substance du pain et du vin demeurait avec le corps et le sang de Jesus-Christ. Voyez CONSUBSTANTIATION et IMPANATION.

Zuingle au contraire a enseigné que l'eucharistie n'était que la figure du corps et du sang de Jésus-Christ, à laquelle on donnait le nom des choses dont elle est la figure. Voyez ZUINGLIENS.

Enfin Calvin a prétendu que l'eucharistie renferme seulement la vertu du corps et du sang de Jesus-Christ, et qu'on ne le reçoit dans ce sacrement que par la foi, et d'une manière toute spirituelle : les Anglicans ont adopté cette dernière doctrine ; et l'on peut voir, dans la belle histoire des variations écrite par M. Bossuet, quel partage ces diverses opinions ont occasionné parmi les Protestants. Voyez CALVINISME et CALVINISTES.

A entendre Calvin, ses premiers sectateurs et les ministres calvinistes, le dogme de la présence réelle universellement établi dans l'église romaine, n'était rien moins qu'une idolatrie manifeste et suffisante pour autoriser le schisme qui en a séparé une grande partie de l'Allemagne et tout le nord de l'Europe ; et cependant, par une inconséquence évidente, ce même Calvin et ses sectateurs n'ont pas fait difficulté de communiquer, en matière de religion, avec les Luthériens, qui font profession de croire la présence réelle. Voyez LUTHERIENS.

Jamais dispute n'a été agitée avec plus de chaleur que celle de la présence réelle. Jamais question n'a été plus enveloppée de subtilités de la part des novateurs, ni mieux et plus profondément discutée de celle des Catholiques. Nous allons donner un précis des principales raisons de part et d'autre.

Les Catholiques prouvent la vérité de la présence réelle par deux voies ; l'une qu'ils appellent de discussion, l'autre, qu'ils appellent de prescription.

La voie de discussion consiste à prouver la vérité de la présence réelle, par les textes de l'Ecriture qui regardent la promesse de l'eucharistie, son institution, et l'usage de ce sacrement : ceux qui concernent la promesse sont ces paroles de Jesus-Christ, en S. Jean, chap. VI. . 54. et suiv. si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme, et ne buvez son sang, vous n'aurez point ma vie en vous : ma chair est véritablement viande, et mon sang est véritablement breuvage. Celui qui mange ma chair et qui bait mon sang demeure en moi et moi en lui. Les paroles de l'institution sont celles-ci, en S. Matt. chap. XXVI. vers. 26. S. Marc, XIV. vers. 22. S. Luc, chap. XXII. vers. 19. prenez et mangez, ceci est mon corps ; prenez et buvez, ceci est mon sang ou le calice de mon sang. Enfin les textes, où il s'agit de l'usage de l'eucharistie, se trouvent dans la première épitre de S. Paul aux Corinthiens, chap. XX. vers. 16. Le calice que nous bénissons n'est-il pas la communication du sang de Jesus-Christ ? et le pain que nous rompons n'est-il pas la participation du corps du Seigneur ? et dans le chap. suiv. vers. 27. après avoir rapporté les paroles de l'institution, l'apôtre ajoute : ainsi quiconque aura mangé ce pain ou bu le calice du Seigneur indignement, sera coupable de la profanation du corps et du sang du Seigneur.

Ces textes, disent les Catholiques, ne peuvent s'entendre que littéralement et dans le sens propre. C'est ainsi que les Capharnaïtes, et les apôtres même, entendirent les paroles de la promesse ; et Jesus-Christ ne dit pas un mot pour les détromper sur le fond de la chose ; quoiqu'ils se trompassent sur la manière dont Jesus-Christ devait donner son corps à manger et son sang à boire : ils pensaient en effet qu'il en serait de la chair et du sang de Jésus-Christ comme des aliments ordinaires, et qu'ils les recevraient dans leur forme naturelle et physique ; idée qui fait horreur et qui les révolta. Mais Jesus-Christ sans leur expliquer la manière sacramentelle dont il leur donnerait sa chair pour viande, et son sang pour breuvage, n'en promet pas moins qu'il leur donnera l'un et l'autre réellement ; et les Calvinistes conviennent que dans ces passages il s'agit du vrai corps et du vrai sang de Jesus-Christ.

