PHILOSOPHIE DE, (Histoire, Philosophie) il ne faut point oublier cet homme parmi les réformateurs de la philosophie et les fondateurs de l'éclectisme renouvellé ; il mérite une place dans l'histoire des connaissances humaines, par ses talents, ses efforts et ses persécutions. Il naquit à Leipsic en 1655. Son père, homme savant, n'oublia rien de ce qui pouvait contribuer à l'instruction de son fils ; il s'en occupa lui-même, et il s'associa dans ce travail important les hommes célèbres de son temps, Filier, Rapporte, Ittigius, les Alberts, Menckenius, Franckensteinius, Rechenbergius et d'autres qui illustraient l'académie de Leipsic ; mais l'élève ne tarda pas à exciter la jalousie de ses maîtres dont les sentiments ne furent point une règle servîle des siens. Il s'appliqua à la lecture des ouvrages de Grotius. Cette étude le conduisit à celle des lois et du droit. Il n'avait personne qui le dirigeât, et peut-être fut-ce un avantage pour lui. Puffendorf venait alors de publier ses ouvrages. La nouveauté des questions qu'il y agitait, lui suscitèrent une nuée d'adversaires. Thomasius se rendit attentif à ces disputes, et bientôt il comprit que la théologie et la jurisprudence avaient chacune un coup d'oeil sous lequel elles envisageaient un objet commun, qu'il ne fallait point abandonner une science aux prétentions d'une autre, et que le despotisme que quelques-unes s'arrogent, était un caractère très-suspect de leur infaillibilité. Dès ce moment il foula aux pieds l'autorité ; il prit une ferme résolution de ramener tout à l'examen de la raison et de n'écouter que sa voix. Au milieu des cris que son projet pourrait exciter, il comprit que le premier pas qu'il avait à faire, c'était de ramasser des faits. Il lut les auteurs, il conversa avec les savants, et il voyagea ; il parcourut l'Allemagne ; il alla en Hollande ; il y connut le célèbre Graevius. Celui-ci le mit en correspondance avec d'autres érudits, se proposa de l'arrêter dans la contrée qu'il habitait, s'en ouvrit à Thomasius ; mais notre philosophe aimait sa patrie, et il y retourna.

Il conçut alors la nécessité de porter encore plus de sévérité qu'il n'avait fait, dans la discussion des principes du droit civil, et d'appliquer ses réflexions à des cas particuliers. Il fréquenta le barreau, et il avoua dans la suite que cet exercice lui avait été plus utîle que toutes ses lectures.

Lorsqu'il se crut assez instruit de la jurisprudence usuelle, il revint à la spéculation ; il ouvrit une école ; il interpréta à ses auditeurs le traité du droit de la guerre et de la paix de Grotius. La crainte de la peste qui ravageait le pays, suspendit quelque temps ses leçons ; mais la célébrité du maître et l'importance de la matière ne tardèrent pas à rassembler ses disciples épars. Il acheva son cours ; il compara Grotius, Puffendorf et leurs commentateurs ; il remonta aux sources ; il ne négligea point l'historique ; il remarqua l'influence des hypothèses particulières sur les conséquences, la liaison des principes avec les conclusions, l'impossibilité de se passer de quelque loi positive, universelle, qui servit de base à l'édifice, et ce fut la matière d'un second cours qu'il entreprit à la sollicitation de quelques personnes qui avaient suivi le premier. Son père vivait encore, et l'autorité dont il jouissait, suspendait l'éclat des haines sourdes que Thomasius se faisait de jour en jour par sa liberté de penser ; mais bientôt il perdit le repos avec cet appui.

Il s'était contenté d'enseigner avec Puffendorf que la sociabilité de l'homme était le fondement de la moralité de ses actions ; il l'écrivit ; cet ouvrage fut suivi d'un autre où il exerça une satyre peu menagée sur différents auteurs, et les cris commencèrent à s'élever. On invoqua contre lui l'autorité ecclésiastique et séculière. Les défenseurs d'Aristote pour lequel il affectait le plus grand mépris, se joignirent aux jurisconsultes, et cette affaire aurait eu les suites les plus sérieuses, si Thomasius ne les eut arrêtées en fléchissant devant ses ennemis. Ils l'accusaient de mépriser la religion et ses ministres, d'insulter à ses maîtres, de calomnier l'église, de douter de l'existence de Dieu ; il se défendit, il ferma la bouche à ses adversaires, et il conserva son franc-parler.

Il parut alors un ouvrage sous ce titre, interesse principum circa religionem evangelicam. Un professeur en théologie, appelé Hector Godefroi Masius, en était l'auteur. Thomasius publia ses observations sur ce traité ; il y comparait le lutheranisme avec les autres opinions des sectaires, et cette comparaison n'était pas toujours à l'avantage de Masius. La querelle s'engagea entre ces deux hommes. Le roi de Danemarck fut appelé dans une discussion où il s'agissait entr'autres choses de savoir si les rois tenaient de Dieu immédiatement leur autorité ; et sans rien prononcer sur le fond, sa majesté danoise se contenta d'ordonner l'examen le plus attentif aux ouvrages que Thomasius publierait dans la suite.

Il eut l'imprudence de se mêler dans l'affaire des Piétistes, d'écrire en faveur du mariage entre des personnes de religions différentes, d'entreprendre l'apologie de Michel Montanus accusé d'athéisme, et de mécontenter tant d'hommes à la fais, que pour échapper au danger qui menaçait sa liberté, il fut obligé de se sauver à Berlin, laissant en arrière sa bibliothèque et tous ses effets qu'il eut beaucoup de peine à recouvrer.

Il ouvrit une école à Halles sous la protection de l'électeur ; il continua son ouvrage périodique, et l'on se doute bien qu'animé par le ressentiment et jouissant de la liberté d'écrire tout ce qu'il lui plaisait, il ne ménagea guère ses ennemis. Il adressa à Masius même les premières feuilles qu'il publia. Elles furent brulées par la main du bourreau ; et cette exécution nous valut un petit ouvrage de Thomasius, où sous le nom de Attila Fréderic Frommolohius, il examine ce qu'il convient à un homme de bien de faire, lorsqu'il arrive à un souverain étranger de flétrir ses productions.

L'école de Halles devint nombreuse. L'électeur y appela d'autres personnages célèbres, et Thomasius fut mis à leur tête. Il ne dépendait que de lui d'avoir la tranquillité au milieu des honneurs ; mais on n'agitait aucune question importante qu'il ne s'en mêlât ; et ses disputes se multipliaient de jour en jour. Il se trouva embarrassé dans la question du concubinage, dans celle de la magie, des sortileges, des vénéfices, des apparitions, des spectres, des pactes, des démons. Or je demande comment il est possible à un philosophe de toucher à ces sujets sans s'exposer au soupçon d'irréligion ?

Thomasius avait observé que rien n'était plus opposé aux progrès de nos connaissances que l'attachement opiniâtre à quelque secte. Pour encourager ses compatriotes à secouer le joug et avancer le projet de réformer la philosophie, après avoir publié son ouvrage de prudentiâ cogitandi et ratiocinandi, il donna un abrégé historique des écoles de la Grèce ; passant de-là au cartésianisme qui commençait à entraîner les esprits, il exposa à sa manière ce qu'il y voyait de répréhensible, et il invita à la méthode éclectique. Ces ouvrages, excellents d'ailleurs, sont tachés par quelques inexactitudes.

Il traita fort au long dans le livre qu'il intitula, de l'introduction à la philosophie rationelle, de l'érudition en général et de son étendue, de l'érudition logicale, des actes de l'entendement, des termes techniques de la dialectique, de la vérité, de la vérité première et indémontrable, des démonstrations de la vérité, de l'inconnu, du vraisemblable, des erreurs, de leurs sources, de la recherche des vérités nouvelles, de la manière de les découvrir ; il s'attacha surtout à ces derniers objets dans sa pratique de la philosophie rationelle. Il était ennemi mortel de la méthode syllogistique.

