S. m. (Théologie) lieu de tourments où les méchants subiront après cette vie la punition dû. à leurs crimes.

Dans ce sens le mot d'enfer est opposé à celui de ciel ou paradis. Voyez CIEL et PARADIS.

Les payens avaient donné à l'enfer les noms de tartarus ou tartara, hades, infernus, inferna, inferi, orcus &c.

Les Juifs n'ayant point exactement de nom propre pour exprimer l'enfer dans le sens où nous venons de le définir (car le mot hébreu scheol se prend indifféremment pour le lieu de la sépulture, et pour le lieu de supplice réservé aux réprouvés), ils lui ont donné le nom de Gehenna ou Gehinnon, vallée près de Jérusalem, dans laquelle était un tophet ou place où l'on entretenait un feu perpétuel allumé par le fanatisme pour immoler des enfants à Moloch. De-là vient que dans le nouveau Testament l'enfer est souvent désigné par ces mots Gehenna ignis.

Les principales questions qu'on peut former sur l'enfer se réduisent à ces trois points : son existence, sa localité, et l'éternité des peines qu'y souffrent les réprouvés. Nous allons les examiner séparément.

1°. Si les anciens Hébreux n'ont pas eu de terme propre pour exprimer l'enfer, ils n'en ont pas moins reconnu la réalité. Les auteurs inspirés en ont peint les tourments avec les couleurs les plus terribles : Moyse, dans le Deutéronome, chap. xxxij. vers. 22. menace les Israèlites infidèles, et leur dit au nom du Seigneur : Un feu s'est allumé dans ma fureur, et il brulera jusqu'au fond de l'enfer ; il dévorera la terre et toutes les plantes, et il brulera les fondements des montagnes. Job, chap. xxjv. vers. 19. réunit sur la tête des réprouvés les plus extrêmes douleurs : Que le méchant, dit-il, passe de la froideur de la neige aux plus excessives chaleurs ; que son crime descende jusque dans l'enfer ; et au chap. xxvj. vers. 6. L'Enfer est découvert aux yeux de Dieu, et le lieu de la perdition ne peut se cacher à sa lumière. Enfin, pour ne pas nous jeter dans des citations infinies, Isaïe, chap. lxvj. vers. 24. exprime ainsi les tourments intérieurs et extérieurs que subiront les réprouvés : Videbunt cadavera virorum qui prevaricati sunt in me, vermis eorum non morietur, et ignis eorum non extinguetur, et erunt usque ad satietatem visionis omni carni ; c'est-à-dire, comme porte l'Hébreu, ils seront un sujet de dégoût à toute chair, tant leurs corps seront horriblement défigurés par les tourments.

Ces autorités suffisent pour fermer la bouche à ceux qui prétendent que les anciens Hébreux n'ont eu nulle connaissance des châtiments de la vie future, parce que Moyse ne les menace ordinairement que de peines temporelles. Les textes que nous venons de citer énoncent clairement des punitions qui ne doivent s'infliger qu'après la mort. Ce qu'on objecte encore, que les écrivains sacrés ont emprunté ces idées des poètes grecs, n'a nul fondement : Moyse est de plusieurs siècles antérieur à Homère. Sait que Job ait été contemporain de Moyse, ou que son livre ait été écrit par Salomon, comme le prétendent quelques critiques, il aurait vécu, vers le temps du siege de Troie, qu'Homère n'a décrit que quatre cent ans après. Isaïe, à la vérité, était à-peu-près contemporain d'Hésiode et d'Homère ; mais quelle connaissance a-t-il eu de leurs écrits, dont les derniers surtout n'ont été recueillis que par les soins de Pisistrate, c'est-à-dire fort longtemps après la mort du poète grec, et celle du prophète qu'on suppose avoir été le copiste d'Homère.

Il est vrai que les Esseniens, les Pharisiens, et les autres sectes qui s'élevèrent parmi les Juifs depuis le retour de la captivité, et qui depuis les conquêtes d'Alexandre avaient eu commerce avec les Grecs, mêlèrent leurs opinions particulières aux idées simples qu'avaient eu les anciens Hébreux sur les peines de l'enfer. " Les Esseniens, dit Joseph dans son Histoire de la guerre des Juifs, liv. II. chap. XIIe " tiennent que l'âme est immortelle, et qu'aussi-tôt qu'elle est sortie du corps, elle s'élève pleine de joie vers le ciel, comme étant dégagée d'une longue servitude et délivrée des liens de la chair. Les âmes des justes vont au-delà de l'Océan, dans un lieu de repos et de délices, où elles ne sont troublées par aucune incommodité ni dérangement des saisons. Celles des méchants au contraire sont reléguées dans des lieux exposés à toutes les injures de l'air, où elles souffrent des tourments éternels. Les Esseniens ont sur ces tourments à peu-près les mêmes idées que les poètes nous donnent du Tartare et du royaume de Pluton ". Voyez ESSENIENS.

Le même auteur, dans ses antiquités judaïques, liv. XVIII. chap. IIe dit " que les Pharisiens croient aussi les âmes immortelles, et qu'après la mort du corps celles des bons jouissent de la félicité, et peuvent aisément retourner dans le monde animer d'autres corps ; mais que celles des méchants sont condamnées à des peines qui ne finiront jamais. " Voyez PHARISIENS.

Philon, dans l'opuscule intitulé de congressu quaerendae eruditionis causâ, reconnait, ainsi que les autres Juifs, des peines pour les méchants et des récompenses pour les justes : mais il est fort éloigné des sentiments des Payens et même des Esseniens au sujet de l'enfer. Tout ce qu'on raconte de Cerbere, des Furies, de Tantale, d'Ixion, etc. tout ce qu'on en lit dans les poètes, il le traite de fables et de chimères. Il soutient que l'enfer n'est autre chose qu'une vie impure et criminelle ; mais cela même est allégorique. Cet auteur ne s'explique pas distinctement sur le lieu où sont punis les mécans, ni sur le genre et la qualité de leur supplice ; il semble même le borner au passage que les âmes font d'un corps dans un autre, où elles ont souvent beaucoup de maux à endurer, de privations à souffrir, et de confusion à essuyer : ce qui approche fort de la métempsycose de Pythagore. Voyez METEMPSYCOSE.