Le pain et le vin ne sont ni signes naturels ni signes arbitraires du corps et du sang de Jesus-Christ ; et les paroles de l'institution seraient vides de sens, si sans avoir préparé l'esprit de ses disciples, le Sauveur eut employé une métaphore aussi extraordinaire pour leur dire, qu'il leur donnait le pain et le vin comme des signes ou des figures de son corps et de son sang. Enfin les paroles qui concernent l'usage de l'eucharistie ne sont pas moins précises ; il n'y est mention ni de symboles, ni de signes, ni de figures, mais du corps et du sang de Jesus-Christ, et de la profanation de l'un et de l'autre, quand on reçoit indignement l'eucharistie.

D'ailleurs, ajoutent-ils, comment les pères, pendant neuf siècles entiers, ont-ils entendu ces paroles, non pas dans les écrits polémiques, ou dans des ouvrages de controverse, mais dans leurs catécheses ou instructions aux cathécumenes, dans leurs sermons et leurs homélies au peuple ? Comment, pendant le même espace de temps, les fidèles ont-ils entendu ces textes ? Que croyaient-ils ? Que pensaient-ils ? Lorsque dans la célébration fréquente des saints mystères, le prêtre ou le diacre leur présentant l'eucharistie, disant, corpus Christi, voilà ou ceci est le corps de Jesus-Christ, ils répondaient amen, il est vrai ; si, comme le supposent les Calvinistes, les uns et les autres ne croyaient pas la présence réelle, le langage des pères et celui du peuple n'était qu'un langage évidemment faux et illusoire. Les Pasteurs, comme le remarque très-bien l'auteur de la perpétuité de la foi, auraient sans-cesse employé des expressions qui énoncent précisément et formellement la présence réelle de Jesus-Christ dans l'eucharistie, pour n'enseigner qu'une présence figurée et métaphorique ; et les peuples, de leur côté, intimement convaincus que Jesus-Christ n'était pas réellement présent dans l'eucharistie, auraient conçu leur profession de foi dans des termes qui énonçaient formellement la réalité de sa présence. Cette double absurdité est inconcevable dans la pratique.

La voie de prescription consiste à prouver, que depuis la naissance de l'Eglise, jusqu'au temps où Bérenger a commencé à dogmatiser, l'Eglise grecque et latine ont constamment et unanimement professé la foi de la présence réelle, et l'ont encore professée depuis Bérenger jusqu'à Calvin, et depuis Calvin jusqu'à nous : c'est ce qu'ont démontré nos controversistes par la tradition non interrompue des pères de l'Eglise, par les décisions des conciles, par toutes les liturgies des églises d'Orient et d'Occident, par la confession même des sectes, qui se sont séparées de l'Eglise, telles que les Nestoriens, les Eutychiens, etc. ils ont amené les Calvinistes à ce point. On connait l'époque de la naissance de votre erreur sur la présence réelle : vous l'avez empruntée des Vaudais, des Petrobrusiens, des Henriciens ; vous remontez jusqu'à Bérenger, ou tout au plus, jusqu'à Jean Scot. Vous êtes donc venus troubler l'Eglise dans sa possession. Et quels titres avez-vous pour la combattre ? Voyez HENRICIENS, etc.