Ce qu'il venait d'exécuter sur la logique, il l'entreprit sur la morale ; il exposa dans son introduction à la philosophie morale ce qu'il pensait en général du bien et du mal, de la connaissance que l'homme en a, du bonheur, de Dieu, de la bienveillance, de l'amour du prochain, de l'amour de soi, etc. d'où il passa dans la partie pratique aux causes du malheur en général, aux passions, aux affections, à leur nature, à la haine, à l'amour, à la moralité des actions, aux tempéraments, aux vertus, à la volupté, à l'ambition, à l'avarice, aux caractères, à l'oisiveté, &c.... Il s'efforce dans un chapitre particulier à démontrer que la volonté est une faculté aveugle soumise à l'entendement, principe qui ne fut pas gouté généralement.

Il avait surtout insisté sur la nature et le mélange des tempéraments ; ses réflexions sur cet objet le conduisirent à des vues nouvelles sur la manière de découvrir les pensées les plus secrètes des hommes par le commerce journalier.

Après avoir posé les fondements de la réformation de la logique et de la morale, il tenta la même chose sur la jurisprudence naturelle. Son travail ne resta pas sans approbateurs et sans critiques ; on y lut avec quelque surprise que les habitudes théorétiques pures appartiennent à la folie, lors même qu'elles conduisent à la vérité : que la loi n'est point dictée par la raison, mais qu'elle est une suite de la volonté et du pouvoir de celui qui commande : que la distinction de la justice en distributive et commutative est vaine : que la sagesse consiste à connaître l'homme, la nature, l'esprit et Dieu : que toutes les actions sont indifférentes dans l'état d'intégrité : que le mariage peut être momentané : qu'on ne peut démontrer par la raison que le concubinage, la bestialité, etc. soient illicites &c...

Il se proposa dans ce dernier écrit de marquer les limites de la nature et de la grâce, de la raison et de la révélation.

Quelque temps après il fit réimprimer les livres de Poiret de l'érudition vraie, fausse et superficielle.

Il devint théosophe, et c'est sous cette forme qu'on le voit dans sa pneumatologie physique.

Il fit connaissance avec le médecin célèbre Fréderic Hoffman, et il prit quelques leçons de cet habîle médecin, sur la physique mécanique, chymique et expérimentale ; mais il ne gouta pas un genre d'étude qui, selon lui, ne rendait pas des vérités en proportion du travail et des dépenses qu'il exigeait.

Laissant-là tous les instruments de la physique, il tenta de concilier entr'elles les idées mosaïques, cabalistiques et chrétiennes, et il composa son tentamen de naturâ et essentiâ spiritus. Avec quel étonnement ne voit-on pas un homme de grand sens, d'une érudition profonde, et qui avait employé la plus grande partie de sa vie à charger de ridicules l'incertitude et la variété des systèmes de la philosophie sectaire, entêté d'opinions mille fois plus extravagantes. Mais Newton, après avoir donné son admirable ouvrage des principes de la philosophie naturelle, publia bien un commentaire sur l'apocalypse.

Thomasius termina son cours de philosophie par la pratique de la philosophie politique, dont il fait sentir la liaison avec des connaissances trop souvent négligées par les hommes qui s'occupent de cette science.

Il est difficîle d'exposer le système général de la philosophie de Thomasius, parce qu'il changea souvent d'opinions.

Du reste ce fut un homme aussi estimable par ses mœurs que par ses talents. Sa vie fut innocente, il ne connut ni l'orgueil ni l'avarice ; il aima tendrement ses amis ; il fut bon époux ; il s'occupa beaucoup de l'éducation de ses enfants ; il chérit ses disciples qui ne demeurèrent pas en reste avec lui ; il eut l'esprit droit et le cœur juste ; et son commerce fut instructif et agréable.

On lui reproche son penchant à la satyre, au scepticisme, au naturalisme, et c'est avec juste raison.

Principes généraux de la philosophie de Thomasius.

Tout être est quelque chose.

L'ame de l'homme a deux facultés, l'entendement et la volonté.

Elles consistent l'une et l'autre en passions et en actions.

La passion de l'entendement s'appelle sensation ; la passion de la volonté, inclination. L'action de l'entendement s'appelle méditation ; l'action de la volonté, impulsion.

Les passions de l'entendement et de la volonté précèdent toujours les actions ; et ces actions sont comme mortes sans les passions.

Les passions de l'entendement et de la volonté sont des perceptions de l'âme.

Les êtres réels s'aperçoivent ou par la sensation et l'entendement, ou par l'inclination et la volonté.

La perception de la volonté est plus subtîle que la perception de l'entendement ; la première s'étend aux visibles et aux invisibles.

La perceptibilité est une affection de tout être, sans laquelle il n'y a point de connaissance vraie de son essence et de sa réalité.

L'essence est dans l'être la qualité sans laquelle l'âme ne s'aperçoit pas.

Il y a des choses qui sont aperçues par la sensation ; il y en a qui le sont par l'inclination, et d'autres par l'un et l'autre moyen.

Etre quelque part, c'est être dedans ou dehors une chose.

Il y a entre être en un lieu déterminé, et être quelque part, la différence de ce qui contient à ce qui est contenu.

L'amplitude est le concept d'une chose en tant que longue ou large, abstraction faite de la profondeur.

L'amplitude est ou l'espace où la chose est ou mue ou étendue, ou le mu ou l'étendu dans l'espace, ou l'extension active, ou l'étendu passif, ou la matière active, ou la chose mue passivement.

Il y a une étendue finie et passive. Il y en a une infinie et active.

Il y a de la différence entre l'espace et la chose étendue, entre l'extension et l'étendue.

On peut considérer sous différents aspects une chose ou prise comme espace, ou comme chose étendue.

L'espace infini n'est que l'extension active où tout se meut, et qui ne se meut en rien.

Il est nécessaire qu'il y ait quelqu'étendu fini, dans lequel, comme dans l'espace, un autre étendu ne se meuve pas.

Dieu et la créature sont réellement distingués ; c'est-à-dire que l'un des deux peut au - moins exister sans l'autre.

Le premier concept de Dieu est d'être de lui - même, et que tout le reste sort de lui.

Mais ce qui est d'un autre est postérieur à ce dont il est ; donc les créatures ne sont pas co - éternelles à Dieu.

Les créatures s'aperçoivent par la sensation ; alors nait l'inclination, qui cependant ne suppose pas nécessairement ni toujours la sensation.

L'homme ne peut méditer des créatures qu'il n'aperçoit point, et qu'il n'a pas aperçues par la sensation.

La méditation sur les créatures finit, si de nouvelles sensations ne la réveillent.

Dieu ne s'aperçoit point par la sensation.

Donc l'entendement n'aperçoit point que Dieu vive, et toute sa méditation sur cet être est morte. Elle se borne à connaître que Dieu est autre chose que la créature, et ne s'étend point à ce qu'il est.

Dieu s'aperçoit par l'inclination du cœur qui est une passion.

Il est nécessaire que Dieu mesure le cœur de l'homme.

La passion de l'entendement est dans le cerveau ; celle de la volonté est dans le cœur.

Les créatures meuvent l'entendement ; Dieu meut le cœur.

La passion de la volonté est d'un ordre supérieur, plus noble et meilleure que la passion de l'entendement. Elle est de l'essence de l'homme ; c'est elle qui le distingue de la bête.

L'homme est une créature aimante et pensante ; toute inclination de l'homme est amour.

L'intellect ne peut exciter en lui l'amour de Dieu ; c'est l'amour de Dieu qui l'excite.

Plus nous aimons Dieu, plus nous le connaissons.

Dieu est en lui-même ; toutes les créatures sont en Dieu ; hors de Dieu il n'y a rien.

Tout tient son origine de lui, et tout est en lui.

Quelque chose peut opérer par lui, mais non hors de lui, ce qui s'opere, s'opère en lui.

Les créatures ont toutes été faites de rien, hors de Dieu.

L'amplitude de Dieu est infinie ; celle de la créature est finie.

L'entendement de l'homme, fini, ne peut comprendre exactement toutes les créatures.

Mais la volonté inclinée par un être infini, est infinie.

Rien n'étend Dieu ; mais il étend et développe tout.

Toutes les créatures sont étendues ; et aucune n'en étend une autre par une vertu qui soit d'elle.

Etre étendu n'est pas la même chose que d'avoir des parties.

Toute extension est mouvement.

Toute matière se meut ; Dieu meut tout, et cependant il est immobile.