Les Saducéens qui niaient l'immortalité de l'âme, ne reconnaissaient par conséquent ni récompenses ni peines pour la vie future. Voyez SADUCEENS.

L'existance de l'enfer et des supplices éternels est attestée presque à chaque page du nouveau Testament. La sentence que Jesus-Christ prononcera contre les reprouvés au Jugement dernier, est conçue en ces termes : Matth. XXV. . 34. Ite maledicti in ignem aeternum qui paratus est diabolo et angelis ejus. Il représente perpétuellement l'enfer comme un lieu ténébreux où règnent la douleur, la tristesse, le dépit, la rage, et comme un séjour d'horreur où tout retentit des grincements de dents et des cris qu'arrache le désespoir. S. Jean, dans l'Apocalypse, le peint sous l'image d'un étang immense de feu et de soufre, où les méchants seront précipités en corps et en âme, et tourmentés pendant toute l'éternité.

En conséquence, les Théologiens distinguent deux sortes de tourments dans l'enfer : savoir, la peine du dam, poenam damni seu damnationis ; c'est la perte ou la privation de la vision béatifique de Dieu, vision qui doit faire le bonheur éternel des saints : et la peine du sens poena sensus, c'est à-dire, tout ce qui peut affliger le corps, et surtout les douleurs cuisantes et continuelles causées dans toutes ses parties par un feu inextinguible.

Les fausses religions ont aussi leur enfer : celui des Payens, assez connu par les descriptions qu'en ont faites Homère, Ovide et Virgile, est assez capable d'inspirer de l'effroi par les peintures des tourments qu'ils y font souffrir à Ixion, à Promethée, aux Danaïdes, aux Lapythes, à Phlégias, etc. mais parmi les Payens, soit corruption du cœur, soit panchant à l'incrédulité, le peuple et les enfants même traitaient toutes ces belles descriptions de contes et de rêveries ; du moins c'est un des vices que Juvenal reproche aux Romains de son siècle.

Esse aliquos manes et subterranea regna,

Et contum, et Stygio ranas in gurgite nigras,

Atque unâ transire vadum tot millia cimbâ,

Nec pueri credunt, nisi qui nondùm aere lavantur,

Sed tu vera puta. Satyr. II.

Voyez ENFER, (Mythologie)

Les Talmudistes, dont la croyance n'est qu'un amas ridicule de superstitions, distinguent trois ordres de personnes qui paraitront au jugement dernier. Le premier, des justes ; le second, des méchants ; et le troisième, de ceux qui sont dans un état mitoyen, c'est-à-dire, qui ne sont ni tout à fait justes ni tout à fait impies. Les justes seront aussi-tôt destinés à la vie éternelle, et les méchants au malheur de la gêne ou de l'enfer. Les mitoyens, tant Juifs que Gentils, descendront dans l'enfer avec leur corps, et ils pleureront pendant douze mois, montant et descendant, allant à leurs corps et retournant en enfer. Après ce terme, leurs corps seront consumés et leurs âmes brulées, et le vent les dispersera sous les pieds des justes : mais les hérétiques, les athées, les tyrants qui ont désolé la terre, ceux qui engagent les peuples dans le péché, seront punis dans l'enfer pendant les siècles des siècles. Les Rabbins ajoutent que tous les ans au premier jour de Tirsi, qui est le premier jour de l'année judaïque, Dieu fait une espèce de révision de ses registres, ou un examen du nombre et de l'état des âmes qui sont en enfer. Talmud in Gemar. Tract. Rosch. haschana c. j. fol. 16.

Les Musulmants ont emprunté des Juifs et des Chrétiens, le nom de gehennem ou gehim, pour signifier l'enfer. Gehenem, en arabe, signifie un puits très-profond ; et gehim, un homme laid et difforme ; ben gehennem, un fils de l'enfer, un réprouvé. Ils donnent le nom de thabeck à l'ange qui préside à l'enfer. D'Herbelot, Biblioth. orient. au mot Gehennem.

Selon l'alcoran, au chap. de la prière, les Mahométans connaissent sept portes de l'enfer, ou sept degré de peines ; c'est aussi le sentiment de plusieurs commentateurs de l'alcoran, qui mettent au premier degré de peine, nommé gehennem, les Musulmants qui auront mérité d'y tomber ; le second degré, nommé ladha, est pour les Chrétiens ; le troisième, appelé hothama, pour les Juifs ; le quatrième, nommé saïr, est destiné aux Sabiens ; le cinquième, nommé sacar, est pour les mages ou Guèbres, adorateurs du feu ; le sixième, appelé gehim, pour les Payens et les Idolatres ; le septième, qui est le plus profond de l'abîme, porte le nom de haoviath, il est réservé pour les hypocrites qui déguisent leur religion, et qui en cachent dans le cœur une différente de celle qu'ils professent au-dehors.

D'autres interpretes mahométants expliquent différemment ces sept portes de l'enfer. Quelques-uns croient qu'elles marquent les sept péchés capitaux. D'autres les prennent des sept principaux membres du corps dont les hommes se servent pour offenser Dieu, et qui sont les principaux instruments de leurs crimes. C'est en ce sens qu'un poète Persan a dit : " Vous avez les sept portes d'enfer dans votre corps ; mais l'âme peut faire sept serrures à ces portes ; la clef de ces serrures est votre libre arbitre, dont vous pouvez vous servir pour fermer ces portes, si bien qu'elles ne s'ouvrent plus à votre perte ". Outre la peine du feu ou du sens, les Musulmants reconnaissent aussi comme nous celle du dam.

On dit que les Cafres admettent treize enfers, et vingt-sept paradis, où chacun trouve la place qu'il a méritée suivant ses bonnes ou mauvaises actions.

Cette persuasion des peines dans une vie future, universellement répandue dans toutes les religions, même les plus fausses, et chez les peuples les plus barbares, a toujours été employée par les législateurs comme le frein le plus puissant pour arrêter la licence et le crime, et pour contenir les hommes dans les bornes du devoir.