Les Protestants répondent : 1°. que les preuves tirées de l'Ecriture ne sont pas décisives ; et que les textes allégués par les Catholiques peuvent aussi-bien se prendre dans un sens métaphorique, que ceux-ci : Genèse chap. XLVI. vers. 2. les sept vaches grasses et les sept épis pleins sont sept années d'abondance : et dans Daniel, chap. XXII. vers. 28. ce prophète expliquant à Nabuchodonosor ce que signifiait la statue colossale qu'il avait vue en songe, il lui dit, vous êtes la tête d'or ; ou ce que Jesus-Christ dit dans la parabole de l'yvraie, en S. Matt. chap. XXIII. celui qui seme le bon grain, c'est le Fils de l'homme ; le champ, c'est le monde ; la bonne semence, ce sont les enfants du royaume ; l'yvraie, ce sont les méchants ; l'ennemi qui l'a semée, est le diable ; la moisson est la consommation des siècles ; les moissonneurs sont les anges ; et S. Paul, en parlant de la pierre d'où coulèrent des sources d'eau pour desaltérer les Israèlites dans le désert, dit dans la première épitre aux Corinthiens, chap. X. vers. 4. or la pierre était le Christ. Toutes ces expressions, ajoutent-ils, sont évidemment métaphoriques : donc, etc.

On leur replique avec fondement, que la disparité est des plus sensibles, et elle se tire de la nature des circonstances, de la disposition des esprits, et des règles du langage établies et reçues parmi tous les hommes sensés. Pharaon et Nabuchodonosor demandaient l'explication d'un songe : le premier demandait à Joseph ce que signifiaient ces sept vaches grasses et ces sept épis pleins qu'il avait vus pendant son sommeil : il ne pouvait donc prendre que dans un sens de signification et de figure la réponse de Joseph. Il en est de même de Nabuchodonosor, par rapport à Daniel ; ce monarque aurait perdu le sens commun, s'il eut imaginé qu'il était réellement la tête d'or de la statue qu'il avait vue en songe : mais il comprit d'abord que cette tête pouvait bien être une figure de sa propre personne et de son empire ; comme les autres portions de la même statue, composées les unes d'argent, les autres d'airain, celles-ci de fer, celles-là d'argile, étaient des symboles de différents autres princes et de leurs monarchies. Jesus-Christ proposait et expliquait une parabole dont le corps était allégorique, et qui renfermait nécessairement un sens d'application. Personne ne pouvait s'y méprendre : enfin S. Paul développait aux fidèles une figure de l'ancien Testament. Les esprits étaient suffisamment disposés à ne pas prendre le signe pour la chose signifiée ; mais il n'en est pas ainsi de ces paroles que Jesus-Christ adressa à ses apôtres, ceci est mon corps, ceci est mon sang. Le pain et le vin ne sont pas signes naturels du corps et du sang ; et si Jesus-Christ en eut fait alors des signes d'institution ou de convention, les règles ordinaires du langage et du bon sens ne lui eussent pas permis de substituer à l'autre un de ces termes qui n'auraient eu qu'un rapport arbitraire ou d'institution ; par exemple, on ne dit pas que du lierre soit du vin, parce qu'il devient signe de vin à vendre, par la convention et l'institution des hommes ; on ne dit point qu'une branche d'olivier est la paix, parce que, en conséquence des idées convenues, elle est le signe de la paix. Les apôtres n'étaient nullement prévenus ; J. C. n'avait préparé leurs esprits par aucune exposition ou convention préliminaire : ils devaient donc nécessairement entendre ses paroles dans le sens auquel il les prononçait ; c'est-à-dire dans le sens propre et littéral. Ces raisons qui sont simples et à la portée de tout le monde, n'ont pas paru telles à un écrivain, qui, après avoir vécu longtemps parmi les Catholiques, et pensé comme eux, s'est depuis retiré chez les Anglicans, dont il a épousé presque toutes les erreurs. Il qualifie le livre de la Perpétuité de la foi, qui contient ces raisonnements et beaucoup d'autres semblables : de Triomphe de la dialectique sur la raison. C'est au lecteur à juger de la justesse de cette application.