Il y a deux sortes de mouvement, du non être à l'être, ou de l'espace, à l'espace ou dans l'espace.

L'essence de Dieu était une amplitude enveloppée avant qu'il étendit les créatures.

Alors les créatures étaient cachées en lui.

La création est un développement de Dieu, ou un acte, parce qu'il a produit de rien, en s'étendant, les créatures qui étaient cachées en lui.

N'être rien ou être caché en Dieu, c'est une même chose.

La création est une manifestation de Dieu, par la créature produite hors de lui.

Dieu n'opère rien hors de lui.

Il n'y a point de créature hors de Dieu ; cependant l'essence de la créature diffère de l'essence de Dieu.

L'essence de la créature consiste à agir et à souffrir, ou à mouvoir et à être mue ; et c'est ainsi que la sensation de l'homme a lieu.

La perception par l'inclination est la plus déliée ; il n'y en a point de plus subtîle ; le tact le plus délicat ne lui peut être comparé.

Tout mouvement se fait par attouchement ou contact, ou application ou approche de la chose qui meut à la chose qui est mue.

La sensation se fait par l'approximation de la chose au sens, et l'inclination par l'approximation de la chose au cœur.

Le sens est touché d'une manière visible, le cœur d'une manière invisible.

Tout contact du sens se fait par pulsion ; toute motion de l'inclination, ou par pulsion ou par attraction.

La créature passive, l'être purement patient, s'appelle matière ; c'est l'opposé de l'esprit. Les opposés ont des effets opposés.

L'esprit est l'être agissant et mouvant.

Tout ce qui caractérise passion est affection de la matière ; tout ce qui marque action est affection de l'esprit.

La passion indique étendu, divisible, mobîle ; elle est donc de la matière.

La matière est pénétrable, non pénétrante, capable d'union, de génération, de corruption, d'illumination et de chaleur.

Son essence est donc froide et ténébreuse ; car il n'y a rien dans cela qui ne soit passif.

Dieu a donné à la matière le mouvement de non être à l'être ; mais l'esprit l'étend, la divise, la meut, la pénetre, l'unit, l'engendre, la corrompt, l'illumine, l'échauffe et la réfroidit ; car tous ces effets marquent action.

L'esprit est par sa nature lucide, chaud et spirant, ou il éclaire, échauffe, étend, meut, divise, pénetre, unit, engendre, corrompt, illumine, échauffe, réfroidit.

L'esprit ne peut souffrir aucun de ces effets de la matière ; cependant il n'a ni sa motion, ni sa lumière de lui-même, parce qu'il est une créature, et de Dieu.

Dieu peut anéantir un esprit.

L'essence de l'esprit en elle-même consiste en vertu ou puissance active. Son intention donne la vie à la matière, forme son essence et la fait ce qu'elle est, après l'existence qu'elle tient de Dieu.

La matière est un être mort, sans vertu ; ce qu'elle en a, elle le tient de l'esprit qui fait son essence et sa vie.

La matière devient informe, si l'esprit l'abandonne à elle.

Un esprit peut être sans matière ; mais la matière ne peut être sans un esprit.

Un esprit destiné à la matière désire de s'y unir et d'exercer sa vertu en elle.

Tous les corps sont composés de matière et d'esprit ; ils ont donc une sorte de vie en conséquence de laquelle leurs parties s'unissent et se tiennent.

L'esprit est dans tous les corps comme au centre ; c'est de-là qu'il agit par rayons, et qu'il étend la matière.

S'il retire ses rayons au centre, le corps se résout et se corrompt.

Un esprit peut attirer et pousser un esprit.

Ces forces s'exercent sensiblement dans la matière unie à l'esprit.

Dans l'homme l'attraction et l'impulsion s'appellent amour et haine, dans les autres corps sympathie et antipathie.

L'esprit ne s'aperçoit point par les organes des sens, parce que rien ne souffre par la matière.

La matière ténébreuse en elle-même ne peut être ni vue, ni touchée ; c'est par l'esprit qui l'illumine qu'elle est visible ; c'est par l'esprit qui la meut qu'elle est perceptible à l'oreille, etc.

La différence des couleurs, des sons, des odeurs, des saveurs, du toucher, nait de l'efformation et configuration du reste de la matière.

La chaleur et le froid sont produits par la diversité de la motion de l'esprit dans la matière ; et cette motion est ou rectiligne ou circulaire.

C'est l'attraction de l'esprit qui constitue la solidité et la fluidité.

La fluidité est de l'attraction de l'esprit solaire ; la solidité est de l'attraction de l'esprit terrestre.

C'est la quantité de la matière qui fait la gravité ou la légèreté, l'esprit du corps séparé de son tout étant attiré et incliné par l'esprit universel ; c'est ainsi qu'il faut expliquer l'élasticité et la raréfaction.

L'esprit en lui-même n'est point opposé à l'esprit. La sympathie et l'antipathie, l'amour et la haine naissent d'opérations diverses que l'esprit exécute dans la matière, selon la diversité de son efformation et de sa configuration.

Le corps humain, ainsi que tous les autres, a esprit et matière.

Il ne faut pas confondre en lui l'esprit corporel et l'âme.

Dans tous les corps la matière mue par l'esprit touche immédiatement la matière d'un autre corps ; mais la matière touchée n'aperçoit pas l'attouchement ; c'est la fonction de l'esprit qui lui appartient.

J'entends ici par apercevoir, comprendre et approuver la vertu d'un autre, chercher à s'unir à elle, à augmenter sa propre vertu, lui céder la place, se resserrer. Ces perceptions varient dans les corps avec les figures, et selon les espèces. L'esprit au contraire d'un corps à un autre ne diffère que par l'acte intuitif, plus ou moins intense.

La division des corps en esprits est une suite de la varieté de la matière et de sa structure.

Il y a des corps lucides ; il y en a de transparents et d'opaques, selon la quantité plus ou moins grande de la matière, et les motions diverses de l'esprit.

L'opération ou la perception de l'esprit animal consiste dans l'animal, en ce que l'image du contact est comprise par le cerveau, et approuvée par le cœur ; et conséquemment les membres de l'animal sont déterminés par l'esprit à approcher la chose qui a touché, ou à la fuir.

Si ce mouvement est empêché, l'esprit moteur dans l'animal excite le désir des choses agréables et l'aversion des autres.

La structure de la matière du corps de l'homme est telle que l'esprit ou conserve les images qu'il a reçues, ou les divise, ou les compose, ou les approuve, ou les haïsse, même dans l'absence des choses, et en soit réjoui ou tourmenté.

Cet esprit et l'esprit de tous les autres corps est immatériel ; il est cependant capable d'approuver le contact de la matière, du plaisir et de la peine ; il est assujetti à l'intention des opérations conséquentes aux changements de la matière ; il est, pour ainsi dire, adhérent aux autres corps terrestres, et il ne peut sans eux perseverer dans son union avec son propre corps.

L'homme consideré sous l'aspect de matière unie à cet esprit, est l'homme animal.

Sa propriété de comprendre les usages des choses, de les composer et de les diviser, s'appelle l'entendement actif.

Sa propriété de désirer les choses, s'appelle volonté naturelle.

La matière est hors de l'esprit ; cependant il la pénetre. Il ne l'environne pas seulement. L'esprit qu'elle a et qui l'étend désire un autre esprit, et fait que dans certains corps la matière s'attache à un second esprit, l'environne et le comprend, s'il est permis de le dire.

Si l'esprit est déterminé par art à s'éprendre de lui-même, il se rapproche et se resserre en lui-même.

Si un corps ne s'unit point à un autre, ne l'environne point, on dit qu'il subsiste par lui-même ; autrement les deux corps ne forment qu'un tout.

L'esprit existe aussi hors des corps, il les environne, et ils se meuvent en lui. Mais ni les corps, ni l'esprit subsistant par lui-même, ne peuvent être hors de Dieu.

On peut concevoir l'extension de l'esprit comme un centre illuminant, rayonant en tout sens, sans matérialité.

L'espace où tous les corps se meuvent est esprit ; et l'e space où tous les esprits se meuvent est Dieu.

La lumière est un esprit invisible illuminant la matière.