II. Les auteurs sont extrêmement partagés sur la seconde question : savoir, s'il y a effectivement quelque enfer local, ou quelque place propre et spécifique où les réprouvés souffrent les tourments du feu. Les prophetes et les autres auteurs sacrés parlent en général de l'enfer comme d'un lieu souterrain, placé sous les eaux et les fondements des montagnes, au centre de la terre, et ils le désignent par les noms de puits et d'abime : mais toutes ces expressions ne déterminent pas le lieu fixe de l'enfer. Les écrivains prophanes, tant anciens que modernes, ont donné carrière à leur imagination sur cet article ; et voici ce que nous en avons recueilli d'après Chambers.

Les Grecs, après Homère, Hésiode, etc. ont conçu l'enfer comme un lieu vaste et obscur sous terre, partagé en diverses régions, l'une affreuse où l'on voyait des lacs dont l'eau bourbeuse et infecte exhalait des vapeurs mortelles ; un fleuve de feu, des tours de fer et d'airain, des fournaises ardentes, des monstres et des furies acharnées à tourmenter les scélérats : (Voyez Lucien, de luctu, et Eustathe, sur Homere) l'autre riante, destinée aux sages et aux héros. Voyez ÉLYSEE.

Parmi les poètes latins, quelques-uns ont placé l'enfer dans les régions souterraines situées directement au-dessous du lac d'Averne, dans la Campagne de Rome, à cause des vapeurs empoisonnées qui s'élevaient de ce lac. AEneide, liv. VI. Voyez AVERNE.

Calipso dans Homère parlant à Ulysse, met la porte de l'enfer aux extrémités de l'Océan. Xenophon y fait entrer Hercule par la peninsule acherasiade, près d'Héraclée du Pont.

D'autres se sont imaginé que l'enfer était sous le Ténare, promontoire de Laconie, parce que c'était un lieu obscur et terrible, environné d'épaisses forêts, d'où il était plus difficîle de sortir que d'un labyrinthe. C'est par-là qu'Ovide fait descendre Orphée aux enfers. D'autres ont cru que la rivière ou le marais du Styx en Arcadie était l'entrée des enfers, parce que ses exhalaisons étaient mortelles. Voyez TENARE et STYX.

Mais toutes ces opinions ne doivent être regardées que comme des fictions des poètes, qui, selon le génie de leur art, exagérant tout, représentèrent ces lieux comme autant de portes ou d'entrées de l'enfer, à l'occasion de leur aspect horrible, ou de la mort certaine dont étaient frappés tous ceux qui avaient le malheur ou l'imprudence de s'en trop approcher. Voyez ENFER, (Mythologie)

Les premiers Chrétiens, qui regardaient la terre comme un plan d'une vaste étendue, et le ciel comme un arc élevé ou un pavillon tendu sur ce plan, crurent que l'enfer était une place souterraine et la plus éloignée du ciel, de sorte que leur enfer était placé où sont nos antipodes. Voyez ANTIPODES.

Virgile avait eu avant eux une idée à-peu-près semblable.

.................................. tum Tartarus ipse

Bis patet in praeceps tantum, tenditque sub umbras,

Quantus ad aethereum coeli suspectus Olympum.

Tertullien, dans son livre de l'âme, représente les Chrétiens de son temps comme persuadés que l'enfer était un abîme situé au fond de la terre ; et cette opinion était fondée principalement sur la croyance de la descente de Jesus-Christ aux Lymbes. Matth. XII. . 40. Voyez LYMBES, et l'article suivant ENFER.

Whiston a avancé, sur la localité de l'enfer, une opinion nouvelle. Selon lui, les cometes doivent être considérées comme autant d'enfers destinés à voiturer alternativement les damnés dans les confins du Soleil, pour y être grillés par ses feux, et les transporter successivement dans des régions froides, obscures, et affreuses, au-delà de l'orbite de Saturne. Voyez COMETE.

Swinden, dans ses recherches sur la nature et sur la place de l'enfer, n'adopte aucune des situations ci-dessus mentionnées ; et il en assigne une nouvelle. Suivant ses idées, le Soleil lui-même est l'enfer local ; mais il n'est pas le premier auteur de cette opinion : outre qu'on pourrait en trouver quelques traces dans ce passage de l'Apocalypse, chap. XVIe . 8. et 9. Et quartus angelus effudit phialam suam in Solem, et datum est illi aestu affligère homines et igni, et aestuaverunt homines aestu magno. Pythagore parait avoir eu la même pensée que Swinden, en plaçant l'enfer dans la sphère du feu, et cette sphère au milieu de l'univers. D'ailleurs Aristote de coelo, lib. II. fait mention de quelques philosophes de l'école italique ou pythagoricienne, qui ont placé la sphère du feu dans le Soleil, et l'ont même nommée la prison de Jupiter. Voyez PYTHAGORICIENS.

Swinden, pour soutenir son système, entreprend de déplacer l'enfer du centre de la terre. La première raison qu'il en allegue, c'est que ce lieu ne peut contenir un fond ou une provision de soufre ou d'autres matières ignées, assez considérable pour entretenir un feu perpétuel et aussi terrible dans son activité que celui de l'enfer ; et la seconde, que le centre de la terre doit manquer de particules nitreuses qui se trouvent dans l'air, et qui doivent empêcher ce feu de s'éteindre : " Et comment, ajoute-t-il, un tel feu pourrait-il être éternel et se conserver sans fin dans les entrailles de la terre, puisque toute la substance de la terre en doit être consumée successivement et par degrés " ?

Cependant il ne faut pas oublier ici que Tertullien a prévenu la première de ces difficultés, en mettant une différence entre le feu caché ou interne et le feu public ou extérieur. Selon lui, le premier est de nature non-seulement à consumer, mais encore à réparer ce qu'il consume. La seconde difficulté a été levée par S. Augustin, qui prétend que Dieu, par un miracle, fournit de l'air au feu central. Mais l'autorité de ces pères, si respectable en matière de doctrine, n'est pas irréfragable quand il s'agit de Physique : aussi Swinden continue à montrer que les parties centrales de la terre sont plutôt occupées par de l'eau que par du feu ; ce qu'il confirme par ce que dit Moyse des eaux souterraines, Exode, chap. xx. . 4. et par le Pseaume XXIII. . 2. Quia super maria fundavit eum (orbem), et super flumina praeparavit eum. Il allegue encore qu'il ne se trouverait point au centre de la terre assez de place pour contenir le nombre infini de mauvais anges et d'hommes réprouvés. Voyez ABYSME.