II. A la chaîne de tradition qu'on leur oppose, les Protestants objectent qu'il n'y a point ou presque point de père qui n'ait déposé en faveur du sens figuratif et métaphorique, et qui n'ait dit que l'eucharistie même après la consécration, est figure, signe, antitype, symbole, pain, et vin. Mais toutes ces chicanes que les Calvinistes ont rebattues en mille manières, se détruisent aisément par cette seule solution ; que l'eucharistie étant composée de deux parties, l'une extérieure et sensible, l'autre intérieure et intelligible, il n'est pas étonnant que les pères se servent souvent d'expressions qui ne conviennent à ce sacrement que selon ce qu'il a d'extérieur ; comme on dit une infinité de choses des hommes, qui ne leur conviennent que selon leurs vêtements. Ainsi l'eucharistie étant tout-à-la-fais, quoique sous différents rapports, figure et vérité, image et réalité, les pères ne laissent pas de donner aux symboles, même après la consécration, les noms de pain et de vin, et ceux d'image et de figure ; puisque d'un côté les noms suivant ordinairement l'apparence extérieure et sensible, la nature du langage reçu parmi les hommes nous porte à ne les pas changer, lorsque ces apparences ne sont pas changées, et que de l'autre, par les mots d'image et de figure, ils n'entendent point une image et une figure vide, mais une figure et une image qui contiennent réellement ce qu'elles réprésentent. En effet, quand les pères s'expliquent sur la partie intérieure et intelligible de l'eucharistie, c'est-à-dire sur l'essence et la nature du sacrement, ils s'expriment d'une manière si nette et si précise, qu'ils ne laissent aucun lieu de douter qu'ils n'aient admis la présence réelle. Ils enseignent, par exemple, que les symboles ayant été consacrés et faits eucharistie par les prières que le Verbe de Dieu nous a enseignées, sont la chair et le sang de ce même Jesus-Christ qui a été fait homme pour l'amour de nous. S. Justin, IIe apologie. Que l'agneau de Dieu qui efface les péchés du monde, est présent sur la table sacrée ; qu'il est immolé par les prêtres sans effusion de sang, et que nous prenons véritablement son précieux corps et son précieux sang. Gelase de Cyzique, d'après le premier concîle de Nicée. Que Jesus-Christ ayant dit du pain, ceci est mon corps ; qui osera en douter désormais ? et lui-même ayant dit ; ceci est mon sang ; qui oserait en entrer en doute, en disant que ce n'est pas son sang ? Il a autrefois changé l'eau en vin en Cana de Galilée ; pourquoi ne méritera-t-il pas d'être cru, quand il change le vin en son sang ? S. Cyrille de Jérusalem, catech. IVe Que par la parole de Dieu et l'oraison, le pain est changé tout-d'un-coup au corps du Verbe par le Verbe, selon ce qui a été dit par le Verbe même : ceci est mon corps. S. Grég. de Nyss. orat. catech. Que le créateur et le maître de la nature, qui produit du pain de la terre, fait ensuite son propre corps de ce pain ; parce qu'il le peut et l'a promis : et celui qui de l'eau a fait du vin, fait aussi du vin son sang. S. Gaudence évêque de Brescia, in Exode tract. IIe Que le saint-Esprit fait que le pain commun proposé sur la table, devient le propre corps que Jesus-Christ a pris dans son incarnation. S. Isidore de Damiette, ép. cjx. Que l'eucharistie est le corps et le sang du Seigneur, même pour ceux qui le mangeant indignement, mangent et boivent leur jugement. S. August. liv. V. du baptême contre les Donatistes, chap. VIIIe Que nous croyons que le corps qui est devant nous, n'est pas le corps d'un homme commun et semblable à nous, et le sang de même ; mais que nous le recevons comme ayant été fait le propre corps et le propre sang du Verbe qui vivifie toutes choses. S. Cyrille d'Alexandrie explicat. du IIe de ses anathem. Que le prêtre invisible (J. C.) change par une puissance secrète les créatures visibles en la substance de son corps et de son sang, en disant : prenez et mangez, ceci est mon corps. S. Eucher ou S. Césaire, homél. Ve sur la pâque. Que le saint-Esprit étant invisiblement présent par le bon plaisir du Père et la volonté du Fils, fait cette divine opération ; et par la main du prêtre il consacre, change, et fait les dons proposés (c'est-à-dire le pain et le vin), le corps et le sang de Jesus-Christ. Germain patriarche de Constantinople, dans sa théorie des mystères. Que le pain et le vin ne sont point figures du corps et du sang de Jesus-Christ, mais que c'est le corps même déifié de Jesus-Christ ; Notre-Seigneur ne nous ayant pas dit, ceci est la figure de mon corps, mais ceci est mon corps ; et n'ayant pas dit de même, ceci est la figure de mon sang, mais ceci est mon sang. S. Jean de Damas, de la foi orthod. lib. IV. chap. XIVe Il ne serait pas difficîle d'accumuler de pareils passages des pères, des conciles, des auteurs ecclésiastiques, et des théologiens, jusqu'au XVIe siècle, pour former une suite de tradition constante, et de montrer que tous ont pensé que les symboles sont changés, transmués, transélémentés, transsubstantiés au corps et au sang de Jesus-Christ. Dire après cela que ces pères et ces écrivains n'ont parlé que par métaphore, ou, comme l'auteur que nous avons cité ci-dessus, qu'il n'y a aucun de ces passages sur lequel on ne puisse disputer ; c'est plutôt aimer la dispute, que se proposer la recherche de la vérité, et contester qu'il fasse clair en plein jour. La doctrine et le langage des pères sur la présence réelle, ne peuvent paraitre équivoques qu'à des esprits prévenus et déterminés à trouver des figures dans les discours les plus simples.