L'air pur ou l'aether est un esprit qui meut les corps et qui les rend visibles.

La terre est une matière condensée par l'esprit.

L'eau est une matière mue et agitée par un esprit interne.

Les corps sont ou terrestres ou spirituels, selon le plus ou le moins de matière qu'ils ont.

Les corps terrestres ont beaucoup de matière ; les corps spirituels, tels que le soleil, ont beaucoup de lumière.

Les corps aqueux abondent en esprit et en matière. Ils se voient, les uns parce qu'ils sont transparents, les autres parce qu'ils sont opaques.

Les corps lucides sont les plus nobles de tous ; après ceux-ci ce sont les aériens et les aqueux ; les terrestres sont les derniers.

Il ne faut pas confondre la lumière avec le feu. La lumière nourrit tout. Le feu qui est une humeur concentrée détruit tout.

Les hommes ne peuvent s'entretenir de l'essence incompréhensible de Dieu que par des similitudes. Il faut emprunter ces similitudes des corps les plus nobles.

Dieu est un être purement actif, un acte pur, un esprit très-énergique, une vertu très-effrénée, une lumière, une vapeur très-subtile.

Nous nous mouvons, nous vivons, nous sommes un Dieu.

L'ame humaine est un être distinct de l'esprit corporel.

Le corps du protoplaste fut certainement spirituel, voisin de la nature des corps lucides et transparents ; il avait son esprit, mais il ne constituait pas la vie de l'homme.

C'est pourquoi Dieu lui souffla dans les narines l'âme vivifiante.

Cette âme est un rayon de la vertu divine.

Sa destination fut de conduire l'homme et de le diriger vers Dieu.

Et sous cet aspect l'âme de l'homme est un désir perpétuel d'union avec Dieu qu'elle aperçoit de cette manière. Ce n'est donc autre chose que l'amour de Dieu.

Dieu est amour.

Cet amour illuminait l'entendement de l'homme, afin qu'il eut la connaissance des créatures. Elle devait, pour ainsi dire, transformer le corps de l'homme et l'âme de son corps, et les attirer à Dieu.

Mais l'homme ayant écouté l'inclination de son corps, et l'esprit de ce corps, de préférence à son âme, s'est livré aux créatures, a perdu l'amour de Dieu, et avec cet amour la connaissance parfaite des créatures.

La voie commune d'échapper à cette misere, c'est que l'homme cherche à passer de l'état de bestialité à l'état d'humanité, qu'il commence à se connaître, à plaindre la condition de la vie, et à souhaiter l'amour de Dieu.

L'homme animal ne peut s'exciter ces motions, ni tendre au-delà de ce qu'il est.

Thomasius part de-là pour établir des dogmes tout à fait différents de ceux de la religion chrétienne. Mais l'exposition n'en est pas de notre objet. Sa philosophie naturelle où nous allons entrer, présente quelque chose de plus satisfaisant.

Principes de la logique de Thomasius. Il y a deux lumières qui peuvent dissiper les ténèbres de l'entendement. La raison et la révélation.

Il n'est pas nécessaire de recourir à l'étude des langues étrangères pour faire un bon usage de sa raison. Elles ont cependant leur utilité même relative à cet objet.

La logique et l'histoire sont les deux instruments de la philosophie.

La fin première de la logique ou de l'art de raisonner est la connaissance de la vérité.

La pensée est un discours intérieur sur les images que les corps ont imprimées dans le cerveau, par l'entremise des organes.

Les sensations de l'homme sont ou extérieures ou intérieures, et il ne faut pas les confondre avec les sens. Les animaux ont des sens, mais non des sensations. Il n'est pas possible que tout l'exercice de la pensée se fasse dans la glande pinéale. Il est plus raisonnable que ce soit dans tout le cerveau.

Les brutes ont des actions pareilles aux nôtres, mais elles ne pensent pas ; elles ont en elles un principe interne qui nous est inconnu.

L'homme est une substance corporelle qui peut se mouvoir et penser.

L'homme a entendement et volonté.

L'entendement et la volonté ont action et passion.

La méditation n'appartient pas à la volonté, mais à l'entendement.

Demander combien il y a d'opérations de l'entendement, c'est faire une question obscure et inutile.

J'entends par abstractions les images des choses, lorsque l'entendement s'en occupe dans l'absence des choses. La faculté qui les arrête et les offre à l'entendement comme présentes, c'est la mémoire.

Lorsque nous les unissons, ou les séparons à notre discrétion, nous usons de l'imagination.

Déduire des abstractions inconnues de celles qu'on connait, c'est comparer, raisonner, conclure.

La vérité est la convenance des pensées intérieures de l'homme, avec la nature et les qualités des objets extérieurs.

Il y a des vérités indémontrables. Il faut abandonner celui qui les nie, comme un homme qu'on ne peut convaincre, et qui ne veut pas être convaincu.

C'est un fait constant, que l'homme ne pense pas toujours.

Les pensées qui ne conviennent pas avec l'objet extérieur sont fausses ; si l'on s'y attache sérieusement on est dans l'erreur ; si ce ne sont que des suppositions, on feint.

Le vrai considéré relativement à l'entendement est ou certain ou probable.

Une chose peut être d'une vérité certaine, et paraitre à l'entendement ou probable ou fausse.

Il y a rapport et proportion entre tout ce qui a convenance et disconvenance.

Les mots sans application aux choses ne sont ni vrais, ni faux.

Le caractère d'un principe, c'est d'être indémontrable.

Il n'y a qu'un seul premier principe où toutes les vérités sont cachées.

Ce premier principe, c'est que tout ce qui s'accorde avec la raison, c'est-à-dire, les sens et les idées, est vrai, et que tout ce qui les contredit est faux.

Les sens ne trompent point celui qui est sain d'esprit et de corps.

Le sens interne ne peut être trompé.

L'erreur apparente des sens extérieurs nait de la précipitation de l'entendement, dans ses jugements.

Les sens ne produisent pas toujours en tout les mêmes sensations. Ainsi il n'y a aucune proposition universelle et absolue des concepts variables.

Sans la sensation, l'entendement ne peut rien ni percevoir ni se représenter.

Les pensées actives, les idées, leurs rapports et les raisonnements, qui équivalent aux opérations sur les nombres, naissent des sensations.

L'algèbre n'est pas toutefois la clé et la source de toutes les sciences.

La démonstration est l'éviction de la liaison des vérités avec le premier principe.

Il y a deux sortes de démonstrations ; ou l'on part des sensations, ou d'idées et de définitions et de leur connexion avec le premier principe.

Il est ridicule de démontrer ou ce qui est inutile, ou indémontrable, ou connu en soi.

Autre chose est être vrai, autre chose être faux ; autre chose connaître le vrai et le faux.

L'inconnu est ou relatif, ou absolu.

Il y a des caractères de la vraisemblance ; ils en sont la base, et ils en mesurent les degrés.

Il y a connaissance ou vraie ou vraisemblable, selon l'espèce de l'objet dont l'entendement s'occupe.

Il est impossible de découvrir la vérité par l'art syllogistique.

La méthode se réduit à une seule règle que voici ; c'est disposer la vérité ou à trouver ou à démontrer, de manière à ne se pas tromper, procédant du facîle au moins facile, du plus connu au moins connu.

L'art de découvrir des vérités nouvelles exige l'expérience, la définition et de la division.

Les propositions catégoriques ne sont pas inutiles dans l'examen des vérités certaines, ni les hypothetiques, dans l'examen des vraisemblances.

La condition de l'homme est pire que celle de la bête.

Il n'y a point de principes matériels connés.

L'éducation est la source première de toutes les erreurs de l'entendement. De-là naissent la précipitation, l'impatience et les préjugés.

Les préjugés naissent principalement de la crédulité qui dure jusqu'à la jeunesse ; telle est la misere de l'homme, et la pauvre condition de son entendement.

Il y a deux grands préjugés. Celui de l'autorité, et celui de la précipitation.

L'ambition est une source des préjugés particuliers. De-là le respect pour l'antiquité.

Celui qui se propose de trouver la vérité, déposera ses préjugés ; c'est-à-dire, qu'il doutera méthodiquement ; qu'il rejettera l'autorité humaine, et qu'il donnera aux choses une attention requise. Il s'attachera préalablement à une science qui le conduise à la sagesse réelle. C'est ce qu'il doit voir en lui-même.