On sait que Drexelius, de damnatorum carcère et rogo, a confiné l'enfer dans l'espace d'un mille cubique d'Allemagne, et qu'il a fixé le nombre des damnés à cent mille millions : mais Swinden pense que Drexelius a trop ménagé le terrain ; qu'il peut y avoir cent fois plus de damnés ; et qu'ils ne pourraient qu'être infiniment pressés, quelque vaste que soit l'espace qu'on put leur assigner, au centre de la terre. Il conclut qu'il est impossible d'arranger une si grande multitude d'esprits dans un lieu si étroit, sans admettre une pénétration de dimension ; ce qui est absurde en bonne philosophie, même par rapport aux esprits : car si cela était, il dit qu'il ne voit pas pourquoi Dieu aurait préparé une prison si vaste pour les damnés, puisqu'ils auraient pu être entassés tous dans un espace aussi étroit qu'un four de Boulanger. On pourrait ajouter que le nombre des réprouvés devant être très-étendu, et les réprouvés devant un jour bruler en corps et en âme, il faut nécessairement admettre un enfer plus spacieux que celui qu'a imaginé Drexelius, à moins qu'on ne suppose qu'au jugement dernier Dieu en créera un nouveau assez vaste pour contenir les corps et les ames. Nous ne sommes ici qu'historiens. Quoi qu'il en sait, les arguments qu'allegue Swinden, pour prouver que le Soleil est l'enfer local, sont tirés :

1°. De la capacité de cet astre. Personne ne pouvant nier que le Soleil ne soit assez spacieux pour contenir tous les damnés de tous les siècles, puisque les Astronomes lui donnent communément un million de lieues de circuit : ainsi ce n'est pas la place qui manque dans ce système. Le feu ne manquera pas non plus, si nous admettons le raisonnement par lequel Swinden prouve, contre Aristote, que le Soleil est chaud, page 208 et suiv. " Le bon-homme, dit-il, est saisi d'étonnement à la vue des Pyrénées de soufre et des océans atlantiques de bitume ardent, qu'il faut pour entretenir l'immensité des flammes du soleil. Nos AEthnas et nos Vésuves ne sont que des vers luisans ". Voilà une phrase plus digne d'un gascon que d'un savant du nord.

2°. De la distance du Soleil, et de son opposition à l'empyrée, que l'on a toujours regardé comme le ciel local. Une telle opposition répond parfaitement à celle qui se trouve naturellement entre deux places, dont l'une est destinée au séjour des anges et des élus, et l'autre à celui des démons et des réprouvés, dont l'une est un lieu de gloire et de bénédictions, et l'autre est un lieu d'horreur et de blasphèmes. La distance s'accorde aussi très-bien avec les paroles du mauvais riche, qui dans S. Luc, chap. XVIe . 23. voit Abraham dans un grand éloignement, et avec la réponse d'Abraham dans ce même chap. . 26. et in his omnibus inter nos et vos chaos magnum firmatum est, ut hi qui volunt hinc transire ad vos non possint, neque indè huc transmeare. Or Swinden, par ce chaos ou ce gouffre, entend le tourbillon solaire. Voyez TOURBILLON.

3°. De ce que l'empirée est le lieu le plus haut, et le Soleil le lieu le plus bas de l'univers, en considérant cette planète comme le centre de notre système, et comme la première partie du monde créé et visible ; ce qui s'accorde avec cette notion, que le Soleil a été destiné primitivement non-seulement à éclairer la terre, mais encore à servir de prison et de lieu de supplice aux anges rebelles, dont notre auteur suppose que la chute a précédé immédiatement la création du monde habité par les hommes.

4°. Du culte que presque tous les hommes ont rendu au feu ou au Soleil ; ce qui peut se concilier avec la subtilité malicieuse des esprits qui habitent le Soleil, et qui ont porté les hommes à adorer leur trône, ou plutôt l'instrument de leur supplice.

Nous laissons au lecteur à apprécier tous ces systèmes ; et nous nous contentons de dire qu'il est bien singulier de vouloir fixer le lieu de l'enfer, quand l'Ecriture, par son silence, nous indique assez celui que nous devrions garder sur cette matière.

III. Il ne conviendrait pas également de demeurer indécis sur une question qui intéresse essentiellement la foi ; c'est l'éternité des peines que les damnés souffriront en enfer. Elle parait expressément décidée par les Ecritures, et quant à la nature des peines du sens, et quant à leur durée qui doit être interminable. Cependant, outre les incrédules modernes qui rejettent l'un et l'autre point, tant parce qu'ils imaginent l'âme mortelle comme le corps, que parce que l'éternité des peines leur semble incompatible avec l'idée d'un Dieu essentiellement et souverainement bon et miséricordieux ; Origène, dans son traité intitulé, , ou de principiis, donnant aux paroles de l'Ecriture une interprétation métaphorique, fait consister les tourments de l'enfer, non dans les peines extérieures ou corporelles, mais dans les remords de la conscience des pécheurs, dans l'horreur qu'ils ont de leurs crimes, et dans le souvenir qu'ils conservent du vide de leurs plaisirs passés. S. Augustin fait mention de plusieurs de ses contemporains qui étaient dans la même erreur. Calvin et plusieurs de ses sectateurs l'ont soutenu de nos jours ; et c'est le sentiment général des Sociniens, qui prétendent que l'idée de l'enfer, admis par les Catholiques, est empruntée des fictions du paganisme. Nous trouvons encore Origène à la tête de ceux qui nient l'éternité des peines dans la vie future : cet auteur, au rapport de plusieurs pères, mais surtout de S. Augustin, dans son traité de la cité de Dieu, liv. XXI. chap. XVIIe enseigne que les hommes, et les démons même, après qu'ils auront essuyé des tourments proportionnés à leurs crimes, mais limités toutefois quant à la durée, en obtiendront le pardon et entreront dans le ciel. M. Huet, dans ses remarques sur Origène, conjecture que la lecture de Platon avait gâté Origène à cet égard.

L'argument principal sur lequel se fondait Origène, est que toutes les punitions ne sont ordonnées que pour corriger, et appliquées comme des remèdes douloureux, pour faire recouvrer la santé aux sujets à qui on les inflige. Les autres objections sur lesquelles insistent les modernes sont tirées de la disproportion qui se rencontre entre des crimes passagers et des supplices éternels, etc.