Les ministres calvinistes ne l'ont que trop bien senti ; et pour éluder le poids d'une pareille autorité, ils ont imaginé différents systèmes, qui tendent tous à prouver que la créance de la présence réelle n'a pas été la foi de la primitive église et de l'antiquité. Les uns, comme Blondel dans son éclaircissement sur l'eucharistie, ont fait naître l'opinion de la transubstantiation longtemps après Berenger : les autres, comme Aubertin, le ministre de la Roque, et M. Basnage, ont remonté jusqu'au VIIe siècle, où ils ont prétendu que contre la foi des six premiers siècles, Anastase religieux du mont Sinaï, avait enseigné le premier que ce que nous recevons dans l'eucharistie n'est pas l'antitype, mais le corps de Jesus-Christ ; que cette innovation fut embrassée par Germain patriarche de Constantinople en 720, par S. Jean de Damas en 740, par les pères du IIe concîle de Nicée en 787, par Nicéphore patriarche de Constantinople en 806 ; que le même langage passa d'orient en occident, comme il parait par les livres que Charlemagne fit faire au concîle de Francfort en 794. Pour sentir l'absurdité de ce système, il suffit de se rappeler que depuis S. Ignace le martyr et S. Justin, tous les pères grecs dont nous avons cité quelques-uns, avaient enseigné constamment que l'eucharistie était le vrai corps et le vrai sang de Jesus-Christ, que l'orient était plein des ouvrages de ces pères, et des liturgies de S. Basîle et de S. Chrysostome, où la présence réelle est si clairement énoncée. Anastase le Sinaïte n'a donc rien innové en tenant précisément le même langage que les auteurs qui l'avaient précédé.