Nous devons aux autres nos instructions et nos lumières. Pour cet effet, nous examinerons s'ils sont en état d'en profiter.

Les autres nous doivent les leurs. Nous nous rapprocherons donc de celui en qui nous reconnaitrons de la solidité, de la clarté, de la fidélité, de l'humanité, de la bienveillance, qui n'accablera point notre mémoire, qui dictera peu, qui saura discerner les esprits, qui se proportionnera à la portée de ses auditeurs, qui sera l'auteur de ses leçons, et qui évitera l'emploi de mots superflus et vides de sens.

Si nous avons à enseigner les autres, nous tâcherons d'acquérir les qualités que nous demanderions de celui qui nous enseignerait.

S'agit-il d'examiner et d'interprêter les opinions des autres, commençons par nous juger nous-mêmes, et par connaître nos sentiments ; entendons bien l'état de la question ; que la matière nous soit familière. Que pourrons-nous dire de sensé, si les lois de l'interprétation nous sont étrangères, si l'ouvrage nous est inconnu ; si nous sommes ou animés de quelque passion, ou entêtés de quelques préjugés ?

Principes de la pneumatologie de Thomasius. L'essence de l'esprit considéré généralement, ne consiste pas seulement dans la pensée, mais dans l'action ; car la matière est un être purement passif, et l'esprit est un être entièrement opposé à la matière. Tout corps est composé de l'un et de l'autre, et les opposés ont des prédicats opposés.

Il y a des esprits qui ne pensent point, mais qui agissent ; savoir la lumière et l'aether.

Toute puissance active est un être subsistant par lui-même, et une subsistance qui perfectionne la puissance passive.

Il n'y a point de puissance passive subsistante par elle - même. Elle a besoin d'une lumière suffisante pour se faire voir.

Toutes les puissances actives sont invisibles ; et quoique la matière soit invisible, elle n'en est pas moins l'instrument et le signe de la puissance active.

Sous un certain aspect la lumière et l'aether font invisibles.

Tout ce qu'on ne peut concevoir privé d'action est spirituel.

Principes de la morale de Thomasius. Le bien consiste dans l'harmonie des autres choses avec l'homme et avec toutes ses forces, non avec son entendement seulement ; sous ce dernier aspect, le bien est la vérité.

Tout ce qui diminue la durée des forces de l'homme, et qui n'en accrait la quantité que pour un temps, est mal.

Toute commotion des organes, et toute sensation qui lui est conséquente, est un mal, si elle est trop forte.

La liberté et la santé sont les plus grands biens que nous tenions de la fortune ; et non les richesses, les dignités, et les amis.

La félicité de l'homme ne consiste ni dans la sagesse ni dans la vertu. La sagesse n'a du rapport qu'à l'entendement, la vertu qu'à la volonté.

Il faut chercher la félicité souveraine dans la modération du désir et de la méditation.

Cet état est sans douleur et sans joie, il est tranquille.

C'est la source de l'amour raisonnable.

L'homme est né pour la société paisible et tranquille, ou de ceux à qui ces qualités sont chères, et qui travaillent à les acquérir.

L'homme raisonnable et prudent, aime plus les autres hommes que lui-même.

Si l'on entend par la félicité souveraine, l'assemblage le plus complet et le plus parfait de tous les biens que l'homme puisse posséder ; elle n'est ni dans la richesse, ni dans les honneurs, ni dans la modération, ni dans la liberté, ni dans l'amitié ; c'est une chimère de la vie.

La santé est une des qualités nécessaires à la tranquillité de l'âme ; mais ce n'est pas elle.

La tranquillité de l'âme suppose la sagesse et la vertu ; celui qui ne les a pas est vraiment misérable.

La volupté du corps est opposée à celle de l'âme, c'est un mouvement inquiet.

Dieu est la cause première de toutes les choses qui changent ; ce n'est point là son essence, elle est dans l'aséité.

La matière première a été créée ; Dieu l'a produite de rien ; elle ne peut lui être coéternelle.

Les choses inconstantes ne peuvent se conserver elles-mêmes ; c'est l'ouvrage du créateur.

Il y a donc une providence divine.

Quoique Dieu donne à tout moment aux choses une vie, une essence, et une existence nouvelle ; elles sont une, et leur état présente le passé et l'avenir ; ce qui les rend mêmes.

La connaissance de l'essence divine est une règle à laquelle l'homme sage doit conformer toutes ses actions.

L'homme sage aimera Dieu sincèrement, aura confiance en lui, et l'adorera avec humilité.

La raison ne nous présente rien au-delà de ce culte intérieur ; quant au culte extérieur, elle conçoit qu'il vaut mieux s'y soumettre que de le refuser.

Il y a deux erreurs principales relativement à la connaissance de Dieu, l'athéïsme et la superstition.

Le superstitieux est pire que l'athée.

L'amour est un désir de la volonté de s'unir et de perséverer dans l'union avec la chose dont l'entendement a reconnu la bonté.

On peut considerer l'amour déraisonnable sous différents aspects, ou le désir est inquiet, ou l'objet aimé est mauvais et nuisible, ou l'on confond en lui des unions incompatibles, etc.

Il y a de la différence entre le désir de s'unir à une femme, par le plaisir qu'on en espere, ou dans la vue de propager son espèce.

Le désir de posséder une femme doit être examiné soigneusement, si l'on ne veut s'exposer à la séduction secrète de l'amour déraisonnable, cachée sous le masque de l'autre amour.

L'amour raisonnable de ses semblables est un des moyens de notre bonheur.

Il n'y a de vertu que l'amour ; il est la mesure de toutes les autres qualités louables.

L'amour de Dieu pour lui-même est surnaturel ; la félicité éternelle est son but ; c'est aux théologiens à nous en parler.

L'amour de nos semblables est général ou particulier.

Il n'y a qu'un penchant commun à la vertu, qui établisse entre deux êtres raisonnables, un amour vrai.

Il ne faut haïr personne, quoique les ennemis de nos amis nous doivent être communs.

Cinq vertus constituent l'amour universel et commun ; l'humanité, d'où naissent la bienfaisance et la gratitude ; la véracité et la fidélité dans ses promesses, même avec nos ennemis et ceux de notre culte ; la modestie qu'il ne faut pas confondre avec l'humilité ; la modération et la tranquillité de l'âme ; la patience sans laquelle il n'y a ni amour ni paix.

L'amour particulier est l'amour de deux amis, sans cette union il n'y a point d'amitié.

Le mariage seul ne rend pas l'amour licite.

Plus le nombre de ceux qui s'aiment est grand, plus l'amour est raisonnable.

Il est injuste de haïr celui qui aime ce que nous aimons.

L'amour raisonnable suppose de la conformité dans les inclinations, mais il ne les exige pas au même degré.

La grande estime est le fondement de l'amour raisonnable.

De cette estime nait le dessein continuel de plaire, la confiance, la bienveillance, les biens, et les actions en commun.

Les caractères de l'amour varient selon l'état des personnes qui s'aiment ; il n'est pas le même entre les inégaux qu'entre les égaux.

L'amour raisonnable de soi-même, est une attention entière à ne rien faire de ce qui peut interrompre l'ordre que Dieu a établi, selon les règles de la raison générale et commune, pour le bien des autres.

L'amour du prochain est le fondement de l'amour de nous-mêmes ; il a pour objet la perfection de l'âme, la conservation du corps, et la préférence de l'amour des autres, même à la vie.

La conservation du corps exige la tempérance, la pureté, le travail, et la fermeté.

S'il y a tant d'hommes plongés dans le malheur, c'est qu'ils n'aiment point d'un amour raisonnable et tranquille.

C'est moins dans l'entendement que dans la volonté et les penchants secrets, qu'il faut chercher la source de nos peines.

Les préjugés de l'entendement naissent de la volonté.

Le malheur a pour base l'inquiétude d'un amour déréglé.

Deux préjugés séduisent la volonté ; celui de l'impatience, et celui de l'imitation : on déracine difficilement celui-ci.

Les affections sont dans la volonté, et non dans l'entendement.