Les phrases qu'emploie l'Ecriture pour exprimer l'éternité, ne signifient pas toujours une durée infinie, comme l'ont observé plusieurs interpretes ou critiques, et entr'autres Tillotson, archevêque de Cantorbéry.

Ainsi dans l'ancien Testament, ces mots, à jamais, ne signifient souvent qu'une longue durée, et en particulier jusqu'à la fin de la loi judaïque. Il est dit, par exemple, dans l'Epitre de S. Jude, . 7. que les villes de Sodome et Gomorre ont servi d'exemple, et qu'elles ont été exposées à la vengeance d'un feu éternel, ignis aeterni poenam sustinentes, c'est-à-dire d'un feu qui ne pouvait s'éteindre avant que ces villes fussent entièrement réduites en cendres. Il est dit aussi, dans l'Ecriture, que les générations se succedent, mais que la terre demeure à jamais ou éternellement terra autem in aeternum stat. En effet, M. le Clerc remarque qu'il n'y a point de mot hébreu qui exprime proprement l'éternité ; le terme holam n'exprime qu'un temps dont le commencement ou la fin sont inconnus, et se prend dans un sens plus ou moins étendu, suivant la matière dont il est question. Ainsi quand Dieu dit, au sujet des lois judaïques, qu'elles doivent être observées laholam, à jamais, il faut sousentendre qu'elles le seront aussi longtemps que Dieu le jugera à propos, ou pendant un espace de temps dont la fin était inconnue aux Juifs avant la venue du Messie. Toutes les lois générales, ou celles qui ne regardent pas des espèces particulières, sont établies à perpétuité, soit que leur texte renferme cette expression, soit qu'il ne la renferme pas ; ce qui toutefois ne signifie pas que la puissance législatrice et souveraine ne pourra jamais les changer ou les abréger.

Tillotson soutient, avec autant de force que de fondement, que dans les endroits de l'Ecriture où il est parlé des tourments de l'enfer, les expressions doivent être entendues dans un sens étroit et d'une durée infinie ; et ce qu'il regarde comme un raison décisive, c'est que dans un seul et même passage (en S. Matth. chap. xxv.), la durée de la punition des méchants se trouve exprimée par les mêmes termes dont on se sert pour exprimer la durée du bonheur des justes, qui, de l'aveu de tout le monde, doit être éternel. En parlant des réprouvés, il y est dit qu'ils iront au supplice éternel, ou qu'ils seront livrés à des tourments éternels : et en parlant des justes, il est dit qu'ils entreront en possession de la vie éternelle ; et ibunt hi in supplicium aeternum, justi autem in vitam aeternam.

Cet auteur entreprend de concilier le dogme de l'éternité des peines avec ceux de la justice et de la miséricorde divine ; et il s'en tire d'une manière beaucoup plus satisfaisante que ceux qui avaient tenté avant lui de sauver les contrariétés apparentes qui résultent de ces objets de notre foi.

En effet, quelques Théologiens, pour résoudre ces difficultés, avaient avancé que tout péché est infini, par rapport à l'objet contre lequel il est commis, c'est-à-dire par rapport à Dieu ; mais il est absurde de prétendre que tous les crimes sont aggravés à ce point par rapport à l'objet offensé, puisque dans ce cas le mal et le démérite de tout péché seraient nécessairement égaux, en ce qu'il ne peut y avoir rien au-dessus de l'infini que le péché offense. Ce serait renouveller un des paradoxes des Stoïciens ; et par conséquent on ne pourrait fonder sur rien les degrés de punition pour la vie à venir : car quoiqu'elle doive être éternelle dans sa durée, il n'est pas hors de vraisemblance qu'elle ne sera pas égale dans sa violence, et qu'elle pourra être plus ou moins vive, à proportion du caractère ou du degré de malice qu'auront renfermé tels ou tels péchés. Ajoutez que pour la même raison le moindre péché contre Dieu étant infini, par rapport à son objet, on peut dire que la moindre punition que Dieu inflige est infinie par rapport à son auteur, et par conséquent que toutes les punitions que Dieu infligerait seraient égales, comme tous les péchés commis contre Dieu seraient égaux ; ce qui répugne.

D'autres ont prétendu que si les méchants pouvaient vivre toujours, ils ne cesseraient jamais de pécher. " Mais c'est là, dit Tillotson, une pure spéculation, et non pas un raisonnement : c'est une supposition gratuite et dénuée de fondement. Qui peut assurer, ajoute-t-il, que si un homme vivait si longtemps, il ne se repentirait jamais " ? D'ailleurs la justice vangeresse de Dieu ne punit que les péchés commis par les hommes, et non pas ceux qu'ils auraient pu commettre ; comme sa justice rémunérative ne couronne que les bonnes œuvres qu'ils ont faites réellement, et non celles qu'ils auraient pu faire, ainsi que le prétendaient les Sémi-Pélagiens. Voyez SEMI-PELAGIENS.

C'est pourquoi d'autres ont soutenu que Dieu laisse à l'homme le choix d'une félicité ou d'une misere éternelle, et que la récompense promise à ceux qui lui obéissent, est égale à la punition dont il menace ceux qui refusent de lui obéir. On répond à cela, que s'il n'est point contraire à la justice de porter trop loin la récompense, parce que cette matière est de pure faveur, il peut être contraire à la justice de porter la punition à l'excès. On ajoute que dans ce cas l'homme n'a pas sujet de se plaindre, puisqu'il ne doit s'en prendre qu'à son propre choix. Mais quoique cette raison suffise pour imposer silence au pécheur, et lui arracher cet aveu, qu'il est la cause de son malheur, perditio tua ex te, Israel ; on sent qu'elle ne résout pas pleinement l'objection tirée de la disproportion entre le crime et le supplice.

Voyons comment Tillotson, mécontent de tous ces systèmes, a entrepris de résoudre cette difficulté.