Quant à l'occident, Aubertin oubliant qu'il a attribué à un concîle nombreux et célèbre, tel que celui de Francfort, l'introduction du dogme de la présence réelle, lui donne une origine encore plus récente. Il pretend que Paschase Ratbert d'abord moine, puis abbé de Corbie, dans un traité du corps et du sang du Seigneur, qu'il composa vers l'an 831, et dédia à Charles-le-Chauve en 844, rejeta le sens de la figure, admis jusqu'alors par tous les fidèles, et y substitua celui de la réalité, fruit de son imagination ; que cette nouveauté prit si rapidement en moins de deux siècles, que lorsque Bérenger voulut revenir au sens de la figure, on lui opposa comme immémorial le consentement de toute l'Eglise décidée pour le sens de la réalité. Mais 1°. puisqu'il s'agissait de constater l'antiquité de l'un ou l'autre de ces deux sentiments, Bérenger qui vivait au XIe siècle était-il si éloigné du neuvième et si peu instruit, qu'il ne put reclamer contre l'innovation de Paschase Ratbert, et même la démontrer ? Dans tous les conciles où il a comparu, s'est-il jamais défendu autrement que par des subtilités métaphysiques ; a-t-il jamais allégué le fait de Ratbert à Lanfranc et à ses autres adversaires, qui lui opposaient perpétuellement l'antiquité ? C'eut été un moyen aussi court qu'il était simple, pour décider cette importante question.

2°. Supposons pour un moment que Berenger ne fût pas instruit, ou ne voulut pas user de tous ses avantages ; le système d'Aubertin et des ministres n'en est pas moins absurde : car le changement qu'ils supposent, introduit par Ratbert dans la créance de l'Eglise universelle sur l'eucharistie, s'est fait brusquement et tout-à-coup, ou insensiblement et par degrés. Or ces deux suppositions sont également fausses. En premier lieu, il faut bien peu connaître les hommes, leurs passions, leur caractère, leur attachement à leurs opinions en matière de religion, pour avancer qu'un particulier sans autorité, tel qu'un simple religieux, puisse tout-à-coup, et pour ainsi parler, du jour au lendemain, changer la créance publique de tout l'Univers pendant neuf siècles sur un point de la dernière conséquence, et d'un usage aussi général, aussi journalier pour le peuple que pour les savants, sans que les premiers se soulèvent, sans que les autres reclament, sans que les évêques et les pasteurs s'opposent au torrent de l'erreur. C'est une prétention contraire à l'expérience de tous les siècles. Combien de sang répandu dans l'Orient pour la dispute des images infiniment moins importante ? et que de guerres et de carnages dans le XVIe siècle, lorsque les Luthériens et les Calvinistes ont voulu faire prédominer leurs opinions ! Les hommes du siècle de Ratbert auraient été d'une espèce bien singulière, et totalement différente du caractère des hommes qui les ont précédés et qui les ont suivis. Encore une fais, il faut ne les point connaître, pour avancer qu'ils se laissent troubler plus tranquillement dans la possession de leurs opinions, que dans celle de leurs biens. Dans l'hypothèse des Calvinistes, Paschase Ratbert était un novateur décidé ; et cependant ce novateur aura été protégé des princes, cru des peuples sur sa parole, chéri des évêques avec lesquels il a assisté à plusieurs conciles, respecté des savants qui seront demeurés en silence devant lui. Luther et Calvin qui, selon les ministres, ramenaient au monde la vérité, et qui ont été accueillis bien différemment, auraient été bien embarrassés eux-mêmes à nous expliquer ce prodige.