La volonté est une faculté de l'âme qui incline l'homme, et par laquelle il s'excite à faire ou à omettre quelque chose.

Il ne faut pas confondre l'entendement avec les pensées.

La volonté se meut toujours du désagréable à l'agréable, du fâcheux au doux.

Tous les penchants de l'âme sont tournés vers l'avenir et vers un objet absent.

Les affections naissent des sensations.

Le cœur est le lieu où la commotion des objets intérieurs se fait sentir avec le plus de force.

L'émotion du sang extraordinaire est toujours une suite d'une impression violente ; mais cette émotion n'est pas toujours accompagnée de celle des nerfs.

Il n'y a qu'une affection première, c'est le désir qu'on peut distinguer en amour ou en haine.

Il ne faut pas compter l'admiration parmi nos penchans.

Les affections ou penchants ne sont en eux-mêmes ni bons ni mauvais ; c'est quand ils sont spécifiés par les objets, qu'ils prennent une qualité morale.

Les affections qui enlèvent l'homme à lui-même, sont mauvaises ; et celles qui le rendent à lui-même, bonnes.

Toute émotion trop violente est mauvaise ; il n'y en a de bonnes que les tempérées.

Il y a quatre penchants ou affections générales ; l'amour raisonnable, le désir des honneurs, la cupidité des richesses, le goût de la volupté.

Les hommes sanguins sont voluptueux, les bilieux sont ambitieux, et les mélancoliques sont avares.

La tranquillité de l'âme est une suite de l'harmonie entre les forces de la pensée, ou les puissances de l'entendement.

Il y a trois qualités qui conspirent à former et à perfectionner l'amour raisonnable, l'esprit, le jugement, et la mémoire.

L'amour raisonnable est taciturne, sincère, libéral, humain, généreux, tempérant, sobre, continent, économe, industrieux, prompt, patient, courageux, obligeant, officieux, etc.

Tout penchant vicieux produit des vices contraires à certaines vertus.

Un certain mélange de vices produit le simulacre d'une vertu.

Il y a dans tout homme un vice dominant, qui se mêle à toutes ses actions.

C'est d'une attention qui analyse ce mélange, que dépend l'art de connaître les hommes.

Il y a trois qualités principales qu'il faut surtout envisager dans cette analyse, l'oisiveté ou paresse, la colere et l'envie.

Il faut étouffer les affections vicieuses, et exciter l'amour raisonnable : dans ce travail pénible, il faut s'attacher premièrement à l'affection dominante.

Il suppose des intentions pures, de la sagacité et du courage.

Il faut employer la sagacité à démêler les préjugés de la volonté ; ensuite ôter à l'affection dominante son aliment, converser avec les bons, s'exercer à la vertu, et fuir les occasions périlleuses.

Mais pour conformer scrupuleusement sa vie aux règles de la vertu, les forces naturelles ne suffisent pas.

Principes de la jurisprudence divine de Thomasius. Le monde est composé de corps visibles, et de puissances invisibles.

Il n'y a point de corps visible qui ne soit doué d'une puissance invisible.

Ce qu'il y a de visible et de tangible dans les corps s'appelle matière.

Ce qu'il y a d'invisible et d'insensible, s'appelle nature.

L'homme est de la classe des choses visibles ; outre les qualités qui lui sont communes avec les autres corps, il a des puissances particulières qui l'en distinguent ; l'âme par laquelle il conçoit et veut, en est une.

Les puissances produisent les différentes espèces de corps, en combinant les particules de la matière, et en les reduisant à telle ou telle configuration.

L'ame en fait autant dans l'homme ; la structure de son corps est l'ouvrage de son âme.

L'homme est doué de la vertu intrinseque de descendre en lui, et d'y reconnaître ses propres puissances et de les sentir.

C'est ainsi qu'il s'assure qu'il conçoit par son cerveau, qu'il veut par son cœur.

L'une de ces actions s'appelle la pensée, l'autre le désir.

L'entendement est donc une faculté de l'âme humaine, qui réside dans le cerveau, et dont la pensée est le produit ; et la volonté, une faculté de l'âme humaine qui réside dans le cœur, et qui produit le désir.

Les pensées sont des actes de l'entendement ; elles ont pour objet, ou les corps, ou les puissances ; si ce sont les corps, elles s'appellent sensations, si ce sont les puissances, concepts.

Les sensations des objets présents, forment le sens commun ; il ne faut pas confondre ces sensations avec leurs objets ; les sensations sont des corps, mais elles appartiennent à l'âme ; il faut y considérer la perception et le jugement.

Il n'y a ni appétit, ni désir de ce qu'on ne connait pas ; tout appétit, tout désir suppose perception.

La pensée qui s'occupe d'un objet absent, mais dont l'image est restée dans l'entendement, en conséquence de la sensation, s'appelle imagination ou mémoire.

Les pensées sur les corps, considérées comme des tous, sont individuelles.

Il n'y a point de pensées abstraites de la matière, mais seulement des puissances.

La puissance commune des corps, ou la matière, s'appellerait plus exactement la nature du corps.

Quand nous nous occupons d'une puissance, abstraction faite du corps auquel elle appartient, notre pensée est universelle.

On peut rappeler toutes les formes de nos pensées, ou à l'imagination, ou à la formation des propositions.

Dans l'investigation, il y a question et suspension de jugement. Dans la formation des propositions, il y a affirmation et négation : ces actions sont de l'entendement et non de la volonté ; il n'y a point de concept d'un terme simple.

Le raisonnement ou la méditation est un enchainement de plusieurs pensées.

On a de la mémoire, quand on peut se rappeler plusieurs sensations, les lier, et découvrir par la comparaison la différence que les puissances ont entr'elles.

Toute volonté est un désir du cœur, un penchant à s'unir à la chose aimée ; et tout désir est un effort pour agir.

L'effort de la volonté détermine l'entendement à l'examen de la chose aimée, et à la recherche des moyens de la posséder.

La volonté est donc un désir du cœur accompagné d'un acte de l'entendement.

Si on la considère abstraction faite de la puissance d'agir, on l'appelle appétit sensitif.

La volonté n'est point une pensée : il y a de la différence entre l'effort et la sensation.

Les actions de l'entendement s'exercent souvent sans la volonté, mais la volonté meut toujours l'entendement.

Les puissances des choses qui sont hors de nous meuvent et les facultés du corps et celles de l'entendement, et la volonté.

Il est faux que la volonté ne puisse être contrainte ; pourquoi les puissances invisibles des corps ne l'irriteraient-elles pas, ou ne l'arrêteraient-elles pas ?

La faculté translative d'un lieu dans un autre ne dépend pas de la pensée, c'est la suite de l'effort du cœur ; la volonté humaine ne la produit pas toujours, c'est l'effet d'une puissance singulière donnée par Dieu à la créature, et concourante avec sa volonté et sa pensée.

L'entendement a des forces qui lui sont propres, et sur lesquelles la volonté ne peut rien ; elle peut les mettre quelquefois en action, mais elle ne peut pas toujours les arrêter.

L'entendement est toujours soumis à l'impulsion de la volonté, et il ne la dirige point, soit dans l'affirmation qu'une chose est bonne ou mauvaise ; soit dans l'examen de cette chose ; soit dans la recherche des moyens de l'obtenir. La volonté ne désire point une chose parce qu'elle parait bonne à l'entendement ; mais au-contraire elle parait bonne à l'entendement parce que la volonté la désire.

L'entendement et la volonté ont leurs actions et leurs passions.

L'intellect agit quand la volonté l'incline à la réflexion ; il souffre quand d'autres causes que la volonté le meuvent et le font sentir.

La volonté est passive, non relativement à l'entendement, mais à d'autres choses qui la meuvent. Elle se sert de l'entendement comme d'un instrument pour irriter les affections, par un examen plus attentif de l'objet.

L'entendement agit dans le cerveau. Parler est un acte du corps et non de l'entendement.

La volonté opère hors du cœur, c'est un effort : ses actes ne sont point immanens.

La volonté est le premier agent de la nature humaine, car elle meut l'entendement.

Les actes commandés par la volonté sont ou volontaires, ou moraux et spontanés, ou nécessaires, contraints et physiques.

La nature de l'homme moral est la complexion de la puissance de vouloir, et des puissances qui sont soumises à la volonté.