Il commence par observer que la mesure des punitions par rapport aux crimes, ne se règle pas seulement ni toujours sur la qualité et sur le degré de l'offense, et moins encore sur la durée et sur la continuation de l'offense, mais sur les raisons d'oeconomie ou de gouvernement, qui demandent des punitions capables de porter les hommes à observer les lais, et de les détourner d'y donner atteinte. Parmi les hommes, on ne regarde point comme une injustice de punir le meurtre, et plusieurs autres crimes qui se commettent souvent en un moment, par la perte ou privation perpétuelle de l'état de citoyen, de la liberté, et même de la vie du coupable ; de sorte que l'objection tirée de la disproportion entre des crimes passagers et des tourments éternels, ne peut avoir ici aucune force.

En effet, la manière de régler la proportion entre les crimes et les punitions, est moins l'objet de la justice, qu'elle n'est l'objet de la sagesse et de la prudence du législateur, qui peut appuyer ses lois par la menace de telles peines qu'il juge à propos, sans qu'on puisse à cette occasion l'accuser de la plus légère injustice : cette maxime est indubitable.

La première fin de toute menace n'est point de punir, mais de prevenir ou faire éviter la punition. Dieu ne menace point afin que l'homme peche et qu'il soit puni, mais afin qu'il s'abstienne de pécher et qu'il évite le châtiment attaché à l'infraction de la loi ; de sorte que plus la menace est terrible et imposante, plus il y a de bonté dans l'auteur de la menace.

Après tout, il faut faire attention, ajoute le même auteur, que celui qui fait la menace se réserve le pouvoir de l'exécuter lui-même. Il y a cette différence entre les promesses et les menaces, que celui qui promet donne droit à un autre, et s'oblige à exécuter sa parole, que la justice et la fidélité ne lui permettent pas de violer : mais il n'en est pas de même à l'égard des menaces ; celui qui menace se réserve toujours le droit de punir quand il le voudra, et n'est point obligé à la rigueur d'exécuter ses menaces, ni de les porter plus loin que n'exigent l'économie, les raisons, et les fins de son gouvernement. C'est ainsi que Dieu menaça la ville de Ninive d'une destruction totale, si elle ne faisait pénitence dans un temps limité : mais comme il connaissait l'étendue de son propre droit, il fit ce qu'il voulut ; il pardonna à cette ville, en considération de sa pénitence, se relâchant du droit de la punir.

Tels sont les raisonnements de Tillotson, auxquels nous n'ajouterons qu'une réflexion pour prévenir cette fausse conséquence qu'on en pourrait tirer : savoir, que ce qu'on lit dans l'Ecriture sur les peines de l'enfer, n'est simplement que comminatoire, comme le prétendent les Sociniens. Sans doute tant que l'homme est en cette vie, il peut les éviter ces peines ; mais après la mort, lorsque l'iniquitté est consommée, et qu'il n'y a plus lieu au mérite pour fléchir le courroux d'un Dieu outragé et justement irrité, le pécheur peut-il l'accuser d'injustice, de lui infliger des peines éternelles ? puisque pendant la vie il était à son choix de les éviter, et de parvenir à une éternelle félicité. D'ailleurs, il est également révélé, et que ces menaces ont déjà été accomplies réellement dans les anges rebelles, et qu'elles seront réellement accomplies dans les réprouvés à la fin des siècles ; ce qui prouve que la raison seule ne suffit pas pour décider cette question, et qu'il faut nécessairement avoir recours à la révélation, pour démontrer l'éternité et la justice des peines de la vie future. (G)

ENFER, ades ou hades, (Théologie) se prend aussi quelquefois, dans le style de l'Ecriture, pour la mort et pour la sépulture, parce que les mots hébreux et grecs signifient quelquefois l'enfer, ou le lieu dans lequel sont les réprouvés, et quelquefois la sépulture des morts. Voyez TOMBEAU et SEPULCRE.

Les Théologiens sont divisés sur l'article du symbole des apôtres où il est dit que Notre Seigneur a été crucifié, qu'il est mort, qu'il a été enseveli, et qu'il est descendu aux enfers, hades ; quelques-uns n'entendent par cette descente aux enfers, que la descente dans le tombeau ou dans le sepulcre. Les autres leur objectent que dans le symbole même, ces deux descentes se trouvent expressément distinguées, et qu'il y est fait mention de la descente du Sauveur dans le sépulcre, sepultus est, avant qu'il soit parlé de sa descente aux enfers, descendit ad inferos. Ils soutiennent donc que l'âme de Jesus-Christ descendit effectivement dans l'enfer souterrain ou local, et qu'il y triompha des démons. Autrement les expressions du symbole seraient une pure tautologie.

Les Catholiques ajoutent que Jesus-Christ descendit dans les lymbes, c'est-à-dire dans les lieux bas de la terre, où étaient détenues les âmes des justes morts dans la grâce de Dieu avant l'avenement et la passion du Sauveur, et qu'il les emmena avec lui dans le paradis, suivant ces passages d'Osée : ero mors tua, ô mors, et morsus tuus ero, inferne. Et de S. Paul : ascendents Christus in altum captivam duxit captivitatem. Voyez LYMBES et ASCENSION. (G)

ENFER, (Poétique) ou ENFERS, s. m. pl. (Mythologie) nom général, qui, dans la théologie du Paganisme, désignait les lieux souterrains où allaient les âmes des hommes, pour y être jugées par Minos, Eaque, et Rhadamanthe. Pluton en était le dieu et le roi ; Proserpine son épouse en était la déesse et la reine.

Cet endroit contenait, entr'autres demeures, les Champs Elysées, et le Tartare environné de cinq fleuves, qu'on nomme le Styx, le Cocyte, l'Achéron, le Lethé, et le Phlégéton. Cerbere, chien à trois têtes et à trois gueules, admirablement dépeint par Virgile, était toujours à la porte des enfers, pour empêcher les hommes d'y entrer et les âmes d'en sortir. Avant que d'arriver à la cour de Pluton et au tribunal de Minos, il fallait passer l'Achéron dans une barque conduite par Caron, à qui les ombres donnaient une pièce de monnaie pour leur passage. Virgile fait encore de ce batelier un portrait inimitable : " Un air mal-propre, une barbe longue et négligée, la parole rude, des yeux étincelans, les traits d'une vieillesse robuste et vigoureuse ". Tel était Caron ; mais lisez les vers de l'original ; je n'en donne qu'une esquisse.