Reste donc à dire que le sentiment de Paschase, combattu d'abord par quelques personnes, séduisit insensiblement et par degrés la multitude à la faveur des ténèbres du Xe siècle, qu'on a appelé un siècle de plomb et de fer. Mais d'abord ces adversaires de Paschase qu'on fait sonner si haut, se réduisent à ce Jean Scot dont nous avons déjà parlé, à un Heribald auteur très-obscur, à un anonyme, à Raban Maur, et à Ratramne ou Bertramne ; et ces trois derniers qui ont reconnu la présence réelle aussi expressément que Paschase, ne disputaient avec lui que sur quelques conséquences de l'eucharistie, sur une erreur de fait, sur quelques mots mal-entendus de part et d'autres, qui ne touchaient point au fond de la question : tandis que Paschase avait pour lui Hincmar archevêque de Reims, Prudence évêque de Troie., Flore diacre de Lyon, Loup abbé de Ferrières, Christian Drutmar, Walfridus, les prélats les plus célèbres, et les auteurs les plus accrédités de ce temps-là. Ce neuvième siècle, que les Calvinistes prennent tant de plaisir à rabaisser, a été encore plus fécond en grands hommes instruits de la véritable doctrine de l'Eglise, et capables de la défendre. On y compte en Allemagne S. Unny archevêque de Hambourg, apôtre du Danemark et de la Norvege ; Adalbert, un de ses successeurs ; Brunon archevêque de Cologne, Willelme archevêque de Mayence, Francon et Burchard évêques de Wormes, Saint Udalric évêque d'Augsbourg, S. Adalbert archevêque de Prague, qui porta la foi dans la Hongrie, la Prusse, et la Lithuanie ; S. Boniface et S. Brunon, qui la prêchèrent aux Russes. En Angleterre on trouve S. Dunstan archevêque de Cantorberi, Etelvode évêque de Winchester, et Oswald évêque de Worcester : en Italie, les papes Etienne VIII. Léon VII. Marin, Agapet II. et un grand nombre de savants évêques : en France, Etienne évêque d'Autun, Fulbert évêque de Chartres, S. Mayeul, S. Odon, S. Odilon, premiers abbés de Clugny : en Espagne, Gennadius évêque de Zamore, Attilan évêque d'Asturie, Rudeimde évêque de Compostelle ; et cela sous le règne d'empereurs et de princes zélés pour la foi. Or soutenir que tant de grands hommes, dont la plupart avaient vécu dans le neuvième siècle, et pouvaient avoir été témoins, ou avoir connu les témoins de l'innovation introduite par Ratbert, l'aient favorisée dans l'esprit des peuples ; c'est se jouer de la crédulité des lecteurs.

Une dernière considération qui démontre que les Protestants sont venus troubler l'Eglise catholique dans sa possession ; c'est que si cette dernière eut innové au IXe siècle dans la foi sur l'eucharistie, les Grecs qui se sont séparés d'elle vers ce temps-là, n'eussent pas manqué de lui reprocher sa défection. Or c'est ce qu'ils n'ont jamais fait : car peu de temps après que Léon IX. eut condamné l'hérésie de Berenger, Michel Cerularius patriarche de Constantinople, publia plusieurs écrits, où il n'oublia rien de ce qui pouvait rendre odieuse l'Eglise latine ; il l'attaqua entr'autres avec chaleur sur la question des azymes, qui ne fait rien au fond du mystère, et allegue la diversité des sentiments des deux églises sur ce point, comme un des principaux motifs du schisme, sans dire un mot sur la présence réelle.