La raison est le prédicat de l'entendement seul et non de la volonté.

L'entendement juge librement de la nature des choses, du bien et du mal, toutes les fois que la volonté ne le meut pas ; mais il est soumis à la volonté et il lui obéit, en tant qu'il en est mu et poussé.

L'entendement et la volonté ont leur liberté et leur servitude ; l'une et l'autre extrinseques.

Il n'y a donc nul choix de volonté, nulle liberté d'indifférence. Comme on ne conçoit pas toujours dans l'acte de la liberté, qu'elle soit excitée par des puissances extérieures, on dit sous ce point de vue qu'elle est libre.

On accorde aux actions de l'homme la spontanéité parce qu'il en est l'auteur, mais non parce qu'elles sont libres.

Les puissances sont ou en guerre ou d'accord ; dans le premier cas la plus forte l'emporte.

Ce qui conserve les puissances d'un corps est bon ; ce qui détruit les puissances d'un corps, et conséquemment le corps même, est mauvais.

Qu'est-ce que la vie ? l'union des puissances avec le corps. Qu'est-ce que la mort ? la séparation des puissances d'avec le corps. Tant que le corps vit, ses parties qui sont le siège des puissances restent unies ; lorsqu'il se dissout, ses parties se séparent ; les puissances passent à des puissances séparées, car il est impossible qu'elles soient anéanties.

Le corps est mortel, mais les puissances sont immortelles.

Il est particulier à l'homme d'être porté à des biens qui sont contraires au bien général.

L'effort vers une chose qui lui convient s'appelle désir, amour, espérance ; vers une chose qui lui est contraire, haine, fuite, horreur, crainte.

On donne à l'effort le nom de passion, parce que l'objet ne manque jamais de l'exciter.

La raison est saine quand elle est libre, ou non mue par la volonté et qu'elle s'occupe sans son influence de la différence du bien réel et du bien apparent ; corrompue, lorsque la volonté la pousse au bien apparent.

Chaque homme a ses volontés. Les volontés des hommes s'accordent peu ; elles sont très-diverses, souvent opposées : un même homme ne veut pas même constamment ce qu'il a voulu une fois ; ses volontés se contredisent d'un instant à un autre ; les hommes ont autant de passion, et il y a dans chacune de leurs passions autant de diversité qu'il s'en montre sur leurs visages, pendant la durée de leur vie.

L'homme n'est point l'espèce infime, et la nature du genre humain n'est pas une et la même.

Il y a dans l'homme trois volontés principales, la volupté, l'avarice, et l'ambition. Elles dominent dans tous, mais diversement combinées ; ce ne sont point des mouvements divers qui se succedent naturellement, et dirigés par le principe commun de l'entendement et de la volonté.

Des actes volontaires et contradictoires ne peuvent sortir d'une volonté une et commune.

D'où il suit que c'est aux passions de la volonté, à la contrainte et à la nécessité qu'il faut rapporter ce que l'on attribue ordinairement au choix et à la liberté : la discorde une fois élevée, la puissance la plus forte l'emporte toujours.

La volonté est une puissance active de sa nature, parce que plusieurs de ses affections ont leur origine dans d'autres puissances, et que toutes ses actions en sont excitées.

La volupté, l'ambition, l'avarice, sont trois facultés actives qui poussent l'entendement, et qui excitent la puissance translative.

L'espérance, la crainte, la joie, la tristesse, sont des passions de l'âme, qui naissent de la connaissance d'une puissance favorable ou contraire.

Il y a des passions de l'âme qui excitent les premières volontés ; il y en a d'autres qui les suppriment.

A proprement parler il n'y a que deux différences dans les affections premières, l'espérance et la crainte ; l'une nait avec nous ; l'autre est accidentelle.

L'espérance nait de quelque volonté première ; la crainte vient d'autres puissances.

L'espérance et la crainte peuvent se considérer relativement à Dieu : raisonnables on les appelle piété, crainte filiale ; déraisonnables on les appelle superstition, crainte servile. Celui qui n'est retenu que par des considérations humaines est athée.

L'homme est prudent et sage, lorsqu'il a égard à la liaison des puissances, non-seulement dans leur effet présent, mais encore dans leur effet à venir.

Les prophêtes sont des hommes dont Dieu meut immédiatement la puissance intellectuelle ; ceux dont il dirige immédiatement la volonté, des héros ; ceux dont l'entendement et la volonté sont soumis à des puissances invisibles, des sorciers : l'homme prudent apporte à l'examen de ces différents caractères la circonspection la plus grande.

La puissance humaine est finie, elle ne s'étend point aux impossibles. En-deçà de l'impossibilité, il est difficîle de marquer ses limites.

Il est plus facîle de connaître les puissances des corps en les comparant, que les puissances des hommes entr'eux.

Toute puissance, surtout dans l'homme, peut être utîle ou nuisible.

Il faut plus craindre des hommes qu'en espérer, parce qu'ils peuvent et veulent nuire plus souvent que servir.

Le sage secourt souvent ; craint plus souvent encore ; résiste rarement ; met son espoir en peu de choses, et n'a de confiance entière que dans la puissance éternelle.

Le sage ne prend point sa propre puissance pour la mesure de la puissance des autres, ni celle des autres pour la mesure de la sienne.

Il y a des puissances qui irritent les premières volontés ; il y en a qui les apaisent. Les aliments accraissent ou diminuent la volupté ; l'ambition se fortifie ou s'affoiblit par la louange et par le blâme ; l'avarice voit des motifs de se reposer ou de travailler dans l'inégalité des biens.

La volonté dominante de l'homme, sans être excitée ni aidée par des puissances extérieures, l'emporte toujours sur la volonté d'une puissance surordonnée, abandonnée à elle-même et sans secours. Les forces réunies de deux puissances faibles peuvent surmonter la volonté dominante. Le succès est plus fréquent et plus sur, si les puissances auxiliaires sont extérieures.

Une passion faible, irritée violemment par des puissances extérieures, s'exercera plus énergiquement dans un homme que la passion dominante dans un autre. Pour cet effet il faut que le secours de la puissance extérieure soit grand.

Il y a entre les passions des hommes des oppositions, des concurrences, des obstacles, des secours, des liaisons secrètes que tous les yeux ne discernent pas.

Il y a des émanations, des écoulements, des simulaires moraux qui frappent les sens et qui affectent l'homme et sa volonté.

La volonté de l'homme n'est jamais sans espérance et sans crainte, et il n'y a point d'action volontaire sans le concours de ces deux passions.

Il n'y a point d'action libre considérée relativement à la seule dépendance de la volonté. Si l'on examine l'action relativement à quelque principe qui la dirige, elle peut être libre ou contrainte.

La puissance de la volonté est libre, quand l'homme suit son espérance naturelle, lorsqu'elle agit en lui sans le concours ou l'opposition d'une force étrangère qui l'attire ou qui l'éloigne. Cette force est ou visible ou invisible ; elle s'exerce ou sur l'âme ou sur le corps.

Toute action qui n'est pas volontaire ou spontanée se fait malgré nous. Il n'en est pas de même dans le cas de la contrainte. Une action contrainte ne se fait pas toujours malgré nous.

Dans l'examen de la valeur morale des actions volontaires, il faut avoir égard non-seulement au mouvement de la volonté qui les a précédées, mais à l'approbation qui les a suivies.

Le spontanée est ou libre ou contraint ; libre, si la volonté a mis en action la puissance translative, sans le concours d'une puissance étrangère favorable ou contraire ; contrainte, s'il est intervenu quelque force, quelque espérance ou quelque crainte extérieure.

Les mœurs consistent dans la conformité d'un grand nombre de volontés. Les sages ont leurs mœurs, qui ne sont pas celles des insensés. Les premiers s'aiment, s'estiment, mettent leur dignité principale dans les qualités de leur entendement, en font l'essence de l'homme et soumettent leurs appétits à leur raison qu'on ne contraint point.

C'est du mélange des passions qu'il suit qu'entre les insensés, il y en a d'instruits et d'idiots.

La force des passions dominantes n'est pas telle qu'on ne les puisse maitriser.

Il n'y a point d'homme, si insensé qu'il sait, que la sagesse d'un autre ne domine et ne dispose à l'utilité générale.