Portitor has horrendus aquas et flumina servat,

Terribili squalore Charon, cui plurima mento

Canities inculta jacet, stant lumina flamma ;

Sordidus ex humeris nodo dependet amictus ;

Jam senior, sed cruda deo, viridisque senectus.

Presque tous les peuples du monde ont imaginé un paradis et un enfer, conformément à leur génie ; détail immense de la folie des humains, dans lequel nous n'entrerons point ici ! On peut lire là-dessus Thomas Hyde, Vossius, Marsham, et M. Huet. Borné présentement à la Mythologie, je remarquerai seulement que c'est Orphée, qui au retour de ses voyages d'Egypte, jeta en Grèce le plan d'un nouveau système sur ce sujet, et que c'est de lui qu'est venu l'idée des champs Elysées et du Tartare, que tous les auteurs ont suivi, quoiqu'ils aient extrêmement varié sur la situation des lieux destinés à punir les mécans, et à récompenser les bons.

C'est pourquoi l'on trouve dans les Poètes tant d'entrées différentes qui conduisent aux enfers. Voyez sur cela l'article précédent.

En un mot, chacun a choisi pour l'endroit de la position des enfers, dont la religion payenne n'apprenait rien de certain, le lieu qui lui a paru le plus propre à devenir le séjour du malheur ; et en conséquence, chacun a décrit ce lieu diversement, suivant le caractère de son imagination.

Mais aucun poète n'a mieux réussi que Virgile. Il a mis dans le plus beau jour tout ce qu'Homère, et après lui Platon, avaient enseigné sur cet article. La description des enfers, du chantre de Mantoue, est supérieure à celle de l'auteur de l'Odyssée, et encore plus au-dessus de celle de Silius Italicus, de Claudien, de Lucain, et de tous les autres qui ont travaillé après lui : c'est une topographie parfaite de l'empire de Pluton ; c'est le chef-d'œuvre de l'art ; c'est le plus beau morceau de l'Enéïde.

Dans cette admirable carte topographique, le poète divise le séjour des ombres en sept demeures. La première est celle des enfants morts en naissant, qui gémissent de n'avoir fait qu'entrevoir la lumière du jour.

Infantumque animae flentes in limine primo,

Quos dulcis vitae exortes, et ab ubere raptos

Abstulit atra dies, et funere mersit acerbo.

Aenéïd. Liv. VI.

Ceux qui avaient été injustement condamnés à perdre la vie, occupent la seconde demeure.

Hos juxtà, falso damnati crimine mortis. Ibid.

Dans la troisième, sont ceux qui, sans être coupables, mais vaincus par le chagrin et les miseres d'ici-bas, se sont eux-mêmes donné la mort.

Proxima deindè tenent moesti loca, qui sibi lethum

Insontes peperêre manu, lucemque perosi

Projecère animas : quam vellent aethere in alto

Nunc et pauperiem et duros perferre labores ! &c.

Fata obstant tristique palus inamabilis undâ

Alligat, et novies styx interfusa coercet.

M. de Voltaire, dans ses mélanges de Littérature et de Philosophie, a traduit ces vers ainsi :

Là sont ces insensés, qui d'un bras téméraire

Ont cherché dans la mort un secours volontaire :

Ils n'ont pu supporter, faibles et furieux,

Le fardeau de la vie imposé par les dieux.

... Ils regrettent le jour, ils pleurent ; et le sort,

Le sort pour les punir les enchaine à la mort,

L'abime du Cocyte et l'Achéron terrible

Met entr'eux et la vie un obstacle invincible.

La quatrième, appelée le champ des larmes, est le séjour de ceux qui avaient éprouvé les rigueurs de l'amour ; Phèdre, Procris, Pasiphaè, Didon, etc.

Hic, quos durus amor crudeli tabe peredit ;

Secreti celant calles, et myrthea circum

Sylva tegit ; curae non ipsâ in morte relinquunt.

His, Phaedram, Procrinque locis, moestamque Eriphylem,

Crudelis gnati monstrantem vulnera cernit,

Evadnenque, et Papsiphaèn, &c.

La cinquième, est le quartier des fameux guerriers qui avaient péri dans les combats ; Tydée, Adraste, Polybure, etc.

Hic illi occurrit Tydeus, hic inclytus armis

Parthenopœus, et Adrasti pallentis imago, &c.

L'affreux Tartare, prison des scélérats, fait la sixième demeure, environnée du bourbeux Cocyte et du brulant Phlégéton. Là règnent les Parques, les Furies, etc. et c'est là aussi que Virgile se surpasse lui-même.

................................... tùm Tartarus ipse

Bis patet in praeceps tantum, tenditque sub umbras,

Quantus ad aethereum coeli suspectus Olympum.

Hic genus antiquum terrae, Titania pubes,

Fulmine dejecti fundo volvuntur in imo. &c.

Enfin la septième demeure fait le séjour des bienheureux, les Champs Elysées.

His demùm exactis perfecto munere divae,

Devenêre locos laetos, et amoena vireta

Fortunatorum nemorum, sedesque beatas, &c.

Je supprime à regret les autres détails admirables que Virgile nous donne des enfers, et je ne pense point à mettre à leur place ceux des auteurs qui l'ont précédé ou qui l'ont suivi ; il vaut beaucoup mieux nous attacher à ramener le système des fictions poétiques à leur véritable origine ; et en recherchant celle de la fable des enfers, démontrer en général qu'elle vient d'Egypte ; après quoi l'on jugera sans peine que la plupart des circonstances dont on l'a embellie dans la suite, sont le fruit de l'imagination des poètes grecs et romains.

Non-seulement Hérodote nous apprend que presque tous les noms des dieux sont venus d'Egypte dans la Grèce, mais Diodore de Sicîle nous explique, par le secours des traditions égyptiennes, la plupart des fables qu'on a débité sur les enfers.

Il y a, dit cet excellent auteur, (liv. I.) un lac en Egypte au-delà duquel on enterrait anciennement les morts. Après les avoir embaumés, on les portait sur le bord de ce lac. Les juges préposés pour examiner la conduite et les mœurs de ceux qu'on devait faire passer de l'autre côté, s'y rendaient au nombre de quarante ; et après une longue délibération, s'ils jugeaient celui dont on venait de faire l'information, digne de la sépulture, on mettait son cadavre dans une barque, dont le batelier se nommait Caron. Cette coutume était même pratiquée à l'égard des rois ; et le jugement qu'on portait contre eux était quelquefois si sevère, qu'il y en eut qui furent réputés indignes de la sépulture.