Dans le concîle de Florence, où l'on traita de la réunion des Grecs, l'empereur de Constantinople et les évêques ses sujets agitèrent toutes les questions sur lesquelles on était divisé, et en particulier celle qui regardait les paroles de la consécration ; mais il ne fut pas mention de celle de la transubstantiation, ni de la présence réelle. Les grecs et les Latins étaient donc dans cette persuasion commune, que dans l'une et l'autre église il ne s'était introduit aucune innovation sur cet article : car dans la disposition où étaient alors les esprits depuis plus de trois cent ans, si cette innovation eut commencé chez les Grecs à Anastase le Sinaïte, ou chez les Latins à Paschase Ratbert, ils n'auraient pas manqué de se la reprocher réciproquement. Dira-t-on que pour le bien de la paix et pour étouffer dans sa naissance quelque secte ennemie du dogme de la présence réelle, les deux églises convinrent de concert de ce point : mais en premier lieu, la réunion moins conclue que projetée à Florence ne fut pas durable, et Marc d'Ephèse, Cabasilas, et les autres évêques grecs qui rompirent les premiers l'accord, loin de combattre la présence réelle, la soutiennent ouvertement dans leurs écrits, comme en conviennent les plus éclairés d'entre les Protestants ; et entr'autres Guillaume Forbes évêque d'Edimbourg, dans le chap. IVe du liv. prem. de ses considerationes aequae et pacificae controversiarum hodiernarum de sacramento eucharistiae. En second lieu, pour que l'église grecque eut pu former quelque accusation à cet égard contre l'église romaine, pouvait-elle saisir une occasion plus favorable pour acquérir de nouveaux défenseurs à cette imputation, que la naissance de l'hérésie des sacramentaires. En vain ces derniers s'efforcèrent en 1570 d'extorquer de Jéremie patriarche de Constantinople, quelque témoignage favorable à leur erreur. Il leur répondit nettement : On rapporte sur ce point plusieurs choses de vous, que nous ne pouvons approuver en aucune sorte. La doctrine de la sainte Eglise est donc, que dans la sacrée cène, après la consécration et bénédiction le pain est changé et passé au corps même de Jesus-Christ, et le vin en son sang, par la vertu du Saint-Esprit : et ensuite, le propre et véritable corps de Jesus-Christ est contenu sous les espèces du pain levé. La même chose est attestée par Gaspard Pucerus historien et médecin célèbre ; par Sandius anglais, dans son miroir de l'Europe, chap. xxij ; par Grotius dans l'examen de l'apologie de Rivet : mais ce que la bonne-foi de Jéremie avait refusé aux théologiens de la confession d'Augsbourg, l'avarice d'un de ses successeurs Cyrille Lucar l'accorda aux largesses d'un ambassadeur d'Angleterre ou de Hollande à la Porte. Il osa faire publier une profession de foi, conforme aux erreurs des Protestants sur la présence réelle. Cette pièce fut condamnée dans un synode tenu à Constantinople en 1638, par Cyrille de Berée successeur de Lucar ; et dans un autre tenu en 1642, sous Parthenius successeur de Cyrille de Berée. L'église grecque a encore donné de nouvelles preuves de la conformité de sa foi avec l'église latine, sur la présence réelle de Jesus-Christ dans l'eucharistie, par les conciles tenus à Jérusalem et à Bethléem ; le premier en 1668, et l'autre en 1672. Les actes en sont déposés dans la bibliothèque de S. Germain-des-Prés, et imprimés dans les deux premiers volumes du grand ouvrage de l'abbé Renaudot, intitulé de la perpétuité de la foi, où l'on trouve aussi tous les témoignages des Maronites, des Arméniens, des Syriens, des Cophtes, des Jacobites, des Nestoriens, des Russes ; en un mot de toutes les sectes qui se sont séparées de l'église romaine, ou qui sont encore en différend sur quelques points avec l'église grecque, qu'elles reconnaissent néanmoins pour leur tige.

Les savants s'apercevront aisément que nous n'avons fait qu'abréger ici et proposer en gros les principaux arguments de nos controversistes, et les difficultés les plus spécieuses des Protestants. Le but de cette analyse est de suggérer cette réflexion à ceux de nos lecteurs qui n'ont jamais approfondi cette matière. Il s'agit ici d'un mystère : qu'en a-t-on cru dans tous les temps et dans la société établie par Jesus-Christ, pour régler les sentiments des Chrétiens en matière de religion ? Alors la chose se réduit à une pure question de fait, aisée à décider par les monuments que nous venons d'indiquer : car si l'on veut rendre la raison seule arbitre du fond de cette dispute, nous convenons qu'elle est un abîme de difficultés, et nous n'écrivons ni pour les renouveller, ni pour les multiplier. Voyez Bellarmin, les cardinaux du Perron, de Richelieu, M. de Vallembourg, Mr Bossuet, hist. des variat. exposition de la foi, avert. et instruct. pastor. Arnauld, Nicole, Pelisson, et la perpétuité de la foi. (G)




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