Les passions dominantes varient selon l'âge, le climat, et l'éducation : voilà les sources de la diversité des mœurs chez les peuples divers.

Les mœurs des hommes ont besoin d'une règle.

L'expérience et la méditation font le sage.

Les insensés font peu de cas de la sagesse.

Les hommes, dont le caractère est une combinaison de l'ambition et de la volupté, n'ont besoin que du temps et de l'expérience pour devenir sages.

Tous ces principes qu'on établit sur la conscience juste et la conscience erronée, ne sont d'aucune utilité.

Le sage use avec les insensés du conseil et de l'autorité : il cherche à les faire espérer ou craindre.

L'honnête, l'agréable et l'utîle sont les objets du sage : ils font tout son bonheur ; ils ne sont jamais séparés.

Dans la règle que le sage imposera aux insensés, il aura égard à leur force.

Le conseil est d'égal à égal ; le commandement est d'un supérieur à son inférieur.

Le conseil montre des biens et des maux nécessaires ; la puissance en fait d'arbitraires. Le conseil ne contraint point, n'oblige point du-moins extérieurement ; la puissance contraint, oblige du-moins extérieurement. Le sage se soumet au conseil ; l'insensé n'obéit qu'à la force.

La vertu est sa propre récompense.

A proprement parler, les récompenses et les châtiments sont extérieurs.

L'insensé craint souvent des douleurs chimériques et des puissances chimériques. Le sage se sert de ces fantômes pour le subjuguer.

Le but de la règle est de procurer aux insensés la paix extérieure, et la sécurité intérieure.

Il y a différentes sortes d'insensés. Les uns troublent la paix extérieure, il faut employer contr'eux l'autorité ; d'autres qui n'y concourent pas, il faut les conseiller et les contraindre ; et certains qui ignorent la paix extérieure, il faut les instruire.

Il est difficîle qu'un homme puisse réunir en lui seul le caractère de la personne qui conseille, et le caractère de celle qui commande. Ainsi il y a eu des prêtres et des rais.

Point d'actions meilleures que celles qui tendent à procurer la paix intérieure ; celles qui ne contribuent ni ne nuisent à la paix extérieure, sont comme indifférentes ; les mauvaises la troublent ; il y a dans toutes différents degrés à considérer. Il ne faut pas non plus perdre de vue la nature des objets.

Le juste est opposé au mal extrême ; l'honnête est le bien dans un degré éminent ; il s'élève au-dessus de la passion ; le décent est d'un ordre moyen entre le juste et l'honnête. L'honnête dirige les actions extérieures des insensés ; le décent est la règle de leurs actions extérieures ; ils sont justes, de crainte de troubler la paix.

Le pacte diffère du conseil et de l'autorité ; cependant il n'oblige qu'en conséquence.

La loi se prend strictement pour la volonté de celui qui commande. En ce sens, elle diffère du conseil et du pacte.

Le but immédiat de la loi est d'ordonner et de défendre ; elle punit par les magistrats, elle contraint par les jugements, et elle annulle les actes qui lui sont contraires : son effet est d'obliger.

Le droit nait de l'abandon de sa volonté : l'obligation lie.

Il y a le droit que j'ai, abstraction faite de toute volonté, et celui que je tiens du pacte et de la loi.

L'injure est l'infraction de l'obligation et du droit.

Le droit est relatif à d'autres ; l'obligation est immense : l'un nait des règles de l'honnête ; l'autre des règles du juste.

C'est par l'obligation interne que l'homme est vertueux ; c'est par l'obligation externe qu'il est juste.

Le droit, comme loi, est ou naturel ou positif. Le naturel se reconnait par l'attention d'une âme tranquille sur elle-même. Le positif exige la révélation et la publication.

Le droit naturel se prend ou pour l'agrégat de tous les préceptes moraux qui sont dictés par la droite raison, ou pour les seules règles du juste.

Tout droit positif relativement à sa notoriété est humain.

Dieu a gravé dans nos cœurs le droit naturel ; il est divin ; la publication lui est inutile.

La loi naturelle s'étend plus aux conseils qu'à l'autorité. Ce n'est pas le discours de celui qui enseigne, mais de celui qui commande, qui la fait recevoir. La raison ne nous conduit point seule à reconnaître Dieu comme un souverain autorisé à infliger des peines extérieures et arbitraires aux infracteurs de la loi naturelle. Il voit que tous les châtiments qui n'émanent pas de l'autorité, sont naturels, et improprement appelés châtiments. Il n'y a de châtiments proprement dits que ceux qui sont décernés par le souverain, et visiblement infligés. La publication est essentielle aux lois. Le philosophe ne connait aucune publication de la loi naturelle : il regarde Dieu comme son père, plus encore que comme son maître. S'il a quelque crainte, elle est filiale et non servile.

Si l'on regarde Dieu comme père, conseiller, docteur, et que l'honnêteté et la turpitude marque plutôt bonté et malice, ou vice en général, que justice ou injustice en particulier ; les actions sur lesquelles le droit naturel a prononcé ou implicitement ou explicitement, sont bonnes ou mauvaises en elles-mêmes, naturellement et relativement à toute l'espèce humaine.

Le droit considéré comme une puissance morale relative à une règle commune et constante à un grand nombre d'hommes, s'appelle droit naturel. Le droit positif est relatif à une règle qui varie.

Le droit de la nature oblige même ceux qui ont des opinions erronnées de la divinité.

Ni la volonté divine, ni la sainteté du droit naturel, ni sa conformité avec la volonté divine, ni son accord avec un état parfait, ni la paix, ni les pactes, ni la sécurité, ne sont point les premiers fondements du droit naturel.

Sa première proposition, c'est qu'il faut faire tout ce qui contribue le plus à la durée et au bonheur de la vie.

Veux-toi à toi-même ce que tu désires des autres, voilà le premier principe de l'honnête : rends aux autres ce que tu exiges d'eux ; voilà le premier principe du décent : ne fais point aux autres ce que tu crains d'eux ; voilà le premier principe du juste.

Il faut se repentir ; tendre à son bonheur par des moyens sages ; reprimer l'excès de ses appétits, par la crainte de la douleur, de l'ignominie, de la misere ; fuir les occasions périlleuses ; se refuser au désespoir ; vivre pour et avec ceux même qui n'ont pas nos mœurs ; éviter la solitude ; dompter ses passions ; travailler sans délai et sans-cesse à son amendement : voilà les conséquences de la règle de l'honnête. Céder de son droit ; servir bien et promptement les autres ; ne les affliger jamais sans nécessité ; ne point les scandaliser ; souffrir leur folie : voilà les suites de la règle du décent. Ne point troubler les autres dans leur possession ; agir avec franchise ; s'interdire la raillerie, etc. voilà les conclusions de la règle du juste.

Il y a moins d'exceptions à la règle du juste et de l'honnête, qu'à celle du décent.

Le sage se fait de l'autorité, par ses discours et ses actions.

Le sage sert par l'exemple, et par le châtiment qu'il ne sépare pas.

Il faut punir et récompenser ceux qui le méritent.

Celui qui suit la règle de la sagesse mérite récompense : celui qui l'enfreint, châtiment.

Le mérite consiste dans le rapport d'une action volontaire, à la récompense et au châtiment.

Imputer, c'est traduire comme cause morale d'un effet moral.

Dans les cas de promesse, il faut considérer l'inspiration relativement à la volonté de celui qui a promis, et à l'aptitude de celui qui a reçu.

La méthode de traiter du droit naturel qu'Hobbes a présentée est très-bonne ; il faut traiter d'abord de la liberté ; ensuite de l'empire, et finir par la religion.

Voilà l'extrait de la philosophie de Thomasius dont on fera quelque cas, si l'on considère le temps auquel il écrivait. Il a peut-être plus innové dans la langue que dans les choses ; mais il a des idées qui lui appartiennent.

Il mourut en 1728 à Halle, après avoir vécu d'une vie très-laborieuse et très-troublée. Son penchant à la satyre fut la source principale de ses peines ; il ne se contenta pas d'annoncer aux hommes des vérités qu'ils ignoraient, mais il acheva de révolter leur amour-propre, en les rendant ridicules par leurs erreurs.