La fable rapporte que le Caron des Grecs est toujours sur le lac ; celui des Egyptiens avait établi sa demeure sur les bords du lac Querron. Le Caron des poètes grecs exigeait impitoyablement son péage : celui des Egyptiens ne voulait pas même faire grâce au fils du roi ; il devait justifier au prince régnant, qu'il n'amassait tant de richesses que pour son service. Le lac des enfers était formé d'un fleuve : celui du Querron était formé des eaux du Nil. Le premier faisait neuf fois le tour des enfers, novies Styx interfusa ; jamais pays n'a été plus arrosé que l'Egypte ; jamais fleuve n'a eu plus de canaux que le Nil.

L'idée de la prison du Tartare, dont une partie, selon Virgile, était aussi avant dans la terre que le ciel en est éloigné, ne paroit-elle pas prise du fameux labyrinthe d'Egypte, qui était composé de deux bâtiments, dont l'un était sous terre ? Les crocodiles sacrés que les Egyptiens nourrissaient dans des chambres souterraines, désignent assez clairement les monstres affreux qu'on met dans le royaume de Pluton.

En un mot, il semble qu'aux circonstances près, on trouve en Egypte tout ce qui compose l'enfer des poètes de la Grèce et de Rome. Homère dit que l'entrée des enfers était sur le bord de l'Océan ; le Nil est appelé par ce même poète . C'est en Egypte qu'on voit les portes du soleil ; elles ne sont autre chose que la ville d'Héliopolis. Les demeures des morts sont marquées par ce grand nombre de pyramides et de tombeaux, où les momies se sont conservées pendant tant de siècles. Caron, sa barque, l'obole qu'on donnait pour le passage ; tout cela, est encore tiré de l'histoire d'Egypte. Il est même très-probable que le nom de l'Achéron vient de l'égyptien Achoucherron, qui signifie les lieux marécageux de Caron ; que le Cerbere a pris sa dénomination de quelqu'un des rois d'Egypte, appelé Chebrès ou Kébron ; qu'enfin le nom du Tartare vient de l'Egyptien Dardarot, qui signifie habitation éternelle ; qualification que les Egyptiens donnaient par excellence à leurs tombeaux.

Mais sans trop appuyer sur ces étymologies, et moins encore sans compter sur de plus recherchées, par lesquelles Bochart, le Clerc, et autres savants, trouvent chez les Egyptiens le système complet des enfers et des champs élysées ; c'est assez d'en connaître la première origine, il n'en faut pas demander davantage : de minimis non curandum.

Quant aux voyages que les poètes font faire à leurs héros dans les enfers, je crois qu'ils n'ont d'autre fondement que les évocations, auxquelles eurent autrefois recours les hommes superstitieux pour s'éclaircir de leur destinée. Orphée, qui avait été lui-même dans la Thesprotie pour évoquer le fantôme d'Eurydice sa chère épouse, nous en parle comme d'un voyage aux enfers, et prend occasion de-là de nous débiter tous les dogmes de la théologie payenne sur cette matière. Les autres poètes ne manquèrent pas de suivre son exemple. Bayle, réponse aux questions d'un provincial. Voyez EVOCATION, MANES.

Quoi qu'il en sait, il arriva que les Grecs, contens d'avoir saisi en général les idées des Egyptiens sur l'immortalité des âmes, et leur état après la mort, donnèrent carrière à leur génie, et inventèrent sur ce sujet quantité de fables dont ils n'avaient aucun modèle. L'Italie suivit l'exemple des Grecs, et ajouta de nouvelles fictions aux anciennes ; telles sont celles du rameau d'or, des furies, des parques, et des illustres scélérats que leurs poètes placèrent dans le Tartare.

Enfin, tant d'auteurs travaillèrent successivement et en différents lieux à former le système poétique des enfers, que ce système produisit un mélange monstrueux de fables ridicules, dont tout le monde vint à se moquer. Cicéron rapporte que de son temps il n'y avait point de vieilles assez sottes pour y ajouter la moindre foi. Dic, quaeso, nùm, te illa tenent, triceps apud inferos Cerberus, Cocyti fremitus, et transvectio Acherontis ? Adeòne me delirare censes, ista ut credam ?... Quae anus tam excors inveniri potest, quae illa, quae quondam credebantur, apud inferos portenta, extimescat ? De nat. deor. Juvenal nous assure de son côté, que les enfants mêmes croyaient à peine l'ancienne doctrine des enfers. Voyez l'article précédent.

Cependant, malgré ce changement dans les opinions des particuliers, la pratique du culte public ne changea point de face, ni du temps de Cicéron, ni du temps de Juvénal. On vit subsister les mêmes fêtes, les mêmes processions et les mêmes sacrifices en l'honneur de Pluton, de Proserpine, et des autres divinités infernales, auxquelles personne ne croyait plus. Tant il est vrai que les particuliers peuvent en matière de religion se trouver désabusés, et le même culte public subsister. Polybe fait à ce sujet une réflexion par laquelle je finirai cet article.

" Le plus grand avantage, dit ce judicieux historien, qu'ait eu le gouvernement de Rome sur tous les autres états, est une chose généralement décriée, l'idolatrie et la superstition. Si une société, ajoute-t-il, était formée seulement de gens sages, un tel plan n'aurait pas été nécessaire ; mais puisque la multitude est toujours agitée de désirs illicites et de passions violentes, il n'y avait pas d'autre moyen plus sur de les réprimer que ce secret de fictions et de terreurs. C'était donc prudemment et sagement que les Romains inculquèrent dans les esprits le culte de leurs dieux, et la crainte des punitions du Tartare " Liv. VI. p. 497. Voyez SUPERSTITION. Article de M(D.J.)

ENFER DE BOYLE, (Chimie) vaisseau circulatoire d'un verre fort, composé de plusieurs pièces, qui toutes ensemble font une espèce de matras, ayant le col long et étroit et le globe très-aplati, imaginé par le célèbre Anglais dont il porte le nom, pour faire ce qu'on appelle le mercure fixé per se. Voyez nos Planches. Voyez MERCURE. (b)